Durant les cinq premières semaines du procès, ce sont d’abord les victimes des attentats du 13 novembre 2015 qui sont appelées à la barre. Me Olivia Ronen n’a, pour le moment, pas la nécessité d’intervenir mais elle tient à être présente. Sur le banc de la défense, elle confie être très marquée par ces récits, ces destins brisés. Elle ne s’autorise que très peu à laisser l’émotion l’envahir. Parfois, c’est inévitable. De nombreux témoignages de rescapés font écho à la vie de l’avocate : certains ont la même tranche d’âge qu’elle, fréquentent les mêmes lieux, ont parfois fait les mêmes études. Comment ne pas s'identifier à ces histoires ? Humainement, Olivia Ronen se sent liée à ces victimes. Mais professionnellement, elle dit se sentir à sa place, du côté de la défense. Lorsqu’un témoin l’attaque personnellement, elle tient à le rappeler : chacun a droit à une défense, même pour les pires crimes. Mais pour elle aussi, comme tous ceux présents dans la salle, ces semaines sont moralement très difficiles. Comment l’avocate parvient-elle à passer au-delà de ses émotions ? Dans cet épisode du podcast "Le terroriste", Me Olivia Ronen confie pour la toute première fois ses sentiments face aux témoignages des victimes lors du procès de son client au micro de Noémie Schulz, journaliste judiciaire, également présente au procès.
Le podcast "Le terroriste" est produit par Europe 1 Studio.
[Le 29 juin 2022, Salah Abdeslam a été condamné par la cour d’assises spéciale de Paris pour sa participation aux attentats terroristes du 13-Novembre 2015. Il n’a pas fait appel. Sa peine, la réclusion criminelle à perpétuité incompressible, est définitive. Ce podcast n’a donc pas vocation à refaire le procès. Il s’agit de le raconter avec un point de vue inédit, celui de l’avocate de Salah Abdeslam, Me. Olivia Ronen.]
Crédits
Journaliste : Noémie Schulz
Réalisation : Christophe Daviaud avec Clément Ibrahim
Production : Fannie Rascle avec Camille Bichler
Rédaction et diffusion : Lisa Soster
Musique Originale : Sandy Lavallart
Supervision Musicale : The Supervision
Visuel : Sidonie Mangin avec Axelle Maurel
Le podcast "Le terroriste" est produit par Europe 1 Studio.
[Le 29 juin 2022, Salah Abdeslam a été condamné par la cour d’assises spéciale de Paris pour sa participation aux attentats terroristes du 13-Novembre 2015. Il n’a pas fait appel. Sa peine, la réclusion criminelle à perpétuité incompressible, est définitive. Ce podcast n’a donc pas vocation à refaire le procès. Il s’agit de le raconter avec un point de vue inédit, celui de l’avocate de Salah Abdeslam, Me. Olivia Ronen.]
Crédits
Journaliste : Noémie Schulz
Réalisation : Christophe Daviaud avec Clément Ibrahim
Production : Fannie Rascle avec Camille Bichler
Rédaction et diffusion : Lisa Soster
Musique Originale : Sandy Lavallart
Supervision Musicale : The Supervision
Visuel : Sidonie Mangin avec Axelle Maurel
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00:00 Le 29 juin 2022, Salah Abdeslam a été condamné par la Cour d'Assis spéciale de Paris
00:05 pour sa participation aux attentats terroristes du 13 novembre 2015.
00:09 Il n'a pas fait appel.
00:11 Sa peine, la réclusion criminelle à perpétuité incompressible, est définitive.
00:17 Ce podcast n'a donc pas vocation à refaire le procès.
00:20 Il s'agit de le raconter avec un point de vue inédit, celui de l'avocate de Salah Abdeslam.
00:27 Le 13 novembre 2015, c'est très particulier pour moi
00:30 parce que je ne suis pas dans mes quartiers habituels parisiens.
00:35 À l'époque, Olivia Ronen a 25 ans. Elle vient de finir l'école des avocats.
00:39 J'avais l'habitude de sortir dans le 11e arrondissement.
00:43 C'était le quartier de prédilection et le 13 novembre 2015, je suis en Asie,
00:48 au Vietnam particulièrement, dans la Baie d'Hallong.
00:52 Ce qui fait qu'il y a un décalage horaire extrêmement important
00:56 et qu'à 6h du matin, je sens que mon portable vibre beaucoup
01:01 et que je reçois énormément de messages qui essaient de savoir si je vais bien,
01:06 si je suis à l'abri, je ne comprends pas ce qui se passe.
01:10 Je suis évidemment extrêmement inquiète
01:13 et d'autant plus inquiète que je n'ai pas l'accès à Internet.
01:17 Je ne peux pas me renseigner pour savoir exactement ce qu'il en est.
01:21 Vraiment, je ne suis pas bien.
01:25 Je ne suis pas bien, mais à l'abri.
01:26 Donc, je n'ai pas de quoi me plaindre du tout.
01:30 Et finalement, j'arrive à récupérer le portable de quelqu'un
01:34 pour essayer de me renseigner un peu mieux.
01:36 J'apprends que mes proches sont en sécurité, qu'ils n'ont rien.
01:41 Et voilà, je leur demande de plus jamais sortir de chez eux
01:44 parce que je suis très inquiète.
01:45 Six ans plus tard, le procès de ces attentats vient de s'ouvrir.
01:54 Il y a plus de 2500 parties civiles.
01:56 Des rescapés, blessés physiques ou psychologiques.
01:59 Et puis les proches des victimes, vivantes ou disparues.
02:02 250 ont décidé de venir raconter leur histoire à la cour d'assise.
02:07 D'autres feront la démarche plus tard pendant le procès.
02:09 Ces témoignages sont prévus pour durer cinq semaines, tous les jours,
02:12 de midi à 20 heures, au-delà si nécessaire.
02:16 L'avocate Olivia Ronen souhaite être présente le plus souvent possible pour les écouter.
02:20 Juste derrière elle, dans le box vitré des accusés, il y a son client.
02:24 Salah Abdeslam.
02:26 Je m'appelle Noémie Schultz, vous écoutez Le Terroriste,
02:29 un podcast produit par Europe 1 Studio.
02:31 Épisode 5, des carnets pleins de larmes.
02:34 Comme tous ceux qui suivent le procès,
02:41 je redoute ces longues semaines de témoignages de parties civiles.
02:45 J'ai pourtant l'habitude d'entendre la souffrance des victimes.
02:47 Il y en a dans tous les procès d'assise auxquels j'assiste.
02:50 Des parents dont l'enfant a été tué,
02:52 des frères, des sœurs qui ont grandi avec l'absence.
02:55 C'est toujours une épreuve.
02:57 Mais les procès terreaux, c'est autre chose.
02:59 C'est de la souffrance démultipliée.
03:00 Il y a autant de vies brisées que de parties civiles.
03:03 Le malheur des uns s'ajoute au malheur des autres.
03:06 Et puis il y a l'horreur de ce qui a été vécu.
03:08 Ces scènes de crimes semblables à des scènes de guerre.
03:11 Les rescapés se sont vus mourir.
03:13 Ils ont entendu autour d'eux les gens souffrir, appeler à l'aide, s'éteindre.
03:17 Des années plus tard, malgré le travail avec les psychiatres,
03:20 malgré les médicaments, l'hypnose, le MDR,
03:22 les antidépresseurs, les anxiolytiques, les plantes,
03:26 malgré l'amour de leurs proches,
03:27 certains vont toujours aussi mal.
03:29 Un an plus tôt, j'ai été profondément marquée par les récits des victimes d'une autre série d'attentats.
03:38 Ceux de janvier 2015.
03:41 Mes confrères du Monde avaient d'ailleurs conclu leur article par cette jolie formule.
03:44 "Il ne faut pas secouer trop nos carnets, ils sont pleins de larmes."
03:47 Il est vrai qu'il y a quand même une certaine appréhension.
03:50 Tout d'abord parce qu'on sait que ça va être une phase très longue
03:53 et qu'on avance sur une période du procès qui va prendre un certain temps
03:59 et qui surtout va être une phase très dense.
04:03 Très dense en émotions.
04:05 Moi je m'étais préparée à ça, que ce soit en me disant que ça va être compliqué,
04:09 mais aussi en lisant les procès-verbaux des dépositions de parties civiles.
04:16 Je n'étais pas forcément obligée parce que ça n'avait pas de lien direct
04:20 avec les charges qui étaient retenues contre Salah Abdeslam.
04:23 Mais malgré tout je m'y suis astreinte parce que j'avais envie de savoir
04:29 un peu ce à quoi ça allait ressembler.
04:31 Donc j'avais fait une espèce de travail de préparation.
04:34 Je savais à peu près la physionomie qu'une telle déposition pouvait avoir.
04:40 Après il y a une vraie différence entre lire des témoignages et les entendre.
04:47 Lors des dépositions des victimes qui étaient sur les terrasses,
04:50 il y a une toute jeune femme qui s'avance à la barre,
04:55 qui indique qu'elle se prénomme Maya
04:58 et qui ensuite va faire avec une très petite voix,
05:03 vraiment un filet de voix mais très audible et très clair,
05:07 qui va nous expliquer comment la soirée du 13 novembre 2015 s'est passée pour elle.
05:13 Elle nous explique qu'elle est avec son mari,
05:16 avec lequel elle travaille, ils sont tous les deux architectes.
05:20 Ils ont également deux, trois autres amis avec eux.
05:24 Et ça m'a marquée, ils imaginent leurs 30 ans
05:29 et ce qu'ils allaient faire pour l'anniversaire des 30 ans.
05:33 Et cette jeune femme, avec beaucoup d'émotion dans la voix,
05:39 mais en arrivant quand même à parler de manière extrêmement digne,
05:42 elle nous explique que son mari décède sous les balles,
05:48 qu'elle perd également certains de ses amis
05:51 et que tous ses projets d'avenir dont il était particulièrement question lors de cette soirée,
05:57 tous s'écroulent.
06:02 C'est vrai que lorsqu'on entend un témoignage comme celui-là,
06:06 on s'identifie, on s'imagine en train de perdre celui qu'on aime,
06:13 de subir cette scène-là, de se dire que l'avenir n'a plus beaucoup de sens.
06:19 Bien sûr que le parallèle existe,
06:24 alors après, il ne faut pas non plus trop en faire parce que c'est sa souffrance à elle
06:29 et qu'il faut compatir plutôt qu'essayer de se l'attribuer un peu.
06:33 Mais bien sûr que je ne peux pas m'empêcher de penser
06:39 qu'on a le même âge et qu'il y a quelque chose qui nous lie aussi par là.
06:43 Il y a d'ailleurs certaines personnes que je connais un peu,
06:49 avec lesquelles j'ai pu faire mes études,
06:53 que j'ai pu connaître en certaines occasions,
06:55 que je vois à cette barre et qui ont été touchées.
06:58 Donc ce n'est pas évident à appréhender,
07:01 mais je ne veux pas non plus en faire trop parce que ce n'est pas moi qui y suis.
07:09 Et que j'ai eu la chance d'être épargnée.
07:12 Peut-être qu'à une semaine près, les choses en auraient été différemment,
07:15 et bien sûr que j'ai ça en tête.
07:17 Dans le studio où nous enregistrons,
07:20 quand je demande à Olivia Ronen quel témoignage l'ont le plus marqué,
07:23 je me rends compte que nous avons retenu les mêmes histoires.
07:26 Celle de Maya d'abord, mais aussi celle de Gaëlle.
07:29 Gaëlle est ce qu'on appelle une gueule cassée.
07:32 Comme les soldats pendant la première guerre mondiale.
07:34 Sauf que le 13 novembre, elle n'était pas dans une tranchée,
07:37 mais dans une salle de concert.
07:39 Des balles de Kalachnikov ont troué son bras gauche
07:41 et emporté une partie de son visage.
07:44 Les enfants de son entourage l'appellent la pirate.
07:47 Gaëlle a des rêves simples.
07:49 Croquer dans une pomme sans risque,
07:51 boire un café sans que ça coule à côté,
07:53 et embrasser sans avoir peur de dégoûter.
07:55 C'est toujours quelque chose de voir les personnes qui arrivent à la barre.
07:59 Souvent on arrive à capter des choses d'une démarche, assurée ou pas.
08:04 On arrive à se faire une idée de la tonalité du témoignage qui va suivre.
08:08 Et là c'est vrai que je vois quelqu'un qui marche dans bon pas,
08:11 qui a l'air plutôt sûre d'elle.
08:14 Et donc elle nous explique, avec presque un détachement au début,
08:20 qui ensuite se fendra,
08:23 mais elle nous explique qu'il a fallu avaler ses dents
08:28 pour éviter de tousser et d'attirer l'attention sur elle.
08:33 Gaëlle raconte qu'elle a subi énormément de chirurgie,
08:39 qu'elle a 40 ans, qu'elle a subi 40 chirurgies,
08:43 qu'elle espère que ce ne sera pas pareil pour ses 70 ans.
08:47 Et de là où je la vois,
08:50 on ne peut pas deviner qu'il lui est arrivé quelque chose.
08:52 Parce que je la vois un peu de trois quarts,
08:54 je vois cette chevelure, je vois une très belle femme, beaucoup d'allure.
08:58 Et elle nous explique qu'elle va avoir cette nouvelle opération
09:01 et je l'imagine repassée sur la table de chirurgie.
09:07 Je l'imagine peut-être les cheveux rasés,
09:09 alors là c'est peut-être moi qui me fais des films.
09:11 Mais c'est vrai que je vois toutes ces choses-là et ça me fend le cœur.
09:15 Ça me fend le cœur parce qu'on sent que ce n'est pas juste un moment dans une vie
09:21 et que ça l'a marqué à jamais et que ça continuera de la faire souffrir à jamais.
09:26 Nombreuses ont été les occasions où j'ai eu envie de pleurer
09:32 pendant ces témoignages, très nombreuses.
09:36 Je m'en suis quasiment toujours empêchée.
09:41 Je m'en empêche parce qu'il faut quand même tenir le mât.
09:48 C'est un peu ce qu'on pouvait se dire,
09:53 c'est que je n'ai pas vraiment la possibilité de montrer les failles.
09:58 Donc le plus souvent je m'empêche de pleurer et ça n'arrive quasiment pas.
10:03 Ça arrive une fois avec Gaëlle parce que je suis fatiguée,
10:08 parce que je sens que c'est un trop-plein et que je n'arrive plus trop à gérer.
10:13 On a attendu énormément de témoignages à ce moment-là,
10:16 je ne sais pas, on doit être à trois ou quatre semaines de témoignages,
10:19 donc c'est très très long, très très dur.
10:22 Que celui-là me touche particulièrement.
10:25 Et voilà, après je ne m'écroule pas, je ne m'effondre pas.
10:31 Par contre des larmes coulent.
10:33 Et si j'ai beaucoup pesté contre le port du masque pendant ce procès,
10:37 j'avoue que là je suis plutôt contente qu'il soit là pour absorber directement
10:41 lorsque les larmes commençaient à couler.
10:43 Ce soir-là, je me dépêche de rentrer chez moi pour fêter les neuf ans de ma fille aînée.
10:48 C'est un moment heureux bien sûr, mais rien n'y fait,
10:51 ni les bougies soufflées, ni la coupe de champagne.
10:53 Mentalement je n'arrive pas à quitter la salle d'audience,
10:55 je n'arrête pas de penser à Gaëlle.
10:57 Pendant ces semaines d'audience consacrées au parti civil,
11:04 les accusés restent la plupart du temps silencieux.
11:06 Ils écoutent.
11:08 Leurs avocats aussi sont en retrait.
11:10 Ce n'est pas le temps de la défense.
11:12 Olivia Ronen s'est fixée pour règle de ne jamais interrompre ses victimes.
11:15 De les laisser exprimer leurs émotions.
11:17 Leur colère aussi.
11:19 Le 29 septembre, Olivier, un rescapé de la fusillade au bar Le Carrillon,
11:24 s'avance à la barre.
11:25 Et il raconte.
11:26 Il a reçu une balle de Kalashnikov dans le bras.
11:28 Son ami Sébastien est mort, touché à sept reprises.
11:31 Alors il crie dans le micro.
11:34 Il faut savoir ce que ça fait, cette balle.
11:36 Ça fait boom, boom, boom, boom, boom, boom, boom.
11:40 Je sursaute.
11:42 Comme beaucoup dans la salle.
11:44 J'aperçois un homme qui se bouche les oreilles.
11:46 Le témoignage d'Olivier est très virulent.
11:48 Il est exaspéré par les provocations de sa lab d'Islam.
11:51 Quelques jours plus tôt, celui-ci a dit à propos des terroristes,
11:54 ce sont mes frères.
11:56 A la fin de sa déposition, Olivier l'interpelle directement
11:58 et le traite de racaille.
12:00 Cette fois, Olivia Ronen se lève pour protester.
12:02 Ce jeune homme se tourne vers moi et me dit,
12:06 "Maitre, il faut mieux choisir ses clients
12:09 parce qu'à mal les choisir comme ça, on va finir par leur ressembler."
12:12 Je ne dirais pas que cette phrase m'a bouleversée,
12:16 mais je dirais qu'elle m'a marquée
12:19 parce qu'elle m'a rappelé que rien n'est acquis.
12:23 Et que notamment, le rôle de l'avocat en défense n'est jamais acquis.
12:27 Voilà.
12:28 Et que si on a l'impression que le fait de dire
12:32 que chacun a droit à une défense,
12:34 que les meilleurs avocats doivent être là pour les accuser
12:37 qui sont dans les situations les plus graves, etc.,
12:40 on a l'impression que c'est un peu tarte à la crème parfois.
12:42 Et en fait, c'est toujours, toujours, toujours nécessaire de le rappeler.
12:45 Et je crois qu'il est toujours nécessaire
12:47 de faire ce travail de pédagogie pour ne pas qu'on oublie
12:50 pourquoi il y a des avocats de la défense.
12:52 Je ne vis pas forcément très bien ces semaines-là
13:00 parce qu'elles sont humainement très, très difficiles à gérer.
13:04 Le matin, je ne suis pas ravie d'aller au procès.
13:07 Je n'y vais pas avec un train, c'est certain.
13:11 Le soir, je repars lester.
13:14 Je sens que je dois traverser le tunnel.
13:19 Mais moralement, oui, c'est difficile.
13:21 Moralement, c'est difficile.
13:22 Après, j'essaye de mon côté de mettre un peu un couvercle
13:28 sur ces émotions parce que je...
13:31 Il y a une question de temps.
13:33 Je n'ai pas le temps de les analyser.
13:35 Je n'ai pas le temps de les faire ressortir.
13:37 Je n'ai pas le temps d'en discuter avec un psy.
13:39 Je n'ai pas le temps de tout ça.
13:40 Et je me souviens que je rêve beaucoup
13:43 et je cauchemarde beaucoup.
13:47 Non pas parce que c'est une position difficile
13:49 en tant qu'avocat de la défense.
13:51 Le questionnement, je ne l'ai jamais eu
13:53 parce que je me savais à ma place.
13:55 Par contre, humainement, oui, c'est dur.
14:01 Moi aussi, il faut que je vous raconte
14:03 quelque chose de plus personnel.
14:05 Quelque chose qui m'est arrivé pile un an plus tôt.
14:07 On est alors en plein procès des attentats de janvier 2015.
14:10 Un matin, je me retrouve à attendre devant un laboratoire médical
14:13 pour faire un test PCR.
14:15 Nous sommes peut-être 10 ou 15 dans la file.
14:18 Une voiture passe devant nous.
14:20 Elle roule très doucement.
14:21 Et le conducteur nous regarde.
14:23 Je ne sais pas pourquoi exactement,
14:24 mais je trouve qu'il a l'air mauvais.
14:26 Puis il démarre, en trombe,
14:28 et fait vrombir son moteur très fort.
14:30 Finalement, il fait demi-tour,
14:31 comme s'il voulait repasser devant nous.
14:33 À ce moment-là, mon cerveau commence à paniquer.
14:35 Je pense à l'attentat de Nice,
14:36 au camion qui a roulé sur des dizaines de personnes
14:38 le 14 juillet 2016.
14:40 Je cherche de regarder les endroits
14:41 où je pourrais me mettre à l'abri,
14:42 un Porsche, une porte-cochère.
14:44 Et je regarde les gens autour de moi.
14:46 Ils ont tous le nez collé sur leur téléphone.
14:49 Je me dis, mais ils n'ont pas vu qu'on va se faire écraser ?
14:52 Quelques secondes plus tard, la voiture repasse.
14:54 Et elle s'éloigne.
14:56 Le conducteur avait sûrement besoin de faire un test, lui aussi,
14:58 et il s'est juste agacé de voir qu'il y avait déjà autant de monde.
15:01 La peur, la panique que je ressens ce matin-là,
15:04 je les mets d'abord sur le compte de la fièvre.
15:06 Mais ça ne passe pas, ça ne me lâche pas.
15:08 Alors, quelques semaines plus tard, j'en parle à un médecin.
15:11 Et lui pose un diagnostic.
15:13 Le stress post-traumatique par procuration.
15:16 AV13, un psychiatre, est venu décrire précisément cette pathologie.
15:20 Elle peut toucher tous ceux qui passent beaucoup de temps
15:22 au contact des victimes.
15:24 À force d'entendre ces témoignages de mort,
15:26 de traumatisme, de souffrance indicible,
15:28 on finit par développer soi-même un syndrome qui a un nom.
15:31 Le stress post-traumatique vicarian.
15:33 Les soignants, bien sûr, sont en première ligne.
15:36 Mais les avocats, les magistrats, les journalistes
15:38 peuvent aussi être concernés.
15:40 Chez moi, ça se traduit par une hyper-vigilance.
15:42 Quand j'entends des cris dans la rue, par exemple,
15:44 je commence toujours par imaginer le pire.
15:46 Et aujourd'hui encore, ça n'a pas complètement disparu.
15:49 Pendant ce procès, j'ai eu des plaques
15:53 que je pouvais avoir sur la peau
15:55 parce qu'il y avait probablement plein de choses
15:57 que je n'arrivais pas à extérioriser par la parole
15:59 qui, du coup, l'était par mon corps.
16:01 J'ai eu aussi une grosse période de quasi-surdité.
16:06 Ce qui fait que j'ai eu les oreilles complètement bouchées.
16:10 J'étais au procès, je demandais à Martin
16:13 "Est-ce qu'il y a du bruit ? Qu'est-ce qui est en train de se passer ?"
16:15 Je ne suis pas sûre de bien.
16:17 Et donc, je pense que la fatigue, les émotions
16:20 et ce trop plein de souffrance
16:22 qui m'avait imprégnée très fort,
16:26 peut-être m'avait rendue sourde à un moment donné.
16:29 Je ne sais pas, j'extrapole peut-être.
16:31 Je me suis renversée une casserole d'eau bouillante sur la jambe.
16:36 Donc, j'étais brûlée très profondément.
16:39 Et ce qui, là aussi, je pense, pouvait marquer physiquement
16:44 une espèce d'imprégnation profonde
16:46 que j'avais pu avoir tout au long de ce procès.
16:49 À cette période-là, se met en place une espèce d'habitude
16:53 qui pourra inquiéter.
16:55 Une espèce d'habitude qui est de passer à la brasserie
16:59 qui est juste en face du palais, qui est une institution
17:02 où on retrouve généralement deux, trois copains.
17:05 Mais là, ça devient vraiment un rituel.
17:08 À chaque fin d'audience, de descendre les marches du palais de justice
17:12 et de se dire "Ah, c'est là que je vais me faire un petit déjeuner".
17:16 Et de descendre les marches du palais de justice
17:19 et de se poser même quelques instants,
17:21 pas forcément pour résister toute la soirée,
17:23 mais au moins une demi-heure, une heure,
17:25 pour discuter avec ceux qui ont vécu la même journée que nous.
17:31 Et ça, c'est important parce qu'on vit des choses tellement fortes
17:36 qu'on a besoin de ce sas de décompression
17:39 pour éventuellement débriefer ce qui vient de se passer à l'audience,
17:42 ce qui vient d'être dit et entendu,
17:44 mais aussi pour parler d'autres choses et dire n'importe quoi.
17:49 Ce qui, parfois, met dans des situations un peu intéressantes
17:56 parce que lorsqu'on sort du procès,
17:58 il n'y a pas les avocats de la défense d'un côté
18:01 et tout le reste du monde de l'autre.
18:03 Il peut arriver, pas tout le temps,
18:05 mais il peut arriver qu'on se mêle les uns aux autres.
18:08 Ce qui fait que quelque chose d'un peu particulier se crée.
18:11 C'est vrai qu'il y a l'idée que personne d'autre ne peut comprendre
18:14 ce qui se passe dans cette salle d'audience
18:16 parce que c'est tellement particulier,
18:18 parce qu'il y a tellement de sentiments qui se mêlent,
18:21 parce qu'on est tellement face à des choses terribles,
18:25 mais en même temps, parfois, des choses très belles qui arrivent.
18:28 Qu'être face à ça, voir ces différents sentiments qui se mêlent,
18:34 ça ne laisse personne indifférent
18:36 et ça nous rend, nous aussi, un peu différents
18:39 de ce qui se passe dans le reste de Paris ou ailleurs, on va dire.
18:43 Le fait d'entendre que des gens ont vu leur vie définitivement brisée,
18:54 avec l'impression que c'est irrémédiable,
18:58 c'est très difficile.
19:00 C'est très difficile parce que l'espoir n'existe plus, on a l'impression.
19:08 Après ces cinq semaines très éprouvantes,
19:10 le procès entre dans une nouvelle phase.
19:12 On va aborder le fond du dossier,
19:14 c'est-à-dire ce qui est reproché aux accusés.
19:16 C'est maintenant qu'Olivia Ronen entre vraiment en scène
19:18 comme avocate de la Défense.
19:20 Vous venez d'écouter Le Terroriste,
19:24 un podcast européen produit par Europe 1 Studio.
19:27 Réalisation, Christophe Daviau avec Clément Ibrahim.
19:30 Production, Fanny Rascl avec Camille Bichler.
19:33 Diffusion et rédaction, Lisa Soster.
19:36 Musique originale, Sandy Lavallart, The Supervision.
19:40 Je vous donne rendez-vous dès maintenant pour découvrir l'épisode 6,
19:43 Le Poids du silence.
19:45 Salah Adeslam, ce n'est pas mon pantin.
19:47 Il garde toutes ses libertés.
19:49 Et si à un moment donné, il a envie de reprendre cette posture
19:54 qui lui alliait bien la dernière fois,
19:56 parce qu'elle était très confortable,
19:57 ce n'est pas moi qui décide, c'est lui.
19:59 Le Terroriste est disponible sur toutes les plateformes,
20:01 ainsi que sur le site et l'application Europe 1.
20:04 Si vous voulez poursuivre l'échange,
20:06 je vous retrouve sur les réseaux sociaux
20:07 où je continue tous les jours à raconter les procès que je suis.
20:10 A bientôt.
20:12 Sous-titrage Société Radio-Canada