• il y a 10 mois
Georges Marchais : Bas les masques est un documentaire captivant qui explore la vie et l'œuvre de l'un des dirigeants politiques les plus influents de France, Georges Marchais. Le film retrace son parcours, de ses modestes débuts à son ascension au sommet du Parti communiste français.

Le documentaire est réalisé par Agnès Grossmann et produit par Magnéto. Il a été diffusé pour la première fois sur France 2 en 2017.

Le film présente des interviews d'archives de Marchais, ainsi que des témoignages de ses amis, de sa famille et de ses collaborateurs.

Il explore les différentes facettes de sa personnalité : son charisme, son intelligence, son ambition et ses contradictions.

C'est un regard nuancé et équilibré sur un homme qui a joué un rôle majeur dans l'histoire de France.

Voici quelques-uns des thèmes abordés dans le documentaire :

L'enfance et la jeunesse de Marchais
Son engagement au Parti communiste
Son ascension au sein du parti
Son rôle dans la politique française
Ses relations avec les autres leaders politiques
Ses visions pour la France
Son héritage

Le documentaire a été salué par la critique pour sa qualité et son exhaustivité.

Il a été qualifié de "regard fascinant sur un homme complexe et controversé".

C'est un visionnage incontournable pour tous ceux qui s'intéressent à l'histoire de France et à la politique.

Voici quelques-unes des critiques du documentaire :

"Un portrait fascinant d'un homme qui a marqué l'histoire de France." - Le Monde
"Un documentaire intelligent et équilibré qui explore les différentes facettes de la personnalité de Marchais." - Libération
"Un regard incontournable sur un homme complexe et controversé." - Télérama

Si vous souhaitez en savoir plus sur Georges Marchais, je vous recommande vivement de regarder ce documentaire.

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Transcription
00:00:00 [Générique]
00:00:02 [Musique]
00:00:04 [Musique]
00:00:07 [Radio] "Le président François Luthien a mort il y a deux jours, des deux côtés du mur..."
00:00:11 [Musique]
00:00:13 [Radio] "La décision déclenche la colère des étudiants..."
00:00:18 [Musique]
00:00:20 [Musique]
00:00:42 Franchement, il était au bout du rouleau quand même.
00:00:45 Il avait quand même 77 ans et puis ça faisait quand même tellement d'années qu'il dirigeait, c'est lourd.
00:00:52 On a tenu à être là parce qu'effectivement, ça peut être un moment un petit peu difficile.
00:00:59 Il était très touché qu'on soit tous présents.
00:01:01 C'est pas facile de partir, de laisser sa place, surtout quand on est le premier.
00:01:09 Il le souhaitait et en même temps, on est toujours un peu entre deux portes.
00:01:14 [Rires]
00:01:16 Il devait probablement avoir en tête toute son ascension et tout ce qu'il avait fait par le passé.
00:01:26 C'est avec respect, estime et affection que nous voulons te remercier et te souhaiter, mon cher Georges, bon travail avec nous tous.
00:01:37 [Applaudissements]
00:01:45 Nous, ça nous faisait mal parce qu'on voyait bien qu'il était triste.
00:01:49 [Applaudissements]
00:01:54 On est un peu distant à la tribune, mais je vois qu'il est très ému, il a la larme à l'œil, même plus.
00:02:04 Et donc, je vais vers lui.
00:02:06 [Applaudissements]
00:02:13 Et là, c'est vraiment une accolade qui n'est pas formelle, je peux vous dire.
00:02:18 Tout le monde était conscient de vivre un moment unique.
00:02:22 [Applaudissements]
00:02:24 "Le président a élu notre nouveau secrétaire national du parti, le camarade Robert Hume."
00:02:31 [Applaudissements]
00:02:41 Et là, l'homme marchait et apparaît tel que je l'ai vu souvent, c'est-à-dire une personne humaine habitée de beaucoup de sensibilité.
00:02:53 [Musique]
00:02:58 Je ne l'ai jamais vu pleurer jusqu'à ce jour-là, mais j'ai toujours été convaincu qu'il avait des failles quelque part et de la sensibilité.
00:03:06 Pourquoi les hommes ne pleuraient-ils pas ?
00:03:08 Mon père est un homme qui, à des moments, a pleuré.
00:03:12 Il était très sensible.
00:03:14 [Musique]
00:03:28 C'est un homme et un personnage politique plus qu'atypique qui, ce jour-là, quitte son poste de secrétaire général du parti communiste.
00:03:35 Une page immense qui se tourne, presque un gouffre pour lui, lorsque l'on sait que de 1972 à 1994, il dirigea ce parti qui fut l'un des plus puissants de France avant de sombrer avec l'histoire.
00:03:48 Georges Marchais a tiré comme un aimant tous les qualificatifs de cette matrice idéologique.
00:03:53 Il incarnera la paratchik zélé, le prolétariat ou encore la fidélité longtemps sans faille à l'Union soviétique.
00:03:59 Alors, qui était vraiment cet homme ? Comment est-il devenu ce personnage populaire si familier des Français ?
00:04:05 Ses proches, ses enfants, ont accepté de nous raconter un Georges Marchais intime.
00:04:10 Autre clé, que cachent les zones d'ombre de sa biographie durant la guerre ?
00:04:14 Comment ce leader s'est retrouvé au cœur du roman de la politique à gauche qui a longtemps eu pour règle qui tuera l'autre le premier ?
00:04:22 On commence par un incontournable chapitre, celui de la naissance d'une bête médiatique.
00:04:27 "Armes égales numéro 17. Les partis politiques dans la France d'aujourd'hui.
00:04:37 Monsieur Jacques, Jacques Chirac et non pas Jean, contre Monsieur Georges Marchais.
00:04:41 Voilà donc comment se présente aujourd'hui notre émission de rentrée."
00:04:44 Ce soir, deux opposants encore peu connus du grand public vont s'affronter en direct.
00:04:50 D'un côté Georges Marchais, le leader du parti communiste, face au jeune ministre gaulliste Jacques Chirac.
00:04:56 "Ça a été la première grande émission à la fois pour Georges Marchais et pour Jacques Chirac.
00:05:04 Leur premier vrai grand début à la télévision. On voit en effet qu'ils sont l'un et l'autre très impressionnés.
00:05:12 Monsieur Chirac, c'est à vous de commencer le premier. Ensuite, naturellement, je passe tout de suite la parole à Monsieur Marchais.
00:05:16 Je vous remercie, Monsieur Duhamel.
00:05:19 Monsieur Marchais, vous dites à plusieurs reprises, et c'est un thème qui vous est tout à fait courant,
00:05:26 que le parti communiste est le parti de la classe ouvrière.
00:05:30 Or, je pense pour ma part, et c'est un point essentiel du débat, que c'est faux."
00:05:35 L'attention, elle était très forte quand même, que l'un et l'autre jouaient gros.
00:05:39 Chacun était au fond un espoir, je dirais pas de son camp, mais de son parti.
00:05:43 Or, c'était à l'époque deux grands partis.
00:05:46 Deux observations d'abord.
00:05:49 Vous dites que le parti communiste est nuisible, faites attention, vous êtes en train de vous isoler, il n'y a que vous qui le pensez.
00:05:55 Au début, il est un peu intimidé. On sentait qu'il récitait quelque chose.
00:05:59 Donc, il avait appris, il y avait du par cœur.
00:06:02 Et puis après, il prend de l'assurance, et puis ça goit, il fait le reste.
00:06:05 Ce mécontentement réel qui existe à travers tout le pays et qui s'exprime chaque jour...
00:06:10 Progressivement, Georges Marchais va oublier le trac et ses notes pour s'imposer dans le débat.
00:06:16 Mais il est dû également. Vous vous présente comme un jeune loup, mais vous avez vraiment du retard, M. Chirac.
00:06:23 J'ai eu le sentiment que j'avais deux fauves face à face.
00:06:27 Ils étaient tous les deux très grands, très puissants, très carrés, très belliqueux, l'un par rapport à l'autre.
00:06:34 Ils se sont pas fait de cadeaux.
00:06:35 Vous raisonnez que je vais entendre ça de la bouche d'un léniniste, je trouve que ça ne manque pas de ça.
00:06:42 Comme il y a 40 ans, d'homme au couteau entre les dents.
00:06:45 Il avait toujours ce sourire goguenard, comme ça, et un peu cardassier. Donc, il était très impressionnant.
00:06:52 Il dégageait un extraordinaire sentiment de force, de force physique. Je ne suis pas sûre qu'il l'avait, d'ailleurs.
00:07:02 Et cette façon qu'il avait de vous toiser, parfois.
00:07:07 Ah oui, mais c'est très important. C'est très important, n'est-ce pas ?
00:07:10 Car on nous propose, M. Marchais nous propose de développer un modèle économique.
00:07:17 Il avait compris que son visage, qui était extraordinairement expressif, pouvait dégager à la fois une formidable sympathie,
00:07:25 une gouaille rieuse très parigote, très française. Et puis, en même temps, il pouvait, avec ses grosses sourcils noirs, faire peur.
00:07:34 Et il avait compris que les deux registres étaient très bons.
00:07:37 De l'humour, un visage expressif et des paroles directes.
00:07:42 À la télévision, Georges Marchais vient d'imposer un style nouveau, peu habituel chez un dirigeant communiste.
00:07:48 Mais alors, il s'est avéré immédiatement une espèce d'animal de bête de télévision, qui parle fort, qui parle mal, qui fait des fautes de français,
00:07:57 mais qui a en même temps un dynamisme, une énergie.
00:08:00 Il a tout de suite très bien compris ce qu'il fallait faire, où il fallait regarder le micro, quand il fallait se fâcher, quand il fallait rigoler. Il a très très bien compris ça.
00:08:08 À partir de ce moment-là, Georges Marchais est devenu populaire chez ses électeurs.
00:08:14 Il est porteur d'un vent d'espoir inimaginable.
00:08:18 Alors, comment Georges Marchais s'est illicé à la tête du parti communiste ?
00:08:23 Le choix de cet ancien métallurgiste ne doit rien au hasard.
00:08:28 Tout commence à la fin des années 40, dans une usine de la région parisienne.
00:08:33 C'était un sanguin, un dur, un combatif.
00:08:38 Il m'a raconté un jour que, pris d'un coup de colère, il prend un contre-maître dans les bras, parce qu'il était costaud,
00:08:48 et il l'emmène descendre le terrain qui était derrière l'usine pour le jeter dans la Seine, ce qu'il n'a pas fait.
00:08:54 Cette forte tête est très vite repérée par le parti, qui voit en lui une recrue idéale.
00:09:00 C'était le dirigeant communiste type moyen, tel qu'on le rêvait un peu, je crois, avec sa gueule à l'agent Gabin.
00:09:07 C'est pas seulement une belle gueule, c'est une grande gueule.
00:09:09 Donc le parti a besoin de ce genre de leader.
00:09:12 Et les dirigeants communistes vont donc tout faire pour convaincre cet ouvrier de les rejoindre.
00:09:17 Ils vont le draguer en quelque sorte, dire "George, le parti a besoin de gens comme toi,
00:09:22 si tu veux vraiment défendre la classe ouvrière et tes camarades, il faut que tu t'inscrives au parti."
00:09:26 George Marchais va finalement gravir petit à petit les échelons de l'appareil,
00:09:30 jusqu'à devenir officiellement le numéro 1 du parti, plus de 20 ans après son adhésion.
00:09:37 Le comité central l'a élu, le camarade George Marchais, secrétaire général du parti.
00:09:43 Un nouveau leader communiste, qui a du charisme, mais qui présente aussi un autre avantage.
00:09:51 Il s'était très bien acquitté de toutes les tâches qu'il avait eu à accomplir dans l'appareil du parti,
00:09:56 comme organisateur, mobilisateur, etc.
00:09:59 Puis aussi, il a une certaine docilité.
00:10:02 C'est-à-dire qu'on se dit "avec Marchais, il n'y aura pas de coup fourré, il ne va pas nous poignarder dans le dos."
00:10:08 Un type sérieux, qui en plus était sur les rails, dans le cadre.
00:10:15 À 52 ans, George Marchais est bel et bien sur les rails, dans le cadre d'un parti qui souhaite toujours dominer la gauche en France.
00:10:25 Cependant, l'heure est aussi au rapprochement, aux alliances.
00:10:29 Le parti socialiste, lui, est minoritaire.
00:10:32 Et depuis 1971, il a un nouveau leader, un homme très différent de George Marchais,
00:10:37 et qui a des ambitions pour son parti, bien sûr, et pour lui-même.
00:10:41 Alors, qui va sortir vainqueur de ce nouvel équilibre ?
00:10:44 La réponse, en image.
00:10:46 Nous sommes le 27 juin 1972, au siège du parti communiste à Paris.
00:10:52 C'est François Mitterrand qui vient finaliser une alliance avec les communistes.
00:10:56 Et ce soir, il ne se sent pas en terrain conquis.
00:11:00 Mitterrand avait compris qu'il ne pouvait pas faire gagner le nouveau PS qu'il était en train de construire,
00:11:08 sans une alliance avec le parti communiste.
00:11:10 Le PC est un parti qui fait pratiquement le quart de l'électorat français.
00:11:15 Dans la salle des négociations, l'ambiance est particulièrement tendue.
00:11:20 Chacun campe sur ses positions.
00:11:23 Mitterrand était méfiant, Marchais aussi.
00:11:25 Ils avaient raison, l'un et l'autre, de se méfier de l'un et de l'autre.
00:11:29 C'était assez curieux, parce que d'un côté, on avait vraiment l'impression d'avoir un ours prêt à foncer.
00:11:36 Il y avait un côté grizzly chez Marchais,
00:11:39 et chez Mitterrand, au même moment, c'était une espèce de renard,
00:11:43 tellement plus rapide, tellement plus malin, mais moins puissant.
00:11:48 Il faudra finalement toute la nuit, et bien des concessions de chaque côté,
00:11:53 pour arriver à la signature à 5h du matin du programme commun de la gauche.
00:11:58 Tout le monde était fatigué, mais tout le monde était content.
00:12:03 Je pense que Mitterrand se demandait déjà si on n'avait pas trop cédé au parti communiste.
00:12:11 Vous pensiez sans doute pas négocier toute la nuit, quelle a été la principale difficulté cette nuit ?
00:12:15 La principale difficulté est qu'un programme commun de gouvernement
00:12:19 touchant exactement à tous les domaines de la vie nationale et internationale,
00:12:23 cela mérite bien d'occuper une fois 3h et l'autre fois 6h.
00:12:29 C'est un Mitterrand extrêmement sérieux, relativement réservé,
00:12:34 et d'un côté, on a un Marchais, pour qui c'est l'heure de gloire.
00:12:41 Le visage rayonnant de Marchais, qui devient le leader d'un parti qui peut devenir un parti de gouvernement.
00:12:49 Donc il prend une place sur l'échiquier politique qui n'a plus aucun rapport.
00:12:53 Il devient l'un des 4 grands.
00:12:56 Marchais était content parce qu'il avait l'impression qu'il avait arraché des concessions.
00:13:03 Georges Marchais se dit "Bon ça y est, on a eu Mitterrand, on a eu les socialistes,
00:13:07 ils vont nous aider à conquérir le pouvoir."
00:13:11 C'est les communistes qui vont bouffer les socialistes, c'était l'idée.
00:13:15 Et nous on avait bien l'impression qu'on n'allait pas se faire bouffer.
00:13:18 Cet accord fera date dans l'histoire du mouvement d'ouvriers démocratiques français.
00:13:23 Et je suis profondément convaincu que demain, l'enthousiasme sera grand
00:13:29 dans les entreprises, les villes et les villages de ce pays,
00:13:32 parmi les forces ouvrières démocratiques et nationales.
00:13:35 C'est un événement d'une très grande importance.
00:13:37 Pour lui c'est une sorte de triomphe, il réunit ses camarades pour sabler le champagne.
00:13:42 Georges Marchais ne cache pas son enthousiasme d'avoir réuni la gauche.
00:13:47 Et il entend faire de François Mitterrand bien plus qu'un allié politique.
00:13:51 Il a toujours eu une admiration un peu envieuse à l'égard de Mitterrand,
00:13:58 de sa culture, de son rayonnement, de son charme peut-être aussi.
00:14:03 Il aurait aimé, il aurait considéré que c'était une reconnaissance personnelle
00:14:07 et une reconnaissance pour ce qu'il représentait,
00:14:10 que François Mitterrand ait ou simule des relations amicales avec lui.
00:14:16 Et pourtant, le leader communiste va se heurter à l'indifférence du dirigeant socialiste.
00:14:22 Il l'a invité plusieurs fois à Champigny,
00:14:27 François Mitterrand n'a jamais répondu à cette invitation.
00:14:32 Il avait l'impression que c'était du mépris parce qu'il n'avait pas la culture
00:14:37 que François Mitterrand avait à l'évidence.
00:14:42 C'était deux mondes complètement différents.
00:14:45 Marchais affecté à côté populiste et Mitterrand affecté à côté, on pourrait dire, bourgeois ou attelot.
00:14:53 Le courant ne passe pas entre les deux hommes.
00:14:56 Et sur le plan politique, dans les rangs socialistes,
00:14:59 on commence à s'interroger sur la stratégie de François Mitterrand.
00:15:03 Beaucoup de gens trouvent que Mitterrand est complètement fou
00:15:07 de partager ou d'essayer de partager des idées avec le Parti communiste.
00:15:12 Alors que lui était tout à fait sûr de sa stratégie électorale.
00:15:16 Il répond à ceux qui s'inquiètent, aux dirigeants de l'international socialiste,
00:15:20 "Mes chers camarades, ne vous inquiétez pas,
00:15:22 c'est pour piquer 3 millions de voix au Parti communiste qu'on a signé ça."
00:15:26 J'ai signé le programme commun pour avaler tout cru le Parti communiste français.
00:15:30 Je vais prendre ses électeurs.
00:15:32 Et dans les meetings, François Mitterrand radicalise son discours
00:15:36 pour mieux séduire l'électorat communiste.
00:15:39 Tandis qu'il faut choisir entre la droite, le pouvoir de l'argent,
00:15:49 le pouvoir du malheur et l'espérance d'un peuple, le choix est fait.
00:15:55 Progressivement, Georges Marchais comprend que le scénario qu'il avait prévu
00:16:00 est en train de lui échapper.
00:16:02 Il est furieux. Tout à coup il a un doute.
00:16:05 Il se dit "Et si finalement c'est nous qui étions en train de propulser
00:16:10 les socialistes et François Mitterrand vers les sommets ?"
00:16:14 La personnalité de François Mitterrand séduit
00:16:17 et relègue donc peu à peu Georges Marchais au second plan.
00:16:22 Il a joué très habilement tout ça, François Mitterrand.
00:16:25 Et à un moment, les gens se sont plutôt portés vers le Parti socialiste,
00:16:30 des ans plus rassurants.
00:16:32 Et là, Marchais a compris qu'il était piégé et qu'électoralement,
00:16:36 le programme commun ne servait que le PS.
00:16:39 Il est vrai que le choix de l'Union de la gauche s'est réalisé
00:16:44 et s'est accompli au détriment de la structure du Parti communiste.
00:16:48 Nous sommes ici pour gagner les élections.
00:16:51 Nous sommes ici pour gouverner.
00:16:54 Nous sommes ici pour l'emporter.
00:16:58 Nous sommes ici pour gagner.
00:17:01 On s'aperçoit que le PS progresse alors que le PC staggle, voire décline.
00:17:07 Georges Marchais s'est dit "Mais on est en train de conduire
00:17:09 le Parti communiste à sa perte."
00:17:11 Et c'est la mort du président Pompidou en avril 1974
00:17:15 qui va bouleverser le calendrier.
00:17:18 Le PC qui n'était pas prêt,
00:17:21 va finalement abrodouiller, va fouiller pendant quelques jours.
00:17:25 Les communistes sont pris de court.
00:17:27 François Mitterrand s'impose comme le candidat unique de la gauche.
00:17:30 Il perd pourtant l'élection face à Valéry Giscard d'Estaing,
00:17:33 mais gagne son statut de nouvel homme fort de l'opposition.
00:17:36 Pour Georges Marchais, cette perte d'influence ne sera pas sans conséquence.
00:17:41 L'expérience de 1974 est une expérience qui finalement est assez douloureuse pour lui,
00:17:46 de ne pas avoir vu son parti représenté à l'échéance présidentielle.
00:17:50 Georges Marchais a eu peur, il était inquiet, tourmenté.
00:17:55 Et je ne suis pas médecin, mais ça n'a sans doute pas peu contribué
00:18:04 à ce qui s'est produit, c'est-à-dire à son infarctus.
00:18:07 Nous sommes le 14 janvier 1975.
00:18:14 Georges Marchais est chez lui dans son pavillon de Champigny,
00:18:17 lorsqu'il est pris d'un malaise.
00:18:19 Il arrive en situation d'urgence et il est pris en charge
00:18:24 dans le service de réanimation cardiologique de l'hôpital Lariboisière.
00:18:27 Il a un infarctus du myocarde, présentant certains éléments de sévérité.
00:18:36 Un malaise cardiaque qui va durer 18 heures,
00:18:39 et durant tout ce temps, le dirigeant communiste reste conscient.
00:18:44 Il n'a jamais dit qu'il avait, quoi que ce soit, peur de la mort, jamais.
00:18:49 C'était difficile parce qu'il était jeune, il n'avait que 55 ans.
00:18:56 Après avoir lutté durant 24 heures, Georges Marchais est désormais hors de danger.
00:19:01 Il est fatigué, mais son moral reste intact.
00:19:05 La préoccupation principale, c'était, est-ce que je pourrais
00:19:10 continuer à mener la vie sociale, qui est la mienne ?
00:19:15 Pour lui, bon, ça a été difficile de rester tranquille,
00:19:20 de se reposer, d'écouter l'avis des médecins.
00:19:24 Et il avait vraiment envie, une fois qu'il allait mieux,
00:19:29 de reprendre tout de suite ses activités politiques.
00:19:32 20 jours après son entrée à l'hôpital,
00:19:34 la sortie du dirigeant communiste est médiatisée.
00:19:37 Des proches, des voisins et des journalistes sont là pour l'accueillir,
00:19:42 devant son domicile.
00:19:44 Georges Marchais, comment allez-vous ?
00:19:48 Bien, puisque maintenant, on me voit là,
00:19:51 qui entre en période de convalescence.
00:19:54 Je vais rester une dizaine de jours ici, chez moi,
00:19:58 et après, un mois dans le midi,
00:20:00 et après reprendre mes activités normales.
00:20:03 Cette première alerte cardiaque va en tout cas pousser
00:20:06 le numéro 1 communiste à modifier ses habitudes.
00:20:09 Il ne fumait plus. La cigarette, c'était très difficile.
00:20:14 Mais il n'avait pas le choix.
00:20:17 Tu veux chanter ?
00:20:18 Je ne crois pas que j'ai bien réussi.
00:20:20 Tous les matins, il faisait une petite séance de gym d'une demi-heure,
00:20:26 avec un vélo fixe, avec quelques poids et haltères.
00:20:30 Donc, il prenait soin de sa santé,
00:20:33 au niveau de son hygiène de vie, alimentaire, etc.
00:20:35 Il faisait très attention.
00:20:37 Et il avait une femme qui prenait beaucoup soin de lui, par rapport à ça.
00:20:42 Tu l'as perçue, ta lettre ?
00:20:43 Tu ne l'as pas reçue ? Il l'a oubliée à la campagne.
00:20:45 Il l'a écrite à la campagne et il l'a oubliée.
00:20:47 Non, il l'a écrite, et après, il a dit "je vais la réécrire".
00:20:49 Ah bon ? Mon cher ami.
00:20:51 Mon cher ami.
00:20:52 Georges Marchais vit sa convalescence,
00:20:54 entouré de Liliane, sa deuxième femme,
00:20:56 et de leur fils, Olivier.
00:20:58 Avant moi, il a eu trois filles.
00:21:00 Donc forcément, le garçon, j'arrive, je suis le garçon,
00:21:04 j'ai un petit peu le messie.
00:21:06 Avant, je lui mettais les cheveux derrière les oreilles,
00:21:08 mais maintenant, il faut lui mettre dessus,
00:21:09 parce que Nathalie aime mieux les cheveux comme ça.
00:21:11 Alors, Olivier, tu peux tenir.
00:21:16 Il a expliqué qu'il allait aller au coiffeur,
00:21:17 mais il a expliqué au coiffeur qu'il pouvait me le mêcher.
00:21:18 Qu'est-ce que tu fais ?
00:21:19 Allez, bon, alors, assois-toi et viens dans la maison.
00:21:21 Qu'est-ce que tu fais, Nathalie ?
00:21:23 C'est sa copine.
00:21:24 C'est la maman ?
00:21:25 Il nous couvre d'amour, et c'est un papa très attentif.
00:21:29 Il est fier de son fils,
00:21:31 et il y a beaucoup d'amour entre nous.
00:21:34 C'est tout.
00:21:36 C'est pas long ?
00:21:38 T'as déjà fini ?
00:21:39 Vas-y, écoute.
00:21:40 Il avait une capacité vraiment à switcher,
00:21:44 et à passer en mode papa, en mode famille,
00:21:48 et à mettre son short et son t-shirt,
00:21:52 sa tenue de soirée tranquille.
00:21:55 Il aimait beaucoup regarder les westerns,
00:21:59 les films avec De Funès, les films avec Gabin,
00:22:02 et puis beaucoup de sports,
00:22:04 donc beaucoup de matchs à l'époque,
00:22:06 la grande époque des Verts,
00:22:08 l'équipe de France de foot.
00:22:10 Et Georges Marchais voit aussi régulièrement
00:22:13 ses trois filles, nées de son premier mariage.
00:22:16 La famille a toujours été très, très importante.
00:22:20 Georges a une famille très, très, très, très soudée,
00:22:23 très forte autour de lui.
00:22:24 C'est un clan.
00:22:26 On se retrouvait très souvent,
00:22:28 et plus il y avait de monde, plus il était content.
00:22:31 On n'avait pas tous la même opinion,
00:22:36 et quelquefois, c'était mouvementé,
00:22:39 mais c'était formidable, parce qu'on échangeait beaucoup.
00:22:42 Ces gens étaient...
00:22:44 sont tous des militants communistes.
00:22:46 Bon, c'était pas pour lui déplaire, certainement.
00:22:49 Il avait une famille très, très, très, très, très forte.
00:22:53 Bon, c'était pas pour lui déplaire, certainement.
00:22:55 L'autre personne emblématique de la famille,
00:22:58 c'est donc Liliane,
00:23:00 la femme pour qui Georges Marchais a changé de vie.
00:23:03 C'était une militante,
00:23:07 et c'était une fille intelligente,
00:23:09 une belle fille,
00:23:11 et...
00:23:13 elle l'aimait, et il l'aimait.
00:23:15 C'est pas un ménage où il y en a un qui pense d'une manière,
00:23:17 et l'autre de l'autre.
00:23:18 On pense tous les deux dans le même sens,
00:23:20 et on agit tous les deux dans le même sens.
00:23:22 Et donc c'est pas...
00:23:23 c'est pas dissocié.
00:23:24 Il y a pas d'un côté la femme de Georges Marchais,
00:23:26 et Georges Marchais le secrétaire général.
00:23:28 Elle avait une très grande franchise.
00:23:30 Elle était dure, hein.
00:23:31 C'était quelqu'un de...
00:23:33 de dur, considéré comme tel,
00:23:35 et réellement comme tel.
00:23:36 Mais le couple était...
00:23:38 était un couple très, très uni.
00:23:40 J'ai eu la chance d'avoir des...
00:23:41 des parents communistes, et j'en suis fier.
00:23:43 Des parents qui n'entendent pas changer
00:23:46 de cadre de vie.
00:23:48 Lorsqu'il a été élu secrétaire général,
00:23:50 la direction du parti lui avait demandé de...
00:23:52 de changer de pavillon.
00:23:54 D'abord pour des problèmes de sécurité,
00:23:56 et puis... et puis pour qu'il soit dans...
00:23:59 dans de meilleures conditions.
00:24:00 Et Georges, non.
00:24:02 Il avait besoin d'aller avec Liliane
00:24:07 faire ses courses,
00:24:08 de rencontrer les commerçants de sa ville.
00:24:12 Il aimait d'ailleurs bien,
00:24:14 tous les quinze jours,
00:24:15 aller chez son coiffeur,
00:24:17 son petit coiffeur préféré à Champigny,
00:24:20 discuter avec lui.
00:24:21 Lorsqu'il remontait dans la voiture,
00:24:23 voilà, il me disait,
00:24:24 "Tiens, mon coiffeur, il m'a dit ça, ça..."
00:24:26 Parce qu'il discutait politique
00:24:27 avec le coiffeur, bien sûr.
00:24:28 Pour lui, c'était important
00:24:34 d'être imprégné,
00:24:36 alors qu'il était quand même
00:24:37 toujours dans la politique,
00:24:39 d'être imprégné de la vraie vie.
00:24:43 Deux mois après son malaise cardiaque,
00:24:45 le leader communiste se sent à nouveau prêt
00:24:47 pour le combat politique.
00:24:49 Alors, le recul que j'ai pu prendre
00:24:55 m'a permis de réfléchir
00:24:58 sur un certain nombre de questions.
00:25:02 Nous en discuterons
00:25:04 quand je vais rentrer à Paris
00:25:05 avec mes camarades.
00:25:07 Il y a aussi des choses à faire, je crois.
00:25:09 Vous ne revenez pas faibli.
00:25:10 Pas du tout.
00:25:11 Je reviens en forme combatif
00:25:14 et avec des idées.
00:25:17 Il est donc prêt à revenir à nouveau
00:25:21 sur le devant de la scène.
00:25:22 Et cette fois-ci, pas question
00:25:23 de laisser à François Mitterrand
00:25:25 le leadership.
00:25:26 La rupture avec le PS
00:25:28 est d'ailleurs actée en 1977.
00:25:30 Pour Georges Marchais,
00:25:32 cap maintenant sur 1981.
00:25:34 Des idées d'indépendance
00:25:35 qu'il voudrait même évoquer
00:25:36 avec son ami, Léonide Brejniev.
00:25:38 Mais le grand frère soviétique,
00:25:40 figure tutélaire du Parti communiste français,
00:25:42 est-il prêt à lui accorder
00:25:44 une quelconque autonomie ?
00:25:46 C'est tout l'enjeu d'un voyage
00:25:48 direction Moscou.
00:25:50 Le 10 janvier 1980,
00:25:52 Georges Marchais est en visite exceptionnelle
00:25:54 à Moscou.
00:25:55 Tout le monde s'interroge alors
00:25:57 sur le sens de cette accolade
00:25:59 avec son homologue russe,
00:26:01 Léonide Brejniev.
00:26:02 La ligne Marchais,
00:26:03 ce n'est pas de modèle soviétique.
00:26:06 Nous voulons un socialisme à la française.
00:26:09 Georges Marchais n'aime pas
00:26:10 les soviétiques.
00:26:12 Pour lui, le modèle soviétique,
00:26:13 ça n'existe plus,
00:26:14 ça ne fonctionne plus.
00:26:16 Ce jour-là, Georges Marchais
00:26:17 vient en fait chercher une forme
00:26:18 d'indépendance pour son parti.
00:26:21 Pour la première fois,
00:26:25 Brejniev va reconnaître
00:26:28 qu'il peut y avoir
00:26:30 divergence entre les deux partis
00:26:32 et que le Parti communiste
00:26:33 peut être communiste
00:26:35 sans répéter
00:26:36 la messe du grand frère soviétique.
00:26:39 L'autonomie.
00:26:41 Voilà donc le message
00:26:42 que Georges Marchais
00:26:43 voudrait faire passer.
00:26:45 Mais l'opinion française
00:26:46 ne va rien retenir de tout cela.
00:26:49 Car deux semaines
00:26:51 avant sa visite à Moscou,
00:26:52 l'armée russe a envahi l'Afghanistan.
00:26:55 Et cette intervention militaire
00:26:57 a déclenché une vague d'indignation.
00:27:00 Évidemment, c'est une coïncidence.
00:27:04 C'est une malheureuse coïncidence
00:27:07 puisque le voyage de Moscou
00:27:09 était prévu depuis très très longtemps
00:27:11 et que si on reportait,
00:27:12 on ne savait pas
00:27:13 quand est-ce qu'on allait y retourner.
00:27:15 Au siège du parti à Paris,
00:27:17 le téléphone n'arrête pas de sonner.
00:27:20 Tous les journalistes français
00:27:21 veulent recueillir une réaction
00:27:23 de Georges Marchais
00:27:24 sur l'invasion russe.
00:27:25 Une hésitation.
00:27:27 J'en parle à Georges Marchais
00:27:30 par téléphone.
00:27:32 Il hésite aussi un tout petit peu.
00:27:34 Et puis nous nous disons
00:27:36 mais au fond ça peut être très bien.
00:27:38 C'était un coup de pub formidable.
00:27:40 Parler de Moscou.
00:27:41 Et surtout, parler de Moscou
00:27:43 pour dire qu'on a des divergences.
00:27:45 Parce que c'était ça la feuille de route.
00:27:47 C'était parler de Moscou
00:27:49 pour dire qu'on a des divergences.
00:27:51 On avait prévu faire 15-20 minutes.
00:27:54 Lui dans un studio très soviétique
00:27:57 avec des gros micros,
00:27:59 une diapo de Moscou derrière.
00:28:02 En studio à Paris,
00:28:04 le responsable de la communication du parti
00:28:06 découvre le dispositif
00:28:07 pour l'intervention de Georges Marchais.
00:28:09 Celui-ci doit intervenir en direct de Moscou.
00:28:12 Qu'est-ce que je vois ?
00:28:14 Un écran avec une vue du Kremlin
00:28:17 et un bureau devant.
00:28:19 Comme si Georges Marchais
00:28:20 avait un bureau au Kremlin.
00:28:21 On en est compte.
00:28:22 Là je commence à sentir
00:28:24 que quelque chose va se passer
00:28:25 que je n'avais pas mesuré.
00:28:26 Donc on a changé ça.
00:28:27 Moi j'ai fait enlever ce fonds de Place Rouge.
00:28:30 On a changé, il avait un bureau ministre.
00:28:32 On a mis une autre table.
00:28:34 J'ai essayé de bricoler à la va-vite.
00:28:36 Ça ne sentait pas très bon, cette affaire.
00:28:39 Georges Marchais, à propos du communiqué
00:28:41 que vous avez signé hier à Moscou,
00:28:43 il y a deux choses qui m'ont un peu surpris.
00:28:45 En France, je ne vous le cache pas,
00:28:46 c'est d'abord qu'il n'y a aucune mention
00:28:48 de ce qui s'est passé
00:28:50 et de ce qui continue de se passer en Afghanistan.
00:28:52 Je me dis, s'ils condamnent clairement
00:28:54 et que ce soit bref,
00:28:56 tout va bien se passer.
00:28:57 Mais ça ne se passe pas du tout comme ça.
00:28:59 Le camarade Léonide Brejnieff m'a dit ceci.
00:29:01 Les troupes soviétiques ont comme mandat,
00:29:05 ils doivent être présents, m'a-t-il dit,
00:29:07 aux frontières pour empêcher
00:29:10 les infiltrations de l'extérieur.
00:29:13 Il se fait en quelque sorte le porte-parole de Brejnieff,
00:29:16 le petit télégraphiste.
00:29:17 Le camarade Brejnieff m'a dit que de toute façon,
00:29:21 la politique des soviétiques, c'était toujours la paix.
00:29:23 Il fallait aller aider ce brave peuple afghan
00:29:25 et les démocrates persécutés là-bas.
00:29:27 C'est en désespoir de cause qu'il a été contraint de le faire.
00:29:33 Voilà ce que m'a dit clairement et nettement
00:29:36 le camarade Léonide Brejnieff.
00:29:38 On a tout de suite compris avec Mourouzi
00:29:41 que, je me souviens, on s'est changé des signes,
00:29:43 qu'on vivait un moment extrêmement important
00:29:46 et qu'il fallait laisser l'interview se dérouler.
00:29:49 C'est le moment, m'a-t-il dit.
00:29:51 Et pour Georges Marchais,
00:29:53 cette interview d'une quarantaine de minutes
00:29:55 dans le journal télévisé va produire l'effet inverse
00:29:58 de ce qu'il attendait.
00:29:59 Et nous souhaitons pouvoir le faire le plus vite possible.
00:30:03 Du coup, alors qu'il y allait pour prouver au monde
00:30:07 qu'il n'était pas l'homme de Moscou
00:30:09 et qu'enfin Moscou le reconnaissait,
00:30:11 le premier geste qu'il fait à la télévision,
00:30:14 c'est de tenir un discours qui dit
00:30:17 « Je suis l'homme de Moscou ».
00:30:19 Ça l'a fait apparaître comme un stalinien
00:30:21 alors que jamais aucun dirigeant communiste
00:30:23 n'a été aussi peu en phase avec les Soviétiques
00:30:26 et à la limite de la rupture avec les Soviétiques.
00:30:28 Georges Marchais, je vous remercie.
00:30:30 Vous étiez, je le rappelle, en direct de Moscou.
00:30:32 Il nous reste maintenant à jeter un coup d'œil en direct
00:30:35 sur ce qui se passe à la Bourse de Paris.
00:30:36 François Denet.
00:30:37 Quand l'interview s'arrête,
00:30:38 je me souviens qu'on avait bavardé quelques minutes,
00:30:42 qu'il était très heureux.
00:30:44 Et on a su après qu'il était très content.
00:30:46 Pourtant, la presse du lendemain est très critique.
00:30:50 Mais cet écho donné à ses propos n'atteint pas Georges Marchais
00:30:53 de retour à Paris.
00:30:55 Georges nous raconte qu'au fond, il s'en est bien tiré.
00:31:04 C'était une bonne émission.
00:31:06 Il avait hésité mais il ne regrettait pas de l'avoir faite.
00:31:08 Il avait dit ses quatre vérités à qui il voulait entendre.
00:31:12 Je commençais à m'énerver.
00:31:14 Mais Georges Marchais était très content de lui.
00:31:16 À ce moment-là, Charles Friederman me fait signe.
00:31:19 "C'est la grande naïveté de Georges."
00:31:22 Franchement, Georges Marchais ne s'est pas rendu compte
00:31:31 de l'état des choses et du dégât.
00:31:34 Le discours de Georges Marchais à la télévision à Moscou
00:31:39 avait provoqué dans l'image du Parti communiste
00:31:42 et de son secrétaire général,
00:31:44 qui jusqu'alors était dans les hautes eaux,
00:31:46 un décrochage spectaculaire.
00:31:49 Il a ruiné avec une interview des années d'efforts
00:31:54 pour montrer que le Parti communiste français
00:31:56 était vraiment autonome
00:31:58 et qu'il n'était pas un vassal du Parti soviétique.
00:32:01 Cette erreur laissera des traces dans l'opinion.
00:32:04 D'autant qu'elle va être suivie deux mois plus tard
00:32:06 par une autre affaire médiatique.
00:32:08 Nous sommes dans la nuit du 6 au 7 mars 1980.
00:32:13 Des hommes frappent à la porte de Pierre Juchin.
00:32:16 A l'époque, il est chef de la propagande du Parti communiste.
00:32:20 Je suis réveillé dans la nuit par des ouvriers imprimeurs
00:32:25 de l'imprimerie où était imprimé l'express.
00:32:28 Il était 4 ou 5 heures du matin, on s'excuse.
00:32:32 Mais ils m'apportent tout un cahier,
00:32:34 qui sentait encore l'encre,
00:32:36 il venait d'être imprimé.
00:32:38 Le magazine affiche en couverture un titre choc.
00:32:42 "George Marchais en Allemagne 1942-1944,
00:32:46 la preuve du mensonge."
00:32:48 Ces ouvriers imprimeurs avaient trouvé
00:32:55 que c'était une attaque très grave.
00:32:57 Ils me le portent.
00:32:58 Pierre Juchin appelle aussitôt George Marchais
00:33:03 et lui donne rendez-vous au siège du Parti,
00:33:05 place du colonel Fabien, à Paris.
00:33:09 Une ou deux heures après, George Marchais arrive.
00:33:12 Je lui mets le papier sous les yeux,
00:33:17 le feuillet et le parcours.
00:33:19 Le magazine L'Express révèle, preuve à l'appui,
00:33:23 que le numéro 1 communiste a travaillé volontairement en Allemagne
00:33:27 chez un constructeur aéronautique pendant la guerre.
00:33:30 Il y serait resté jusqu'à la libération.
00:33:33 C'était presque une accusation de collaboration.
00:33:36 Il a servi les Allemands.
00:33:38 C'était ça.
00:33:40 C'est très grave.
00:33:41 C'est pas qu'il n'avait pas été résistant.
00:33:44 On le présentait comme délibérément choisi
00:33:46 d'aller travailler avec les Allemands.
00:33:48 On est contre.
00:33:49 Volontaire pour aller travailler en Allemagne
00:33:52 et pas n'importe où.
00:33:53 Dans l'usine Messerschmitts
00:33:55 qui fabriquait les bombardiers allemands.
00:33:57 C'est un peu comme un coup de poing.
00:34:00 J'ai vu une scène inoubliable.
00:34:03 Georges Marchais pleure.
00:34:06 Il pleure devant nous.
00:34:08 Nous étions 3.
00:34:10 Fitterman, Jucquin, Marchais.
00:34:13 Il pleure.
00:34:16 Charles Fitterman en particulier lui dit
00:34:20 "Georges, s'il y a quelque chose que tu ne nous as pas dit,
00:34:23 "je vais te dire."
00:34:25 "Je vais te dire que je suis un peu déçu."
00:34:28 "S'il y a quelque chose que tu ne nous as pas dit,
00:34:31 "entre 4 yeux, dis-le nous."
00:34:34 "Dis-le nous, tu sais très bien qu'on se battra."
00:34:37 Et il dit "Mais non, j'ai tout dit, j'ai rien d'autre à dire."
00:34:42 Une accusation grave
00:34:44 qui va faire évidemment la une de l'actualité ce soir-là,
00:34:47 le 7 mars 1980.
00:34:50 Le passé de Georges Marchais,
00:34:53 l'Express relance la controverse.
00:34:57 Autant vous dire que la réaction du secrétaire général du PC
00:35:00 est très violente.
00:35:02 Nous venons de la recueillir il y a une demi-heure.
00:35:04 Je suis une victime de la déportation du travail
00:35:07 et je suis aujourd'hui victime d'une ignoble campagne
00:35:10 qui déshonore les auteurs.
00:35:12 Ça l'a touché, ça l'a humilié, ça l'a vexé.
00:35:15 C'est d'une certaine façon son honneur,
00:35:17 et je dirais son honneur communiste, qui est mis en cause.
00:35:20 Ça a dû être pour lui une blessure personnelle terrible.
00:35:23 Mais je crois qu'il faut répondre à une autre question.
00:35:26 C'est pourquoi cette campagne aujourd'hui ?
00:35:30 Évidemment, c'est sorti juste avant les élections présidentielles,
00:35:35 donc on peut penser que ce n'est pas sorti pour rien.
00:35:38 Ça portait un coup dès le départ à la candidature de Marchais,
00:35:41 notamment dans le Parti communiste.
00:35:44 Reste maintenant à savoir d'où vient le coup.
00:35:48 Georges Marchais pense d'abord à ses opposants politiques,
00:35:51 mais la réalité est pourtant plus inattendue.
00:35:55 C'est parti de l'intérieur du parti.
00:35:58 Il a des opposants à l'intérieur du Parti communiste
00:36:00 qui se débrouillent pour faire savoir que ce n'est pas celui qu'on croit.
00:36:04 En fait, c'est les déportés,
00:36:07 internés résistants politiques, communistes,
00:36:11 qui ont lancé l'affaire contre Georges.
00:36:14 Les dirigeants du parti, à cette époque-là,
00:36:20 étaient soit résistants, soit enfants de résistants.
00:36:25 Ce qui, encore une fois, pour le parti de la résistance,
00:36:28 pour le parti des fusillés, était quelque chose de très difficilement acceptable.
00:36:31 Pourtant, dès le départ,
00:36:34 la direction du parti aurait connu le passé de son futur leader.
00:36:38 Il nous avait dit qu'effectivement,
00:36:40 quand il est rentré au Parti communiste,
00:36:43 il a dit qu'il n'avait jamais été résistant.
00:36:46 Sans problème.
00:36:49 Alors, quelle est la véritable histoire de Georges Marchais
00:36:52 durant toute cette période ?
00:36:54 Quand la guerre éclate en 1940,
00:36:57 l'ouvrier métallo se retrouve au chômage.
00:37:00 Les Allemands, évidemment, avaient énormément besoin d'ouvriers,
00:37:04 surtout des métallos, très importants pendant la guerre.
00:37:07 Donc, ils cherchaient à recruter avec des bonnes primes.
00:37:10 On donnait des bonnes primes, etc.
00:37:12 Et donc, Georges Marchais s'est dit, après tout,
00:37:14 bon, il avait une femme, il avait un enfant,
00:37:16 bon, je pars en Allemagne, je vais bien gagner ma vie.
00:37:19 Et donc, c'est à ce titre-là, donc, il est parti comme volontaire.
00:37:23 On peut toujours dire que c'était pas glorieux,
00:37:29 mais c'était pas non plus vraiment infamant,
00:37:31 parce qu'il y en a eu 250 000 avec lui qui l'ont fait également.
00:37:35 Il est parti parce qu'il n'avait pas d'autre solution,
00:37:38 c'est ce qu'il a toujours affirmé.
00:37:41 Le départ en Allemagne est donc confirmé.
00:37:44 En revanche, le mystère reste entier sur la date de son retour en France.
00:37:49 En s'appuyant sur un document allemand,
00:37:51 le magazine précise que Georges Marchais serait resté outre-Rhin
00:37:55 au moins jusqu'en mai 1944.
00:37:58 Le leader communiste affirme, lui,
00:38:00 avoir quitté le pays un an plus tôt.
00:38:03 Il a dit à un moment donné qu'il s'était caché
00:38:07 dans son village natal, à la Hoguette, en Normandie,
00:38:11 sauf que personne ne se rappelle quasiment l'avoir vu sur place.
00:38:14 Et c'est un autre détail qui sème le doute sur sa présence dans la région, à l'époque.
00:38:20 Par exemple, Georges Marchais n'a jamais été capable de dire
00:38:25 ce qu'il faisait au moment du débarquement.
00:38:27 C'est quand même un événement dont tout le monde se souvient,
00:38:29 et notamment en Normandie.
00:38:31 On ne sait plus où est Marchais, mais que fait Marchais ?
00:38:33 Il y a un trou dans son passé.
00:38:35 Ma mère a fait une lettre sur l'honneur
00:38:38 et a toujours certifié que mon père n'était jamais reparti après mai 1943.
00:38:43 Et pour moi, c'est le plus important.
00:38:45 Deux jours après les révélations sur son troublant passé,
00:38:49 Georges Marchais est l'invité d'un grand rendez-vous politique, à la radio.
00:38:54 Il est arrivé là absolument comme un boxeur qui monte sur le ring.
00:39:00 C'est un climat d'une tension extraordinaire.
00:39:08 Tension extrême, j'ai rarement senti ça dans ma vie.
00:39:11 J'ai eu une première tentative d'évasion à la fin janvier 1943,
00:39:17 qui a échoué à Stuttgart.
00:39:20 La deuxième affirmation, c'est que j'ai quitté l'Allemagne au début mai,
00:39:25 probablement le 10 mai.
00:39:27 Je ne suis jamais retourné en Allemagne.
00:39:30 C'est une infâme machination contre ma personne.
00:39:34 Il était furieux, je pense qu'il était combatif,
00:39:37 mais je pense qu'on ne le croyait pas.
00:39:39 Nous avons suggéré une commission d'enquête.
00:39:42 Acceptez-vous cette commission d'enquête ?
00:39:45 J'accepte de me présenter devant quelques jurys, que ce soit.
00:39:51 Encore est-il que nous discuterons de sa composition.
00:39:55 Mais à condition que tous les hommes politiques actuellement en activité
00:40:03 fassent de même.
00:40:05 La réponse de Georges Marchais est habile.
00:40:09 Tellement habile qu'elle va mettre fin à la polémique.
00:40:13 Finalement, Georges Marchais laisse planer la menace d'ouvrir des dossiers.
00:40:19 Parce que pendant l'occupation, malheureusement,
00:40:23 beaucoup d'hommes qui tiennent encore le haut du pavé en politique
00:40:26 n'ont pas été des héros. Parfois, on collaborait.
00:40:29 Ce n'est pas illogique que Marchais l'a également à la fois et voulu dire
00:40:34 à la droite "attention parce que là on va sortir des cadavres"
00:40:38 et même au PS et à la gauche, c'était à quelques mois de la présidentielle
00:40:42 "attention François Mitterrand".
00:40:44 L'Express avait réussi son coup, journalistiquement et politiquement.
00:40:48 Donc tout le monde avait intérêt à ce qu'on passe à autre chose.
00:40:52 Et autre chose, ça a été l'élection présidentielle.
00:40:55 "Georges Marchais, je vous remercie. Invité dimanche prochain, Michel Debré, bonsoir."
00:40:59 Et Georges Marchais se veut donc serein, pas question d'apparaître ébranlé
00:41:06 par cette affaire troublante concernant son passé.
00:41:08 Cependant, reste à savoir quel impact ces révélations auront sur l'électorat.
00:41:13 Nous sommes alors en 1981. Cette fois, le leader communiste a été adoubé par son parti.
00:41:18 Il est pour la première fois candidat à la présidentielle.
00:41:22 Et il croit fermement en ses chances face à lui, le président sortant, Valéry Giscard d'Estaing
00:41:27 et son partenaire d'hier, le socialiste François Mitterrand.
00:41:31 Georges Marchais termine sa campagne présidentielle ici, à Lille.
00:41:36 A deux jours du premier tour, la mobilisation des militants est totale.
00:41:41 "Il voulait l'embrasser, il voulait lui serrer la main, surtout, voilà, il voulait le toucher."
00:41:46 "Il remplissait presque chaque semaine un stade, c'est absolument extraordinaire."
00:41:51 "Je vois encore Georges Marchais faire le tour, saluer, il y avait un enthousiasme."
00:41:56 "Battez-vous et battons-nous avec confiance, aidez-moi et l'espoir triomphera."
00:42:04 "Triomphe, triomphe, triomphe, triomphe !"
00:42:07 "Franchement, là, il croyait, il s'est battu, il était emporté par ce... dans la campagne électorale."
00:42:15 "On n'a jamais fait une campagne comme ça, on se disait, on sera devant, on sera devant Mitterrand."
00:42:21 "Les choses avancent dans le bon sens pour ce qui me concerne."
00:42:25 "Vous avez d'espoir pour dimanche ?"
00:42:27 "Je suis toujours plein d'espoir."
00:42:29 Deux jours plus tard, au cinquième étage du siège du parti,
00:42:37 Georges Marchais réunit son équipe de campagne pour suivre la soirée électorale, dans son bureau.
00:42:42 Il est maintenant 20h.
00:42:45 Valéry Giscard d'Estaing, 28,9.
00:42:50 François Mitterrand, 25,1.
00:42:53 Jacques Chirac, 17,7.
00:42:56 Georges Marchais, c'est la surprise, et la nouvelle historique, 16.
00:43:01 Georges Marchais doit être déçu, son score est un score extrêmement bas pour le PC,
00:43:07 le plus bas même depuis la Libération.
00:43:11 Il est très, très meurtri.
00:43:14 C'est un homme de caractère, il fait face, mais on sent qu'il est blessé, très blessé.
00:43:23 L'échec qui est l'échec du Parti communiste est en même temps son échec personnel,
00:43:30 puisque c'est l'échec de la présidentielle.
00:43:32 Être secrétaire général d'un parti communiste qui s'écroule comme ça,
00:43:36 et après avoir fait tous ces efforts d'ouverture, parce que sinon on ne comprend rien à rien, c'est terrible.
00:43:43 Et là, ce qui est le doute se transforme en angoisse,
00:43:46 se transforme en sentiment à un moment donné de sa propre responsabilité,
00:43:50 et là je pense qu'il commence à perdre au pied,
00:43:53 il commence à ce moment-là à se replier un peu sur lui-même.
00:43:58 Georges Marchais est amer, amer d'avoir été éliminé de la Ligue des Nations Unies,
00:44:03 amer d'avoir été éliminé de la course à la présidentielle par François Mitterrand.
00:44:09 Il est maintenant la cible des critiques, dans son propre parti.
00:44:13 Il y a des gens qui disent "mais dans quoi on a mis le doigt ? Dans quoi on s'est engagé ?"
00:44:19 Parce qu'il y en a eu deux qui doivent penser "on vous l'avait bien dit".
00:44:22 On voit bien quand même l'inquiétude, l'hésitation, comment allons-nous y prendre, qu'allons-nous faire ?
00:44:31 Officiellement, Georges Marchais soutient l'appel à voter François Mitterrand au deuxième tour,
00:44:38 que je lis à la tribune du comité central.
00:44:40 À un moment, Georges Marchais dit "écoutez, voilà, c'est ce qu'il faut faire,
00:44:45 maintenant, personne ne tient la main des électeurs dans l'isole".
00:44:52 Et durant l'entre-deux-tours, le numéro un communiste reçoit en direct
00:44:56 les journalistes Jean-Pierre Elkabach et Alain Duhamel.
00:44:59 Monsieur Georges Marchais, bonsoir, vous allez répondre à nos questions.
00:45:04 Vous vous appelez donc à voter pour monsieur Mitterrand, est-ce que ça s'appelle un désistement à sa faveur ?
00:45:11 Il est impensable de voter Giscard d'Estaing. Nous ne pouvons pas nous abstenir.
00:45:16 Nous avons donc choisi de voter pour François Mitterrand.
00:45:24 C'était difficile de soutenir davantage un contre-coeur.
00:45:28 C'est plus une couloir, c'est un bras, c'est un éléphant qu'il a dû avaler ce jour-là.
00:45:33 Pour dire les choses, en ce moment, à partir du moment où vous vous appelez à voter pour lui,
00:45:37 que vous le vouliez ou non, vous roulez pour lui.
00:45:40 Donc d'une certaine manière, il aura les mains encore plus libres.
00:45:43 Alain Duhamel, vous m'avez déjà vu rouler gratuitement, moi ?
00:45:46 Je ne sais pas, mais qu'est-ce que vous pouvez faire ?
00:45:48 Est-ce que vous m'avez déjà vu rouler gratuitement ?
00:45:50 Est-ce que vous croyez, est-ce que vous croyez, est-ce que vous croyez
00:45:54 que les 4,5 millions d'hommes et de femmes qui ont voté pour moi au premier tour
00:45:58 me pardonneraient la moindre capitulation ?
00:46:01 Pour lui, ça a dû être une période extrêmement pénible à gérer.
00:46:05 Il se rendait compte que la page était tournée,
00:46:07 que le Parti communiste avait un rôle important, la preuve,
00:46:09 mais n'était plus leader de la gauche.
00:46:12 Et d'autre part, le fait qu'il se rendait bien compte
00:46:14 qu'il y avait là l'occasion extraordinaire
00:46:16 et que sans doute la gauche pouvait gagner, la gauche allait gagner.
00:46:20 Vous faites confiance apparemment à M. Mitterrand aux socialistes.
00:46:23 Confiance.
00:46:24 Si je faisais confiance à François Mitterrand et aux socialistes,
00:46:27 je ne serais pas membre du Parti communiste
00:46:29 et je ne serais pas candidat du Parti communiste.
00:46:31 Mais vous avez bien voulu voter pour lui, il faut être logique.
00:46:34 Mais non, je fais confiance, je fais confiance d'abord à mon parti
00:46:38 et ensuite moi je fais confiance aux travailleurs.
00:46:41 L'élection de 1981, après le premier tour, n'a été pas jouée.
00:46:44 Marchand, on peut dire ce qu'on veut, mais il a joué le jeu.
00:46:48 Le 10 mai 1981, François Mitterrand fait revenir la gauche au pouvoir.
00:46:53 Dans les rues de Paris, ses militants fêtent son entrée à l'Élysée.
00:46:58 Au siège du Parti communiste en revanche, l'ambiance est plus partagée.
00:47:03 Le cœur n'y était pas, pour personne.
00:47:09 Mais là, on assumait.
00:47:11 Il fallait faire ce qu'il fallait faire.
00:47:14 L'un des dirigeants présents dit "il y a des journalistes là,
00:47:17 ils sont un peu gais, débouchez les bouteilles de champagne".
00:47:20 Il y a à la fois de la satisfaction, en même temps de la tristesse.
00:47:29 Parce que la gauche gagne, mais c'est pas nous,
00:47:32 c'est pas le Parti communiste les vainqueurs.
00:47:34 Pour lui, il était très angoissé par la victoire de François Mitterrand.
00:47:41 Ce soir-là, l'entourage du leader communiste se pose encore une question.
00:47:46 Dans le secret de l'isoloir,
00:47:48 Georges Marchais a-t-il lui-même appliqué sa consigne de vote ?
00:47:51 Je pense qu'à la fin des fins, en traînant les pieds, comme on dit,
00:47:56 il aura sans doute voté Mitterrand.
00:47:59 Mais je dis bien en traînant les pieds.
00:48:02 Je pense qu'il a voté pour François Mitterrand.
00:48:04 Je pense, oui.
00:48:06 Oui, je pense.
00:48:08 Je dirais même j'en suis sûr.
00:48:14 Après 81, il n'a plus été ce qu'il était auparavant.
00:48:17 Après 81, il n'y avait plus la flamme,
00:48:20 je pense qu'il n'y avait plus la confiance,
00:48:22 et je pense qu'il avait le sentiment que tout ce qu'il avait pu lire,
00:48:26 entendre et qu'il exaspérait sur le déclin,
00:48:28 était en train de se concrétiser.
00:48:31 Plus dur sera la chute.
00:48:38 D'abord, François Mitterrand remporte la présidentielle, et fini,
00:48:41 par asphyxier électoralement le Parti communiste.
00:48:44 Comment va alors réagir Georges Marchais ?
00:48:46 Va-t-il être fragilisé au sein du Parti communiste ?
00:48:49 Va-t-il s'accrocher à son pouvoir affaibli ?
00:48:51 Et surtout, va-t-il percevoir,
00:48:53 saisir les soubresauts de l'histoire qui, elle, est en marche ?
00:48:57 C'est ce que nous allons découvrir maintenant.
00:48:59 Le 9 novembre 1989,
00:49:04 comme des dizaines de millions de téléspectateurs,
00:49:06 Georges Marchais découvre en direct la chute du mur de Berlin.
00:49:11 Il a été complètement dépassé par les événements qui se produisaient.
00:49:14 C'était inimaginable.
00:49:15 C'était une vérité absolue,
00:49:19 des certitudes qui s'effondraient.
00:49:21 Je disais, mais regardez l'Allemagne de l'Est.
00:49:28 Ils font des choses formidables.
00:49:30 Ils font des prouesses.
00:49:32 Donc, de voir l'Allemagne de l'Est s'effondrer,
00:49:34 pour lui, c'était son univers qui se désintégrait.
00:49:38 Pendant quelques semaines et quelques mois encore,
00:49:41 le PC français fait comme si le mur n'était pas tombé.
00:49:44 C'est extraordinaire.
00:49:46 Il était comme nous avons tous été,
00:49:50 moi y compris pendant un temps, on ne voulait pas voir.
00:49:52 Ni lui, ni la plupart des dirigeants communistes, y compris moi, à l'époque.
00:49:57 Et Georges Marchais n'a pas fini d'être bousculé par l'histoire.
00:50:01 Car deux ans après la chute du mur de Berlin,
00:50:03 c'est l'ensemble du bloc soviétique qui s'effondre.
00:50:06 Ça tombe à une vitesse,
00:50:08 alors qu'on croyait que c'était une solidité inébranlable.
00:50:12 Il est très surpris par le fait que ça s'écroule comme un château de cartes.
00:50:18 Ça a été un grand choc de sa vie,
00:50:24 et un grand drame de sa vie,
00:50:25 de voir ce dont il a été le porteur de rapport s'effondrer en 15 jours.
00:50:30 C'est une aventure collective terrible,
00:50:33 et une aventure personnelle aussi terrible.
00:50:35 Il n'a pas compris ce qui se passait profondément,
00:50:38 ni en France, ni ailleurs, et encore moins en Union soviétique.
00:50:42 Et donc, ça a été au bout du compte.
00:50:45 Ça a été un grand acteur de la télévision,
00:50:49 et ça a été un politique très mi-hop.
00:50:52 Le monde communiste s'écroule,
00:50:55 et Georges Marchais s'accroche à son idéal politique.
00:50:58 Plus que jamais, je suis communiste,
00:51:03 et je pense que ce pays a vraiment besoin d'un parti communiste.
00:51:08 Il s'est interdit de penser que le communisme avait échoué,
00:51:17 et qu'il fallait passer à autre chose.
00:51:20 La peur de tout perdre, finalement.
00:51:22 Marchais devient le gardien du temps.
00:51:24 Effectivement, il s'est trouvé dans la position
00:51:28 d'une sorte de statue du commandeur, de la vérité ancienne.
00:51:32 C'était un astre mort.
00:51:34 Il reflétait une lumière dont la source avait disparu,
00:51:38 qui était l'étoile rouge qui était sur le crâne noir,
00:51:41 et qui n'illuminait plus personne.
00:51:43 C'était un évadé du passé,
00:51:46 qui continuait comme un poulet sans tête à courir, comme ça.
00:51:50 Et pendant plusieurs années encore,
00:51:53 Georges Marchais assiste impuissant à l'effondrement de son parti.
00:51:57 C'est avec respect, estime et affection
00:52:00 que nous voulons te remercier et te souhaiter, mon cher Georges,
00:52:03 bon travail avec nous tous.
00:52:05 Nous sommes le 29 janvier 1994.
00:52:12 À 73 ans, le numéro un communiste,
00:52:15 affaibli par des problèmes de santé et des attaques personnelles,
00:52:19 quitte la tête du parti
00:52:21 et cède son fauteuil à Robert Rue.
00:52:24 Robert Rue, quand papa a quitté sa responsabilité,
00:52:28 j'ai trouvé que c'était bien, psychologiquement c'était très bien,
00:52:31 il n'a pas pris son bureau.
00:52:33 Ça, j'ai trouvé que c'était... voilà, c'était élégant.
00:52:37 Comme avant, Georges Marchais retrouve chaque jour son bureau,
00:52:42 place du colonel Fabien.
00:52:44 Il garde un regard sur l'actualité, sur les choses.
00:52:52 Il est beaucoup plus libre, plus tranquille.
00:52:54 Il a continué de faire de la politique, de lire ses journaux tous les jours,
00:52:57 même quand il n'était plus le premier secrétaire,
00:52:59 d'avoir des échanges téléphoniques avec les copains, etc.
00:53:02 On parle beaucoup ensemble,
00:53:04 de très nombreuses fois,
00:53:07 ou dans son bureau,
00:53:10 mais il vient dans le mien ensuite.
00:53:12 L'ancien leader communiste tente de sauver les apparences du pouvoir,
00:53:16 mais dans son entourage, personne n'est dupe.
00:53:19 Je l'ai vu très isolée.
00:53:24 Toute la cour était partie, évidemment.
00:53:28 Ça a dû être très, très dur pour lui.
00:53:30 Quand il était secrétaire général du parti,
00:53:33 bon, au contraire, ça faisait bien.
00:53:35 Il fallait s'arrêter près du chef, n'est-ce pas ?
00:53:37 Il a dû serrer la main, enfin bon.
00:53:39 Et puis du jour au lendemain,
00:53:40 les gens passent raide comme la justice devant son bureau,
00:53:43 sans s'arrêter, sans même un geste amical.
00:53:46 "Salut, Georges !"
00:53:48 On lui fait payer le déclin du parti, d'une certaine manière.
00:53:52 C'est injuste, mais en même temps, c'est lui la figure de proue du parti.
00:53:55 À l'époque, l'historien communiste Roger Martelly
00:53:59 rencontre l'ancien secrétaire général du parti.
00:54:02 Et j'ai trouvé un homme qui était un homme en fait,
00:54:07 qui était un homme qui avait une carrière,
00:54:09 qui avait une carrière de secrétaire général du parti.
00:54:12 Et qui avait une carrière de secrétaire général du parti.
00:54:15 Et j'ai trouvé un homme qui était un homme angoissé
00:54:18 par l'image que l'histoire allait retenir de lui-même.
00:54:21 Souvent, en tête à tête, Georges Marchais m'a dit
00:54:24 "J'aurais jamais dû signer le programme commun."
00:54:27 On voyait donc un homme qui s'interrogeait sur son parcours
00:54:32 et qui n'était pas sûr que les choix
00:54:35 qu'il avait été fait dans tous les sens étaient les bons choix.
00:54:38 Et là, j'ai trouvé un homme qui était un homme d'une étonnante fragilité.
00:54:42 Délaissé par sa famille politique,
00:54:44 Georges Marchais retrouve les siens dans son pavillon de Champigny,
00:54:47 où il vit toujours.
00:54:49 Jojo fait la cuisine !
00:54:52 Pour que ça puisse agir, j'ai mis un petit peu de crème au fond.
00:54:59 Ce jour-là, c'est son fils Olivier qui filme.
00:55:02 Tu es en train de faire une omelette norvégienne, Jojo, arrête !
00:55:05 Oui, oui, une omelette norvégienne.
00:55:07 Liliane, la première spectatrice, impressionnée par son mari.
00:55:10 Tu as vu ma beso si chaude ?
00:55:12 Un gros plan sur l'omelette à Jojo.
00:55:14 Il vivait simplement.
00:55:16 Il aimait aussi les soirées décontractées.
00:55:21 C'était un homme très simple, finalement.
00:55:24 Il aimait les bonnes choses,
00:55:26 il aimait le bon vin,
00:55:29 il aimait beaucoup de choses, il aimait la vie, en clair.
00:55:32 Georges Marchais s'est habitué à vivre à l'abri des regards.
00:55:37 Mais il va retrouver les caméras
00:55:39 à l'occasion de la visite d'un ami.
00:55:42 Cette visite ne va pas sans provoquer une certaine agitation dans la ville de Champigny.
00:55:50 Le 14 mars 1995,
00:55:53 des dizaines de policiers, de journalistes et de curieux
00:55:56 guettent l'arrivée d'un invité de marque.
00:55:59 En face, il y a un immeuble,
00:56:01 et là, tout le monde se met aux fenêtres, à tous les étages.
00:56:04 Il y a des gens aux fenêtres qui regardent.
00:56:06 Et là, je devine, parce que j'entends les sirènes,
00:56:09 qu'il y a une effervescence dehors.
00:56:11 Et pour cause,
00:56:13 Georges Marchais reçoit ce soir-là l'un des derniers chefs d'État communiste,
00:56:17 le dirigeant cubain Fidel Castro.
00:56:20 Un abraço !
00:56:23 Tout va bien ?
00:56:26 Très bien.
00:56:27 Très content de visiter un ami ici.
00:56:33 C'est une maison très petite.
00:56:35 On m'a dit que la maison est petite, qu'on n'a pas de place pour tout.
00:56:38 Il voulait savoir où vivait Georges Marchais et comment vivait Georges Marchais.
00:56:43 Attention à la lumière.
00:56:54 Comment vas-tu ?
00:56:57 On peut passer chez toi ?
00:56:58 Tous les personnages avec lesquels il avait un contact permanent dans les pays de l'Est
00:57:03 avaient disparu du paysage politique.
00:57:05 Le seul personnage qui représentait encore son monde à lui,
00:57:11 c'était Fidel Castro.
00:57:12 Et c'était une façon de dire "toi tu résistes".
00:57:14 Merci.
00:57:15 Ça va, les gars ?
00:57:16 Ah, Emmanuel.
00:57:17 Ça va ?
00:57:18 Bon temps.
00:57:19 Bonne soirée.
00:57:20 Il n'y a pas eu un repas en tant que tel.
00:57:21 Il y a simplement eu, à un moment donné,
00:57:23 une dégustation de trois produits importants.
00:57:26 Il devait y avoir du foie gras, effectivement.
00:57:28 Et puis un cognac ou un armagnac.
00:57:30 Je préférerais maintenant,
00:57:33 s'il y a un bon cognac français,
00:57:36 en bon repère, tu m'entends un peu ?
00:57:39 Georges Marchais se reconnaissait un peu en Fidel Castro.
00:57:43 Il appréciait son côté battleur,
00:57:47 son côté bagarreur, aimant la foule, aimant le contact humain.
00:57:52 C'était un bon vivant aussi, Georges Marchais.
00:57:54 Il retrouvait ça chez Fidel Castro.
00:57:56 Donc Fidel, j'ai fait très léger
00:58:00 et coçonné une combinaison très légère
00:58:02 de foie gras et de mécotruff.
00:58:04 Et truffe.
00:58:05 Ah, ah, ah !
00:58:06 Ah, ah, ah !
00:58:07 Ah, ah, ah !
00:58:08 Ah, ah, ah !
00:58:09 Ah, ah, ah !
00:58:10 C'est pas possible d'affuser, hein ?
00:58:11 On va pouvoir dégager ça, non ?
00:58:13 Je vais le goûter, je suis sûr.
00:58:14 D'accord, goûtez.
00:58:15 Mais ne vous oubliez pas de mon cognac.
00:58:17 Mais n'oubliez pas mon cognac, Liliane.
00:58:18 D'accord, d'accord.
00:58:19 Le cognac qui est petit, bien.
00:58:22 Le chef d'État cubain se limitera à cette visite
00:58:25 chez son ami, sans passer au siège du Parti communiste.
00:58:29 Flatté.
00:58:34 Je ne sais pas si c'est le terme qui convient.
00:58:36 Il était heureux, c'est certain.
00:58:38 Il était heureux.
00:58:39 Malgré son retrait de la vie politique et médiatique,
00:58:44 Georges Marchais garde un œil sur les choix de son successeur.
00:58:49 Et une décision va le faire sortir de sa réserve.
00:58:52 A l'automne 1997, Robert Rue veut changer le nom du Parti communiste français,
00:58:57 comme d'autres l'ont fait en Europe.
00:59:00 Il fallait que j'affirme des positions qui étaient les miennes désormais,
00:59:05 et qui pouvaient être en décalage avec ce qu'avait été la démarche collective.
00:59:10 Et là, il a réagi.
00:59:11 Pour lui, c'était du domaine du vital.
00:59:15 Il ne sera pas dit que Georges Marchais était le faux soyeur du Parti.
00:59:18 Ce n'est pas celui qui éteindra la lumière en partant.
00:59:20 Pour exprimer sa colère,
00:59:22 Georges Marchais veut intervenir dans le quotidien communiste de l'humanité.
00:59:26 Et comme il en a eu l'habitude durant des années,
00:59:29 il rédige lui-même ce qui doit être publié, comme une interview.
00:59:33 Il a envoyé un texte dont il pensait qu'il serait repris d'une manière habituelle,
00:59:37 à savoir que l'humanité donnerait l'impression de prendre l'initiative
00:59:41 de demander son avis à Georges Marchais.
00:59:43 Ça se faisait effectivement des questions et des réponses,
00:59:45 mais c'est pour aller au plus précis et tout ça.
00:59:47 C'était une pratique qui était effectivement courante.
00:59:50 Peut-être que ce n'est pas de bonne pratique, mais en tout cas, ça existait.
00:59:54 Mais les temps ont changé.
00:59:56 Le 4 novembre 1997, le journal publie effectivement l'article,
01:00:00 mais en page 10 et en apportant cette précision.
01:00:04 Georges Marchais nous a fait parvenir hier le texte suivant,
01:00:07 qu'on lira ci-dessous.
01:00:10 Autrement dit, on dévoilait un mécanisme qui était assez habituel jusque-là,
01:00:16 mais qui, évidemment, était assez désobligeant pour lui,
01:00:20 qu'il ne pouvait vivre que de manière douloureuse.
01:00:23 Il était un peu furieux du traitement qu'on lui faisait.
01:00:27 Ça, ça lui était resté à travers la gorge.
01:00:30 L'ancien leader communiste est blessé, mais son intervention ne restera pas sans suite.
01:00:36 Robert Hume renoncera finalement à son projet.
01:00:39 Le Parti communiste français gardera son nom.
01:00:44 Est-ce réellement une victoire que ce conservatisme absolu s'en est en tout cas une pour lui ?
01:00:50 Mais peut-être pas pour son parti.
01:00:52 Quelques jours après la publication de sa tribune dans l'Humanité,
01:00:55 les ennuis de santé vont rattraper Georges Marchais.
01:00:58 Depuis son infarctus, l'ancien numéro 1 communiste souffre d'une fragilité cardiaque.
01:01:03 Et en ce mois de novembre 1997, il est admis à l'hôpital Lariboisière pour une nouvelle alerte.
01:01:11 Le personnel de l'hôpital est en train de se faire un appel.
01:01:15 Il faisait de la politique avec le personnel de l'hôpital.
01:01:20 Encore une fois, là, il défendait ses idées et il discutait avec les gens.
01:01:23 Blagant avec les infirmières, plaisantant avec les aides-soignantes,
01:01:28 se promenant dans les couloirs en tee-shirt et en boxer short,
01:01:33 plaisantant et parlant avec tous les malades avec une simplicité qui était absolument remarquable.
01:01:39 Presque jusqu'au bout de ses forces, en 1997, il suivait, ça je peux vous le dire parce que je l'ai vécu,
01:01:50 il suivait les exploits des différentes équipes du championnat de France de Ligue 1
01:01:54 et l'équipe de France de football de Méjacquet.
01:01:57 À l'hôpital, les médecins n'ont pas caché à Georges Marchais la gravité de son état de santé.
01:02:02 Il sait qu'il va mourir.
01:02:06 Il avait assez de faire ses allers-retours à l'hôpital.
01:02:10 Il était quand même très fatigué.
01:02:13 Il le savait.
01:02:15 Parce qu'en plus, il souhaitait n'avoir aucun traitement qui le diminuerait.
01:02:25 Il l'avait choisi.
01:02:32 Il est fier face à la mort, mais on n'en parle pas plus que ça.
01:02:36 Moi, je le vois comme quelqu'un de serein.
01:02:40 Comme quelqu'un de serein et quelqu'un qui est accompli par une vie bien remplie.
01:02:46 Il est fier de ce qu'il a fait, je pense, des combats qu'il a menés.
01:02:49 Il s'est battu avec confiance jusqu'à la fin de ses jours.
01:03:00 Et puis, comme beaucoup de cardiaques, il s'est éteint brutalement.
01:03:07 Mabel Mertz nous a téléphonés à 5h du matin, dès qu'elle l'a appris.
01:03:29 Je pense qu'il a vraiment voulu nous protéger.
01:03:32 Il ne voulait pas qu'on le voie mourir devant nous.
01:03:36 Comme il est de tradition, le parti se charge d'organiser les obsèques de son ancien secrétaire général,
01:03:43 en accord avec son épouse.
01:03:45 Ce 20 novembre 1997, plusieurs milliers de personnes assistent à l'enterrement de Georges Marchais,
01:03:51 dans sa ville de Champigny.
01:03:53 C'était formidable de voir ces hommes et ces femmes qui venaient lui rendre un hommage vibrant.
01:04:00 Très fière.
01:04:03 Très fière, même si je savais qu'il avait des qualités et des défauts.
01:04:08 D'ailleurs, des fois, je m'engueule avec lui, ça pouvait arriver.
01:04:12 Mais j'étais très fière de mon père.
01:04:14 Et je pense qu'il a réussi sa vie.
01:04:20 Finalement, son parcours, sa vie politique,
01:04:24 constitue une très bonne illustration du drame communiste.
01:04:28 Un bel idéal, beaucoup de dévouement, de générosité, de courage politique,
01:04:35 des bons combats, et tout cela mis au service d'un projet politique.
01:04:44 Qui s'est avéré aberrant, et même meurtrier,
01:04:48 partout où on a commencé à essayer de le réaliser.
01:04:52 Voilà.
01:04:54 Et finalement, le parcours de Georges Marchais, c'est aussi un petit peu ça, si je peux dire.
01:05:01 Contrairement à plusieurs dirigeants du parti,
01:05:07 la dernière grande figure française de l'époque,
01:05:10 refusera l'enterrement solennel au Père Lachaise.
01:05:13 Il sera finalement inhumé ici, dans sa ville.
01:05:17 Il ne voulait pas aller au Père Lachaise parce qu'il disait souvent que le Père Lachaise, c'était pour les héros.
01:05:22 Et il ne se considérait pas comme un héros, dans le bon sens du terme.
01:05:26 Et puis, il souhaitait reposer là où il avait vécu.
01:05:31 Il avait vécu à Champigny, et il souhaitait reposer à Champigny.
01:05:35 Il avait toujours gardé ce côté simple, et puis ce côté peuple.
01:05:43 C'est Marchais. C'était un homme attachant.
01:05:46 Voici donc le destin d'un homme politique, atypique, charismatique et convaincu,
01:05:59 même si plus fort que les autres.
01:06:01 Les tracteurs reconnaîtront qu'il était un adversaire absolu, haut en couleur et parfois d'ailleurs assez attachant.
01:06:07 Ce soir avec moi, deux journalistes.
01:06:10 Il fallait les rassembler. Alain Duhamel, Jean-Pierre Elkabache.
01:06:13 Vous êtes peut-être les deux personnes qui avez le plus interviewé, je pense.
01:06:16 Georges Marchais, oui, non, certainement.
01:06:18 Une dizaine de fois à la télévision et à peu près dix fois à la radio.
01:06:21 C'était devenu quoi la télévision pour lui ?
01:06:23 C'était l'estrade de l'usine ?
01:06:25 C'était le... le...
01:06:28 le champ de l'affrontement social.
01:06:31 Il est celui qui a fait passer l'affrontement social des usines,
01:06:34 ce qui était encore le cas en 68, il y était mêlé,
01:06:37 à la télévision où, comme il y avait un vrai talent,
01:06:41 il pensait qu'il y était plus efficace.
01:06:43 Rappelons juste que c'est un homme extrêmement puissant, un parti extrêmement puissant.
01:06:47 Le parti devait faire 20-22% dans l'électorat français à l'époque.
01:06:51 Il était indispensable si la gauche voulait gagner.
01:06:54 Et en même temps, il était extrêmement redouté, respecté, respecté dans son parti.
01:06:59 Et il intimidait l'ensemble de la presse, sauf peut-être Alain Duhamel et éventuellement moi.
01:07:04 Alors justement, dans ces années-là, vous l'avez rencontré à plusieurs reprises.
01:07:10 Comment ça se prépare une émission ?
01:07:12 Lui d'ailleurs, il les préparait minutieusement avec des notes ou il venait un petit peu comme ça ?
01:07:16 Non, non, non, il arrivait avec un cahier.
01:07:18 Et dans ce cahier, il avait écrit un tas de choses avec des crayons,
01:07:22 des stylos à billes de couleurs différentes, selon l'importance qu'il attachait à ce qu'il voulait dire.
01:07:29 Et il se préparait des journées entières et il mémorisait beaucoup de choses.
01:07:34 Mais en même temps, il faut reconnaître ce qu'il y a.
01:07:36 Moi, honnêtement, je ne l'aimais pas.
01:07:38 Et en plus, je le trouvais dangereux pour beaucoup de raisons.
01:07:40 Mais il avait un vrai talent. Il avait une vraie présence.
01:07:44 Quand on l'avait en face de soi, il était impressionnant.
01:07:47 Encore une fois, on n'aimait pas ce qu'il représentait.
01:07:49 Non, mais la différence entre Jean-Pierre et moi, c'est que j'étais théoriquement censé être un spécialiste du Parti communiste
01:07:56 et accessoirement le prototype du bourgeois aux yeux de marché.
01:07:59 Alors qu'avec Jean-Pierre, ils avaient une espèce de sympathie réciproque,
01:08:03 comme s'ils avaient l'un comme l'autre à démontrer quelque chose dans la société.
01:08:08 Ce qui s'agissant de Jean-Pierre est stupide, puisqu'il avait assez de talent pour ça.
01:08:11 Et s'agissant de marché, il était déplacé puisqu'il avait assez de pouvoir pour ça.
01:08:15 Impressionnant, Jean-Pierre Cabache.
01:08:17 1,80 m.
01:08:19 Une masse physique, une force de la nature.
01:08:22 En même temps, quelqu'un qui faisait régulièrement du sport, des pompes et des abdominaux.
01:08:25 Il se flattait d'ailleurs à le dire.
01:08:28 En même temps, c'est vrai qu'il préparait ses émissions.
01:08:31 Il arrivait, comme dit Alain, avec ses fiches, son cahier, qui sortait d'un vieux cartable en cuir.
01:08:39 Il le mettait sur la table et il essayait de lire pratiquement ses fiches et parfois de les retrouver.
01:08:45 Et nous, tout notre travail, c'était d'essayer dans une respiration de le couper et de poser nos propres questions, quelquefois en le désarçonnant.
01:08:53 C'est-à-dire en changeant complètement de sujet.
01:08:55 Par exemple, il était en train de faire un jour toute une tirade sur l'échec de la politique économique de Valéry Giscard d'Estaing.
01:09:03 Et je crois qu'à ce moment-là, j'ai dû lui dire "Et François Mitterrand, est-ce que c'est un allié commode ?"
01:09:09 Et là, alors justement, on va écouter cet extrait. 1977, question de Jean-Pierre Elkabal.
01:09:16 Vous allez voir, la réponse est très, très surprenante.
01:09:19 Vous travaillez avec François Mitterrand depuis 12 ans. Vous espérez gouverner l'an prochain avec lui.
01:09:24 Est-ce que vous, vous le considérez, M. Mitterrand, comme un allié totalement loyal ?
01:09:28 Je réfléchis, je ne m'attendais pas à cette question.
01:09:30 Si je fais le bilan de nos rapports, je pense qu'on peut dire que nous avons coopéré dans de bonnes conditions.
01:09:42 Coopéré dans de bonnes conditions ?
01:09:44 C'est le silence le plus long et le plus embarrassé, le plus piégé, à mon avis, de l'histoire des débats à la télévision.
01:09:51 11 secondes, c'est long quand on est en face, interminable, d'autant plus que le réalisateur de l'époque,
01:09:56 Jean Cazenave, qui était excellent, qui faisait les émissions de Bernard Pivot, a fait un plan qui se resserrait vers lui.
01:10:02 Et on avait l'impression qu'il ouvrait la bouche et rien ne sortait, comme un gros poisson dans un aquarium prisonnier.
01:10:09 Les questions les plus dérangeantes, souvent quasi-phobiques, c'était François Mitterrand.
01:10:15 Au cœur de tout cela, il y avait deux hommes que tout opposait, le prolétariat et la bourgeoisie.
01:10:20 Et en plus, les enjeux, bien évidemment, de l'époque, mais c'était véritablement souvent l'une des personnalités sur lesquelles il s'agitait le plus.
01:10:25 Oui, il y avait une dimension personnelle, évidente. C'était deux grands escrimeurs politiques, l'un en brutalité et l'autre en finesse.
01:10:36 Un boxeur et un escrimeur.
01:10:37 Mais pas seulement en finesse. Derrière ça, il y avait aussi tout ce qui était économique qui l'embarrassait.
01:10:44 Il se préparait, il avait des réponses qui étaient des clichés, mais ça l'embarrassait aussi.
01:10:49 Mitterrand aussi était embarrassé par les questions économiques, longtemps.
01:10:52 Longtemps, même s'il avait fait des progrès.
01:10:55 Il a fini par les apprivoiser.
01:10:56 Autre extrait, autre rendez-vous, 1980. On est entre les deux tours de la présidentielle.
01:11:01 On va retrouver qui ? Valéry Giscard d'Estaing, président sortant.
01:11:04 De l'autre côté, François Mitterrand. Georges Marchais a perdu. Il va réagir à votre question. On vous écoute.
01:11:11 Pour dire les choses, en ce moment, à partir du moment où vous vous appelez à voter pour lui, que vous le vouliez ou non, vous roulez pour lui.
01:11:18 Donc, d'une certaine manière, il aura les mains encore plus libres.
01:11:22 Alain Duhamel, vous m'avez déjà vu rouler gratuitement, moi ?
01:11:25 Je ne sais pas, mais qu'est-ce que vous voulez dire ?
01:11:27 Est-ce que vous m'avez déjà vu rouler gratuitement ?
01:11:29 Est-ce que vous croyez que les 4,5 millions d'hommes et de femmes qui ont voté pour moi au premier tour me pardonneraient la moindre capitulation ?
01:11:40 La moindre capitulation, Alain.
01:11:42 Il n'a fait que ça. Il n'a fait que capituler.
01:11:45 D'abord, il a eu un score. Là, il dit les 4,5 millions, mais il s'attendait à avoir autour de 20. Il a eu 16.
01:11:51 Et il était dépité et vexé.
01:11:53 Personnel être devant Mitterrand.
01:11:55 Je ne suis pas sûr qu'il espérait être devant, mais il espérait être juste derrière.
01:11:59 Juste derrière.
01:12:00 Pour peser au maximum. Et puis, sur le fond, dans toute cette période, il n'a à aucun moment mené le jeu dans le couple Mitterrand-Marchais,
01:12:10 malgré les apparences, le chef de famille, c'était Mitterrand.
01:12:13 Il tombait dans le piège de François Mitterrand.
01:12:16 François Mitterrand avait dressé le congrès qui s'était déroulé à Vienne, je crois, en 1972 ou 1973,
01:12:22 où François Mitterrand avait dit que le meilleur moyen d'étrangler les communistes, c'est éventuellement de gagner avec eux et ensuite de gouverner avec eux.
01:12:31 Il y a peut-être une anecdote, je ne sais pas si Alain s'en souvient.
01:12:33 Après l'émission, Georges Marchais nous a invités à prendre un verre dans son bureau.
01:12:37 Nous étions Fitterman, Pierre Jucquin, Alain, Jean Cazenave, Georges Marchais et moi.
01:12:42 Et à un moment donné, Georges Marchais a dit à Fitterman, Charles, combien des nôtres ne voteront pas pour François Mitterrand ?
01:12:51 Et il lui a dit 500 000.
01:12:53 Ah là là là là !
01:12:54 Ça ne lui plaisait pas. Il aurait voulu qu'il y en ait davantage.
01:12:57 Finalement, François Mitterrand remporte la présidentielle.
01:13:00 Il y aura des ministres communistes au gouvernement.
01:13:02 Quatre.
01:13:03 Inimaginable que Georges Marchais puisse intégrer ce gouvernement.
01:13:06 Oui, parce que s'il l'intégrait, il cautionnait.
01:13:08 Mais en réalité, à partir du moment où il y a eu quatre ministres communistes, mais où les socialistes à eux seuls avaient une écrasante majorité à l'Assemblée nationale.
01:13:20 Et ils n'avaient pas les grands ministères égaliers.
01:13:22 À partir de ce moment-là, il était en fait en recul, il était en déclin.
01:13:28 Et au fond, le drame de Georges Marchais, c'est que sa force principale, c'était la télévision.
01:13:35 Donc, il faisait illusion parce qu'il était bon à la télévision, mais qu'il a été l'homme du déclin du Parti communiste.
01:13:41 Est-ce qu'il revenait avec vous sur le fond, sur la forme de ses interventions ?
01:13:45 Est-ce qu'après, quand la lumière s'éteint, c'était quelqu'un qui revenait vers vous en disant "j'étais bon ou pas" ?
01:13:50 Vous savez, Miss Stinget...
01:13:51 Je n'ai jamais entendu dire "j'ai été mauvais" en tout cas.
01:13:53 Miss Stinget, quand elle descendait les escaliers du casino de Paris, elle disait "est-ce que je l'ai bien descendu ?"
01:13:58 Marchais nous disait, tous les deux, "alors, j'étais bon ?"
01:14:01 Et on avait l'impression, quand il entrait dans un studio, etc., de John Wayne dans un salon.
01:14:06 Et il était très soucieux de l'effet.
01:14:08 Et on lui disait "bon, vous avez dû faire une bonne prestation, invitez-moi..."
01:14:13 Non, on ne disait pas toujours.
01:14:14 "Invitez-moi régulièrement, je ferai monter l'écoute."
01:14:17 Et c'est vrai que l'audience montait...
01:14:19 Il avait un potentiel de l'écoute réel.
01:14:20 L'audience montait considérablement. La veille des émissions dans la rue, on nous disait "allez-y, faites-nous rire"
01:14:27 ou "posez-lui les bonnes questions", mais c'est vrai qu'une semaine après, les sondages marquaient le déclin du Parti Communiste et de son leader.
01:14:33 Tout à l'heure, vous l'avez dit clairement, sincèrement, vous ne l'aimiez pas.
01:14:36 A côté, dans la vie, il était comment ? On l'a découvert dans le document, mais avec vous, finalement, sympathique ou pas ?
01:14:41 Parce qu'on les connaît, les hommes politiques qui viennent sur le plateau, qui peuvent ne pas être sympathiques sur le plateau...
01:14:45 On peut avoir que des avis différents.
01:14:46 Ça dépendait, ça dépendait. Mais de toute façon, c'était quelqu'un qui pouvait être très drôle, mais c'était quelqu'un qui le faisait aussi beaucoup à l'intimidation.
01:14:54 Et l'intimidation, c'était vrai vis-à-vis des journalistes, dont nous, mais c'était vrai dans son parti.
01:14:59 Il ne faut pas croire que dans son parti, il y avait une espèce de vénération et d'affection universelle pour lui.
01:15:04 Il y avait aussi des gens qui avaient peur de lui, il y avait des gens qui l'avaient châtié, il y avait des gens qui l'avaient écarté,
01:15:09 et il y avait beaucoup de gens qui l'avaient piétiné.
01:15:11 Et il était aussi appliquant ces méthodes-là, lui, au sein du parti, en étant autoritaire, en étant dur avec les uns et les autres.
01:15:16 Absolument, absolument. Et les plus proches étaient terrorisés devant lui.
01:15:20 On aura compris, effectivement, une part d'affectif pour vous avec cet homme atypique, oui ?
01:15:25 Plutôt.
01:15:26 Plutôt ?
01:15:27 Non.
01:15:28 Beaucoup moins. Et heureusement, ils ne sont pas d'accord.
01:15:30 Merci à vous deux. Fin de ce numéro d'Un jour, un destin consacré à Georges Marchais.
01:15:35 À très bientôt pour de nouvelles aventures.
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