Bernard Farges, viticulteur et président du Comité national des Interprofessions de vins à appellation d’origine et à indication géographique, répond aux questions d'Alexandre Le Mer. Ensemble, ils font le point sur les difficultés des viticulteurs, victimes à la fois d'une baisse de la consommation de vin et de la surproduction.
Retrouvez "L'invité éco" sur : http://www.europe1.fr/emissions/linterview-eco
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00:00 Europe 1, il est 6h41.
00:02 La plus belle occasion de rencontrer l'ensemble du monde agricole,
00:04 vous le savez, c'est au Salon de l'agriculture, jusqu'à dimanche.
00:07 Alors on vous a beaucoup parlé sur Europe 1 des difficultés des fermiers, des éleveurs,
00:11 mais les viticulteurs eux aussi sont en crise,
00:14 victimes à la fois d'une baisse de la consommation de vin et de la surproduction.
00:19 On en parle ce matin sur Europe 1.
00:20 Avec votre invité, Alexandre, il s'agit de Bernard Farge, viticulteur,
00:24 président du Comité national des interprofessions des vins,
00:27 à appellation d'origine et à indication géographique.
00:30 Bonjour Bernard Farge.
00:32 Bonjour.
00:33 Vous portez une proposition choc pour sortir la viticulture de la crise,
00:37 il faut arracher des vignes, dites-vous, et en arracher massivement.
00:41 Oui, nous le portons, c'est bien toute la filière qui porte cette idée, cette ambition,
00:49 même si c'est un sujet évidemment pas positif du tout.
00:53 Mais c'est douloureux !
00:54 C'est bien toute la filière qui porte ça, oui.
00:55 C'est des générations de travail les vignes, souvent, quand on dit arracher, voilà.
01:00 Oui, c'est ça, c'est des générations de travail,
01:01 c'est un capital construit pas à pas et peu à peu par l'ensemble des vignerons,
01:06 mais la situation d'aujourd'hui nous amène à cela.
01:09 Il y a déjà eu par le passé des plans d'arrachage, des régions qui ont dû arracher face à...
01:14 Mais ça a commencé dans le Bordelais où vous êtes, c'est déjà une réalité dans le Bordelais.
01:18 Ça a commencé il y a bien longtemps dans le Languedoc-Roussillon,
01:21 ensuite à Cognac et en effet, à ce moment, dans le Bordelais,
01:24 nous avons commencé à arracher environ 8000 hectares de vignes,
01:27 voire même plus pour des vignerons qui ne demandent pas d'aide
01:30 et qui arrachent eux-mêmes parce qu'ils veulent recalibrer leur exploitation.
01:34 Quand vous dites arracher à l'échelle nationale, dans tous les vignobles,
01:37 on parle de combien ? Quelle serait selon vous la bonne mesure ?
01:41 La bonne mesure que nous avons affichée, annoncée,
01:44 et sur laquelle nous travaillons pour bâtir ces projets-là,
01:46 c'est 100 000 hectares à l'échelle de 2-3 ans.
01:49 Il faut aller le plus vite possible, 100 000 hectares sur les 800 000 hectares
01:53 que contient la France viticole.
01:55 100 000 hectares sur 800 000, mais c'est pas marginal, ça fait quoi ?
01:59 Ça fait presque 15% de la totalité des vignes plantées en France, Bernard Farge.
02:04 C'est ça, c'est presque 15%, mais à certains endroits,
02:07 ce sera sans doute 30 voire 40% dans certaines communes,
02:11 avec évidemment des impacts sociaux, économiques, de foncier, de paysage.
02:16 Donc tout ça, il faut le préparer, il faut l'organiser,
02:18 mais nous devons aller le plus vite possible pour rétablir les déséquilibres qui sont importants.
02:23 Ce que vous nous dites, c'est que dans cette crise viticole,
02:26 c'est d'abord à l'offre qu'il faut s'attaquer.
02:28 Il y a toute une production de vin qui ne trouve plus preneur.
02:31 C'est quoi ? C'est surtout le vin entrée de gamme, les tout petits prix, ou pas seulement ?
02:35 Il y a de tout, c'est très divers.
02:39 Les régions du nord de la France, la Champagne, la Bourgogne, la Loire,
02:42 qui sont plus marquées par les Lalsaces, qui sont des régions marquées plus par une production de blanc,
02:47 sont moins en difficulté aujourd'hui,
02:49 parce que la baisse de consommation est essentiellement enregistrée sur les vins rouges.
02:54 Sur le rouge, oui.
02:55 Ce sont des évolutions de modes de consommation,
02:57 des envies différentes des nouveaux consommateurs ou des consommateurs anciens
03:01 vers des vins plus légers,
03:03 et des vins qui se consomment à des moments différents de ce que l'on connaissait par le passé,
03:07 moins au moment des repas réguliers.
03:09 Alors je sais que dans votre métier, vous parlez beaucoup en nectolytre,
03:12 mais pour avoir une idée en bouteille, qui ne seront jamais bues, vendues,
03:16 pour qu'on puisse se faire une idée, ça représente combien de bouteilles chaque année ?
03:19 C'est...
03:22 Oui, en effet, vous avez raison, on a habitude de parler en nectolytre.
03:25 Mais c'est plusieurs centaines de millions de bouteilles...
03:28 Plusieurs centaines de millions ?
03:30 Bien sûr, plusieurs centaines de millions de bouteilles que l'on ne doit plus produire.
03:33 Que vous ne devez plus produire ?
03:35 Quand on parle de 6 millions de nectolytres,
03:37 c'est en effet quasiment 800 millions de bouteilles que l'on ne doit plus produire,
03:41 parce qu'elles sont en excédent sur le marché aujourd'hui.
03:45 C'est une surproduction énorme.
03:46 Il devient quoi le vin qui n'est pas vendu, Bernard Farge ?
03:48 Il est jeté ? Il est valorisé autrement ? On en fait quoi ?
03:51 Alors, si l'on veut arracher, c'est pour justement éviter de stocker du vin,
03:55 et d'avoir à le détruire, comme nous sommes en train de le faire,
03:58 comme nous l'avons fait déjà en 2020.
04:00 Donc il est détruit ?
04:01 Oui, il est détruit, il est distillé.
04:03 On en retient l'alcool qui est ensuite utilisé pour des usages industriels.
04:08 En 2020, il a servi beaucoup, au gel hydroalcoolique par exemple.
04:11 Le vin non vendu devient du gel hydroalcoolique ?
04:14 En 2020, c'était ça. Aujourd'hui, c'est pour des usages industriels autres.
04:18 Mais en tout cas, produire du vin, tailler sa vigne, protéger la vigne,
04:23 le vinifier pour ensuite le détruire, est un non-sens absolu.
04:26 Mais bien sûr.
04:27 Utiliser des fonds publics pour réduire cet excédent est un non-sens absolu.
04:31 Bien sûr.
04:32 Nous devons agir sur du structurel, c'est-à-dire arracher des vignes
04:36 pour ne plus avoir à produire ces vignes, et à investir pour produire ces raisins.
04:40 Oui, ce qui vous inquiète également Bernard Farge, c'est que vous voyez
04:43 de plus en plus de viticulteurs baisser le rideau, c'est ça la réalité ?
04:47 Oui, des viticulteurs qui baissent le rideau, mais aussi des viticulteurs
04:50 qui sont en difficulté avec des problèmes de trésorerie très importants.
04:56 On l'a vu évidemment avec nos collègues agriculteurs sur d'autres filières.
04:59 Mais la viticulture aujourd'hui est une filière qui est en vraie difficulté
05:02 avec évidemment des conséquences très directes sur les comptes d'exploitation des entreprises.
05:06 J'ai quand même une question, on est quand même l'un des grands pays exportateurs de vin,
05:09 la France, il n'y a pas de moyen de trouver de nouveau débouché à l'export
05:14 pour toute cette quantité surproduite et qui ne trouvera pas preneur,
05:17 c'est entendu, sur le marché français ?
05:19 L'exportation est un élément évidemment important pour notre filière.
05:23 Notre filière, elle, demande la signature d'accords commerciaux.
05:27 Nous sommes dans la balance commerciale française, le deuxième secteur
05:32 en termes d'effets positifs de la balance commerciale, d'excédents commerciaux.
05:37 Mais à la fin des années 2000-2010, la Chine a reculé,
05:42 nos exportations ont fortement reculé en Chine.
05:44 Là en ce moment, les conséquences de la crise économique
05:47 et les conséquences de la guerre en Ukraine amènent de l'inflation évidemment dans tous les pays
05:51 et une baisse d'exportation notamment vers les Etats-Unis qui est un marché important pour nous,
05:55 mais vers d'autres pays aussi.
05:57 Donc il n'y a pas que la France qui est en difficulté
05:59 et le relais de croissance que nous avions en export pour compenser la baisse de consommation en France,
06:04 aujourd'hui ce relais s'est fortement diminué.
06:07 - Alors la France, les viticulteurs français eux aussi sont passés aux actions de blocage.
06:11 Et hier encore, Bernard Farge près de Bordeaux,
06:13 une centaine ont bloqué le siège de Castel.
06:15 Alors Castel c'est l'un des plus gros négociants, sinon le plus gros négociant en vin du Bordelais
06:20 qui achète donc la production des vignerons, mais à des prix bien trop bas disent-ils.
06:25 Même pas de quoi payer les charges.
06:27 Ils disent, je les cite, "on est en train de crever la gueule ouverte".
06:29 Voilà ce que disent les viticulteurs dans le Bordelais.
06:31 - C'est l'illustration de ce que nous disions précédemment.
06:35 De telles manifestations ont eu lieu évidemment partout en France,
06:38 mais dans les zones viticoles ça a été remarqué et noté dans les Roses, dans le Gard, dans l'Aude, à Gironde maintenant.
06:47 Donc oui c'est l'expression de ce désarroi.
06:50 Évidemment on préférerait ne pas voir ces images là,
06:54 mais ce désarroi est vraiment profond et certains viticulteurs sont aujourd'hui très désemparés.
06:58 - Merci Bernard Farge, président du Comité National des Interprofessions des Vins,
07:03 Appellation d'Origine et Indication Géographique.
07:05 Je rappelle que vous proposez donc cette mesure choc pour régler la sortie de la viticulture de la crise.
07:11 C'est l'arrachage à l'échelle nationale de 100 000 hectares de vignes,
07:14 soit 15% à peu près de l'ensemble du vignoble français.