François Gemenne, spécialiste de la gouvernance du climat et des migrations, directeur de l’Observatoire Hugo à l’université de Liège, membre du Giec, et Emma Haziza, hydrologue et spécialiste de l’adaptation de nos sociétés au changement climatique, décryptent le dernier rapport du GIEC. https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien-du-mercredi-22-mars-2023-6694216
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00:00 8h22. France Inter, Léa Salamé, Nicolas Demorand, le 7 9 30. Et deux invités dans le grand entretien de la matinale.
00:10 La première est hydrologue, spécialiste de l'adaptation de nos sociétés au changement climatique.
00:16 Le second, politologue, directeur de l'Observatoire Hugo à l'Université de Liège et l'auteur principal du dernier rapport du GIEC.
00:25 Question, réaction, 0145 24 7000 et application France Inter.
00:31 Emma Aziza, François Gemmene, bonjour.
00:33 - Bonjour.
00:34 - Et bienvenue sur Inter ce matin, en cette journée mondiale de l'eau, pour nous aider à comprendre aussi ce rapport de synthèse du GIEC rendu public lundi.
00:44 Un guide de survie pour l'humanité, selon les mots du secrétaire général de l'ONU.
00:50 Un message d'espoir selon ceux du président du GIEC.
00:54 Ce document est la synthèse de huit années de travaux des 93 scientifiques du GIEC et le constat est implacable.
01:02 Mais il y a de l'espoir, il y a aussi des fenêtres de tir.
01:07 On va y venir en détail.
01:09 Mais d'un mot, pour commencer, vous qui êtes de grands spécialistes du sujet, quelque chose vous a-t-il tout de même surpris, marqué dans ce rapport ?
01:17 Quelque chose, avez-vous peut-être appris quelque chose que vous ignoriez ou qui vous a sauté aux yeux ?
01:25 François Gemmene, pour commencer.
01:27 - J'ai envie de dire que c'est un rapport qui met les décideurs face à leurs responsabilités.
01:31 Ce que dit le rapport, au fond, c'est que nous avons absolument toutes les connaissances, toutes les technologies qui nous permettraient de limiter le changement climatique
01:40 et d'atteindre les objectifs de l'accord de Paris, mais que malgré tout, nous sommes encore sur une trajectoire qui nous emmène vers une hausse de 3,2 degrés en moyenne d'ici la fin du siècle,
01:50 c'est-à-dire un peu plus de 4 degrés en France.
01:53 Et donc, ce que dit ce rapport, au fond, c'est que nous avons les moyens d'y arriver, que ce n'est pas un défaut de technologie ni un défaut de connaissances,
02:00 mais un défaut de volonté politique.
02:02 Et on arrive un peu au bout de ce que la science peut dire aux décideurs.
02:06 C'est à la fois l'espoir et une forme un petit peu d'impuissance, c'est-à-dire que maintenant vous avez tout en main et il va falloir faire.
02:12 Nous en sommes au stade où nous avons livré aux décideurs tous les éléments dont ils ont besoin pour décider.
02:20 Après, maintenant, c'est la responsabilité de la société de le faire ou de ne pas le faire.
02:23 Et vous Emma Aziza, est-ce qu'il y a quelque chose qui vous a marqué particulièrement dans ce rapport qui porte sur les huit dernières années ?
02:30 Moi, ce qui me marque, en fait, c'est vraiment cette projection qu'on voit dans le futur et l'état des lieux actuels de notre planète, de nos ressources en eau.
02:39 Il faut comprendre qu'on est vraiment sur le point de vivre une crise imminente de l'eau.
02:43 On a actuellement à l'échelle planétaire 19 points dans lesquels on a surexploité, on a pillé l'intégralité de nos nappes phréatiques.
02:52 C'est-à-dire, donnez des exemples.
02:53 19 endroits où il n'y a plus d'eau.
02:55 Exactement, c'est une dernière étude de la NASA qui le montre parce qu'aujourd'hui, on a des satellites qui nous permettent de visualiser en profondeur,
03:02 par une évolution de la gravité terrestre, la manière dont on pille les ressources souterraines.
03:07 C'était quelque chose qui était visible à l'extérieur, en surface, mais aujourd'hui, maintenant, on comprend plus ce qui se passe.
03:12 Et derrière, ça veut dire que c'est notre alimentation.
03:14 Il va falloir se poser des questions.
03:16 C'est toute notre production.
03:17 En fin de compte, on est en train de piller massivement à l'échelle planétaire nos réserves souterraines.
03:22 Et le problème, c'est que ça, c'était dans des conditions où on avait encore des pluies normales.
03:26 On voit que ces réserves chutent avec les projections que l'on a climatiques,
03:30 et avec cette diminution des pluies d'un côté et de l'autre côté, ces pluies extrêmes qu'on va pouvoir avoir.
03:35 Donc cette déstructuration du cycle de l'eau, il va falloir se poser des bonnes questions.
03:38 Les 19 points, c'est où ?
03:40 Alors, les 19 points, ils sont principalement dans la péninsule arabique, en Inde, en Chine,
03:45 dans les grandes plaines de l'Amérique centrale, au niveau de l'Amérique du Nord.
03:50 On voit bien que dans ces zones-là, on produit massivement du blé d'un côté, en Amérique du Nord,
03:57 en Australie, derrière, du coton, du sucre.
04:01 En Chine, on produit du riz massivement sur des nappes phréatiques qui sont en voie d'épuisement.
04:07 Comment est-ce qu'on va faire dans 10 à 15 ans pour alimenter le monde avec ces produits,
04:12 alors qu'ils ne pourront plus du tout s'appuyer sur ces réserves ?
04:15 Il faut estimer que, par exemple, si on prend juste les grandes plaines d'Amérique du Nord,
04:19 il faut considérer que ce serait 2000 ans de pluie qui permettraient de restaurer ces nappes phréatiques.
04:25 Et encore, dans certaines conditions, si on regarde juste la Californie,
04:29 on voit très bien à quel point on a pillé massivement les nappes.
04:32 Et là-bas, les agriculteurs vous le disent, on va jusqu'au bout, jusqu'à ce qu'il n'y ait plus d'eau.
04:36 On voit qu'actuellement, la Californie est par contre sous l'eau.
04:38 Et malgré tout, les réserves ne se reforment pas,
04:41 parce qu'en fin de compte, ces zones se sont complètement affaissées sur elles-mêmes.
04:44 On a 30 cm par an qui s'affaissent sur les routes californiennes.
04:47 Donc bientôt, dans 10 ans, dans 15 ans, il n'y a plus de blé qui poussera en Californie,
04:52 il n'y a plus de riz dans les réserves chinoises.
04:53 Exactement. Il va falloir se poser la question sur ce milliard de Chinois
04:57 qui actuellement s'alimentent dans ces réserves, où est-ce qu'ils vont s'alimenter ?
05:00 Et la question va beaucoup plus loin.
05:02 C'est-à-dire qu'il y a aujourd'hui des pays qui sont complètement dépendants de l'eau des autres.
05:06 C'est cette eau qu'on appelle de l'eau virtuelle, c'est de l'eau qu'on ne voit pas.
05:09 Mais si on prend juste l'Égypte aujourd'hui, ou encore le Maroc, la Tunisie,
05:13 ils sont totalement dépendants de notre blé.
05:16 Et donc quand on regarde les 50 degrés qu'on a atteints l'année dernière en Inde,
05:20 la première décision qui a été prise, ça a été d'arrêter l'export du blé massivement.
05:25 On garde son blé pour soi.
05:27 Comment est-ce qu'on va faire pour toutes ces populations
05:30 qui sont totalement dépendantes de l'agriculture qui se déroule ailleurs ?
05:33 François Gemmene, vous dites qu'un élément important de ce rapport,
05:36 c'est l'attention accrue portée aux impacts sociaux du réchauffement climatique,
05:41 qui n'a pas seulement un impact sur les écosystèmes,
05:44 mais sur des activités humaines, économiques, agricoles, sociales,
05:48 qui vont en être totalement bouleversées.
05:51 Regarder cet aspect des choses, c'est nouveau ?
05:54 Ou c'est une manière de dire que ce ne sont pas que les animaux et les végétaux qui vont souffrir,
05:59 mais que là, c'est pour nous ?
06:02 C'est très important qu'on comprenne que le climat, c'est pas juste un problème d'environnement,
06:07 c'est pas juste un petit jouet des scientifiques
06:09 que les politiques ou les décideurs seraient en train de casser.
06:12 Tous les grands enjeux politiques, économiques, sociaux,
06:15 qui vont traverser le XXIe siècle, qu'on parle de paix et de sécurité,
06:18 qu'on parle de migration, qu'on parle de commerce, qu'on parle d'agriculture,
06:22 tous ces enjeux vont être transformés, transfigurés littéralement,
06:27 par la question du changement climatique.
06:29 Et c'est pour ça qu'il est aussi si difficile de trouver des solutions
06:32 et de se mettre d'accord sur des solutions,
06:34 parce qu'il ne s'agit pas seulement de sortir des énergies fossiles,
06:37 mais dans la mesure où toutes nos sociétés, nos démocraties se sont construites,
06:42 sont ancrées dans les énergies fossiles,
06:44 il va falloir repenser toute une série de choses.
06:46 Non seulement la manière dont on consomme et dont on produit les biens,
06:49 mais aussi des concepts aussi fondamentaux que celui de la souveraineté,
06:53 la liberté ou l'égalité.
06:54 Que veut dire ce concept dans un monde décarboné ?
06:56 Est-ce qu'on le fait assez ?
06:58 Puisque ce que vous dites là, ça commence, et on le voit,
07:00 c'est vraiment accéléré ces cinq dernières années.
07:02 C'est-à-dire ces sujets-là, où on parle de l'agriculture,
07:05 en parlant de l'agriculture et puis vaguement le climat,
07:08 même chose pour la souveraineté.
07:10 Est-ce que vous avez l'impression que tout s'accélère ces cinq dernières années,
07:12 avec ce réchauffement qui est beaucoup plus palpable, que plus personne peut nier,
07:15 avec la guerre en Ukraine, et on a vu ce que ça voulait dire pour le blé notamment,
07:18 et pour les pays africains qui sont dépendants de ce blé-là ?
07:23 Est-ce que ça change au niveau des dirigeants, dans la tête des dirigeants,
07:27 ou pas assez vite ? C'est ça ma question.
07:29 Non, ça ne change pas du tout.
07:31 J'ai l'impression qu'il y a aujourd'hui, bien sûr, la réalisation
07:34 que les impacts du changement climatique sont désormais palpables,
07:38 et la plupart des Françaises et des Français constatent ces changements autour d'eux.
07:41 85% des Français se disent tracassés par la question du changement climatique.
07:46 Mais pour autant, les politiques ont toujours tendance à considérer ces sujets,
07:50 indépendamment les uns des autres.
07:51 Et la question du climat, ou plus globalement les questions d'environnement,
07:55 sont toujours considérées comme des sujets un peu à part,
07:57 qu'on pourrait résoudre par des politiques techniques ou technologiques.
08:00 Et on n'a pas encore véritablement cette pensée systémique sur ces sujets.
08:04 Vous dites, ils se disent, on va trouver le moyen technologique de pallier au réchauffement climatique
08:08 et de donner à manger aux gens pour reprendre ce que disait Emma Aziza.
08:10 On va pouvoir mettre ce sujet dans une case et s'en occuper comme s'il s'agissait d'une case à part.
08:15 On discute de la question de la réforme des retraites,
08:17 on n'a pas du tout envisagé la manière dont le changement climatique
08:21 allait modifier les projections démographiques sur lesquelles on s'appuie.
08:25 On va discuter bientôt d'une nouvelle loi, d'une Xème loi, Asile et Immigration.
08:29 Là encore, on ne discutera pas du tout de la manière dont le changement climatique
08:32 va transformer l'immigration.
08:34 Nous discutons des problèmes politiques, économiques et sociaux
08:37 comme si le changement climatique était une variable complètement à part et indépendante.
08:41 Emma Aziza, oui, quand vous entendez François Gémin dire
08:44 « le changement climatique oblige à repenser »
08:48 ce qu'est par exemple le concept de « liberté »,
08:52 comment réagissez-vous à cette phrase ?
08:55 Vous dites, notre pouvoir est bien plus important que ce qu'on voudrait nous laisser croire.
08:58 Choisir ce que l'on consomme sans tenir exclusivement à ce dont nous avons vraiment besoin,
09:03 revoir le contenu de nos actes,
09:04 ça ce sont des actes de liberté ou de liberté contrainte ?
09:08 En fait, le problème c'est que la plupart de nos gouvernements dans le monde n'ont plus le pouvoir.
09:12 Aujourd'hui...
09:13 N'ont plus le pouvoir ?
09:14 Non, ils n'ont pas le pouvoir, tout simplement parce que c'est les ministères de l'agriculture qui ont le pouvoir
09:18 et en réalité c'est les lobbies mondiaux de l'agrochimie qui ont le pouvoir
09:23 et ça se voit à travers les chiffres qui viennent de sortir dans la conférence des Nations Unies.
09:26 700 milliards de dollars de subventions sont fournis par tous les gouvernements du monde
09:31 pour l'extraction et la surutilisation de toutes les exploitations agricoles
09:38 sans aucune contrepartie sur la qualité.
09:41 C'est-à-dire qu'à un moment donné, on ferme les yeux sur les pollueurs.
09:45 Il va falloir se poser des questions.
09:47 Toutes nos nappes sont complètement abîmées, polluées massivement.
09:51 Nos rivières, c'est la même chose.
09:53 On peut aller partout dans le monde parce qu'effectivement on voit très bien que
09:55 dans 80% des rivières du monde et des fleuves du monde,
09:58 on rejette nos déchets directement sans aucun traitement.
10:01 Mais si on regarde juste en France, et ça c'est la Cour des comptes qui le dit,
10:04 ce sont les magistrats, on a quand même aujourd'hui 56% de nos eaux de surface
10:09 qui ne sont pas dans un bon état et 33% de nos eaux souterraines en France.
10:13 Alors qu'on est censé protéger, on le voit très bien avec le problème des algues vertes en Bretagne,
10:19 aujourd'hui on a perdu le pouvoir.
10:20 On n'est pas capable d'imposer depuis 30 ans un problème de qualité.
10:24 Le problème c'est que maintenant c'est la quantité qui pose problème.
10:26 C'est-à-dire que cette masse d'eau, cette ressource en eau,
10:30 elle est en train de se réduire comme une peau de chagrin.
10:33 Et en réalité c'est quelque chose qui est aujourd'hui visible.
10:35 Et même en France, on imaginait un petit peu ce changement climatique
10:38 arriver à l'autre bout du monde.
10:40 On regardait l'Australie, on regardait les feux, on regardait la Californie,
10:43 on n'avait pas du tout l'impression que ça toucherait la France.
10:45 C'était inimaginable il y a quelques années de ne plus avoir d'eau dans son robinet.
10:49 Quand on voit les chiffres aujourd'hui qui nous sont donnés par le ministère,
10:52 et quand on voit les projections pour cet été, il faut se poser les bonnes questions.
10:55 Ça fait deux ans qu'on n'a pas de recharge hivernale dans nos nappes phréatiques.
10:59 Alors il faut faire quoi ?
11:00 Et quelles conséquences, vous avez parlé de l'été,
11:02 quelles conséquences pour cet été ?
11:03 On parle de restrictions d'eau, de coupures d'eau, on l'entend.
11:07 On l'a dit hier dans le journal de 8h d'Inter,
11:10 "Dépêchez-vous de manger des pêches et des abricots parce qu'il n'y en aura peut-être pas".
11:13 Ça veut dire les piscines vides, il ne faut pas remplir les piscines.
11:15 Dites-nous.
11:15 Écoutez, si on regarde juste l'année dernière,
11:18 on a 2,5 milliards de dommages sur la sécheresse que l'on a eue.
11:22 Sans compter les problèmes de canicule, sans compter les problèmes sanitaires, sociaux,
11:27 que pose derrière sur la question humaine.
11:30 Parce qu'il va falloir aussi gérer derrière, en fonction de ces canicules,
11:34 la gestion hospitalière, etc.
11:36 C'est une question sociétale globale.
11:38 En tous les cas, on peut tous, massivement aujourd'hui, faire des économies d'eau.
11:42 C'est facile, on a toutes les solutions sur nos trobinets, sur nos douches, sur nos toilettes.
11:46 À l'échelle domestique, on peut travailler sur l'eau industrielle,
11:49 on peut travailler sur l'eau agricole.
11:50 Toutes les solutions, on les a.
11:52 Est-ce qu'on les met en place ? Non.
11:53 Tout simplement parce que, si vous voulez, aujourd'hui, l'eau paye l'eau en France.
11:56 C'est-à-dire, ce sont nos factures d'eau qui payent le fait de rénover l'intégralité de nos réseaux.
12:01 On n'a pas tendance à vouloir inciter les gens à baisser et à diminuer leur consommation,
12:06 parce que ça va diminuer de fait leurs factures,
12:08 et on n'aura plus assez de moyens pour alimenter et pour remettre à jour ces réseaux.
12:12 Donc il va falloir des décisions très courageuses de la part du gouvernement
12:15 pour aller prendre des décisions et arrêter de jouer avec des poches financières.
12:18 Deux questions avant de passer au Standard Inter.
12:20 François Gemmene, il y a cet élément frappant dans ce rapport.
12:24 Les huit dernières années ont déjà été les plus chaudes jamais enregistrées au niveau mondial.
12:30 On a l'impression de crever de chaud, pour le dire simplement.
12:34 Mais il faut savoir qu'à l'avenir, on s'en souviendra comme les plus fraîches du siècle.
12:39 C'est sidérant.
12:40 Nous allons continuer à battre record de chaleur sur record de chaleur.
12:43 Ce qu'il faut dire clairement, c'est que dans l'espace de vie des gens qui nous écoutent,
12:48 les températures ne vont pas baisser.
12:51 Le mieux qu'on puisse faire, c'est d'essayer de limiter au maximum leur hausse.
12:55 Et c'est pour ça que vraiment tout va se jouer sur chaque dixième de degré supplémentaire.
13:00 Parfois, on a tendance à voir le changement climatique comme un problème binaire,
13:03 à se dire c'est pile ou face, c'est gagné ou perdu.
13:05 On a toute une série d'injonctions.
13:07 Est-ce qu'il est déjà trop tard ?
13:09 Est-ce que la COP 28 peut sauver le climat ?
13:10 Il nous reste trois ans pour agir.
13:12 Tout ça nous donne à penser que c'est un problème binaire, alors qu'en fait c'est un problème graduel.
13:17 Ça veut dire que chaque dixième de degré va faire une énorme différence.
13:21 Ça veut dire que chaque tonne de CO2 va faire une énorme différence.
13:24 Ça veut dire qu'il va falloir aller chercher toutes ces tonnes de CO2 là où elles sont.
13:28 Et je crois qu'il faut que les auditeurs comprennent très bien à quel point ces faibles variations de température,
13:33 on peut se dire finalement un degré et demi, deux degrés, est-ce que ça fait une si grosse différence ?
13:37 La température de votre corps aujourd'hui, elle est comprise entre 36 et 37 degrés.
13:42 Je suis sûr que vous avez déjà présenté la matinale avec 38 de fièvre.
13:45 Oui, même plus.
13:46 39, ça va déjà un peu plus mal, vous avez tendance à rester chez vous.
13:50 40, vous appelez le médecin.
13:51 41, vous partez à l'hôpital.
13:53 On discute ici d'ausses températures de 1, 2, 3 ou 4 degrés par rapport à une température moyenne de 36-37.
13:59 La température moyenne annuelle de la France, elle est de 14 degrés.
14:02 Et donc voilà, il faut réaliser que tout va se jouer vraiment sur chaque élévation de température.
14:08 Et donc absolument tout va compter.
14:10 Quelle est l'urgence ? Parce qu'on dit que c'est dans ces...
14:12 Tout le nu dit, tout le monde dit, c'est on a 10 ans pour agir.
14:16 C'est cette décennie-là qui va tout décider.
14:20 C'est vrai, c'est pas vrai ? On dramatise ?
14:22 Il ne sera jamais trop tard pour agir, mais on n'a déjà plus le temps.
14:27 C'est-à-dire que plus nous allons tarder à agir, plus la courbe des émissions va s'emballer,
14:34 plus les impacts du changement climatique, on vient d'en parler, vont coûter très très cher,
14:38 et plus nous risquons d'atteindre des seuils de rupture, c'est-à-dire des moments où le climat s'emballe
14:43 et bascule brusquement d'un état dans un autre, au point qu'on ne pourra plus faire grand-chose
14:47 pour rattraper le coup à ce moment-là.
14:49 Et ben Aziza, vous dites que sur l'eau, l'attitude du moment, c'est faites des efforts vous,
14:54 mais pas moi. Pour les agriculteurs, c'est le monde nucléaire,
14:59 premier consommateur d'eau qui devrait changer de pratique en priorité,
15:03 mais pas nous, les agriculteurs. Donc tout le monde se renvoie la balle ?
15:06 C'est ça ? Alors comment on en sort ? Et puis on va au standard.
15:09 Le problème, c'est que derrière, on a des systèmes économiques qui s'appuient sur cette question de l'eau.
15:13 Donc on est en train de mettre en regard tous ces systèmes économiques.
15:16 Qui est-ce qu'on va privilégier ? Est-ce qu'on va privilégier sur le lac de Serponçon,
15:19 eh bien l'activité économique, locale, touristique, parce que des gens ne vivent que de ça durant une partie de l'année ?
15:25 Ce lac de Serponçon, qui était complètement, quasiment à vide, et qui est encore dans un état bien plus grave aujourd'hui,
15:29 eh bien est-ce que derrière, il cache juste un barrage hydroélectrique EDF,
15:34 donc il cache la question de l'énergie derrière la question de l'eau.
15:37 À l'aval, vous avez la question des agriculteurs.
15:39 Donc on a cette question de l'eau d'ici, on a cette question de l'eau d'ailleurs,
15:42 mais je pense qu'il faut vraiment qu'on comprenne cette crise mondiale de l'eau qui se joue,
15:46 parce que c'est ce qui va nous atteindre le plus.
15:48 Quand on regarde que le géant mondial chinois de la fast fashion, ultra fast fashion,
15:53 est en train de lever 2 milliards d'euros actuellement,
15:55 c'est-à-dire que c'est un modèle économique dont certains croient et qui est en train de rentrer en bourse.
16:00 - Jeanne, tu te dites le nom.
16:02 - Jeanne, je sais pas si on l'imagine, mais aujourd'hui il faut comprendre que derrière,
16:07 pour fabriquer un kilo de coton, il faut entre 5000 et 17 000 litres d'eau.
16:12 C'est-à-dire qu'on est en train d'épuiser l'intégralité de nos réserves,
16:15 au détriment des populations, pour alimenter l'intégralité de nos magasins.
16:18 Qu'est-ce qu'on fait ? Qu'est-ce qu'on fait demain ? Il va falloir...
16:21 - Arrêter d'acheter des habits, déjà.
16:22 - Déjà, arrêter d'en acheter.
16:23 Il va falloir peut-être faire effondrer certaines filières économiques agricoles
16:27 parce qu'elles ne tiendront plus, et il va falloir les soutenir,
16:30 parce qu'on voit très bien que le bio s'effondre actuellement,
16:32 et que si on devait payer, à un moment donné, la manière dont on consomme nos produits
16:38 et l'impact qu'il y a sur l'environnement, eh bien on mangerait tous bio depuis très longtemps.
16:41 - Mais voyez, François Gemmene, quand je dis, parce que c'est une des questions des auditeurs sur l'appli
16:46 "arrêter d'acheter des habits", faut-il changer totalement son modèle économique tout de suite pour impacter ?
16:52 Sauf que arrêter d'acheter des habits, effectivement, ça fera du bien à la planète
16:55 parce qu'on produira moins de coton, donc on utilisera moins d'eau,
16:58 mais, et là, tout de suite, t'as la question économique qui arrive sur...
17:02 - Oui, bien sûr.
17:03 - Eh bien voilà, est-ce qu'on veut faire...
17:06 Déjà, le secteur du textile, par exemple, en France, se fait très mal,
17:09 les boutiques ferment les unes après les autres, est-ce qu'on a envie de faire s'effondrer ce secteur-là ?
17:12 - Mais bien entendu, et toute activité humaine, par nature, est productrice d'émissions de gaz à effet de serre.
17:17 Donc la question, c'est celle des arbitrages politiques et la question de l'équité,
17:20 c'est-à-dire quels sont les secteurs qu'on va pouvoir décarboner le plus rapidement
17:25 et comment est-ce qu'on va aussi mettre en place une forme de justice
17:28 entre les populations les plus riches qui, aujourd'hui, émettent l'essentiel des émissions de gaz à effet de serre
17:33 et les plus pauvres qui subissent de plein fou les impacts,
17:36 tout en portant une responsabilité infinitésimale dans le problème.
17:39 Et la difficulté, évidemment, où on parle de ces questions internationales,
17:43 c'est que le futur climatique de la France, le climat futur de la France,
17:47 il ne se décide pas seulement à Paris, ni même à Bruxelles, ni même encore à Washington ou à Pékin,
17:53 il se joue aujourd'hui au Caire, à Lagos, à Mexico ou à Jakarta,
17:58 c'est-à-dire dans des pays dont nous nous intéressons très peu aux politiques climatiques ou énergétiques.
18:03 Si nous ne travaillons pas aussi avec ces pays, on va se retrouver à nouveau dans la même situation dans 20 ou 30 ans.
18:08 - Allez, on passe au Standard d'Inter où nous attend Michèle.
18:12 Michèle, bonjour, vous êtes, je crois, dans les Pyrénées-Orientales et vous êtes aussi en colère.
18:18 - Oui, voilà, je ne vais pas…
18:20 Je remercie vos intervenants qui ont dit si clairement tout ce que je pense savoir depuis tant d'années
18:26 en étant spectatrice effarée de l'évolution du monde et de la situation.
18:30 Donc j'ai une colère énorme sur les responsabilités, sur des décennies, des dirigeants, des financiers,
18:36 enfin de tout ce qui fait ce système-là qui ne pense pas au bien commun et à la pérennité des choses.
18:42 Et puis, bon, en même temps, je ne veux pas désespérer parce que je veux juste témoigner aussi de…
18:47 - Vous subissez la sécheresse ?
18:50 - Oui, oui, elle est très impactante, mais bien avant ça, moi, j'ai fait des choix de sobriété
18:56 parce que j'étais consciente de ces enjeux et je ne savais que je n'allais rien changer à moi toute seule,
19:01 mais au moins je me mettais en cohérence avec mes valeurs, avec ce qui me paraissait essentiel.
19:05 Et je ne comprends pas que d'autres n'aient pas eu ces…
19:08 En ayant ce que moi j'ai pu savoir au fin fond ne m'apprends pas,
19:12 d'autres l'ont su bien avant moi sûrement et personne n'a réagi.
19:16 Donc voilà, j'ai une colère énorme, ça c'est clair, mais avant tout, je pense qu'il faut…
19:22 On n'a plus le temps de reculer et je remercie…
19:24 - Et c'est à la portée de tous, c'est ça ce que vous voulez nous dire ?
19:27 - Complètement, je ne suis pas malheureuse du tout, la sobriété n'est pas la misère loin de là,
19:32 c'est vraiment, au contraire, remettre la juste place à la valeur de ce qui est le plus important.
19:38 Et puis ça me met en empathie avec le monde, il n'y a pas que nous,
19:42 on est impacté en France, mais ça fait des décennies que…
19:45 - Qu'est-ce que vous avez changé, votre sobriété en trois mots ?
19:47 Qu'est-ce que vous avez fait ?
19:48 - Eh bien je n'ai jamais été dans la consommation,
19:53 donc comme je l'ai dit, je n'ai pas décroître, je n'ai jamais cru.
19:56 Donc voilà, mais bon, ça c'est un choix personnel,
19:58 je sais que tout le monde ne peut pas peut-être le faire, mais on peut changer,
20:01 on peut faire attention à l'os tranquillement,
20:04 on peut faire attention à nos usages de déplacement,
20:07 il y a des transferts en commun, il y a de la solidarité…
20:11 - Vous n'avez pas cru, mais vous croyez qu'on peut faire des choses en tout cas ?
20:14 - Je voudrais le croire, parce que sinon c'est trop désespérant.
20:18 Comme je suis une femme vivante et créatrice,
20:21 et puis ça fait 50 ans que j'observe tout ça de façon engagée,
20:25 je ne suis pas passive, donc je vous remercie encore pour cette émission.
20:30 - Merci à vous Michel ! Merci infiniment à vous Michel.
20:34 Emma Aziz a une réaction ?
20:35 - Oui, les Pyrénées-Orientales sont une des zones les plus critiques aujourd'hui en France,
20:40 c'est-à-dire que c'est la zone qui n'a pas connu de pluie quasiment durant 7 ans.
20:44 La France a été particulièrement impactée par les pluies en 2021,
20:49 c'est la seule année qu'on a eu de répit, sauf cette zone-là avec le Var,
20:53 qui eux, arrive dans un niveau de non-retour.
20:56 Et c'est vrai qu'on va devoir se poser des questions,
20:57 parce que les niveaux d'aridité localement sont dans de tels états,
21:01 qu'à un moment donné, on arrive sur un mur.
21:04 Il va falloir se poser des questions, parce que c'est en France que ça se passe,
21:07 et pas au sud de l'Espagne.
21:08 - Encore une question sur l'eau au standard d'Inter.
21:11 Jean, bonjour !
21:12 - Allô ?
21:13 - Oui, allô !
21:15 Vous nous appelez de Marseille, Jean, bonjour !
21:17 - C'est ça, c'est ça.
21:17 Voilà, ma question, elle concerne la pénurie d'eau.
21:21 Je me pose la question,
21:22 pourquoi ne pas construire des usines de dessalemats
21:26 le long de la côte atlantique,
21:28 d'autres le long de la côte méditerranée,
21:30 et on aurait de quoi fournir de l'eau à nos agriculteurs ?
21:34 - Bonne question Jean, merci.
21:35 Emma Aziz a vos réponses.
21:37 - Alors, effectivement, c'est la première idée à laquelle on vient immédiatement,
21:41 parce que 96% de l'eau est de l'eau salée,
21:44 donc on pense tout de suite au dessalement.
21:46 Attention, effectivement, si on prend l'Arabie Saoudite par exemple,
21:50 qui n'a pas un seul fleuve qui traverse le pays,
21:53 aujourd'hui, ils sont capables de dessaliniser 5,6 millions de mètres cubes par jour,
21:57 et ils devraient monter à 8 millions d'ici quelques années.
22:00 On voit très bien que c'est possible.
22:01 C'est possible à condition que, soit que vous ayez beaucoup d'argent,
22:04 soit que vous ayez beaucoup de pétrole,
22:05 parce qu'il faut énormément d'énergie pour dessaliniser.
22:08 Et sans compter l'impact sur les écosystèmes,
22:11 dont on ne parle pas, mais partout dans le monde,
22:14 où on a déjà ces zones-là où on dessalinise massivement,
22:17 et bien derrière, c'est plus de 12 produits chimiques que l'on rejette,
22:21 dont on a besoin pour dessaliniser,
22:24 et cette sursalinité, cette saumure, vous la rejetez sur les côtes.
22:27 Aujourd'hui, il y a certains efforts qui sont faits,
22:29 mais on est quand même très très loin du compte.
22:31 Donc si effectivement vous avez beaucoup de moyens et beaucoup d'argent,
22:33 vous pourrez avoir beaucoup d'eau.
22:35 C'est le cas aujourd'hui dans le désert le plus aride du monde,
22:38 dans le désert d'Atacama au Chili.
22:40 On est capable de dessaliniser l'eau de mer,
22:42 la faire remonter à travers des tuyaux 1500 km dans les terres,
22:46 et la faire remonter ensuite à 2500 m d'altitude.
22:48 Donc si on veut de l'eau, effectivement c'est possible.
22:50 Maintenant la question c'est à quel prix ?
22:52 François Gemmene, qu'est-ce que vous répondez un peu
22:54 comme à nos auditeurs ou sur l'appli d'Inter qui disent
22:57 "de toute manière c'est foutu, c'est la fin du monde" ?
23:00 Non, je pense qu'il faut arrêter avec ces marchands de peur
23:03 qui voudraient faire croire que nos civilisations vont s'effondrer.
23:07 Moi je redoute plus que tout aujourd'hui cette forme de défaitisme
23:12 qui commence à gagner la société, qu'on entend notamment parmi les jeunes,
23:16 je le vois parmi mes étudiants.
23:17 Oui, qui disent "on est trop nombreux".
23:18 Nous avons encore les moyens d'agir et moi je veux croire
23:22 que nous allons pouvoir y arriver.
23:23 Simplement ça va demander énormément d'ambition,
23:26 ça va demander énormément de courage politique,
23:28 et ça va demander aussi que nous cessions de raisonner uniquement
23:32 à partir de ce que nous pouvons faire en tant que consommateurs individuels,
23:35 mais que nous réfléchissions à ce que nous pouvons faire ensemble
23:37 en tant que citoyens et que nous projions notre action climatique
23:41 au-delà de nous-mêmes, au-delà de nos frontières nationales également.
23:44 Et vous sentez ça ? Vous sentez qu'on est prêt ?
23:46 Là je parle de la société civile, pas des dirigeants.
23:47 J'ai l'impression qu'il y a beaucoup de choses qui sont en train de changer
23:50 pour le moment dans la société, au niveau des entreprises,
23:54 au niveau des collectivités en particulier,
23:56 et que souvent les gouvernements sont en retard
23:59 par rapport à ce que la société serait prête à faire.
24:02 Et donc j'ai envie de dire aussi aux gouvernements
24:03 qu'ils doivent écouter davantage les mouvements à l'intérieur de la société.
24:07 Et l'enjeu aujourd'hui, je crois, c'est d'essayer d'encourager au maximum
24:10 toutes ces minorités déterminées qui sont en train de faire bouger les choses
24:14 et d'arrêter un peu avec cette sorte de défaitisme
24:17 qui finalement nous condamne à l'inaction.
24:18 - On n'est pas foutus.
24:19 - On n'est pas foutus, Nicolas.
24:22 - Monsieur Demorand.
24:24 - Monsieur Demorand, nous ne sommes pas un foutu.
24:28 - C'est ce que vous expliquez.
24:29 Non, je voulais juste citer votre livre qui est très intéressant.
24:31 François Gemmene, l'écologie n'est pas un consensus.
24:33 Chez Fayard, vous l'avez sorti il y a quelques semaines.
24:35 - Tout à fait, il est passé.
24:36 L'indignation, on n'est pas foutus.
24:37 On est d'accord.
24:38 - Non, je pense qu'il faut avoir un regard lucide, être très courageux.
24:40 Les solutions sont là.
24:41 Il va falloir massivement désinperméabiliser les villes,
24:44 transformer nos terres, les re-rendre fertiles.
24:47 En fait, on a toutes les solutions,
24:48 mais il va falloir, en tous les cas, au niveau de l'eau,
24:50 jouer intelligemment avec le cycle de l'eau,
24:52 récupérer la pluie là où elle est et l'utiliser intelligemment
24:55 et pas jouer contre le cycle de l'eau.
24:57 C'est tout le défi qu'on a devant nous, c'est cette cohérence.
24:59 - Eh bien, merci infiniment à tous les deux.
25:01 - Merci.
25:02 - Merci, François Gemmene, Emma, Aziza, d'avoir été à notre micro ce matin.
25:06 Nico et Chouchou étions très heureux de dialoguer avec vous.
25:10 Il est 8h45.