• il y a 10 mois
Entre 400 et 500 salariés Ubisoft ont répondu à l’appel à la grève nationale lancé par l'intersyndicale du fleuron du jeu vidéo français. En région parisienne, les salariés mobilisés se sont rendus devant le siège de l’entreprise pour porter les raisons de leur colère : augmentations insuffisantes et mauvaises conditions de travail.

C’est un jour à marquer d’une pierre blanche dans l’histoire d’Ubisoft, le géant français du jeu vidéo. Dès 14 heures, le piquet de grève est planté devant le studio Ubisoft à Montreuil. Les représentants syndicaux occupent le hall, avec les drapeaux de leurs syndicats : Solidaires Informatique, le Syndicat des Travailleurs du Jeu Vidéo (STJV) et la CFE-CGC.

Les représentants du personnel syndiqué, élus seulement depuis octobre 2023, appellent les salarié.e.s à faire grève dans tout le pays. Ces délégués syndicaux sont apparus à l’occasion du deuxième anniversaire du STJV, leur donnant l’aplomb de créer un précédent dans lequel les autres syndicats ont pu s’engouffrer. Pour que ces expériences de jeu soient rendues possibles, des concepteurs , des développeurs, des chefs de projet dans la narration sont indispensables à ce travail collectif. Autant d’artisans du virtuel qui se mobilisent aujourd’hui pour alerter sur l’insuffisance de leurs revenus.

Les raisons du mouvement : des négociations annuelles obligatoires (NAO) sur leurs salaires. Suivant la rentabilité occasionnée, une enveloppe était habituellemnt calculée par rapport à la masse salariale et enregistrée par le siège, proposée aux RH puis appliquée pour chaque studio. Bien qu’Ubisoft augmente ses travailleurs et propose des aides comme ce fut le cas l’an dernier pour les payes en dessous de 37 000 euros, la société continue d’utiliser les augmentations comme variable d’ajustement en les maintenant à un seuil de 2,8%. Alors même que les derniers résultats annoncés par le PDG Yves Guillemot, le 8 février 2024 sont supérieurs aux prévisions faites.

Des augmentations insuffisantes, symptôme d’un mal être global
“On est dans une situation où chaque personne compte. Une personne malade ou qui part en vacances, c’est du travail qui se répercute sur d’autres et qui les place en surcharge”, déplore Jocelyn Trudemi, directeur technique du level design.

Lors des discussions, sont évoquées les pressions exercées par le volume de travail, allant même parfois jusqu’au burn out ou au harcèlement. Des répercussions qui impactent la vie des créateurs de jeux mais aussi les jeux eux-mêmes, symboles d’une œuvre collective. Les développements prennent plus de temps, des productions sont mises à l’arrêt puis recommencées, certains sont insatisfaits de la qualité des jeux qu’ils proposent…
Transcription
00:00 Aujourd'hui on se rend compte qu'on fait partie du monde ouvrier,
00:02 qu'on n'est pas si loin finalement des mêmes revendications que le monde ouvrier.
00:04 Nos méthodes ouvrières ont changé, l'usine a changé,
00:07 et la façon de distribuer les produits a changé.
00:11 Ce sera devant le Floresco, on ne va pas rentrer dedans,
00:14 ça fera une manif jusqu'au bout.
00:16 C'est un peu tout le jeu vidéo qu'on observe comme ça,
00:22 c'est une industrie qui est née dans un néolibéralisme extrême
00:26 et qui en a été formé, déformé même peut-être.
00:30 Et donc pour beaucoup de gens, il y avait la notion que
00:32 de toute façon finalement, il n'y a plus à rechercher de choses collectives,
00:36 c'était de l'individualisme.
00:37 Pas forcément méchant, pas forcément en écrasant les autres,
00:40 mais en se disant juste "mon problème c'est mon problème".
00:43 Et donc là on a un peu cette inversion,
00:46 qu'il y ait des gens qui se disent "mais en fait ça ne marche pas,
00:48 c'est une voie de garage cet individualisme".
00:50 Et le seul pouvoir qu'on a c'est finalement des choses à l'ancienne,
00:55 c'est de savoir "ok, dans cette industrie, dans cette entreprise,
00:58 ce qui crée la valeur c'est nous".
01:00 Si on arrête de travailler, il n'y a plus de jeu, point.
01:02 Il n'y a pas de miracle, il n'y a pas de robot qui fait les jeux à notre place.
01:06 Et donc c'est aussi une façon de remettre ce point-là au goût du jour,
01:09 qui est de dire "en fait à un moment, si vous voulez qu'on continue à travailler,
01:11 il va falloir partager".
01:13 On est dans une situation où chaque personne compte,
01:23 quels que soient les services.
01:25 C'est-à-dire qu'une personne qui est malade ou une personne qui part en vacances,
01:28 c'est du travail qui se répercute automatiquement sur d'autres personnes
01:32 et qui lui donne la place en surcharge.
01:34 Ça induit plein de problèmes.
01:35 Ça induit à la fois des problèmes pour la surcharge des gens,
01:38 mais ça induit aussi de la culpabilité pour les gens.
01:41 Il y a des gens qui viennent, qui sont malades et qui viennent quand même,
01:45 parce qu'en fait ils ne veulent pas laisser tomber leur équipe.
01:49 Il y a des managers qui se surchargent de travail
01:53 pour, j'allais dire "tanker" parce que c'est un mot du jeu vidéo,
01:57 mais pour protéger leur équipe.
02:00 Et donc tout ça fait que l'année dernière et l'année précédente,
02:05 il y a des risques psychosociaux qui sont apparus.
02:07 En plus qu'il n'y ait pas de reconnaissance salariale,
02:10 fait que les gens sont encore plus enclin à accepter de faire grève.
02:22 La production de jeux vidéo comme on la connaît aujourd'hui,
02:24 ça a moins de 40 ans dans le monde entier de manière générale
02:27 et que du coup cet aspect passion dont on parlait tout à l'heure
02:32 est quelque chose qui se vit encore aujourd'hui.
02:34 C'est qu'on a eu beaucoup de temps à s'unir les uns les autres
02:38 pour se battre pour nos droits aux uns et aux autres.
02:40 Et donc du coup, je pense que ce manque de maturité
02:44 et ce manque de revendication salariale,
02:47 c'est quelque chose qui est latent et qui est très vieux
02:50 et qui commence juste à se réveiller.
02:51 Je pense que c'est problématique, elles sont de plus en plus présentes.
02:54 Et on a la chance en France d'avoir un droit du travail
02:59 qui n'est pas toujours bien respecté
03:00 et qu'on est en train de casser complètement en ce moment.
03:01 Mais au moins il est encore là, profitons-en encore
03:04 parce que je sais très bien que nos camarades,
03:06 je ne sais pas si vous le savez, mais dans le reste du monde,
03:07 ça a été une année noire pour les licenciements dans le jeu vidéo.
03:09 C'est la pire année qui a jamais existé dans le jeu vidéo.
03:12 Nous, ce n'est pas notre cas encore.
03:13 Donc il faut qu'on se batte maintenant et on ne se bat pas que pour nous.
03:15 Je pense qu'il a raison, c'est un combat qui est global.
03:19 En voyant tous les licenciements, les plans sociaux qui se passent
03:22 à droite et à gauche chez Microsoft, qui a eu chez Google, il y en a eu plein.
03:26 Je pense que le monde du cadre, des cadres et du jeu vidéo,
03:29 surtout qu'il y a ce deux mondes, artistes et cadres,
03:32 il s'est mobilisé et il commence à comprendre les enjeux qu'il a,
03:35 à se mobiliser, à avoir une représentation, à avoir une dénégociation
03:39 et à passer à un rapport de force avec le patronat
03:42 qui eux ont toujours été organisés par le patronat.
03:46 Les représentations patronales ont toujours été organisées.
03:49 Nous, on y croyait moins parce qu'on se disait
03:52 "On fait confiance au patron, on a fait des études pour ci, pour ça".
03:55 Aujourd'hui, on se rend compte qu'on fait partie du monde ouvrier
03:57 et qu'on n'est pas si loin des mêmes revendications que le monde ouvrier.
04:00 Nos méthodes ouvrières ont changé, l'usine a changé
04:03 et la façon de distribuer les produits a changé.
04:06 On aimerait être reconnus pour le travail qu'on apporte
04:09 et la valeur qu'on apporte dans l'industrie du jeu vidéo,
04:12 pas que dans l'entreprise, mais dans le monde.
04:15 Dans l'entreprise Ubisoft, finalement.
04:18 Effectivement, on a des collègues qui soit subissent du management toxique
04:26 soit ça va être des deadlines qui sont irréalisables.
04:29 Ça va être aussi des gens, par exemple, on voyait sur le projet Just Dance,
04:32 des gens qui ont été ce qu'on appelle "destaffés".
04:34 C'est des gens qui sont "mis au placard" en attendant de leur trouver un autre poste sur un autre projet.
04:38 On va avoir aussi des équipes qui sont un petit peu poussées à finir à une certaine date
04:41 parce que les dates ne sont pas forcément hyper flexibles.
04:44 Ça va quand même mettre une pression sur les équipes.
04:47 Ça va entrer aussi en compte avec ce que je disais tout à l'heure, les risques psychosociaux.
04:50 Il y a des gens parfois qui finissent en burnout,
04:53 qui sont trop poussés à bout et qui partent en dépression ou pire.
04:56 [Bruit de la foule]
05:00 [Bruit de la foule]
05:03 -Denis ? -Ouais ? -Denis ?

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