• il y a 10 mois
Dans le débat du 7/10, faut-il réformer le droit du sol ? Avec Thibault de Montbrial, avocat au barreau de Paris, président du Centre de réflexion sur la sécurité intérieure et Ayyam Sureau, philosophe, fondatrice et directrice de l'Association Pierre Claver. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-debat-du-7-10/le-debat-du-7-10-du-mercredi-28-fevrier-2024-1941564

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Transcription
00:00 Débat ce matin sur le droit du sol, ce pilier républicain est-il en train de vaciller ?
00:05 C'est Gérald Darmanin qui a mis le sujet sur la table à propos de Mayotte en annonçant
00:10 une réforme constitutionnelle pour remettre en cause ce droit sur l'archipel afin de
00:15 lutter contre l'immigration clandestine.
00:17 La gauche s'en insurge, parle d'une attaque contre l'un des fondements de la République.
00:22 La droite estime, elle, qu'il ne faut pas se limiter à Mayotte et réformer le droit
00:27 du sol sur tout le territoire français.
00:29 On va en parler ce matin avec Ayem Suro, philosophe, fondatrice et présidente de l'association
00:37 Pierre Clavert qui vient en aide aux réfugiés, travaille à leur intégration en France.
00:42 Et avec Thibault de Montbrial, avocat et président du Centre de réflexion sur la sécurité
00:48 intérieure.
00:49 Bonjour à tous les deux, merci d'être là ce matin.
00:51 On rappelle, juste point de rappel, que le droit du sol c'est le fait de devenir français.
00:54 Si vous êtes né en France avec au moins un de vos deux parents qui sont français
00:58 ou si vos deux parents sont étrangers, vous le devenez français à l'âge de 18 ans
01:02 après avoir résidé en France pendant au moins 5 ans.
01:06 Ça c'était pour le point de droit sur le droit du sol.
01:08 Vous vous êtes insurgé, Ayem Suro, dans une tribune au Monde contre cette annonce de
01:12 Gérald Darmanin sur Mayotte.
01:13 Je vous cite « On reste stupéfait par ce désir de dégrader, par des lois toujours
01:18 plus mesquines, l'image de la France ». Expliquez-nous.
01:21 « Insurgé » est un bien grand mot.
01:24 Mais j'ai réagi en effet d'abord sur l'annonce elle-même, c'est-à-dire sur
01:31 la légèreté, comme si les mots n'avaient pas de poids lorsqu'ils étaient prononcés
01:35 par un membre du gouvernement au nom du gouvernement.
01:38 Et ça c'est la première chose qui en effet étonne, c'est-à-dire qu'on ne prenne
01:43 pas au sérieux les mots.
01:44 Et ensuite je me suis plutôt chagriné qu'insurgé, parce que le droit du sol en France, qui
01:53 n'existe pas en tant que tel, il n'existe pas comme aux États-Unis, c'est-à-dire
01:57 qu'il est de toute façon soumis à conditions de résidence, d'apparence, de durée de
02:02 résidence, etc.
02:03 Il n'est pas automatique.
02:04 Il n'est pas automatique.
02:05 Il n'est pas automatique, c'est un mixte hérité d'une longue tradition française.
02:10 Mais il contient en lui quelque chose de l'histoire de France qui n'est pas d'ailleurs une
02:18 histoire totalement pure et innocente de miroitement, qui est au contraire riche de penchants assez
02:25 divers.
02:26 Il ne s'agit d'ailleurs pas ni de dénoncer ni de renoncer aux contradictions françaises,
02:32 mais de les accepter telles qu'elles sont.
02:34 Et le droit du sol porte cette idée d'une nation ouverte et non pas restrictive.
02:41 Non pas ouverte comme une terre en jachère est ouverte à l'ensauvagement, puisque
02:47 c'est le mot à la mode, mais ouverte, c'est-à-dire que l'on peut considérer devenir français
02:54 quand on n'est pas né français, autrement que par le sang.
02:57 Et qu'il y a une idée en France que la nation élève au-dessus des liens du sang.
03:04 Et une autre idée concurrente qui existe en même temps, ça pourrait être le sous-titre
03:10 de l'histoire de France, c'est peut-être pour ça qu'il ne fallait pas trop en parler,
03:14 c'est le moteur secret de l'histoire de France.
03:16 Une autre idée d'une patrie refermée sur la famille, c'est-à-dire la politique comme
03:24 une extension de la famille.
03:25 Les deux idées existent, je préfère l'une à l'autre.
03:28 Thibaud de Montbrial, qu'en pensez-vous ? Sortir du droit du sol à Mayotte, est-ce
03:34 nécessaire ? Et dans toute la France aussi d'ailleurs, j'ai élargi la question.
03:38 D'abord, avant de vous répondre, je voudrais compléter ce qu'a dit Léa Salamé au début
03:42 de notre débat.
03:43 Vous avez rappelé les conditions d'accès à la nationalité par attribution, mais il
03:48 y en a une autre, c'est par acquisition.
03:51 Pour des gens qui, majeurs, sont en France depuis au moins 5 ans et qui peuvent demander
03:56 l'accès à la nationalité, donc 5 ans de résidence, ou des gens qui sont mariés
04:00 à un français avec une communauté de vie effective depuis au moins 4 ans et qui eux
04:05 aussi sont éligibles à la nationalité.
04:07 Une fois qu'on a dit ça, il faut se souvenir des conditions, des raisons pour lesquelles
04:11 la France est passée au droit du sol.
04:15 C'était au 19ème siècle et c'était pas du tout par grandeur d'âme, c'était pas
04:19 du tout parce qu'on est le pays des droits de l'homme, c'était parce que la France
04:22 avait besoin de soldats.
04:23 Donc le choix de passer au droit du sol, c'est un choix qui a été fondé exclusivement
04:27 sur une analyse pragmatique des politiques français de l'époque et qui considérait
04:31 que la France ayant besoin de soldats, il fallait faciliter l'accès à la nationalité
04:35 française pour avoir des combattants.
04:36 Donc, on peut en penser ce qu'on veut.
04:39 Mais pourquoi je vous rappelle ce précédent ? Parce que moi je n'ai jamais compris au
04:44 nom de quoi un état ne pouvait pas utiliser de sa souveraineté sans qu'on en appelle
04:49 à l'émotion dans quel que soit le domaine.
04:51 Donc pour en arrêter la qualité…
04:52 Donc pour vous, quand Ayam Suro dit "c'est nos valeurs", "c'est les valeurs constitutives
04:55 de la France", "c'est les fondements ou les piliers de la République", vous
04:59 vous dites "non, c'est une loi qui a été faite parce qu'on avait besoin de soldats,
05:02 on peut la défaire".
05:03 Alors, il y a plusieurs choses.
05:05 Je rappelle qu'elle a été faite parce qu'on avait besoin de soldats, ça ne veut
05:07 pas dire que je n'ai pas un point d'accord avec ce qu'a dit Ayam Suro.
05:11 C'est devenu un élément parmi d'autres de nos valeurs.
05:15 Mais est-ce que parce que c'est devenu un élément parmi d'autres de nos valeurs,
05:19 ça ne reste pas un point fondamental de souveraineté qu'il faut analyser froidement ?
05:22 Qu'est-ce qui se passe à Mayotte ?
05:23 À Mayotte, il y a une submersion au sens premier du terme migratoire avec des habitants,
05:29 des gens qui sont français ou qui ont un titre régulier de séjour en France, qui
05:32 ne supportent plus et qui n'ont plus les droits que la République accorde aux gens
05:36 qui y vivent.
05:37 Donc moi, pour faire court et pour avancer dans le débat, je suis évidemment favorable
05:40 à la proposition de réforme constitutionnelle dont a fait état Gérald Darmanin.
05:44 À titre personnel, je suppose qu'elle soit étendue à la Guyane et à Saint-Martin, qui
05:50 sont peu ou prou des territoires exposés aux mêmes difficultés de protection et de
05:54 contrôle des frontières que Mayotte.
05:56 Et pour la métropole, puisque je vois Nicolas Demorand qui me regarde et qui attend que
06:01 je me positionne là-dessus, je considère que pour tout un tas de raisons dont on a
06:06 déjà parlé sur l'évolution de la population française, de la culture, etc.
06:10 Il ne faut pas passer au droit du sang en France, mais durcir les conditions d'accès
06:17 au droit du sol, comme l'ont fait un certain nombre de pays européens.
06:21 Nous sommes l'un des pays dans lesquels c'est le plus facile d'avoir la nationalité.
06:24 - Donc pour vous, c'est quoi ? Ce serait accéder à la nationalité quand vous restez
06:27 plus de 10 ans par exemple ?
06:28 - Moi, je pense qu'il faut réduire l'attractivité de l'accès au territoire français du maire
06:33 général.
06:34 Et donc j'ai une proposition en trois points.
06:35 Avec une résidence continue, les Italiens mettent 18 ans, les Danois mettent 19 ans.
06:40 Donc moi je pense que 18 ans de résidence continue, ça fait une jeunesse.
06:45 Donc il y a une cohérence.
06:46 La régularité du titre des parents à la naissance, ça c'est très important.
06:51 Ça existe déjà à Mayotte.
06:52 C'est-à-dire qu'on ne peut prétendre à la nationalité française que si ses parents
06:57 sont déjà en situation régulière au moment de la naissance sur le territoire.
07:00 Pourquoi ? Parce que sans rentrer dans les détails, il y a beaucoup de gens qui font
07:03 un enfant pour les droits que la naissance de cet enfant leur attribue.
07:09 Et le troisième point, c'est un casier judiciaire vierge.
07:12 C'est ce que exigent par exemple les Allemands et les Danois.
07:14 Si on a enfreint les lois de la République, il n'y a aucune raison qu'on obtienne ensuite
07:19 la nationalité du pays dont on a enfreint les lois.
07:21 - Alors vous en pensez quoi Yann M.
07:22 Rode ?
07:23 Tout ce que dit Thibaud de Montbréal ?
07:24 - Je pense beaucoup de choses.
07:25 Il y a plusieurs choses.
07:29 D'abord, il ne faut pas séparer de manière binaire le droit du sol comme principe.
07:33 Généreux, formidable.
07:34 Et de l'autre côté, le pragmatisme, ça n'a jamais été le cas.
07:37 Je recommande d'ailleurs la lecture à vous comme à tous ceux qui nous écoutent
07:41 d'un livre assez extraordinaire qui s'appelle "L'étranger en question".
07:44 C'est un livre collectif écrit sous la direction de Marie-Claude Blanch-Alehar, Stéphane
07:50 Dufoy et l'incontournable Patrick Veil sur les questions de nationalité.
07:54 Parce qu'on voit très bien que d'abord, le droit du sol… Moi je ne suis pas juriste
08:02 et la majorité des Français ne sont pas juristes.
08:04 Donc on entend le droit du sol comme une expression assez équivoque.
08:09 Vous savez, Barbara Cassin, dans un autre livre qui s'appelle "La nostalgie",
08:15 cite Lacan.
08:16 Et Lacan dit "Une langue, entre autres, ce n'est rien de plus que l'intégralité
08:22 des équivoques que son histoire y a laissé persister".
08:25 Et il y a quelque chose d'équivoque dans le droit du sol, on ne sait pas à qui il
08:29 appartient.
08:30 Le droit du sol est à l'origine, il contient tout, il contient le droit romain, le droit
08:36 féodal.
08:37 Le droit féodal c'est le droit du seigneur sur son sol, dont il est donc propriétaire,
08:43 d'accorder ou de ne pas accorder la qualité de français.
08:48 D'accorder ou de ne pas accorder.
08:50 Je suis tout à fait d'accord avec vous que… Moi je n'aime pas le mot nationalité,
08:57 je préfère citoyenneté, mais c'est peut-être parce que je suis anglophone.
08:59 C'est un droit souverain, mais vous avez parfaitement raison.
09:03 La révolution brouille les choses en en faisant un droit attaché à la personne.
09:08 Mais en fait, les deux cohabitent, en même temps, encore une fois.
09:12 Les deux.
09:13 C'est-à-dire que les étrangers viennent, si vous voulez, un peu réclamer le droit
09:18 du sol, parce que les Français se sont donné à eux-mêmes le devoir de le reconnaître.
09:24 Ou la nécessité, vous comprenez ? Et ça a toujours été une nécessité, pas seulement
09:29 pour faire des soldats.
09:30 Sous la révolution c'était pour aussi attirer des capitaux étrangers, pour avoir
09:35 des bras pour l'industrie et pour l'agriculture, pour aussi propager les idéaux français
09:40 à l'étranger.
09:41 Attendez, parce que vous avez beaucoup dit de choses…
09:44 Non mais dans un temps très court.
09:45 Oui, oui, mais dans un temps très court, je vais prendre le même temps que vous.
09:49 Et vous parlez ensuite d'attractivité.
09:52 Ce qu'il y a, ce qu'il faut voir, et je vous le dis vraiment, très sincèrement,
09:56 l'attractivité de la France, ça n'est pas l'octroi d'une nationalité, elle
10:01 est beaucoup plus grande que ça.
10:03 Et je souhaite bonne chance à des personnes ici maintenant, en 2024, qui voudraient,
10:08 par coup de décret, réduire une attractivité française construite en un millénaire de
10:14 littérature, d'héroïsme, de résistance…
10:17 Je leur dois un petit peu de monbril.
10:20 Je pense que votre lyrisme, que moi je partage à titre personnel, parce que le roman national
10:24 me touche, est un peu décalé de certaines contingences très matérielles qui font qu'il
10:30 y a une attractivité de la France.
10:31 C'est pas le débat du jour, mais sur l'immigration en général, je pense que casser l'attractivité,
10:35 c'est aussi une manière de la limiter.
10:37 Mais moi je voudrais aller sur un autre point, parce qu'il y a un éléphant dans la pièce.
10:40 L'éléphant dans la pièce, c'est qu'on dit "oui, mais pourquoi est-ce qu'on débatte
10:44 du sujet ?".
10:45 Après tout, quel est le problème ?
10:46 Le problème, c'est la transformation profondément socio-culturelle du pays.
10:52 C'est ça qui se passe à Mayotte.
10:54 A Mayotte, le problème, c'est aussi qui sont les étrangers qui viennent ?
10:58 Moi je vais vous donner deux ou trois chiffres extrêmement rapides.
11:01 Depuis 2000, c'est-à-dire depuis 25 ans en grande masse, sur les naissances en France,
11:09 les enfants dont les deux parents sont français ont baissé de 22%.
11:12 Un des deux parents nés hors Union européenne, plus 40%.
11:17 Deux parents nés hors Union européenne, plus 72%.
11:20 Et en pourcentage 2022, ça donne, sur les naissances en France en 2022, 60% des naissances
11:26 de parents français et 40% des naissances, au moins un des deux parents issus d'extra-européens.
11:33 Et ce qui donne, sur les enfants de moins de 4 ans en France aujourd'hui, vous en avez
11:38 30% dont les parents sont issus de pays extra-européens.
11:42 Donc ça veut dire que si vous facilitez l'accès à la nationalité française de ces gens de
11:47 façon massive, et bien dans 20 ans, nous avons une France qui ne ressemblera plus du
11:51 tout à ce qu'elle est aujourd'hui.
11:53 Et je vous signale que c'est très précisément la raison pour laquelle, compte tenu des structures
11:57 électorales des uns et des autres, la France insoumise pousse à fond là-dessus.
12:00 Parce que la France insoumise voit là sa majorité dans 20 ans dans les scrutins français.
12:06 C'est ça le fond du problème.
12:07 Est-ce qu'on veut une France dont 40% des gens soient des gens issus d'une culture arabo-musulmane ?
12:14 Parce que c'est la vérité, c'est tout l'enjeu de la difficulté.
12:17 Même s'il y en a qui ont du mal à le dire, moi je vous le dis, c'est ça qui est le mot à dire.
12:21 Est-ce qu'on le veut oui ou non ?
12:23 Et conclusive ?
12:24 Moi c'est non.
12:25 Là c'est un retour vraiment aux idéologies des années 20 et des années 30, c'est-à-dire
12:30 sur les étrangers assimilables et les étrangers non assimilables.
12:34 Et vous ce que vous prétendez c'est que les arabes, les musulmans et peut-être aussi
12:37 les noirs ne le sont pas.
12:39 Moi je vais vous dire...
12:40 - Pas du tout, il ne faut pas, c'est un vrai sujet.
12:43 - Je pense que la manière dont s'exprimait déjà, dont on lisait la loi immigration
12:48 et dont j'ai entendu cette annonce sur le droit du sol, ce qui m'a fait craindre le
12:54 pire c'est que, vous savez, un sol, cela se défend.
12:57 Vous avez raison de le dire, cela se défend.
13:00 Je ne suis pas sûre que la meilleure façon de le défendre c'est de provoquer ce tremblement,
13:05 c'est presque tourner les sangs des français.
13:09 Car les français sont déjà beaucoup porteurs de sang étranger, de mémoire étrangère.
13:15 Ils sont les enfants de personnes qui ont travaillé pour la France, qui ont défendu
13:18 la France, qui sont morts pour la France, qui ont écrit pour la France.
13:21 Et mettre comme ça de côté les français de sang et les français de choix, c'est
13:29 une manière au contraire de diviser le pays dans un temps de guerre.
13:32 Je suis d'accord avec vous que nous sommes dans un temps de guerre, ce n'est pas le
13:36 moment de désunir le pays, c'est le moment de le rassembler.
13:38 - Et de le rassembler autour d'une culture commune.
13:40 - Merci à tous les deux.
13:42 - Merci à tous les deux.
13:43 - Merci à tous les deux à Yann Sureau et Thibault de Montbrial.
13:47 Il est 9h21.

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