À la fin du mois de juin 2022, cela fait 10 mois que "V13" a débuté. C’est le moment pour Me Olivia Ronen de s’avancer à la barre pour plaider. Son client encourt la réclusion criminelle à perpétuité incompressible. Une peine que l’avocate compare à "une peine de mort blanche". Pendant trois heures, Olivia Ronen parle en y mettant toute sa conviction, pour son client, Salah Abdeslam. Elle souhaite qu’il soit condamné, certes, mais qu’il ait un espoir, un jour, de sortie. Pour elle, il n’y a aucun doute : son client a renoncé à tuer, ce soir du 13-Novembre 2015. Pourquoi avance-t-elle ces arguments ? Comment finit-elle sa plaidoirie ? Il est temps désormais pour la cour d’assises spéciale de délibérer, pendant trois jours cette fois. L’attente est longue. Le jour du verdict, l’ambiance dans la salle est électrique, l’atmosphère est pesante. Le verdict est rendu. C’est la fin des espoirs pour la jeune avocate. À ce moment-là, Olivia Ronen est envahie par les regrets. Par l’amertume, aussi. Aurait-elle pu obtenir une décision de justice différente ? Comment aborde-t-elle ses prochains dossiers, après une telle désillusion ? Me Olivia Ronen raconte pour la toute première fois ses sentiments face au procès qui a changé sa vie au micro de Noémie Schulz, journaliste judiciaire.
Le podcast "Le terroriste" est produit par Europe 1 Studio.
[Le 29 juin 2022, Salah Abdeslam a été condamné par la cour d’assises spéciale de Paris pour sa participation aux attentats terroristes du 13-Novembre 2015. Il n’a pas fait appel. Sa peine, la réclusion criminelle à perpétuité incompressible, est définitive. Ce podcast n’a donc pas vocation à refaire le procès. Il s’agit de le raconter avec un point de vue inédit, celui de l’avocate de Salah Abdeslam, Me. Olivia Ronen.]
Crédits
Journaliste : Noémie Schulz
Réalisation : Christophe Daviaud avec Clément Ibrahim
Production : Fannie Rascle avec Camille Bichler
Rédaction et diffusion : Lisa Soster
Musique Originale : Sandy Lavallart
Supervision Musicale : The Supervision
Visuel : Sidonie Mangin avec Axelle Maurel
Le podcast "Le terroriste" est produit par Europe 1 Studio.
[Le 29 juin 2022, Salah Abdeslam a été condamné par la cour d’assises spéciale de Paris pour sa participation aux attentats terroristes du 13-Novembre 2015. Il n’a pas fait appel. Sa peine, la réclusion criminelle à perpétuité incompressible, est définitive. Ce podcast n’a donc pas vocation à refaire le procès. Il s’agit de le raconter avec un point de vue inédit, celui de l’avocate de Salah Abdeslam, Me. Olivia Ronen.]
Crédits
Journaliste : Noémie Schulz
Réalisation : Christophe Daviaud avec Clément Ibrahim
Production : Fannie Rascle avec Camille Bichler
Rédaction et diffusion : Lisa Soster
Musique Originale : Sandy Lavallart
Supervision Musicale : The Supervision
Visuel : Sidonie Mangin avec Axelle Maurel
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NewsTranscription
00:00 Le 29 juin 2022, Salah Abdeslam a été condamné par la Cour d'Assis spéciale de Paris
00:05 pour sa participation aux attentats terroristes du 13 novembre 2015.
00:09 Il n'a pas fait appel.
00:11 Sa peine, la réclusion criminelle à perpétuité incompressible, est définitive.
00:17 Ce podcast n'a donc pas vocation à refaire le procès.
00:20 Il s'agit de le raconter avec un point de vue inédit, celui de l'avocate de Salah Abdeslam.
00:26 C'est vraiment lorsque je prépare cette plaidoirie que je réalise ce que c'est.
00:32 Qu'on dit à quelqu'un, et là en l'occurrence à quelqu'un de 32 ans,
00:37 qu'il va rester en détention toute sa vie.
00:40 Nous sommes à la fin du mois de juin 2022.
00:46 Dans leur réquisitoire, les trois avocats généraux, qui représentent la société,
00:50 ont demandé la peine la plus lourde prévue par le droit français à l'encontre de Salah Abdeslam.
00:55 La réclusion criminelle avec perpétuité incompressible.
01:00 Pour son avocate, Olivia Ronen, c'est une peine de mort blanche.
01:04 Là je réalise, lorsque j'écris ma plaidoirie,
01:09 et du coup lorsque je la soutiens devant la porte d'assises spéciales,
01:12 qu'on se propose de dire à quelqu'un qui va mourir très lentement.
01:19 Et parce qu'on l'aura décidé.
01:22 Et je me rends compte de l'hypocrisie qu'est cette peine.
01:27 Parce qu'on se gargarise de se dire qu'on a aboli la peine de mort,
01:33 que ça y est on ne coupe plus les gens en deux, il n'y a plus de guillotine, c'est formidable.
01:37 En fait là je pense qu'on est à un degré au-dessus.
01:40 On est à un degré au-dessus parce que c'est une peine de mort morale.
01:45 C'est une peine de mort lente.
01:47 Et je ne suis pas non plus débile, je savais qu'il aurait une peine très lourde Salah Abdeslam.
01:51 Je ne suis pas complètement à l'ouest.
01:55 Je savais très bien.
01:57 Mais se dire qu'on condamne quelqu'un à savoir qu'il ne reverrait jamais le ciel,
02:03 je trouve ça très compliqué.
02:06 Après dix mois de procès, l'heure de sa plaidoirie est enfin arrivée.
02:15 Je m'appelle Noémie Schultz, vous écoutez Le Terroriste,
02:19 un podcast produit par Europe 1 Studio.
02:22 Épisode 8, un goût très amer.
02:25 La mère d'Olivia Ronen est déjà venue plusieurs fois pendant le procès,
02:33 mais elle restait toujours en salle de retransmission.
02:36 Ce jour-là, Michèle s'installe dans la salle principale.
02:39 Je me souviens avoir un petit jus d'orange à la main,
02:42 parce qu'il faut que quand même j'apporte quelque chose,
02:44 sinon je ne peux pas faire grand-chose, mais au moins ça.
02:48 On nous a mis, on nous a installés dans la salle.
02:53 Je la sens quand même extrêmement tendue, très tendue,
02:57 mais elle joue le jeu.
02:59 Je veux dire, elle essaie de se montrer confiante et détendue.
03:05 Elle y va.
03:07 Elle est courageuse.
03:08 Je suis beaucoup moins.
03:10 Le cœur qui bat tellement fort, j'ai l'impression qu'on l'entend.
03:13 J'ai l'impression que vraiment mon cœur bat tellement fort qu'il va gêner.
03:18 Ça va gêner.
03:19 À côté de Michèle Ronen, se sont aussi glissés le père, les soeurs,
03:22 les meilleurs amis d'Olivia.
03:24 Quelques visages rassurants au milieu des centaines de victimes,
03:27 d'avocats, de journalistes.
03:29 C'est avec le poids de ses 450 paires d'yeux fixés sur elle
03:32 que l'avocate s'avance à la barre.
03:34 Sous le regard aussi de son client,
03:36 Salah Abdeslam est assis à quelques mètres d'elle, sur sa gauche.
03:40 Il la fixe.
03:43 Avec calme, elle pose sur le pupitre un paquet de feuilles.
03:47 Ça plaidoirie.
03:49 Il y a adhérature, des coups de stabilo jaune fluo.
03:52 Certains mots en majuscules sont encadrés, soulignés.
03:55 Parfois, un paragraphe entier est barré.
03:58 Malgré cela, ces feuilles qu'Olivia Ronen m'a montrées
04:01 quand nous préparions ce podcast sont très lisibles, très claires.
04:04 Comme sa pensée à ce moment-là.
04:06 Sa voix est telle que vous l'entendez.
04:08 Posée, très douce.
04:10 Elle contraste avec les éclats de voix auxquels les ténors du barreau
04:13 nous ont souvent habitués.
04:15 Olivia Ronen parle parfois avec passion.
04:17 Elle peut s'emporter, appuyer certains propos, mais elle ne crie pas.
04:21 Olivia qui était une petite fille plutôt réservée, timide.
04:29 Dans une salle de danse, je ne la reconnais pas.
04:33 Je ne la reconnais pas, ma fille.
04:35 Elle m'étonne, elle m'épate.
04:38 Pendant un peu moins de trois heures, elle plaide.
04:41 Je ne peux pas vous en faire le résumé en quelques mots.
04:44 Mais ce que je retiens, c'est cette idée du renoncement.
04:47 Pour elle, il est évident que Salah Abdeslam a fait un choix.
04:51 Celui de ne pas tuer.
04:53 Sinon, il aurait trouvé un autre moyen pour déclencher sa ceinture explosive.
04:57 Avec un briquet, par exemple.
04:59 Les consignes sont claires au sein de l'État islamique.
05:02 Olivia Ronen poursuit son raisonnement.
05:05 Ce renoncement doit avoir des conséquences sur la peine prononcée.
05:09 Elle doit être moins lourde, même si c'est symbolique.
05:12 Olivia Ronen plaide aussi pour l'espoir.
05:15 Celui que la réclusion criminelle à perpétuité incompressible fait disparaître.
05:19 Puis elle conclut.
05:21 Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs de la Cour,
05:24 Entendons-nous bien.
05:26 Je ne vous demande pas du courage, non.
05:29 Je vous demande d'appliquer le droit.
05:31 Avec toute la rigueur que cela implique.
05:34 Avec toute l'honnêteté que votre conscience exige.
05:37 La justice n'est pas un mouvement de foule.
05:40 Et il n'y a pas d'honneur à condamner un vaincu au désespoir.
05:44 Si vous suivez le parquet, c'est le terrorisme qui est gagné.
05:48 Et nous n'aurons plus qu'à comprendre qu'en réalité,
05:52 tout ceci n'était qu'une farce.
05:55 Olivia Ronen rassemble ses feuilles.
05:58 Elle se tourne vers le box vitré où se trouve Salah Abdeslam.
06:01 Le moment qui suit la fin de plaidoirie,
06:04 c'est un moment chez moi de très grande fragilité.
06:07 Vraiment, je sens que j'ai porté quelque chose de fort.
06:12 Que je l'ai porté avec mes tripes.
06:15 C'est un moment de sincérité pour moi.
06:20 Je montre qui je suis, ce que je pense,
06:23 et ce que je dis pour celui que j'assise.
06:25 Et j'ai mal partout.
06:27 J'ai mal partout parce que je pense que j'ai été complètement crispée.
06:30 Ce qui n'empêche que j'ai pu marcher.
06:33 Mais je réalise que j'étais extrêmement tendue.
06:38 Très très très tendue.
06:40 Ce qui fait que lorsque ça s'arrête, que je vais boire un verre d'eau,
06:42 j'ai mal partout.
06:44 Une fois n'est pas coutume, on sort du palais.
06:48 Et on se retrouve à la brasserie.
06:51 On va en changer.
06:53 Au fur et à mesure que le temps passe, on se prend la tête.
06:59 Enfin, moi je me prends la tête.
07:01 Je me pose mille questions.
07:03 Est-ce que j'ai dit ça correctement ?
07:05 Est-ce que ça on l'a entendu ?
07:07 Est-ce que telle idée, j'aurais pas dû la développer plus longtemps ?
07:09 Est-ce que j'aurais pas dû parler de ça aussi ?
07:11 Est-ce que j'ai bien fait de dire ça comme ça ?
07:13 C'est sans fin.
07:15 Vous retrouvez le sommeil après ça ?
07:17 Non pas du tout, mais moi j'ai perdu espoir de retrouver le sommeil un jour, je pense.
07:20 Après c'est vrai que la fatigue est très grande.
07:23 Mais c'est comme dans les moments où la fatigue est très grande,
07:26 mais où la tension a été énorme.
07:29 L'adrénaline fait qu'on peut pas, on est encore très éveillé, à l'affût.
07:35 Donc le temps que ça redescende, ça prend un sacré moment.
07:42 Le week-end passe.
07:46 Le lundi matin suivant, les accusés ont tous une dernière fois la parole.
07:50 Salah Abdeslam s'exprime assez longuement.
07:53 Il regrette les paroles parfois dures qu'il a tenues au début du procès.
07:57 Il les explique par le choc social qu'il a ressenti dans la salle d'audience
08:02 après six années passées à l'isolement.
08:04 Il le répète, ses excuses aux victimes étaient sincères.
08:08 Et puis il termine par ces mots.
08:10 "J'ai reconnu que je n'étais pas parfait, mais je ne suis pas un tueur.
08:14 Et si vous me condamniez pour assassinat, vous commettriez une injustice."
08:18 La cour d'assises spéciales se retire pour délibérer.
08:22 Il va falloir aux cinq magistrats professionnels qui la composent
08:26 bien plus que quelques heures pour juger les 20 accusés.
08:29 Alors, pendant trois jours, ils se retrouvent dans un lieu tenu secret,
08:33 une caserne en région parisienne.
08:35 Le verdict est annoncé pour le mercredi, en fin d'après-midi.
08:39 D'ailleurs, il faut que je vous fasse une confidence.
08:42 Ce jour-là, j'ai un cas de conscience terrible.
08:44 Au moment du verdict, ma fille aînée joue sa pièce de théâtre de fin d'année.
08:48 La couverture d'un procès implique souvent de passer à côté de moments
08:51 en famille, entre amis. C'est le jeu.
08:53 Ma V13 a déjà beaucoup empiété sur ma vie de famille.
08:56 Et je n'ai pas le cœur à rater ce moment-là.
08:58 Alors, je fais le choix difficile de ne pas assister au verdict.
09:02 "Il y a un monde fou devant la salle d'audience, partout.
09:09 Il y a un monde fou dans la salle d'audience encore plus.
09:12 Les places, vraiment, sont très disputées.
09:15 Et j'entre dans cette salle et c'est électrique.
09:20 L'atmosphère est lourde.
09:23 L'atmosphère est très lourde parce qu'on sait que quelque chose de grave va arriver.
09:27 Et c'est toujours quelque chose de grave, un verdict qui est donné.
09:31 Et là, particulièrement, je me sens partagée.
09:36 Je me sens partagée entre l'envie de savoir,
09:41 parce que j'ai hâte de savoir, et je me dis quand même,
09:44 on avait de bons arguments, on a dit plein de choses et tout,
09:46 et puis il s'est passé plein de choses au cours de ce procès.
09:48 C'est pas possible quand même qu'il ne voit pas ce qui s'est passé.
09:51 C'est pas possible qu'il mette cette peine.
09:53 Donc je me dis beaucoup ça, et je n'ai pas du tout envie de savoir.
09:57 Je n'ai pas du tout envie de savoir, parce que dès lors que je saurai,
10:02 il n'y aura plus d'espoir.
10:06 Et ça m'inquiète.
10:12 Ça m'inquiète parce que je ne suis pas sereine."
10:17 On attend très longtemps, et le verdict arrive bien plus tard
10:20 que l'heure qui nous avait été annoncée.
10:23 Et lorsque la cour rentre, je sens que c'est pas bon.
10:30 Je ne sais pas pourquoi, je sens un truc qui n'est pas bon.
10:33 Et donc les magistrats s'installent, et le président prend la parole,
10:39 et il commence à expliquer le verdict.
10:42 En fait, il explique la motivation du verdict avant d'en venir aux peines.
10:47 Et alors c'est catastrophique.
10:49 C'est catastrophique parce que la motivation qu'il est en train d'énoncer,
10:54 elle est quasi identique à l'ordonnance de mise en accusation.
10:59 Donc on se dit, en fait...
11:02 Et les débats, et les témoins...
11:05 Et puis, et c'est même d'ailleurs par là que le président commence,
11:11 il commence par dire que tout le monde est coupable de tout.
11:15 Et alors je crois qu'il y a un sentiment partagé sur les bancs de la défense,
11:20 c'est qu'on est dépité.
11:22 On est dépité, on se dit "mais c'est pas possible, ça va être terrible".
11:25 Et la peine est annoncée pour salat d'islam,
11:31 et elle est annoncée en des termes qui sont assez peu compréhensibles
11:36 pour des gens qui ne pratiquent pas le jargon juridique tous les jours.
11:41 Donc pour celui que j'assiste, par exemple,
11:45 pour le public, pour les journalistes,
11:49 je reçois douze textos, genre "mais qu'est-ce qu'il a eu du coup ?"
11:52 Parce que, alors, comme on lui dit,
11:55 je ne me rappelle plus exactement comment il a formulé ça,
11:58 mais le président dit que salat d'islam est condamné à la perpétuité,
12:02 et que, alors là il cite l'article de la période de sûreté incompressible.
12:08 Mais il ne le dit pas explicitement.
12:11 Donc il y a une espèce de doute, mais qui n'en est pas un pour moi.
12:15 Et à ce moment-là, j'en veux à la cour, déjà pour cette peine,
12:23 et j'en veux au président, parce que je trouve qu'il l'a annoncé d'une manière un peu lâche.
12:30 Parce que quand on donne une perpétuité incompressible,
12:34 on dit qu'on donne une perpétuité incompressible,
12:36 comme ça au moins on s'est bien compris.
12:39 Et que c'était une manière d'assumer.
12:41 - Vous regardez votre client ?
12:42 - Je regarde, mais je ne veux pas non plus...
12:46 Comme je sais que tout peut être un sujet, je ne veux pas en faire des caisses.
12:49 Lorsqu'il se passe...
12:52 Ça peut être visible, je ne veux pas que quoi que ce soit soit visible.
12:57 Donc on attend que ça se passe.
13:00 En fait, j'ai été naïve.
13:03 J'ai été naïve, alors je ne vais pas jusqu'au bout,
13:07 mais je me sens naïve d'avoir pensé que c'était en un seul coup qu'on allait y arriver.
13:11 Je m'en veux, moi.
13:13 En fait, on me pose la question, on me dit "mais t'as vraiment cru qu'il pouvait en être autrement ?"
13:17 Et moi j'ai dit "ben oui".
13:19 J'ai dit "oui, oui, oui".
13:22 Et en même temps, s'il n'y en a pas l'espoir qu'il en soit autrement, on n'y va pas, en fait.
13:26 Donc maintenant, quand j'y pense, je me dis effectivement que les choses paraissaient jouer d'avance.
13:36 Alors peut-être que c'est une manière de me consoler, j'en sais rien, mais...
13:39 Oui, je vois que les choses pouvaient paraître jouer d'avance.
13:42 Pour plein de raisons.
13:43 Parce qu'il fallait bien condamner quelqu'un.
13:45 Parce qu'il fallait donner le sentiment d'une justice exemplaire,
13:50 d'une justice qu'il n'asse rien passer,
13:52 de sanctionner Salah ad-Din comme un symbole.
13:56 C'est ça, en fait, qui est passé. C'est une justice symbole.
13:59 Et l'ennui, c'est qu'une justice symbole, ce n'est pas la justice.
14:02 C'est pas la justice, quoi.
14:04 Dehors, la nuit est en train de tomber. Il fait doux.
14:07 Olivia Ronen se mêle au flux qui se dirige vers les deux palais.
14:10 La brasserie n'est pas assez grande pour accueillir tous ceux
14:13 qui se retrouvent pour partager un dernier moment ensemble,
14:16 après ces dix mois de procès, cette expérience hors du commun.
14:19 Plus tard dans la nuit, les avocats généraux et même trois condamnés
14:23 qui ont déjà purgé la totalité de leur peine
14:25 se mêleront à cette foule compacte massée sur le trottoir.
14:30 Olivia Ronen, elle, pense déjà à la suite.
14:33 En droit français, toute personne condamnée peut faire appel.
14:37 Et je réalise que ça va peut-être être un dossier sur, je sais pas, dix ans.
14:42 Parce qu'il faudra probablement aller en appel,
14:45 parce qu'il faudra probablement aller en cours de cassation,
14:47 devant la CEDH, etc.
14:49 Je prends conscience rapidement que, en fait, ça va m'occuper très longtemps.
14:54 Sauf que quelques jours plus tard, Salah Abdeslam lui annonce
14:57 qu'il a décidé de ne pas contester ce verdict.
14:59 Il n'y aura donc pas d'autre procès des attentats du 13 novembre.
15:03 Évidemment que je respecte sa décision,
15:06 mais je ne cacherai pas que ça a été un deuxième coup de massue.
15:13 Là, j'ai l'impression qu'on me coupe un peu les bras.
15:17 Parce que j'aurai encore la possibilité de faire des choses,
15:20 que de l'énergie j'en ai.
15:22 C'est très fatiguant ces trucs-là, mais l'énergie j'en ai.
15:25 Je suis portée par la conviction que j'ai,
15:29 par mon envie de participer à cette offre de justice,
15:33 et pour qu'elle soit vraiment juste.
15:35 Aussi fatigant que ça puisse être,
15:40 aussi difficile, tout ce qu'on veut,
15:43 je suis prête à y aller, moi.
15:45 Je suis prête.
15:46 Mais non. On n'y va pas.
15:48 On n'y va pas, et ça, c'est très difficile à accepter pour moi.
15:54 Je ne peux que m'y faire.
15:56 Mais c'est une deuxième blessure.
16:04 L'après, il n'est pas simple.
16:08 Il n'est pas simple, déjà parce que j'ai été épuisée.
16:12 J'ai été épuisée, mais bon, on s'en remet, on prend des vacances, et voilà.
16:18 Là où ça a été beaucoup plus compliqué,
16:23 ça a été de retrouver la foi en la justice,
16:28 en l'institution judiciaire.
16:31 J'ai complètement perdu confiance, après ce procès,
16:35 en l'institution judiciaire,
16:37 qui...
16:38 qui... je me suis sentie bernée, en fait.
16:43 J'ai eu l'impression de m'être fait avoir,
16:46 donc ce procès qui ne correspondait pas du tout
16:51 aux raisons pour lesquelles j'ai fait ce métier,
16:53 m'a laissé un goût très amer.
16:56 Et savoir si on peut continuer à exercer tranquillement,
17:01 en ayant vécu une chose pareille,
17:03 en ayant vécu une espèce de...
17:06 ce que je ressens comme une injustice,
17:08 alors je sais que ce ne sera pas forcément toujours bien compris,
17:11 et s'il faut le redire, je le redis,
17:15 je ne m'attendais pas à ce qu'ils prennent une courte peine,
17:19 salaf d'Islam, je savais que la peine serait très lourde.
17:22 Je pensais juste que ce serait une peine...
17:25 qui permette...
17:28 d'espérer revoir le jour.
17:31 Donc le retour à la réalité, franchement, un peu compliqué.
17:35 J'ai eu un parcours qui a fait que je me fixais à chaque fois
17:39 des objectifs.
17:41 Où l'objectif c'était de passer le barreau,
17:44 de l'avoir tout de suite,
17:46 d'avoir un stage chez Thierry Lévy,
17:48 d'avoir cette collaboration là-bas,
17:50 de passer la conférence et de la voir,
17:53 de s'installer, d'avoir ce dossier,
17:56 lorsque l'occasion m'en a été donnée,
17:59 de le mener à bien, d'aller jusqu'au bout.
18:05 Ça c'était les objectifs.
18:08 Après on se dit, du coup, après le 13 novembre,
18:10 après l'avocat du principal accusé au 13 novembre,
18:12 on fait quoi ?
18:15 Le choc
18:19 Très vite, Olivia Ronen retrouve le chemin des salles d'audience.
18:23 Le choc est un peu rude,
18:25 notamment lors des premières comparutions immédiates.
18:27 Elle se replonge dans la justice du quotidien.
18:30 Celle où on juge quelques jours seulement après le délit.
18:33 Les affaires s'enchaînent,
18:34 les audiences se terminent parfois au milieu de la nuit.
18:37 On est bien loin des moyens alloués à V13.
18:42 À ce moment-là, je comprends qu'elle a besoin d'un peu de temps
18:45 pour digérer ce verdict, cette défense qui s'est arrêtée d'un coup.
18:48 Mais régulièrement, je lui envoie un message.
18:50 Je me rappelle à son bon souvenir.
18:52 En janvier 2023, nous déjeunons toutes les deux.
18:55 Elle se sent enfin prête à parler.
18:57 Dans le petit studio où nous enregistrons depuis plusieurs heures,
19:00 j'observe Olivia Ronen.
19:02 Elle est encore si jeune.
19:03 Je pense que ça m'a fait professionnellement mûrir.
19:09 Ça m'a donné une certaine assurance.
19:12 Sans non plus que je quitte le sol.
19:15 Mais je sais ce dont je peux être capable.
19:18 Parce que j'ai été au bout de ce procès.
19:21 Je sais que je suis capable de faire ce genre de choses.
19:24 Ça peut me donner confiance pour d'autres choses aussi.
19:27 Après, ça m'a...
19:35 J'ai l'impression d'avoir grandi.
19:38 Mais comme lorsqu'on envisage que grandir, c'est perdre ses illusions.
19:43 Donc j'ai grandi.
19:46 Mais ce n'est pas toujours très beau, ce que je vois.
19:51 Je regarde la justice avec un œil d'avocat adulte.
19:56 Au bout de sept ans de barreau, il était temps.
19:58 Mais ce n'est pas toujours joli de revêtir les lunettes de la maturité.
20:04 [Musique]
20:07 Nous arrivons à la fin de notre entretien.
20:10 Et comme vous sans doute, je suis frappée par l'amertume d'Olivia Ronen.
20:13 Sa déception, toujours vive.
20:15 Alors je lui demande, est-ce qu'il vous arrive de vous dire que tout cela, ces dix mois de procès, ont été vain ?
20:21 D'un côté, oui.
20:24 Parce que lorsqu'on n'est pas du tout entendu et que juridiquement ça n'a aucun sens.
20:28 Et que oui, je me dis, alors n'importe quoi, pourquoi on a fait ça pendant neuf mois ?
20:32 Ce n'est pas la peine. Dix mois, ce n'est pas la peine de s'enfermer tous pour finalement faire quelque chose
20:37 qui aurait très bien pu exister sans que tout cela ait lieu.
20:41 Donc en ce sens, je me dis, ça a été mais complètement vain.
20:45 Tout ce qu'on a pu dire ne sert à rien.
20:47 Et ensuite, je me rends compte que ce n'est pas vrai.
20:51 Que si sur le plan judiciaire, ça a effectivement été vain.
20:55 Et ça, voilà, c'est irrévocable, c'est comme ça.
20:59 Humainement, ça ne l'a pas du tout été.
21:03 Et c'est pour ça que je ne regrette malgré tout pas que ce procès ait eu lieu.
21:08 Je ne regrette pas d'y être allée.
21:11 Et je ne regrette pas d'avoir été l'avocate de Salah Desslam.
21:15 Il y a eu une renaissance d'un dialogue
21:21 qui a été presque inespéré.
21:26 Et qui pourtant a eu lieu grâce à ce procès.
21:30 Qu'il y a eu des possibilités de se parler à nouveau.
21:34 Et je ne suis pas sûre que tout le monde y croyait.
21:38 Et je ne suis pas sûre que c'était gagné d'avance.
21:41 Et pourtant, ça a eu lieu.
21:43 Et c'est aussi une des vertus de la justice qu'on oublie souvent.
21:47 La justice, ce n'est pas juste juger les uns les autres, mettre des peines, etc.
21:53 C'est aussi faire qu'on arrive à refaire société.
21:56 Et le fait qu'un dialogue s'opère, notamment entre des parties civiles et des accusés,
22:01 alors que personne ne pensait ça possible,
22:04 ça aussi c'est une des vertus de la justice.
22:07 Et c'est une des raisons pour lesquelles ce procès n'a pas été vain.
22:11 C'est peut-être aussi pour ça qu'Olivia Ronen a accepté de me raconter son histoire.
22:15 Qui au fond, la dépasse totalement.
22:17 Parce que les attentats du 13 novembre et le procès qui a suivi
22:20 font désormais partie de l'histoire de la France.
22:22 Celle avec un grand H.
22:24 Olivia Ronen sera pour toujours celle qui a défendu Salah Abdeslam.
22:28 Elle reste d'ailleurs, aujourd'hui encore, son avocate.
22:31 Parce qu'elle m'a fait confiance, et je l'en remercie,
22:34 vous savez maintenant pourquoi elle a accepté cette mission.
22:37 Vous venez d'écouter Le Terroriste, un podcast européen studio.
22:43 J'ai imaginé et écrit ce podcast.
22:46 Christophe Daviau et Clément Ibrahim l'ont réalisé.
22:48 Sandy Lavallart en a composé la musique.
22:51 Production, Fanny Raskl avec Camille Bichler.
22:54 Diffusion et rédaction, Lisa Soster.
22:57 Sélection des archives européens, Laetitia Casanova.
23:00 C'est la fin de cette série.
23:02 Pour terminer, je voudrais remercier Michel
23:04 d'avoir accepté d'ouvrir la porte de la famille Ronen.
23:07 Fanny, qui a rempilé pour une nouvelle aventure
23:09 et avec qui nous avons façonné ce podcast.
23:12 Christophe et Camille pour leur écoute, leur conseil précieux.
23:15 Les amis de la presse judiciaire qui rendent plus douce
23:17 la plus terrible des journées d'audience.
23:20 Et bien sûr, ma team, Colette, Anouk et Adrien.
23:25 Sous-titrage ST' 501
23:29 Sous-titrage ST' 501
23:33 Sous-titrage ST' 501
23:37 Sous-titrage ST' 501
23:40 [Sous-titres réalisés par la communauté d'Amara.org]