Journée d'études : Des métiers du patrimoine en mutation ? Approprisations du numérique, rapport aux objets et aux publics.
Session III : Des relations au public « dématérialisées » ?
Archivistes et rapports aux usagers : entre injonctions contemporaines et questionnements internes itératifs
Patrice Marcilloux (Université d’Angers-TEMOS).
Avec Bénédicte Grailles, Magalie Moysan, Camille Rouffaud, programme 2RU
La journée d’études clôture le programme de recherche « Les reconfigurations du travail des archives face à l’informatisation : trajectoires, rapport au travail et légitimités des archivistes face à l’informatisation d’un monde professionnel » lancé par le Service interministériel des Archives de France, en partenariat avec le Département des études, de la prospective et des statistiques du ministère de la Culture et le Département du Calvados, et mené par l’université de Caen Normandie (unité CERREV : Centre de recherche risques et vulnérabilités).
Cette recherche laisse entrevoir combien les transformations observées résultent de l’articulation du numérique comme modalité de réforme de l’État avec des démarches issues d’autres injonctions politiques et sociales (incitations à la participation des publics, au travail en mode projet, à l’externalisation, à la contractualisation, à la patrimonialisation…). Pour mettre en perspective ces analyses et ouvrir de nouvelles pistes de recherche, la journée d’étude se propose de mettre en regard les travaux menés dans le monde des archives avec des analyses explorant les mutations dans d’autres univers professionnels relevant des métiers de la culture et du patrimoine (bibliothèque, musées, etc.).
Session III : Des relations au public « dématérialisées » ?
Archivistes et rapports aux usagers : entre injonctions contemporaines et questionnements internes itératifs
Patrice Marcilloux (Université d’Angers-TEMOS).
Avec Bénédicte Grailles, Magalie Moysan, Camille Rouffaud, programme 2RU
La journée d’études clôture le programme de recherche « Les reconfigurations du travail des archives face à l’informatisation : trajectoires, rapport au travail et légitimités des archivistes face à l’informatisation d’un monde professionnel » lancé par le Service interministériel des Archives de France, en partenariat avec le Département des études, de la prospective et des statistiques du ministère de la Culture et le Département du Calvados, et mené par l’université de Caen Normandie (unité CERREV : Centre de recherche risques et vulnérabilités).
Cette recherche laisse entrevoir combien les transformations observées résultent de l’articulation du numérique comme modalité de réforme de l’État avec des démarches issues d’autres injonctions politiques et sociales (incitations à la participation des publics, au travail en mode projet, à l’externalisation, à la contractualisation, à la patrimonialisation…). Pour mettre en perspective ces analyses et ouvrir de nouvelles pistes de recherche, la journée d’étude se propose de mettre en regard les travaux menés dans le monde des archives avec des analyses explorant les mutations dans d’autres univers professionnels relevant des métiers de la culture et du patrimoine (bibliothèque, musées, etc.).
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00:00 Merci beaucoup.
00:01 Donc moi, je vais vous parler au nom de la petite équipe
00:04 que vous avez citée tout à l'heure,
00:06 qui a donc travaillé pendant une bonne année.
00:11 Donc on est en fin de programme
00:13 sur un autre programme conventionné avec le SIAF,
00:17 qui est donc le petit frère, la petite soeur, le cousin
00:20 de celui qui nous réunit aujourd'hui.
00:22 Et donc merci d'avoir eu l'idée de vous présenter
00:25 et de nous faire connaître.
00:27 Et donc merci d'avoir eu l'idée de faire se croiser
00:30 les deux programmes.
00:32 C'est très gentil et très intéressant de le faire.
00:37 Donc ce programme s'appelle
00:40 "Reconfiguration des rapports aux usagers", ou 2RU.
00:43 Alors il aura sa petite journée conclusive, lui aussi,
00:45 le 16 mai 2024 à Angers.
00:48 Et donc je vais utiliser un petit peu l'introduction.
00:52 C'est pas très académique comme introduction,
00:54 mais pour vous le présenter,
00:55 histoire de ne pas faire toute une partie de présentation
00:57 de ce programme, mais juste vous dire 2 ou 3 choses
00:59 pour ensuite passer à mon propos.
01:03 Donc l'objet de ce programme,
01:05 c'était d'essayer d'approcher cette notion
01:07 de reconfiguration des rapports aux usagers
01:10 avec, je dirais, 3 angles d'attaque principaux.
01:14 Le 1er, les politiques des usagers
01:16 dans les politiques des services,
01:18 avec en particulier une étude des PSCE,
01:23 des projets de services culturels et éducatifs,
01:25 aussi bien les résultats,
01:27 l'étude d'un certain nombre de projets
01:29 que la fabrique de ces projets.
01:31 2e angle d'attaque, des outils de gestion.
01:35 Et donc là, on était plus sur des outils numériques,
01:37 des outils de gestion de la relation aux usagers
01:40 dans leurs demandes,
01:42 et notamment, par exemple, j'y ferai allusion,
01:45 le déploiement de logiciels du type GRU, GRC,
01:49 gestion de la relation à l'usager ou aux citoyens.
01:52 Et puis, 3e angle,
01:53 une dimension de territorialisation
01:56 et de l'offre de relations aux usagers,
02:00 quels qu'ils soient, sur les territoires.
02:03 D'un point de vue méthodologique, je vais très vite aussi,
02:06 mais ça me permettra de ne pas reciter ensuite
02:09 un certain nombre de choses.
02:11 Donc, chose comparable à ce que nous avons vu ce matin,
02:15 c'est-à-dire principalement du qualitatif,
02:18 avec une soixantaine d'entretiens,
02:22 aussi bien avec des archivistes de différents niveaux
02:24 qu'avec des usagers,
02:26 des séances d'observation non participantes
02:30 à découvertes de réunions de services,
02:33 de réunions préparatoires à l'élaboration de projets de services,
02:38 d'une session du Séminaire national des archives de France aussi.
02:43 Voilà, je crois que j'ai à peu près fait le tour.
02:47 Ceci dans une vingtaine de services d'archives,
02:50 principalement de collectivités territoriales,
02:53 un petit peu archives nationales aussi,
02:56 mais moins.
02:58 Donc, c'est sur ce matériau que je vais m'appuyer.
03:03 Donc, du coup, je n'aurai pas le temps de dire à chaque fois,
03:05 dans telles circonstances, tel type de réunion, etc.
03:08 Donc, je vais prélever un peu dans toutes ces circonstances.
03:12 Et bien sûr, comme mes collègues,
03:14 ça sera présenté de manière purement anonyme,
03:16 ne cherchez pas, quand je dis un directeur ou une directrice,
03:20 même à identifier, ne serait-ce que par le sexe ou le genre,
03:23 parce que je change...
03:25 Je dis ça pour les archivistes présents dans la salle
03:28 qui pourraient dire, "Ah, je me demande si c'est pas
03:30 "un tel ou une telle qui a dit ça."
03:34 Alors, l'objet de ma communication,
03:36 ça va être donc sur le terrain de la relation aux usagers
03:38 et, en particulier, mais pas uniquement,
03:41 de la relation dématérialisée aux usagers,
03:44 d'essayer de revenir sur la manière
03:47 dont les services se comportent, gèrent, digèrent,
03:51 si je puis dire, les différentes injonctions,
03:55 les différentes sollicitations extérieures
03:57 qui leur sont adressées,
04:00 quelle que soit la nature de ces injonctions
04:03 ou de ces adresses extérieures,
04:04 technologiques, politiques, administratives, sociales.
04:08 Voilà. Et donc, ça va m'amener à un plan en 3 parties.
04:13 Premièrement, je vais revenir rapidement
04:15 sur ces injonctions extérieures
04:17 pour les caractériser quand même un tout petit peu.
04:20 Deuxièmement, je vais défendre l'idée
04:22 que les services réagissent beaucoup
04:24 en réactivant des questionnements métiers
04:28 qui leur sont propres,
04:30 en réactivant des débats internes.
04:32 Et donc, troisièmement, j'essaierai d'apporter
04:35 quelques éléments d'analyse sur ce mode de fonctionnement.
04:40 Alors, premièrement, sur les injonctions,
04:43 contraintes, commandes, etc.,
04:46 et en complément ou en nuanciation, là, peut-être,
04:50 de ce qui a pu être dit au fil de la journée.
04:53 Alors, bien évidemment, nous sommes d'accord,
04:54 les services d'archives sont l'objet de ce type de sollicitations,
04:58 d'offres, de marketing territorial, technologique, etc.
05:03 Je voudrais quand même en relativiser un tout petit peu,
05:07 non pas l'existence, mais l'impact
05:09 ou attirer l'attention sur le fait
05:12 que ces adresses extérieures, au fond,
05:16 premièrement, sont...
05:18 Enfin, il faut les limiter un tout petit peu.
05:20 Oui, on les limitait un tout petit peu.
05:23 Et puis, deuxièmement, que,
05:24 d'après ce que nous avons pu observer,
05:27 ça ne pénètre pas beaucoup dans la profondeur des services
05:31 au-delà de l'encadrement.
05:34 Deux ou trois séries de remarques.
05:36 Alors, d'abord, vous allez me dire,
05:38 c'est lié au fait que nous avons surtout travaillé
05:41 sur des services territoriaux,
05:43 et donc ça enfonce une porte ouverte,
05:45 mais pas uniquement.
05:47 Moi, les injonctions, les éléments de discours,
05:50 les éléments de mode que j'ai vus vivre en interne,
05:54 ils sont principalement d'origine locale.
05:57 Peu de choses sur des mots d'ordre nationaux,
06:01 de services publics, etc.,
06:03 locales, et deuxièmement, très incarnées.
06:06 C'est-à-dire que ce que l'on met en avant, ce que l'on vise,
06:09 ce qui compte, finalement, me semble-t-il,
06:11 c'est le fait que tel président de conseil départemental
06:15 est attaché à la participation citoyenne.
06:17 Alors là, oui, on voit le thème,
06:18 mais à travers le président du conseil départemental,
06:21 la marotte de tel directeur général adjoint
06:24 qui aime bien la transversalité, etc., etc.
06:29 Et je dirais que s'il n'y a pas cette incarnation
06:31 et ce relais local,
06:33 moi, je n'ai pas vu vraiment de poids
06:36 d'un certain nombre de mots d'ordre nationaux.
06:41 Et je dirais même qu'on a un certain nombre d'absences
06:45 qui sont, je ne sais pas s'il faut dire étonnantes,
06:47 mais notables.
06:49 Alors pour certains thèmes,
06:51 je dirais qu'ils sont assez démonétisés.
06:53 On peut le regretter, mais c'est autre chose.
06:56 Et donc, ça ne surprendra pas.
06:58 Par exemple, la démocratisation culturelle,
07:00 l'élargissement des publics,
07:01 voilà des thèmes qui sont absents,
07:05 presque totalement de ce que nous avons pu observer.
07:07 Pour d'autres thèmes, ils ne sont présents
07:10 que sous la forme de leur déclinaison locale,
07:11 qu'il s'agisse de la transformation numérique
07:13 du service public ou de l'amélioration
07:16 de la qualité du service public en général.
07:19 2e remarque,
07:21 ça reste quand même plutôt au niveau des équipes de direction
07:25 qui s'en servent, d'ailleurs, de ces mots d'ordre,
07:29 si je puis dire, en les instrumentalisant quelque peu
07:31 pour faire passer des messages dans l'équipe
07:33 ou pour sensibiliser.
07:36 Voilà, je cite, "On n'est pas les seuls maîtres à bord."
07:40 Attention, un changement d'organigramme se profile,
07:42 donc certaines habitudes risquent d'être modifiées.
07:48 Et je dirais aussi que les encadrements
07:51 sont à la recherche de ce type de commandes politiques
07:56 comme forme de levier.
07:58 Un tel directeur, dans une réunion, s'étonne
08:00 qu'au fond, on ne lui demande pas plus à rendre de compte
08:04 sur la fréquentation de la salle de lecture
08:06 ou des expositions ou des équipements culturels.
08:09 Il paraît presque bizarre ou un signe de désintérêt
08:12 ou quelque chose dont il faut se méfier.
08:15 Alors, il existe bien, évidemment,
08:17 des propositions technico-institutionnelles fortes.
08:22 C'est notamment...
08:24 Nous avons étudié, donc, nous,
08:26 un terrain autour,
08:28 dans un service d'archives municipales,
08:29 autour du déploiement d'un outil de GRU, GRC,
08:33 appelez-le comme vous voulez,
08:34 donc un outil de gestion des demandes de recherche
08:36 par correspondance.
08:38 Et là, c'est très clair que c'est une demande de l'institution.
08:43 Un des archivistes interrogés dit
08:45 qu'il fallait avancer même si on n'était pas convaincus.
08:48 Voilà. Donc là, on est bien dans ce cas de figure.
08:51 Mais je dirais que ce même type d'outil
08:54 ou ce même type d'approche
08:56 présenté en réunion nationale
09:00 devant un groupe
09:03 d'une vingtaine d'archivistes
09:06 est tout de suite mis à distance, justement,
09:08 sur le fait que c'est qu'un outil.
09:10 La profession réagit en disant "ça, c'est un outil
09:13 qui pose des questions de fond
09:14 et ramène tout de suite la discussion sur cet outil
09:18 à des questionnements spécifiques métiers".
09:21 On va y revenir, et ça fait le lien
09:23 avec ma 2e partie,
09:25 qui est "quel type de réponse doit-on faire
09:28 à ces demandes de recherche par correspondance ?
09:31 Jusqu'où doit-on aller ?"
09:33 Donc, 2e point de mon propos,
09:37 la révélation,
09:39 à travers la manière dont les services discutent en interne,
09:44 se positionnent par rapport à ces évolutions,
09:47 de la réactivation d'un certain nombre de points de débat,
09:52 réactivation assez souvent vive,
09:55 on a l'impression de quelque chose de clivant,
09:58 et ces points de débat, si je puis dire,
10:01 ces points de tension, ils ont 2 caractéristiques,
10:03 c'est qu'ils renvoient tous, plus ou moins,
10:07 de manière plus ou moins directe, à la notion de coeur de métier,
10:10 qui sommes-nous ?
10:11 Alors, j'emploie "coeur de métier",
10:12 on pourrait employer "identité professionnelle",
10:14 on pourrait employer "professionnalité",
10:15 on a employé différents termes,
10:17 aujourd'hui, je laisse tomber les débats théoriques,
10:19 mais vous comprenez bien ce dont je veux parler.
10:22 Donc ils renvoient tous à ce qui sommes-nous,
10:24 quel sens, quelle mission principale, etc.
10:26 Et 2, surtout, presque, j'ai envie de dire,
10:29 ils sont à peu près décorrélés de l'actualité,
10:32 c'est-à-dire que ces débats, ce sont des débats,
10:35 je ne dis pas éternels, je ne dis pas permanents,
10:38 mais ce sont des débats anciens ou récurrents,
10:43 on a l'impression qu'on les mobilise
10:45 de manière régulière ou itérative.
10:49 Alors, je vais vous en prendre 3,
10:52 qui sont liés, qui sont très liés.
10:54 Premièrement, les usagers sont-ils au coeur de nos missions ?
11:00 Voilà une proposition qui fait débat.
11:03 Placer l'usager au coeur, ça fait débat,
11:05 ça pourrait peut-être paraître évident,
11:07 mais ça fait débat, notamment dans la fabrique des PSCE.
11:12 Il y a, et c'est perçu, le fait de placer l'usager...
11:15 Alors, bien sûr, tout le monde est d'accord,
11:16 tout ce qu'on fait, c'est pour l'usager, etc.
11:19 Mais faut-il aller jusqu'à en faire le paradigme principal,
11:23 si je puis dire, et par exemple,
11:24 écrire le projet de service autour de l'usager ?
11:28 Et on décline tout.
11:30 Eh bien, ce renversement de paradigme,
11:32 il est perçu comme ça, je cite un verbatim, là,
11:38 fait l'objet de discussion,
11:40 alors, soit parce qu'il y a la crainte
11:42 que ça ne soit pas partagé par tout le monde,
11:44 dans un service, on fait écho que...
11:47 L'encadrement fait écho qu'une partie des agents répète
11:50 "Il n'y en a que pour les publics, ici, de toute façon."
11:52 Si vous entendez les autres, on est oubliés.
11:55 Et puis, un débat un peu plus théorique,
11:57 qui est, faut-il accepter cette autonomisation ?
12:00 On a parlé des 4C, des 5C, etc.
12:03 Cette autonomisation d'une partie du travail,
12:06 ou est-ce que c'est un tout
12:08 et qu'il n'y a pas à le diviser, justement ?
12:12 Et quelqu'un dit, par exemple,
12:13 "L'archivistique, c'est ce qui permet de répondre au public."
12:16 Et donc, ce qui est au coeur, c'est l'archivistique.
12:19 Les publics n'ont pas à être singularisés
12:22 ou placés au sommet de l'édifice.
12:27 Deuxième question qui est liée,
12:30 c'est celle du "jusqu'où aller"
12:32 dans les réponses aux usagers.
12:35 Alors là, c'est encore plus clivant, je dirais,
12:38 d'une certaine manière, parce que là, ça se part
12:41 volontiers de conception du service public.
12:44 C'est-à-dire, est-ce que c'est notre mission de service public
12:46 de faire ça ? Non, ce n'est pas ça.
12:48 C'est autrement que nous accomplirons convenablement
12:52 notre mission de service public.
12:53 Dans un sous-groupe de travail en séminaire national,
12:56 la présentation de l'outil que j'évoquais tout à l'heure,
13:00 la de gestion des relations aux usagers,
13:03 par un service qui avait comme politique
13:06 de répondre à toutes les demandes sans limitation, disons,
13:09 et de manière gratuite,
13:11 cette présentation génère un fort brouhaha.
13:15 J'ai noté un quart d'heure de débat vif avec du brouhaha.
13:19 31, j'ai compté le nombre d'interactions,
13:21 31 interactions de la part de 11 intervenants
13:24 dans un groupe de 20 personnes,
13:26 ce qui situe bien, je dirais, l'intensité.
13:28 Alors je prends quand même 2 minutes.
13:29 Donc c'est open bar.
13:31 De plus en plus d'étudiants font faire leur recherche
13:33 parfois par des professionnels.
13:34 Oh, il y a forcément des critères,
13:36 donc une discrimination rampante.
13:38 Il vaudrait mieux faire moins et assurer une égalité
13:40 de traitement.
13:41 On est quand même obligés
13:42 de tenir compte des capacités de service.
13:44 Il n'y a qu'à leur dire de venir en salle.
13:46 Oui, mais si les fonds ne sont pas classés.
13:49 Donc là, on a quelque chose...
13:51 Alors je dirais, voilà, je ne découvre pas...
13:54 Mais ce qui est intéressant, c'est de le voir vivre.
13:57 Et je dirais que même de manière tout à fait paradoxale,
14:01 dans le service où on a vraiment étudié les choses
14:04 qui a adopté ce type d'outils,
14:06 un certain nombre d'archivistes de l'encadrement
14:08 disent qu'ils n'étaient pas forcément d'accord,
14:11 qui en soulignent tous les problèmes, etc.,
14:13 disent, au fond, c'est un moyen d'éviter
14:16 la surqualité de certains agents.
14:19 Voilà. Alors, au-delà, ça a déjà été évoqué,
14:25 certains archivistes dans les réunions
14:28 voient un rôle qui va au-delà,
14:31 c'est-à-dire un rôle de médiateur administratif,
14:34 c'est-à-dire, je dirais, d'aider les usagers,
14:37 y compris dans leur combat, si je puis dire,
14:39 avec l'administration, en mettant à profit
14:41 des connaissances qu'ont les archivistes
14:43 sur le fonctionnement des services,
14:46 que parfois les services eux-mêmes n'ont pas.
14:48 Mais vous le noterez, là, on est un petit peu
14:51 dans ce qu'on pourrait appeler un "auto-mandat",
14:52 c'est-à-dire que ces archivistes s'attribuent une fonction
14:56 qui n'est pas véritablement, tiens, j'ai envie de dire,
14:59 réglementaire, pour pointer à quelque chose
15:02 que je vais aborder ensuite.
15:03 Troisième point,
15:07 c'est tout ce qui touche à classement ou exposition.
15:11 Je vais très vite.
15:13 Une partie importante des agents place l'essentiel
15:17 de leur professionnalité dans les activités de classement.
15:20 Encore faut-il dire ce qu'est un classement,
15:22 qu'est-ce qu'un classement achevé,
15:23 qu'est-ce qu'un classement débuté,
15:24 qu'est-ce qu'un classement terminé.
15:26 Mais une autre partie des agents met en avant les expositions.
15:31 Et là, je dirais, c'est un des rares cas
15:33 où j'ai vu que c'était vraiment...
15:34 ça partait des tripes.
15:36 Par exemple, dans un service qui, actuellement,
15:37 ne fait pas beaucoup d'expositions,
15:39 où on débat du fait de "est-ce qu'on en ferait",
15:42 eh bien, il y a un clivage entre celles et ceux qui disent
15:46 "c'est pas prioritaire",
15:47 et là, dans la Réunion,
15:49 un agent qui n'avait pas pris la parole jusqu'à présent
15:52 dit de manière virulente, forte,
15:55 "faire une exposition, c'est être vivant,
15:57 "pas une crotte poussiéreuse."
15:59 Oui, mais...
16:04 Alors, il me reste encore cinq minutes ?
16:06 -Tout à fait. -C'est très bien.
16:08 Troisième partie.
16:09 Alors, donc,
16:12 comment analyser ça, si je puis dire ?
16:14 Je pense qu'un indice nous est fourni
16:18 par le fait que toutes ces réflexions,
16:22 qui sont assez construites,
16:23 qui sont même très construites,
16:24 les gens ont des argumentaires, etc.,
16:26 en revanche, elles mettent à distance
16:28 tout référencement extérieur.
16:31 On ne cite pas d'article de la Gazette des Archives,
16:34 on ne cite pas quelque chose de la Revue archiviste,
16:37 on ne cite pas d'exemple qu'on a vu en formation, etc.,
16:40 alors même que, parfois,
16:41 on sent que les gens qui prennent la parole
16:45 mobilisent quelque chose de cette nature-là.
16:47 Mais on a l'impression qu'il faut une réflexion sui generis
16:51 qui naisse de l'intérieur du système archivistique,
16:54 si je puis dire.
16:55 Et c'est un petit peu cette notion que je voudrais, ici,
17:00 comment dirais-je, explorer pendant deux minutes,
17:02 il restera une minute pour la conclusion,
17:05 c'est-à-dire que les archives,
17:07 c'est non seulement des lieux, c'est non seulement des services,
17:09 c'est non seulement de la réglementation,
17:12 c'est un ensemble articulé de moyens, de politiques,
17:15 de modes de formation, de modes d'insertion dans la société
17:18 qui évolue avec ses logiques propres.
17:22 Et ces logiques, je crois qu'il faut vraiment les regarder
17:24 de manière très, très interne.
17:27 Deux ou trois éléments de ces logiques propres,
17:28 le poids du réglementaire,
17:30 je dirais même le paravent réglementaire,
17:32 c'est sans cesse mis en avant.
17:36 J'aurais tendance à dire que c'est parfois un peu bloquant,
17:38 mais là, je sors de mon rôle d'analyse, si je puis dire.
17:43 Mais voilà.
17:44 Et parfois, il y a quelqu'un qui dit
17:46 "Ah oui, mais j'ai regardé dans les musées,
17:47 ils font comme ça, leur PSCE."
17:49 Non, on ne parle pas des musées.
17:51 Les musées, ce sont des gens
17:52 qui n'ont pas de réglementation comme nous.
17:54 Et donc, les pauvres,
17:56 ils sont obligés de s'inventer des missions
17:58 et d'inventer des missions singulières par service
18:03 en fonction de la typicité de leur collection.
18:05 Pas nous. Pas nous.
18:07 Nous, on est là.
18:09 On sera toujours là.
18:11 Deuxièmement, de manière très frappante,
18:16 ces débats,
18:17 on pourrait appeler des hésitations de professionnalité,
18:20 sont perçus par les usagers.
18:22 Les usagers que nous avons interrogés
18:24 qui font usage d'un service qui n'est pas très répandu,
18:27 alors là, les spécialistes identifieront
18:29 où ça peut se situer,
18:31 qui est service, dit, de numérisation à la demande.
18:34 Ils disent "Oui, pourquoi ce n'est pas plus répandu ?
18:36 Oui, oui, je l'admets.
18:38 Mais ils n'ont peut-être pas fait des études
18:42 pour être à notre service, on l'admet.
18:44 On a toujours l'impression qu'ils ont des choses
18:46 plus importantes à faire avec les archives.
18:48 Leur but premier, ça doit être autre chose, mais quoi ?"
18:51 Oui, oui, oui.
18:55 Et du coup, évidemment,
18:57 je passe plus vite pour arriver à la conclusion,
19:00 comme dans tout système, comme ça,
19:01 on a évidemment des logiques d'adaptation un peu à la marge.
19:06 Et ces logiques d'adaptation à la marge,
19:07 elles plaisent, j'ai envie de dire,
19:09 à la fois à ceux qui sont au système,
19:12 parce que justement, ça permet d'évoluer par les marges,
19:15 et puis ça se généralise ou pas, etc.
19:17 Ce qui m'a beaucoup frappé dans les entretiens
19:19 avec ces usagers que je viens de viser,
19:22 c'est l'usage qu'ils font de très nombreux groupes
19:26 et pages Facebook consacrées à la généalogie,
19:30 et principalement, c'est beaucoup des généalogistes,
19:31 pas exclusivement, effectivement,
19:33 j'aurais peut-être dû le dire, le groupe là que...
19:36 Et alors, sur ces pages et groupes,
19:38 c'est de l'entraide, on signale des choses
19:40 qui se font dans un service d'archives,
19:42 des nouveautés, etc., etc.,
19:43 mais il est extrêmement frappant de voir
19:45 qu'il y a des archivistes qui interviennent.
19:47 Mais ils interviennent à la marge,
19:51 sont borderline, si je puis dire.
19:53 Alors, certains sont à la retraite,
19:54 ils font bien ce qu'ils veulent,
19:57 mais d'autres sont en profession,
20:00 et ils interviennent sur ces pages
20:03 par une sorte de flou, etc., etc.
20:05 En tout cas, leur intervention est très appréciée,
20:09 très recherchée.
20:10 Les usagers me disent,
20:11 "C'est bien d'apprendre de ces sachants.
20:13 "Lorsqu'ils parlent, on sait que c'est vrai."
20:16 Mais vous voyez combien ça se situe à la marge
20:18 de ce que j'appelle le système archivistique.
20:21 Alors, élément de conclusion, c'est...
20:23 -Tout à fait. -Très bien.
20:24 Et je pars d'une petite réflexion personnelle
20:30 ou d'un aspect très anecdotique.
20:31 Justement, en allant sur le terrain,
20:34 donc, pour moi, ça signifiait aussi
20:36 revenir dans les services,
20:38 et que j'ai vu la vivacité de ces débats
20:40 autour de exposition par exposition,
20:43 demande de recherche administrative ou pas,
20:45 répondre ou pas.
20:47 Quand j'étais en stage à Nancy avec Hubert Collin,
20:50 il m'avait déjà expliqué qu'il ne fallait pas répondre
20:52 en dehors des demandes de recherche administrative.
20:55 Je me suis dit, "Mais enfin, quand même, on en a encore là.
20:57 "Ça vit encore, ça."
20:59 Ça m'a un peu perturbé.
21:00 Et je pense que ce "on en a enfin, quand même",
21:03 c'est complètement idiot.
21:04 Ma 1re réflexion est complètement idiote.
21:06 Je n'avais...
21:07 Ça va plus loin que ça, en fait.
21:10 C'est-à-dire que je pense que la réitération
21:14 de ces interrogations découplées,
21:18 j'insiste bien, d'une forme de temporalité.
21:22 Premièrement, fait partie, définie ou fait partie,
21:25 je ne dis pas définie exclusivement,
21:27 mais fait partie de l'identité,
21:29 on l'a évoqué, professionnelle et archiviste.
21:31 On a dit tout à l'heure, être bibliothécaire, c'est douter.
21:34 Être archiviste, on a l'impression,
21:36 c'est non seulement douter,
21:38 mais c'est être capable de reformuler régulièrement
21:42 ce type d'interrogations sur le coeur de métier.
21:47 Il faut l'admettre, c'est une manière commune.
21:49 Et alors, vous allez me dire,
21:52 comme une entité professionnelle,
21:54 non, 2e erreur, je crois.
21:56 2e erreur, parce que je crois que cette manière de faire,
22:00 elle a un intérêt profond
22:02 en termes de système des professions,
22:04 pour reprendre les outils théoriques
22:05 qui ont été avancés ce matin.
22:07 C'est-à-dire que ça permet, en fait,
22:10 de maintenir une forme d'unité
22:13 et de bloquer l'apparition de sous-groupes professionnels,
22:16 par exemple, autour du numérique.
22:18 Archiviste, records manager...
22:21 C'est pas forcément numérique, mais archiviste, informaticien.
22:25 Voilà. Et donc, parce qu'on trouve,
22:29 dans la réitération de ce type de débat,
22:32 une forme, je crois, oui, d'identité unifiée professionnelle.
22:36 En tout cas, c'est une hypothèse que je formulerai.
22:40 Voilà.
22:41 (Applaudissements)
22:42 -Merci.
22:44 (...)
22:45 ...