• il y a 9 mois
Face au réchauffement climatique et à la sécheresse qui frappe la France, l'hydrologue et présidente fondatrice de la société Mayane Emma Haziza appelle à prendre des mesures plus fortes. Le politologue et chercheur François Gemenne appelle lui aussi au "volontarisme". Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien-du-jeudi-21-mars-2024-8506954

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Transcription
00:00 et plateau ce matin sur le climat alors que la sécheresse s'installe en Méditerranée,
00:05 que le Brésil fait face à des températures records
00:08 et que pour le dire simplement tous les indicateurs sont au rouge vif.
00:12 Vos questions, amis auditeurs, amis auditrices au 01 45 24 7000
00:18 et sur l'application France Inter.
00:20 Pour en parler, Emma Aziza, hydrologue, experte en adaptation climatique
00:26 et François Gemmene, professeur à HEC, chercheur en gouvernance du climat
00:31 et co-auteur du sixième rapport du GIEC.
00:34 Bonjour à tous les deux.
00:35 - Bonjour.
00:36 - Et bienvenue à ce micro.
00:38 On se souvient avec Léa d'une matinale en août 2018, il y a six ans,
00:44 quand Nicolas Hulot démissionnait en direct.
00:47 Il disait déjà que la planète était au bord du gouffre, qu'on regardait ailleurs
00:52 et qu'il ne le supportait plus.
00:54 Six ans plus tard, le secrétaire général de l'ONU dit lui aussi,
00:59 en présentant le rapport de l'Organisation Météorologique Mondiale,
01:03 que la planète est au bord du gouffre, que la pollution par les combustibles fossiles
01:08 provoque un chaos climatique sans précédent.
01:12 Pensez-vous, Emma Aziza, que là aussi, là encore, on va regarder ailleurs ?
01:17 - Eh bien oui, à partir du moment où nos cerveaux se refroidissent l'hiver
01:20 et qu'on est très très loin d'une canicule, on a tendance à oublier,
01:23 notamment en France, que nous sommes le pays qui se réchauffe le plus rapidement dans le monde.
01:28 20% plus vite que le reste du monde.
01:30 - Pourquoi ?
01:30 - Ce n'est pas rien, tout simplement parce que nous sommes la porte d'entrée
01:33 de l'océan Atlantique en direction de l'Europe.
01:36 Tant que nous avons des masses de pluie très importantes,
01:39 ce qui est d'ailleurs le cas cette année, nous sommes plutôt riches en eau,
01:42 nous sommes un pays à la base tempéré.
01:45 Sauf que, depuis 2017, il y a une bascule.
01:48 Cette bascule s'explique par une augmentation des températures.
01:52 On a l'impression d'avoir toujours les mêmes titres de journaux chaque mois, chaque année,
01:56 record historique de température mensuelle, annuelle.
01:59 Eh bien tout ça, à un moment donné, ça ne s'est pas vu entre 2000 et 2015.
02:03 Et à partir de 2016, il y a une bascule.
02:05 2017, 10 mois sans pluie.
02:07 Et à partir de là, en réalité, l'accélération et la transformation du pays va être très rapide.
02:14 On passe de situations dépressionnaires qui amènent de l'eau
02:17 à des situations anticycloniques où on perd notre eau.
02:20 Et donc ça signifie aujourd'hui qu'on est vulnérable parce que sans eau, il n'y a pas d'économie.
02:24 On va faire le point, mais juste, je reviens sur cette phrase que vous avez dite là, à l'instant.
02:29 C'est-à-dire que la France, de tous les pays du monde,
02:31 est le pays où la transformation du climat est la plus rapide.
02:36 20% plus rapide que le reste du monde.
02:38 Deux études le mettent en évidence.
02:40 Une de l'Organisation Météorologique Mondiale et une autre française, notamment avec Météo France.
02:46 Et donc, en fait, si on suivait les événements chaque année,
02:49 c'était facile de le voir parce qu'on a vu une transformation extrêmement rapide.
02:54 Vous allez en haut de Garonne à Toulouse, avant vous aviez de la brume et du brouillard.
02:58 Tous les matins, ça n'existe pas. On perd aujourd'hui notre rosée.
03:02 On voit très bien qu'il y a quelque chose qui se déroule.
03:04 On est en train de planter des oliviers à pot.
03:07 Les Hauts de France ont des records de ventes de piscines.
03:10 Donc on voit bien qu'il se passe quelque chose.
03:12 Mais tant que ça reste agréable et tant qu'on n'est pas sur des situations comme le Ville-Brésil aujourd'hui,
03:17 on ne s'en rend pas compte. Mais là où il y a un signe au faible,
03:20 c'est notre économie qui, elle, par contre, ne peut absolument pas se passer d'eau.
03:24 Ce rapport, François Gemmene de l'ONU, montre que les records ont été battus en 2023,
03:28 voire dans certains cas pulvérisés, s'agissant des niveaux de gaz à effet de serre,
03:31 des températures de surface, du contenu thermique et de l'acidification des océans,
03:35 de l'élévation du niveau de la mer.
03:36 2023 a été l'année la plus chaude jamais enregistrée dans le monde.
03:40 Comment recevez-vous cela ?
03:42 Est-ce que vous aussi, vous avez un peu marre, comme Emma Aziza, de voir les titres de journaux ?
03:47 Qui annoncent la catastrophe toutes les semaines ou tous les deux mois et rien ?
03:51 Disons que je suis un peu inquiet qu'on le voit toujours comme quelque chose d'exceptionnel.
03:55 Alors qu'en réalité, les records de température, par exemple, c'est mécanique.
03:59 Comme le changement climatique est un problème d'accumulation,
04:01 comme la plupart des gaz à effet de serre ont une durée de vie très longue dans l'atmosphère,
04:05 tant qu'on continue à émettre des gaz à effet de serre,
04:08 mécaniquement, nous continuons à battre des records de température.
04:11 Il faut dire que tant que nous n'aurons pas atteint la neutralité carbone au niveau mondial,
04:15 tant qu'on ne sera pas capable de retirer de l'atmosphère autant de gaz à effet de serre qu'on y envoie,
04:20 nous sommes condamnés à battre des records de température continuellement.
04:23 Mais on les voit sans cesse, un peu comme des alertes exceptionnelles, comme des signaux d'alarme.
04:28 Je pense qu'il faut vraiment intégrer le caractère structurel du phénomène,
04:33 intégrer le besoin, Emma Aziza l'a rappelé, de l'adaptation, d'adapter nos territoires, notre économie.
04:39 Et je pense en fait, au risque d'être un peu provocateur,
04:42 que ces discours alarmistes et que ces rapports continuels
04:46 en fait finissent par provoquer une certaine forme d'immobilisme et de lassitude.
04:51 Je pense que de plus en plus de gens aujourd'hui se disent qu'il n'y a rien à faire.
04:54 Et le problème de ces signaux d'alarme, c'est qu'ils mettent sans cesse l'accent sur le problème,
04:59 sans proposer aucune solution, sans montrer qu'il y a des issues possibles.
05:03 Et donc je crois qu'il faut absolument renverser la table de la communication sur ce sujet.
05:07 On n'arrête pas de dire aux gens les risques qu'il y a, les risques qui vont se produire s'ils n'agissent pas.
05:13 On ne leur montre jamais les intérêts et les bénéfices qu'ils peuvent retirer à agir.
05:17 Et donc de ce fait, aujourd'hui l'action contre le changement climatique
05:21 est perçue comme une contrainte plutôt que comme un projet.
05:23 Et donc ça suscite évidemment des réactions d'hostilité qu'on voit très bien en politique.
05:27 Vous êtes d'accord avec ça, Emma Aziza ?
05:29 Oui, je suis d'accord sur nos émissions.
05:32 Le problème, c'est que si par exemple on parle du cycle de l'eau,
05:34 la manière dont aujourd'hui il est déstabilisé,
05:37 ce n'est pas que lié au changement climatique, l'effondrement de la biodiversité,
05:41 ce n'est pas qu'une question de changement climatique,
05:43 c'est la couche qui vient exacerber le tout.
05:45 Tant qu'on ne comprendra pas qu'il faut redonner sa place, par exemple,
05:50 au cycle de l'eau dans nos villes,
05:51 il n'y a absolument plus d'espace pour que l'eau puisse s'infiltrer en verticalité.
05:56 Tant qu'on aura des sols agricoles compactés où il n'y a plus de microbiote,
05:59 où il n'y a plus de qualité de ces sols, qu'on perd nos sols,
06:03 en réalité tout cela, ce n'est pas dû au changement climatique.
06:06 Le changement climatique vient, et en fin de compte,
06:08 c'est la couche supplémentaire qui exacerbe le tout
06:12 et qui nous montre à quel point on est vulnérable et on ne regarde pas.
06:15 Moi je crois qu'aujourd'hui, la question ce n'est pas tant de se dire
06:19 est-ce qu'on fait peur ou on ne fait pas peur,
06:21 c'est de se dire la réalité elle est là,
06:23 soyons lucides et soyons courageux parce que les solutions on les a.
06:27 La nature est très résiliente lorsque vous restaurez les cycles,
06:30 par contre il va falloir regarder la fenêtre et l'image globale.
06:35 C'est-à-dire qu'on ne peut pas se contenter de regarder un élément,
06:38 il faut regarder le tout, l'enchevêtrement,
06:40 on est sur des territoires complexes,
06:42 agir sur un élément va avoir des conséquences sur un autre.
06:45 Et donc quand on regarde le tout, on se rend compte que oui,
06:47 il y a des solutions, la seule solution qu'on n'a pas,
06:49 c'est celle de les mettre en œuvre.
06:51 - On va venir aux solutions dans un instant,
06:53 mais vous dites, je reviens sur ce que vous disiez François Gemmene,
06:56 sur la communication et sur ces alertes de ces rapports alarmistes
07:00 tous les mois ou tous les six mois.
07:03 Il y a les rapports alarmistes et puis il y a ces urgents de l'AFP,
07:07 des agences qui sortent quand on voit que la température ressentie au Brésil
07:11 il y a trois jours était de plus de 62 degrés.
07:15 Comment on reçoit quelque chose comme ça ?
07:19 C'est la température ressentie, ça veut dire qu'il faisait que 42 degrés en vrai.
07:23 - Et ce qui fait que la température ressentie est de 62 degrés,
07:26 c'est qu'il y a une humidité très forte dans l'atmosphère
07:28 et malheureusement, plus la température va monter,
07:30 plus l'humidité de l'atmosphère va augmenter.
07:32 Pour chaque degré supplémentaire qu'on prend,
07:34 on prend 7% d'humidité supplémentaire dans l'atmosphère.
07:37 Donc là encore, on est malheureusement sur les records de température,
07:40 sur quelque chose d'assez mécanique qui évidemment peut inquiéter,
07:44 qui évidemment peut alarmer et qui évidemment pose des conséquences assez lourdes,
07:49 notamment en termes de santé publique.
07:51 Mais je crois vraiment qu'il faut intégrer le caractère structurel de cela
07:54 et comme je le disais, il faut absolument présenter aujourd'hui...
07:57 - C'est-à-dire qu'il faut se préparer, comme disait Christophe Béchoux,
07:59 le ministre de la Transition écologique,
08:00 au fait que la France aura +4 degrés à la fin.
08:02 - Bien entendu, et ce scénario de +4 degrés qu'on voit encore
08:05 comme un scénario catastrophiste, voire défaitiste,
08:08 je suis désolé de le dire, mais c'est encore un scénario relativement médian
08:11 qui correspond globalement à l'ausse de température en France d'ici 2100,
08:16 si tous les gouvernements aujourd'hui respectent à peu près
08:18 les engagements qu'ils ont pris dans le cadre des négociations internationales.
08:22 Donc c'est ce qui se passera si Trump n'est pas réélu en novembre.
08:24 - C'est la trajectoire, Emma, Aziza ?
08:26 - Je crois qu'effectivement il va falloir avoir plusieurs coups d'avance comme aux échecs,
08:29 c'est-à-dire qu'il y a la question de l'adaptation,
08:32 l'adaptation ça prend du temps.
08:33 Moi je le vois, je travaille sur ces questions-là depuis 15 ans,
08:36 sur le risque d'inondation qui était le seul sujet en France durant des années,
08:40 parce qu'on avait eu 2002, 2003, 2005, entre l'héros et le gars,
08:43 on avait eu des victimes et donc on a eu des politiques très actives sur ces sujets-là.
08:47 Ça prend du temps, il faut aller maison par maison,
08:50 entreprise par entreprise, aider les gens,
08:52 leur permettre de comprendre à leur échelle la hauteur d'eau qui peut arriver,
08:56 et puis ensuite les aider à se transformer, aller chercher des financements.
09:00 Tout ça, c'est une quantité d'énergie colossale.
09:03 Aujourd'hui il faut la mettre maintenant sur la question des sécheresses,
09:06 le risque de retrait gonflement d'argile coûte plus cher que le risque d'inondation,
09:10 et surtout sur un autre risque qu'on ne regarde pas encore,
09:12 c'est le risque de manque d'eau.
09:14 On l'a vu en France, plus de 1300 communes ont manqué d'eau,
09:18 mais c'est surtout l'eau d'ailleurs qui commence à manquer,
09:20 et là on ne se rend pas compte de notre dépendance.
09:21 Alors justement, l'hiver 2023 avait été particulièrement sec en France,
09:26 comment jugez-vous l'hiver 2024 ?
09:29 On en sort, et les perspectives pour l'été qui arrivent ?
09:32 Alors on n'est absolument pas du tout dans la même configuration,
09:35 l'année dernière à la même époque, on avait 80% de nos nappes qui étaient
09:38 dans un état extrêmement bas,
09:40 et qui laissaient augurer effectivement un été très compliqué.
09:44 Là, on voit très bien qu'on a changé de situation,
09:47 on a même eu trop d'eau dans les Hauts-de-France,
09:49 on a tout de même les Pyrénées-Orientales qui restent un cas particulier,
09:52 mais par contre, je crois qu'il faut qu'on regarde,
09:55 quand on est dans une situation, on est dans le hors-norme,
09:58 dans le jamais vu, puisque ce sont des températures qu'on n'a jamais eues,
10:01 on a très peu de marge de recul,
10:02 et celle que l'on a, c'est par exemple celle de l'année 2018,
10:05 elle ressemble beaucoup à cette année.
10:07 2018, c'est janvier, où il va y avoir plus de pluie sur le bassin parisien
10:12 qu'en janvier 1910, lors de la grande crue de la Seine,
10:15 on va avoir une très importante crue de la Seine,
10:17 mais moins de dommages, ce qui veut dire qu'on gère tout de même beaucoup mieux,
10:21 on va avoir un printemps très pluvieux,
10:23 et trois semaines de canicule au mois de juillet vont suffire
10:26 pour refaire basculer la France dans un état de sécheresse historique.
10:29 Ça signifie qu'on a des sécheresses éclaires qui s'installent en France,
10:33 c'est quelque chose que l'on voit partout,
10:34 et donc ces dynamiques...
10:35 C'est-à-dire même s'il a beaucoup plu en hiver,
10:38 on peut avoir une sécheresse cet été ?
10:39 Exactement, vous mettez la France sur un grill,
10:41 à partir du moment où il fait 40 degrés dès le mois de juin,
10:44 et donc il y a un phénomène d'évaporation, d'évapotranspiration,
10:47 à partir du moment où on se parle, hier c'était les quinox,
10:50 nous commençons le printemps,
10:52 c'est-à-dire nous avons une vidange des nappes qui naturellement existe,
10:56 parce que le printemps naît lorsqu'il se serre dans les nappes phréatiques.
11:00 Ce vert que vous voyez, ça signifie que la moindre goutte d'eau
11:03 qui arrivera à partir de maintenant ne sera plus efficace
11:06 et ne rejoindra plus jamais les nappes.
11:07 Comprendre ça, c'est comprendre aussi qu'il va falloir les préserver ces nappes,
11:10 et donc arrêter les solutions court-termistes,
11:12 qu'il est vide lorsque c'est encore possible,
11:15 avant, derrière, de servir finalement,
11:18 parce que c'est une logique, c'est un socle, une nappe phréatique,
11:21 qui va servir à la fertilité des sols,
11:23 qui va servir à avoir de l'eau dans nos cours d'eau,
11:25 qui va servir aux vivants.
11:27 Si vous enlevez ça, le vivant s'effondre,
11:29 et je crois qu'on n'a pas encore compris qu'on est dans ce vivant-nappe.
11:31 - Alors allons-y sur les solutions.
11:32 Quelles sont les solutions face à cela ?
11:34 Vous allez nous les dire Emma Aziza, puisque vous êtes hydrologue,
11:37 quelles sont les solutions pour préserver les nappes,
11:39 mais au niveau plus macro si j'ose dire, François Gemmene,
11:42 quelles sont les solutions, puisque vous, votre mantra, c'est de dire
11:45 "Allez, voyons le verre à moitié plein,
11:48 et voyons ce qu'on peut faire, au lieu de déplorer, déplorer, déplorer."
11:51 - Je crois qu'il ne faut rien minimiser de la gravité de la situation,
11:54 et tout le monde est conscient de la gravité,
11:56 tout le monde est conscient de l'urgence,
11:57 mais en même temps qu'on dit ça, il faut aussi, je pense,
12:00 mettre l'accent sur les solutions,
12:01 et dire qu'il est possible de réussir cette transition à tous les niveaux,
12:05 au niveau du climat, mais aussi au niveau des ressources en eau,
12:08 et certainement au niveau de l'adaptation.
12:10 On le voit aujourd'hui, les chiffres d'émissions de gaz à effet de serre de la France
12:15 ont baissé de 4,8% l'an dernier,
12:18 alors c'est quand même un résultat encourageant.
12:20 Il y a bien entendu une partie, que j'estime à peu près à la moitié,
12:22 qui est conjoncturelle, qui est liée à la hausse des prix de l'énergie,
12:25 à l'hiver particulièrement doux,
12:27 mais c'est pareil dans les autres pays.
12:28 Le Royaume-Uni a baissé de 5,7% l'an dernier,
12:31 en Chine on n'a pas encore les résultats pour 2023,
12:34 mais en 2022 les émissions avaient aussi baissé.
12:36 On a parfois tendance à se focaliser exclusivement sur le problème,
12:40 et donc de ce fait, le discours sur l'action écologique et sur l'écologie
12:44 est un discours permanent de contraintes, d'efforts supplémentaires à réaliser,
12:48 et de déplorations.
12:51 Et de déplorations, c'est-à-dire qu'on joue sans cesse sur la colère, l'indignation, la peur.
12:56 Je pense qu'il faut aussi redonner du volontarisme à tout ça,
12:59 et se dire que nous allons pouvoir y arriver.
13:01 Comment ?
13:02 Par exemple, en mettant en lumière ce qui fonctionne.
13:05 Qui dit aujourd'hui que les émissions de l'industrie ou du bâtiment
13:08 ont considérablement baissé en France ?
13:10 Ce sont des secteurs qui sont parmi les plus gros postes d'émissions de l'économie,
13:16 et dont les émissions baissent.
13:17 Là où les émissions ne baissent pas encore, c'est sur les transports.
13:20 C'est pour ça qu'on a créé l'Alliance pour la Décarbonation de la Route,
13:23 pour mettre ensemble tous les acteurs de la route,
13:25 et dire qu'il était possible de mettre en place des solutions,
13:27 et de faire aussi baisser les émissions de ce secteur.
13:30 Sur l'adaptation, il y a plein de choses à faire,
13:32 en termes d'aménagement du territoire,
13:34 en termes de notre rapport à l'usage de l'eau,
13:36 potentiellement sur ce qui concerne la tarification.
13:38 On a tendance aussi sans cesse à opposer les solutions les unes aux autres,
13:42 à opposer la technologie au changement d'usage et de mode de consommation,
13:45 alors qu'il va falloir combiner les deux,
13:47 et aussi voir comment potentiellement la technologie peut faire évoluer les usages.
13:51 On le voit sur les compteurs électriques,
13:52 il y a certainement moyen aussi sur l'eau de faire évoluer les usages,
13:56 et notre rapport à la consommation.
13:58 - Et bien Aziza, vous êtes d'accord ?
13:59 - Alors le problème c'est qu'on devient de plus en plus éco-citoyen,
14:02 et on consomme de moins en moins d'eau en France,
14:04 et ça devient un problème, parce qu'en réalité l'eau paye l'eau aujourd'hui.
14:08 C'est-à-dire que la facture d'eau que vous avez,
14:10 c'est simplement lié à la quantité d'eau que vous consommez.
14:13 Et ça n'arrange pas tout le monde, lorsque vous baissez de 10% votre consommation,
14:17 vous baissez également la facture d'eau,
14:20 et donc on est face à un vrai problème,
14:21 que ce soit les géants privés ou publics du secteur,
14:24 qui se retrouvent avec moins de financement,
14:26 notamment pour gérer toutes ces conduites
14:29 qui nous permettent d'avoir de l'eau magique dans notre robinet.
14:32 Donc je crois qu'aujourd'hui, bien entendu qu'il faut travailler sur ces usages,
14:36 il faut revoir le modèle.
14:37 Il faut arrêter derrière de se baser sur une logique
14:41 où notre consommation va nous rapporter des financements.
14:44 Donc aujourd'hui, on doit simplement comprendre
14:46 que ce prix de l'eau n'est pas cher du tout,
14:49 qu'il va falloir le transformer, on n'a juste pas le choix.
14:52 Mais il va falloir aussi aller très vite, prendre des très grandes décisions.
14:55 Les économies d'eau, on sait très bien comment faire
14:58 pour baisser jusqu'à 50 à 80% d'utilisation d'eau à l'échelle de notre maison.
15:03 Les réducteurs de débit, les douches, etc.
15:05 Tout ça c'est facile, c'est juste que ce n'est pas déployé massivement.
15:09 Il faudrait même les offrir ces solutions, il faudrait les obliger.
15:12 Ça c'est à l'échelle domestique, mais ensuite il y a d'autres usages.
15:14 Pour les agriculteurs, on le sait dans les Pyrénées-Orientales, c'est une catastrophe.
15:21 Ils demandent le stockage d'eau.
15:23 Alors maintenant c'est le terme qui est pris pour ne pas dire "mégabassine",
15:26 mais quelle est votre position sur ça ?
15:28 Le problème des mégabassines, il est très simple.
15:31 C'est que vous allez prélever de l'eau dans une nappe qui, à la base,
15:37 alimente une rivière et donc vous allez déconnecter la nappe de la rivière.
15:41 Ça c'est la première chose.
15:42 Deuxièmement, cette eau, une bassine c'est à peu près 260 piscines olympiques,
15:46 vous allez mettre de l'eau croupissante, c'est-à-dire une eau qui va croupir.
15:50 Or, la France s'est construite et a tout fait pour chasser l'eau des villes,
15:55 pour faire en sorte de mettre l'eau le plus loin possible, parce que l'eau est signe de maladie.
15:59 Également, on a en tête l'historique du choléra en France.
16:03 Et donc en fait, aujourd'hui, mettre de l'eau croupissante,
16:06 c'est des risques de développement de salmonelles,
16:08 de développement de cyanobactéries, des développements alguers.
16:11 Ce sont des systèmes qui ne fonctionnent pas parce qu'il y a tellement de déploiements d'algues
16:15 qu'il faut parfois envoyer des plongeurs pour aller décolmater les systèmes d'irrigation.
16:20 Donc on voit que c'est une solution court-termiste qui a été choisie par un monde agricole
16:24 qui n'a pas eu trop de choix parce que la bascule a été trop violente.
16:29 - Alors quel est l'autre choix pour un agriculteur des Pyrénées-Orientales
16:32 qui n'a plus d'eau pour éréguer ses cultures ?
16:35 - Alors, les Pyrénées-Orientales, c'est une situation extrêmement particulière
16:38 qui ressemble à l'Espagne, parce qu'on arrive devant le mur.
16:42 Là, il n'y a plus d'eau dans les nappes, il n'y a plus d'eau dans les rivières,
16:45 il n'y a plus d'eau dans les mentaux neigeux, donc on voit qu'il n'y a même plus de tramontagne.
16:48 Donc on perd notre vent qui nous amenait justement ces cycles de l'eau.
16:52 Donc on voit très bien qu'effectivement, il va falloir restaurer à la parcelle.
16:55 Il va falloir jouer avec des modèles qui utilisent le fait de gérer la vapeur d'eau
17:01 et de la restaurer dans le sol.
17:03 Il va falloir retravailler ce microbiote du sol.
17:05 Mais je crois que dans les Pyrénées-Orientales, si nous n'avons pas de désanisation d'eau de mer,
17:10 nous n'aurons que très peu de solutions pour permettre l'habitabilité sur la durée.
17:15 - On passe au Standard Inter. Patrice nous y attend. Bonjour et bienvenue.
17:20 - Oui, bonjour à tous. Tout arrive, ça fait 30 ans que j'essaye de contacter France Inter.
17:28 Alors, je voulais vous faire un constat et vous poser une question.
17:33 Et la question viendra du constat en fait.
17:36 Le constat, c'est que notre économie est basée sur un PIB qui doit toujours croître de plus en plus.
17:43 Donc ça, ça veut dire toujours plus d'extractivisme, de productivisme, de consumérisme
17:48 et de corruption en fait de la nature et de l'humain.
17:50 Et là-dessus, la liste est longue.
17:52 Donc ça, je suis vraiment effrayé parce que je suis à la retraite
17:54 et ce que je constate aujourd'hui est absolument effrayant pour moi.
17:58 Alors, dans les années 60... - Ça, c'est le constat donc, la question.
18:02 - Alors, attendez. Dans les années 60, ma famille était nourrie par un jardin de 250 mètres carrés.
18:11 Et c'était gratuit. Fruits et légumes, il suffisait de semer.
18:14 On avait un poulailler, on avait un clapier et c'était gratuit.
18:18 Et Emma, Aziza, sait que la nature opère avec une économie de moyens remarquable.
18:24 Donc la terre, ça montait naturellement.
18:27 Il y avait des saisons, il y avait un terroir et puis point barre.
18:30 Donc à l'heure actuelle, on veut toujours plus.
18:33 Là, ma question, c'est que pour moi, vu ce que je constate au jour le jour,
18:39 c'est-à-dire un effondrement, on l'a sous les yeux, donc c'est effrayant.
18:44 Pour moi, l'optimisme de François Gemmell ne me convient pas du tout.
18:49 Parce qu'il a l'air de se satisfaire des baisses d'émissions qui sont en cours.
18:53 Mais le PIB doit toujours croître, toujours plus d'énergie.
18:58 J'ai envie de poser une question.
19:00 Toujours plus d'énergie, pourquoi faire ?
19:02 - D'accord. Là, voilà la question. Merci Patrice.
19:07 Donc, la croissance du PIB, fondée sur la destruction de l'environnement,
19:13 c'était le cœur de l'intervention.
19:15 - Et votre optimisme BA, dit l'auditeur, François Gemmell ?
19:19 - Patrice, ne vous méprenez pas, ce n'est pas de l'optimisme BA.
19:23 J'ai été auteur pour le 6ème rapport du GIEC, donc je sais la gravité de ce qui se passe.
19:30 Je sais que nous n'avons pas encore atteint le pic mondial des émissions de gaz à effet de serre.
19:34 Mais non moins, c'est quoi la solution ?
19:36 La solution, c'est de s'indigner, de se lamenter, de ne rien faire.
19:38 Je crois qu'aujourd'hui, on a une obligation morale de volontarisme
19:41 et de jeter absolument toutes nos forces dans la bataille.
19:44 Et je crois qu'aujourd'hui, nous avons, plutôt que de nous lamenter sur les effets,
19:49 je dirais malheureusement mécaniques, des émissions de gaz à effet de serre
19:52 et plus globalement de la destruction des écosystèmes,
19:54 je pense que nous avons une responsabilité morale vis-à-vis de ceux qui prennent dans la figure
19:59 de plein fouet ces impacts.
20:00 Nous avons une responsabilité d'essayer d'encourager ceux qui veulent aller de l'avant.
20:05 Vous parliez des indicateurs économiques.
20:07 Je suis absolument d'accord avec vous pour dire que nous avons un problème aujourd'hui
20:10 d'indicateurs quantitatifs et d'une vision de la croissance comme strictement quantitative.
20:15 Mais là aussi, nous avançons.
20:16 Qui parle de la nouvelle directive sur la responsabilité sociale des entreprises
20:20 qui était votée par l'Union Européenne et qui prévoit que désormais les entreprises
20:24 doivent tenir non seulement une comptabilité financière,
20:27 mais également une comptabilité de leur impact social et environnemental
20:30 et qu'on jugera désormais les entreprises et potentiellement qu'on alignera aussi
20:34 la rémunération de leurs dirigeants sur l'impact social et environnemental de l'entreprise.
20:38 C'est quand même aussi une avancée majeure.
20:40 Donc la question c'est de savoir est-ce qu'on se flagelle et est-ce qu'on passe notre vie
20:43 à nous indigner sur les réseaux sociaux en disant "rien ne va"
20:45 ou est-ce qu'on essaie d'avancer et de jeter toutes nos forces dans la bataille ?
20:48 C'est ça la question.
20:49 Emma, as-tu un mot pour répondre à Patrice ?
20:50 Moi je crois que derrière tous nos PIB, si je regarde juste le prisme de l'eau,
20:54 et bien s'écoule de l'eau et c'est à terrain...
20:56 Je suis totalement d'accord, il y a une logique extra-activiste aujourd'hui.
20:59 Si je regarde uniquement au niveau des nappes d'eau fossile,
21:03 et bien nous avons tellement prélevé d'eau dans le monde entier
21:07 que nous avons été capables de modifier l'axe de la terre de 80 cm vers l'est.
21:11 C'est tout de même assez significatif que la terre ne tourne plus très rond
21:14 parce que ce modèle extra-activiste ne pense jamais au fait que l'on retire des masses en profondeur,
21:19 que l'on va mettre en surface et qu'ils vont totalement déstabiliser le milieu.
21:23 Je crois qu'il a raison quand il parle effectivement de cette agriculture vivrière qui se perd.
21:28 Nous perdons notre résilience alimentaire, je le vois en ce moment avec le Maroc.
21:31 On développe massivement l'arboriculture à l'export parce que ça rapporte beaucoup au pays.
21:36 On a vidé les nappes à cause de ça.
21:39 Et les petits paysans locaux qui jusque-là étaient autonomes,
21:43 et bien finalement n'ont aujourd'hui plus rien.
21:46 Et on coupe l'eau, même jusqu'au tourisme où il n'y a plus d'eau dans les douches.
21:50 On doit se poser des questions.
21:52 Question de Thomas sur l'application avec les guerres, le retour du populisme, la complexité géopolitique.
21:58 Voyez-vous un chemin pour que la lutte contre le réchauffement climatique
22:01 soit la grande priorité pour les peuples et donc les politiques ?
22:06 Politiquement, je ne vois pas de chemin pour le moment.
22:08 On sait malheureusement que la question de l'écologie n'est pas quelque chose qui va rapporter des voix.
22:15 Et là, je le déplore et j'en sais quelque chose.
22:18 Et aujourd'hui, beaucoup de politiques ont bien compris, s'ils commençaient à parler d'écologie,
22:22 ils allaient donner une vision un peu contraignante, voire punitive.
22:25 Et donc, on n'en parle plus guélère et on recule.
22:28 Par contre, là où je vois une voie peut-être plus porteuse d'espoir, c'est via l'économie.
22:33 Je vois aujourd'hui que l'économie décarbonée devient de plus en plus rentable.
22:38 Les énergies renouvelables, notamment, deviennent de plus en plus rentables.
22:40 Et il y a de plus en plus d'entreprises qui font un virage et qui prennent des décisions parfois courageuses.
22:45 Alors, on n'y est pas encore, mais malgré tout, il y a quelque chose qui se passe.
22:48 Et je suis plus optimiste quant à la réaction du monde économique qu'à celle du monde politique.
22:52 J'ai l'impression qu'on attend beaucoup de nos gouvernements sans vraiment leur donner jamais le mandat d'agir.
22:56 Et vous Emma, Ziza, politique, écologie, économie ?
23:00 Alors, sur le plan économique, moi ce que je déplore, c'est qu'effectivement, on a le sentiment que les grands groupes, les industriels, tout le monde a fait son empreinte carbone.
23:09 On est totalement fair, c'est-à-dire qu'on sait vraiment où on en est.
23:13 On essaye derrière de diminuer, mais on ne regarde qu'un bout de la lorgnette.
23:17 Et c'est ça qui me dérange, c'est qu'aujourd'hui, la nouvelle grande tendance des systèmes de RSE, responsabilité sociale et environnementale, les entreprises,
23:24 c'est maintenant d'aller sur la biodiversité.
23:26 Ce qui est assez intéressant avec l'eau, c'est que vous répondez au problème de la biodiversité et en même temps au cycle du carbone.
23:31 Tant qu'on ne comprendra pas que pour prélever deux molécules de carbone dans l'atmosphère et être un puits de carbone, il faut douze molécules d'eau,
23:38 tant qu'on ne comprendra pas que s'il y a des sécheresses et s'il n'y a plus d'eau dans les sols, il n'y aura aucun puits de carbone,
23:43 et tant qu'on ne travaillera pas de manière systémique et globale, en fin de compte, on ne réglera qu'une partie de la fièvre que l'on a actuellement.
23:50 Merci à tous les deux.
23:52 Merci à tous les deux, Emma, Aziza, François Gemmene d'avoir été à notre micro ce matin.

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