Une exploratrice de l'égalité, c'est la réalisatrice Léa Todorov qui est dans notre studio. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/nouvelles-tetes/nouvelles-tetes-du-jeudi-07-mars-2024-2402109
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00:00 Les nouvelles têtes Mathilde Serrel. Ce matin, une exploratrice de l'égalité, c'est la réalisatrice Léa Todorov qui est dans notre studio.
00:10 Portrait sonore.
00:12 Je fais ce que je fais à cause de mon père. Il a sacrifié sa vie dans sa quête du savoir.
00:20 Parce que notre histoire s'écrira là-haut.
00:26 Vous aurez peut-être reconnu "Ad Astra" de James Gray. Sa première vocation, c'était la science et l'espace dans une famille où l'on écrit des livres.
00:34 Des essais pour le père, Zvetan Todorov, exilé du totalitarisme, explorateur du cosmos des idées.
00:41 Des romans pour la mère, Nancy Houston, exploratrice des lignes de faille.
00:47 Probablement pour moi, le point de départ de cette passion littéraire-là, c'est ce qui s'est passé dans ma propre enfance, à savoir le départ de ma mère.
00:57 C'est une chose exceptionnelle, en 1959, qu'une mère prenne la décision de vivre sa propre vie, qu'elle ne peut pas réaliser ses rêves si elle est lestée par trois enfants.
01:12 Elle se souvient d'avoir grandi avec cette histoire, celle d'une mère qui avait vu la sienne partir pour se réaliser.
01:19 A l'heure venue des études, elle choisit des sciences politiques entre Berlin et Paris, mais découvre à 21 ans qu'elle aimerait bien faire mieux du cinéma.
01:26 Ses modèles, la réalisatrice Jane Campion, l'actrice d'Elfin Seyrig.
01:31 Le bonheur, c'est l'indépendance, d'abord. C'est la liberté et l'indépendance.
01:34 Par là, j'entends que, puisque je suis une femme, mon bonheur ne dépend pas de quelqu'un d'autre, ne dépend pas d'un homme, par exemple.
01:45 Je pense qu'à partir du moment où mon bonheur dépend d'un homme, je suis une esclave et je ne suis pas libre.
01:52 Devenue documentariste, ses premiers films sont tournés vers l'Est et la question démocratique,
01:58 ce n'est qu'une dizaine d'années après qu'elle rencontre le futur personnage de sa première fiction, Maria Montessori.
02:05 Avant la méthode pédagogique Montessori, il y a la femme Maria Montessori.
02:09 Mesdames et messieurs, voici l'unique, voici la seule, la Montessori.
02:16 Bonsoir, mesdames et messieurs.
02:19 Au sein de l'institut orthophrénique avec mon collègue Giuseppe Montessano,
02:24 nous avons suivi les méthodes scientifiques inventées par Itard et par Segal.
02:28 Non, non, non, non, non, arrêtez.
02:30 Arrêtez de citer des noms qui n'intéressent personne.
02:32 Dites-je, racontez-nous une histoire dont vous êtes l'héroïne.
02:36 Maria Montessori devient cette force désirante, animée de convictions féministes,
02:41 empêchée dans sa vie de mère et déterminée à se battre pour ses enfants, qu'on appelle au début du XXe siècle, des déficients.
02:49 Voilà qui aura dicté l'écriture de son film, La nouvelle femme.
02:52 Léa Theodoroff, bonjour.
02:54 Bonjour Mathilde Serrel, merci de nous recevoir ce matin.
02:57 On est ravies, on va en parler.
02:59 Ce film n'est pas un biopic sur Maria Montessori.
03:01 D'ailleurs, il faudrait ouvrir une page, bien sûr, sur les inspirations que ça a pu donner au fascisme,
03:07 le fait qu'elle se quitte l'Italie au moment où justement elle est détournée par Mussolini.
03:12 Mais ce n'est pas le sujet.
03:13 On est avant 1907, avant même l'ouverture de la première école Maria Montessori.
03:19 Et le film s'appelle donc La femme nouvelle.
03:22 Est-ce que vous retrouvez en elle un élan féministe qu'on ne raconte quasiment jamais ?
03:27 Oui, j'étais très intéressée par cette partie-là de sa vie.
03:30 J'avais découvert Maria Montessori parce que j'avais participé à l'écriture d'un documentaire sur les pédagogies alternatives, Révolution École.
03:37 Et on avait traité justement à ce moment-là de toute sa vie, de ce qui lui arrivait par la suite.
03:43 Mais il m'était resté en mémoire l'histoire de cette femme qui s'était battue à la fois pour le droit des femmes,
03:49 mais à la fois pour sa propre liberté de femme.
03:53 Et là-dedans, elle avait perdu la possibilité d'être mère.
03:56 Et je pense que vous avez choisi un extrait très opportun de ma propre mère et de cette histoire qui a forcément marqué moi aussi mon destin.
04:06 Et évidemment aussi la raison pour laquelle j'ai choisi cette partie-là de la vie de Maria Montessori.
04:10 Qui est incarnée, il faut le dire, par I.S. Vintrinka, qui est magnifique.
04:13 Et puis on a entendu la voix de Leïla Bekti qui joue Lily d'Alangie, une chanteuse à la mode, une influenceuse peut-être même, on dirait ici, au XXIe siècle.
04:23 Et qui a cet enfant dont on dit qu'il est déficient à ce moment-là et qui le cache, qui va devoir s'en occuper à la mort de sa mère.
04:31 Et vous avez voulu finalement lier aussi à un sujet, c'est votre premier film, qui vous touche.
04:35 Parce que vous vous avez, vous êtes devenue mère à un moment et vous avez eu aussi une petite fille qui est neuroatypique, on dit aujourd'hui.
04:42 Voilà, moi j'utilise le terme de neuroatypique mais on pense que le mot déficience n'existe plus aujourd'hui mais il existe complètement.
04:48 Ma fille, elle était normalement assignée à un centre de rééducation qui s'appelle pour les déficients intellectuels.
04:55 J'ai décidé qu'on n'irait pas.
04:57 Voilà, mais effectivement ça me touche de très près et j'avais envie, à travers ce personnage de Lili Dalanji, d'incarner aussi ma propre position et mon propre désarroi de mère d'un enfant neuroatypique.
05:11 Et surtout de travailler à travers le film sur le manque de représentation qu'il y a de ces enfants.
05:16 Vous avez choisi une image extrêmement sublimée parce qu'on a des documentaires plus crus.
05:21 Donc on est un peu dans l'école de pardon, il ne s'agit pas de rajouter du malheur au malheur.
05:26 Donc vous avez absolument recréé une atmosphère sublimée de ce que peuvent être les ateliers et les cours montés souris qui accompagnent ces enfants déficients et qui font ces preuves.
05:37 Mais ce qui est étonnant, c'est qu'avec Nancy Houston, votre mère, vous prolongez une discussion sur la maternité.
05:44 En fait, c'est un peu un trou dans la raquette du féminisme.
05:47 Il y a beaucoup de féministes qui avancent, notamment Delphine Thierry, qui avaient un peu des enfants dans le placard.
05:52 Et là, on se rend compte de ce que ça peut être la maternité contraillée, de ce qu'on peut faire pour lier le combat des droits des femmes et le combat des droits des enfants.
06:00 Il me semble que c'est ce lien que vous avez voulu faire. C'est un premier film, en fait, ce n'est pas sur Maria Montessori, c'est sur vous que vous le faites.
06:06 En tout cas, oui, je trouve que c'est vrai que j'étais passionnée pendant toutes mes recherches par le fait que Maria Montessori s'intéressait à lutter en même temps pour le droit des femmes et pour le droit de ses enfants, différents ou neurotypiques.
06:19 Et je trouvais qu'il y avait une jonction qu'elle faisait là qui titillait l'esprit et que je trouvais la plus passionnante à représenter,
06:29 cette espèce de convergence des luttes et une manière aussi militante d'envisager la maternité.
06:35 Elle tenait un discours ensuite, à la fois dans le film et par la suite, sur le fait que la maternité devait aussi être un modèle de relation sociale dans la possibilité d'une espèce de soin, comme une société du caire.
06:48 Et c'est ça que je trouvais aussi passionnant de faire entendre comme discours.
06:52 Et que ce soit féministe aussi, comme discours.
06:55 Exactement, pas du tout le réduire à une dimension maternelle où on serait à l'intérieur en train de s'occuper d'un bébé.
07:01 C'est une vue de l'esprit, c'est une pensée métaphysique, comme le disait d'ailleurs Nancy Huston dans une interview avouée sur France Culture.
07:10 Merci beaucoup Léa Todorov, c'est un film magnifique.
07:13 La nouvelle femme est en salle dès demain en avant-première dans 70 cinémas de France pour la Journée internationale des droits des...
07:20 Femmes.
07:21 Merci Mathilde et bonjour Eva Roch.