• il y a 8 mois
À 7h50, Sylvie Hofmann, infirmière et héroïne du nouveau film-documentaire de Sébastien Lifshitz “Madame Hofmann” est l'invitée de Sonia Devillers. Sortie en salles le 10 avril prochain. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50/l-invite-de-7h50-du-mercredi-03-avril-2024-9891570

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00:00 *France Inter, le 7/10*
00:04 Il est 7h48, Sonia De Villers, votre invitée ce matin est infirmière cadre, 40 ans de carrière à l'hôpital Nord de Marseille.
00:13 Et un des meilleurs documentaristes français, Sébastien Liffit, s'a fait le choix de la suivre au quotidien dans son service d'oncologie et de soins paléatifs.
00:21 Là, vous l'aurez compris, la mort est partout.
00:23 Et pourtant, Madame Hoffman et son équipe de blouses blanches et de blouses bleues irradient littéralement.
00:29 Le film sort en salle mercredi prochain, il s'intitule "Madame Hoffman", tout simplement.
00:34 Madame Hoffman, c'est vous. Bonjour Sylvie.
00:36 Bonjour.
00:39 Alors la plupart des infirmières tiennent 7 ans, vous avez tenu 40. Qu'est-ce qui vous a fait tenir ?
00:44 Je pense que ce qui m'a fait tenir c'est d'avoir changé régulièrement de pathologie, de service.
00:49 D'abord, j'ai toujours travaillé dans des CHU, donc j'ai appris quotidiennement.
00:54 J'ai fait aussi bien de la réanimation, des soins intensifs, de l'urgence et donc on apprend tout le temps.
01:01 Alors évidemment, Sébastien Liffit filme les derniers mois, le moment où vous allez enfin faire valoir vos droits à la retraite.
01:08 Il y a une grande inquiétude dans le service, qui va vous remplacer ?
01:11 Vous présentez finalement votre remplaçante et vous venez de me dire là dans le couloir qu'elle a tenu quoi ?
01:16 Un an, elle a tenu votre remplaçante ?
01:18 Même pas, elle est partie en burn-out.
01:20 Et il n'y a personne ?
01:21 Et là, en ce moment, ils n'arrivent pas à recruter donc il n'y a personne.
01:24 Voilà, vous le dites tout au long du film, Sylvie Hoffman, ce métier merveilleux que vous avez adoré exercer, il détruit de l'intérieur.
01:33 Pourquoi il détruit de l'intérieur ?
01:34 Parce que c'est le plus beau métier du monde.
01:36 On aide les gens, on sauve des vies.
01:38 Mais comme vous le voyez dans le film, quand vous sauvez une vie, c'est magnifique.
01:43 Quand vous perdez une vie, vous sentez la vie qui s'en va et ça vous détruit de l'intérieur.
01:47 Vous ne pouvez pas oublier, vous n'êtes pas un robot, vous êtes un être humain.
01:51 Donc quand on est un être humain, quand on sent partir une vie, à l'intérieur, on se met beaucoup à la place des autres, à la place des gens, à la place des familles.
01:59 Et au fond de vous, vous êtes détruit.
02:01 C'est le travail de toutes les infirmières.
02:03 Et on culpabilise ?
02:05 On culpabilise tout le temps.
02:07 Comme je le dis dans le film, on peut oublier des noms, on ne peut pas oublier un visage.
02:12 Et vous le dites, c'est un contact charnel.
02:14 C'est-à-dire le rapport que vous avez aux patients qui souffrent, et aux patients à l'agonie, aux patients qui vont jusqu'au bout de ce qui leur reste de vie.
02:24 Parce qu'on voit beaucoup vos mains.
02:26 D'ailleurs, vous avez des très belles mains.
02:28 Et même, vous massez, vous dites il faut masser, masser, masser.
02:33 Donc en fait, une infirmière, elle touche.
02:36 C'est important parce que les patients qui ont des cancers ou qui sont en soins palliatifs,
02:41 souffrent de la douleur physique, mais souffrent aussi de cette douleur morale, de la peur de partir.
02:47 Et il faut arriver à leur faire lâcher prise, à les faire se détendre.
02:51 Et donc pour ça, j'avais formé toutes mes équipes justement au toucher-détendre, pour apprendre à toucher les patients, à les masser,
02:58 à faire qu'ils arrivent à se détendre.
02:59 Et c'est ce qui met de la beauté dans les journées.
03:02 Oui.
03:03 Et alors vous, vous êtes rentré à l'hôpital Nord de Marseille, vous aviez 18 ans ?
03:07 Oui, 18 ans !
03:09 J'étais la plus jeune, mais après j'ai fini, j'étais la plus vieille.
03:12 Vous dites, je rentre à l'hôpital Nord de Marseille, j'ai vieilli d'un seul coup.
03:17 Qu'est-ce qui vous a donné envie de faire ce métier ?
03:19 Vous le voyez dans le film, ma maman était déjà aide-soignante à l'hôpital.
03:22 Micheline.
03:23 Micheline.
03:24 87 ans, Micheline.
03:26 87 ans aujourd'hui, mais c'est elle je pense, parce que le soir au repas, elle raconte ses journées, tout ça.
03:35 Mais moi, j'étais plus attirée au début de ma carrière par les enfants.
03:37 Donc j'ai beaucoup travaillé aux urgences enfants, en réanimation pédiatrique, en néonates.
03:43 Et après, ma carrière a fait que j'ai basculé chez les adultes, que j'ai...
03:47 Et puis j'ai eu une carrière vraiment bien remplie.
03:49 Oui, et puis les services d'urgence de Marseille, à l'hôpital Nord, c'est pas rien.
03:52 Vous racontez des époques où les voitures arrivent à fond de train devant les urgences,
03:56 balancent un corps criblé de balles et repartent...
03:59 C'est ça.
03:59 Et vous, vous êtes à l'accueil, vous êtes là, tranquille, attendre que la journée...
04:03 Et puis d'un coup, vous voyez la voiture s'arriver,
04:05 vous pensez que c'est un patient qui arrive, même un patient lambda.
04:08 Puis vous regardez, vous voyez quelque chose qui tombe de la voiture,
04:11 vous voyez la voiture partir, vous vous dites "mais qu'est-ce que c'est ?"
04:14 Vous sortez avec votre chariot d'urgence et vous faites les premiers soins dans le sens des urgences.
04:18 Alors, on rit beaucoup aussi dans ce film,
04:21 parce qu'il y a le moment du café entre les infirmières.
04:24 Pourquoi il est si important ce moment du café avec les infirmières ?
04:28 Le moment du café, c'est là où vous désamorcez toutes les situations.
04:31 Une infirmière se retrouve la plupart du temps seule dans les soins avec le patient,
04:35 elle vit des moments difficiles.
04:37 Et au moment du café, elle peut partager avec les copines.
04:40 Et moi, j'avais demandé à la psychologue du service, justement, dans son rôle de psychologue,
04:45 son rôle, ce n'était pas simplement auprès des patients, mais c'était auprès des équipes.
04:48 Et je lui demandais de venir au café, justement pour aider le personnel à...
04:53 - À vivre des sensations ? - À poser ses poids.
04:55 - Oui, c'est ça. - À poser le poids, le poids de la douleur, le poids de la réflexion.
04:59 Et ces jeunes infirmières, il va falloir qu'elles apprennent à affronter la mort.
05:04 D'ailleurs, elles le disent, il y a des patients auxquels on s'attache.
05:07 Il y a une jeune infirmière qui est ravissante, qu'on sent pleine de finesse, pleine de joie,
05:13 et qui dit "je sais que ça va arriver".
05:16 Elle parle d'impatient, mais je voudrais que ce soit un jour où je ne suis pas là.
05:20 - Et oui, comme beaucoup, parce qu'on n'aime pas affronter ces moments-là.
05:24 C'est tellement plus beau d'affronter des moments de joie, de gaieté, que des moments de départ.
05:28 - C'est quoi cette mouche ?
05:31 - Dans le film, on parle beaucoup de mouche.
05:32 Quand vous êtes personnel hospitalier, vous savez très bien que...
05:35 Nous, on le sait à force d'y vivre.
05:38 Quand il y a une mouche qui vient dans le service, on sait très bien qu'on va avoir un départ dans la journée.
05:43 - C'est comme une sorte de signe avant-coureur ?
05:46 - On sait que la mouche, elle arrive, on se dit "oh punaise, qui c'est qui va partir aujourd'hui ?"
05:51 - Ces infirmières qui vous entourent, Sylvie Hofmann, elles ont des rêves.
05:57 Il y en a une qui voudrait monter à Paris.
06:00 Vous venez de me dire là aussi dans le couloir, en fait, elles ont toutes arrêtées.
06:04 - Oui. - Elles sont toutes parties.
06:05 - Toutes ces petites jeunes que vous voyez pleines de vie,
06:08 qui arrivent à me faire rire les patients, même en soins palliatifs, c'est important de rire.
06:14 Et pour ça, Sébastien Lifshitz, c'est un homme tellement sensible
06:17 qu'il arrive à faire ressortir dans ce documentaire tellement d'émotions.
06:21 Et vous voyez ces petites jeunes qui me font rire les patients en pleine vie.
06:25 Et là j'ai su, parce que je les vois toujours, on va manger au restaurant régulièrement,
06:30 et elles sont parties.
06:32 - Elles ont arrêté. Il y en a une qui a ouvert son restaurant d'ailleurs.
06:34 - Une qui a ouvert son restaurant en Marseille.
06:36 - Alors la vraie question c'est comment on fait pour recruter des infirmières ?
06:39 - C'est horrible. C'est horrible parce que déjà il n'y en a pas sur le marché du travail.
06:43 Et comment vendre ? Parce que quand vous faites un entretien de recrutement,
06:47 il faut vendre votre service.
06:51 Comment vous voulez vendre quelque chose en disant, oui vous allez travailler 12 heures par jour,
06:55 vous allez travailler Noël, vous allez travailler jour de l'an, Pâques,
06:59 des fois vous allez faire des nuits supplémentaires.
07:02 Et la plupart du temps les jeunes recrues me demandent, mais on est payé combien ?
07:05 Oui mais là, c'est pas moi qui décide du paiement,
07:09 on est dans la fonction publique, donc c'est l'État qui décide.
07:12 Et quand vous parlez du salaire, on vous dit, bon d'accord,
07:14 ne retenez pas ma candidature, je vais aller voir ailleurs.
07:18 Et donc vous avez fait une heure de recrutement pour rien.
07:20 Et vous dites à toutes ces jeunes filles, ne faites pas du libéral,
07:23 vous allez vous ennuyer, mais vous ennuyez,
07:26 vous n'imaginez pas ce que vous allez vous ennuyer.
07:28 Non, j'adore les infirmières libérales, tout le monde en a besoin.
07:32 Quand je dis ennuyer, c'est parce qu'on était dans un service de soins palliatifs et d'oncologie.
07:36 Donc c'est un service à la pointe, où on a les dernières recherches,
07:39 les dernières études, les dernières prises en charge,
07:41 on a les essais thérapeutiques dont vous apprenez tout le temps.
07:44 Quand vous êtes infirmière libérale, vous allez faire des soins à domicile aux patients.
07:48 Ce sont des soins aussi difficiles, parce que les gens, ils imaginent qu'une infirmière libérale,
07:52 elle va faire sa petite injection et qu'elle s'en va.
07:54 Non, une infirmière libérale aussi, elle s'occupe des patients handicapés à la maison,
07:58 elles font des toilettes, la plupart du temps, elles sont seules pour faire ces toilettes,
08:02 donc elles sont obligées de soulever des poids, tourner des poids,
08:05 c'est lourd pour une femme, ça vous...
08:07 Et c'est pas reconnu comme un métier fatigant physiquement,
08:11 alors que oui, c'est épuisant physiquement.
08:14 Et c'est pour ça aussi que vous pouvez le voir, dans deux jours,
08:16 les infirmières libérales vont manifester à Paris, justement,
08:19 par rapport à leur salaire qui est ridicule,
08:22 par rapport à la charge en soins, aussi bien physique que psychologique.
08:26 - D'où elle est venue cette surdité, Madame Hoffman ?
08:29 - Le stress. J'ai perdu l'audition avec le stress.
08:32 Parce que ce qu'il faut retenir aussi, c'est que Sébastien Liffschit a filmé ce documentaire
08:37 pendant la crise Covid.
08:39 Donc pendant la crise Covid, tout le monde était à domicile, confiné,
08:43 sauf nous. Nous, on allait affronter les patients avec le Covid,
08:47 les patients qui avaient d'autres pathologies,
08:50 et il faut gérer ça, il faut gérer l'absentéisme du personnel.
08:53 Vous avez plus d'infirmières, mais vous pouvez pas dire
08:55 "on ferme le service aujourd'hui, on n'a plus d'infirmières".
08:56 C'est pas possible, il faut trouver des solutions.
08:58 - Et la retraite alors ?
08:59 - Oh, c'est le plus beau métier du monde.
09:02 - Nous, on s'inquiétait tous pour vous, parce qu'après 40 ans d'une vie aussi intense,
09:06 on s'est dit "mais elle va s'écrouler, Madame Hoffman".
09:08 - Mais pas du tout, je revis, je revis.
09:11 - Merci beaucoup, Madame Hoffman.
09:13 Le film sort mercredi prochain en salle.
09:15 Merci d'être venue à Paris nous voir.
09:17 - Merci de m'avoir accueillie.

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