• il y a 10 mois
Les manifestations actuelles des campagnes sont-elles l’une de ces secousses dont le monde rural est coutumier ou le chant du cygne du système agricole construit par le Général de Gaulle avec la PAC (politique agricole commune) il y a 60 ans ?

Comprendre les ressorts profonds de la crise et évaluer les chemins possibles de réinvention de la politique agricole, c’est le sujet de cette émission, intitulée « La fin des paysans » à laquelle participeront Marion Guillou, ancienne présidente de l’INRA (Institut national de la recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement) et présidente de l’Académie de l’Agriculture et Vincent Chatellier, président de la société française d’économie rurale.
Année de Production : 2023

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00:00 [Musique]
00:14 – Bonsoir et bienvenue dans "Élémentaire", l'émission de Public Sénat
00:18 qui cherche à donner de la profondeur de champ aux éléments de l'actualité.
00:21 Les manifestations des agriculteurs auxquelles nous assistons
00:24 depuis quelques jours sont-elles l'une de ces nombreuses secousses
00:27 que connaît le monde rural depuis les jacqueries paysannes du Moyen-Âge
00:32 ou bien est-ce le champ du signe d'un système agricole
00:35 bâti par le général de Gaulle à la fin des années 60
00:39 et qui est en train de disparaître ?
00:41 La France cessant d'être une grande puissance agricole,
00:46 la population paysanne disparaissant comme peau de chagrin
00:50 et les fermes devenant des firmes.
00:53 En tout cas, la révolte suscite une grande émotion
00:55 et d'ailleurs de mon point de vue légitime parce que non seulement
00:59 les paysans sont les jardiniers de notre paysage et les gardiens du vivant
01:04 mais ils sont aussi le lien qui nous relie à l'histoire millénaire de notre pays.
01:11 Au-delà de l'émotion, quels sont les ressorts de cette crise ?
01:14 Quelles sont ses causes ? Comment peut-on en sortir ?
01:17 Sujet éminemment complexe mais que nous allons essayer de traiter simplement
01:21 dans cette émission que nous avons intitulée en empruntant ce nom
01:25 à un livre célèbre d'Henri Mandras "La fin des paysans"
01:29 avec un point d'interrogation.
01:31 Et pour nous aider dans cette tâche, deux experts, Marion Guilloux,
01:36 bonsoir, ancienne PDG de l'INRA,
01:38 l'INRA c'est le grand institut de recherche agronomique,
01:41 le deuxième institut du monde par le nombre de ses publications scientifiques.
01:47 Vous êtes aussi membre du Haut conseil du climat
01:49 et vous êtes surtout présidente de l'académie d'agriculture
01:52 qui existe depuis 1761.
01:56 Vincent Châtelier, bonsoir, vous êtes chercheur en économie
01:59 et vous présidez la Société française d'économie rurale.
02:03 Nous allons, si vous le voulez bien, essayer d'éclairer le sujet sous deux angles.
02:07 D'abord en essayant d'identifier les nœuds gordiens
02:11 dans lesquels paraît s'enfermer l'agriculture française
02:15 et ensuite en essayant de voir comment on peut trancher ces nœuds-ci si c'est possible.
02:20 Il me semble qu'il y a trois dilemmes si on simplifie.
02:23 Le premier nœud gordien, Vincent, c'est le libre-échange d'un côté
02:28 et le maintien de l'agriculture de l'autre.
02:30 Est-ce qu'on peut sérieusement imaginer de maintenir notre système agricole tel qu'il est
02:35 compte tenu des contraintes qui pèsent sur lui,
02:38 des contraintes de diversité mais même des contraintes de notre modèle social
02:42 dans un marché ouvert et compétitif ?
02:46 Il y a deux niveaux dans la réponse.
02:48 Il y a d'abord le niveau mondial, c'est-à-dire la connexion de l'Union européenne au monde.
02:53 Il y a aussi le libre-échange à l'intérieur de l'Union européenne.
02:57 Donc c'est deux dossiers différents.
02:58 Sur le premier dossier, la relation de l'Union européenne aux autres pays du monde,
03:04 cette relation finalement n'est pas si mauvaise que ce qu'on entend partout.
03:09 Aujourd'hui, la balance commerciale de l'Union européenne à 27,
03:12 le Royaume-Uni étant sorti, elle est de 30 milliards d'euros.
03:16 Il n'y a qu'un seul pays dans le monde qui fait mieux que l'Union européenne,
03:20 c'est le Brésil, 60 milliards d'euros.
03:23 Et donc cette situation de balance commerciale,
03:26 elle s'est nettement améliorée, contrairement à ce qu'on peut entendre.
03:30 Nous étions à 10 milliards en 2010, nous sommes à 30 milliards.
03:34 Donc l'Europe n'est pas attaquée par le libre-échange,
03:38 même s'il y a des dossiers très sensibles.
03:39 Elle en profite ?
03:41 Elle en profite dans un certain nombre de productions, pas touche.
03:45 Alors il y a des productions, elle est très forte.
03:46 Lesquelles ? Les productions animales.
03:49 50 milliards d'euros de balance commerciale positif en production animale.
03:54 30 pour le lait, 13 pour la viande porcine,
03:58 et 2 ou 3 même pour la filière volaille qui est attaquée par ailleurs.
04:01 Donc on a une dynamique de commerce, objectivement, qui est satisfaisante.
04:06 Et sur le commerce intra-européen ?
04:07 Alors là, les choses se gâtent beaucoup pour la France,
04:10 et c'est pour ça qu'on parle d'un libre-échange,
04:13 mais c'est le libre-échange intérieur qui pose problème.
04:15 En fait, la balance commerciale de la France,
04:18 avec les autres pays européens, les 26 du coup,
04:21 elle est de 1,8 milliard d'euros négative aujourd'hui.
04:25 Et en fait, on a dégradé cette balance commerciale
04:28 avec la plupart des pays européens,
04:30 dont 2 ou 3 qui nous font un peu plus de mal depuis quelques temps,
04:33 l'Espagne, la Pologne, et bien sûr un pays très très commerçant
04:38 qui a la meilleure balance commerciale agricole d'Europe,
04:41 qui est les Pays-Bas.
04:42 Et en fait, quand on parle du libre-échange,
04:46 on parle beaucoup plus de l'intérieur de l'Europe,
04:48 qui est une vieille question, qui a plus de 60 ans,
04:51 que du commerce à l'extérieur.
04:54 Même si la question du Mercosur est très sensible,
04:58 et qu'on peut comprendre que le monde agricole européen ne signe pas.
05:02 Le Mercosur, c'est ?
05:04 Le Mercosur, c'est le Brésil, l'Argentine, le Rugué et le Paraguay.
05:08 C'est une zone commerciale avec laquelle l'Europe
05:11 a une balance négative de 25 milliards d'euros.
05:15 C'est la zone du monde avec laquelle on est le plus déficitaire.
05:18 On va revenir tout à l'heure à la façon dont on peut répondre à ce dilemme.
05:21 Mais donc, pas vraiment de dilemme,
05:24 sauf la question du Mercosur dans le commerce mondial.
05:27 Un vrai sujet sur le commerce intra-européen.
05:29 Le deuxième nœud gordien, ou le deuxième dilemme, Marion,
05:33 c'est la compatibilité entre le souci de l'environnement et de la santé,
05:41 de la protection de l'air, de la protection des sols, de la protection de l'eau,
05:45 de la protection contre l'utilisation des produits chimiques pour notre bien-être.
05:50 Ce souci d'un côté et celui de l'autre côté
05:53 du développement compétitif de l'agriculture française.
05:57 Est-ce que ces deux objectifs ne sont pas antinomiques ?
06:02 Ces deux objectifs sont une réalité.
06:05 Il y a une demande pour les deux.
06:06 Alors évidemment, ce sont des réalités pas faciles à rendre compatibles.
06:11 Mais dans un pays ou dans une zone du monde comme l'Europe,
06:14 ou dans un pays comme la France,
06:16 où les gens ont envie d'être en bonne santé, d'avoir un environnement agréable,
06:21 de conserver de la biodiversité, de lutter contre le changement climatique,
06:25 il est difficile de ne pas conserver des objectifs environnementaux.
06:29 Et en même temps, ne pas être compétitif, c'est condamner un secteur,
06:33 c'est condamner de l'emploi, c'est condamner de l'activité.
06:36 Donc je pense qu'il faut de toute façon essayer de tenir ces deux objectifs,
06:40 même si ça suppose un tas de difficultés, un tas d'incompréhensions,
06:45 des constructions compliquées et sans doute des outils
06:49 plus imaginatifs parfois que ceux qu'on a aujourd'hui.
06:52 Parce qu'on a beaucoup attaqué, et c'est le principal instrument
06:57 de la poursuite de ces deux objectifs en même temps, les normes.
07:01 Il y a une énorme revendication des agriculteurs sur le fait
07:04 qu'on les assomme sous des normes qui rendent leur vie impossible,
07:08 non compétitive économiquement et horrible administrativement.
07:12 Oui, et en se mettant à la place d'un agriculteur,
07:15 si il a 70, je crois que c'est à peu près 70, 75 directives à appliquer
07:19 dans son exploitation, on comprend que ce soit vraiment assommant.
07:23 Les pays ont trouvé des solutions diverses.
07:27 Je crois qu'en Espagne, vous avez une aide gratuite
07:30 pour vous aider à remplir les formulaires.
07:33 En fait, le sujet, c'est de ne pas trop en rajouter.
07:36 Oui, on demande aux agriculteurs, par exemple,
07:39 de couvrir leur sol en hiver.
07:41 Ça évite l'érosion. C'est bon pour le stockage de carbone.
07:44 Ça ajoutera de la matière organique lorsqu'on enfouira l'herbe.
07:48 Donc, c'est plein de bénéfices environnementaux.
07:50 On peut, par des contrôles aériens, vérifier que ça a été fait ou pas fait.
07:54 Eh bien, qu'on le fasse par des contrôles aériens,
07:56 qu'on simplifie, partout où c'est possible,
07:58 essayer de simplifier la déclaration et la vérification.
08:02 Mais est-ce qu'il n'y a pas une surnorme ?
08:04 Tout le monde parle d'une surnormalisation française
08:06 que d'autres pays poursuivraient, comme nous.
08:09 La compatibilité de ces deux objectifs, santé et environnement d'un côté,
08:12 et agriculture de l'autre, mais que nous, nous serions plus royalistes
08:15 que le roi, sous la pression d'une partie de nos secteurs d'opinion.
08:19 Alors, écoutez, il se trouve que j'ai habité dans d'autres pays
08:22 dans lesquels ils disaient exactement la même chose.
08:24 Ils prétendaient qu'en France, les gens n'appliquaient pas les normes
08:27 et que chez eux, leur administration était beaucoup plus sévère.
08:29 Donc, il est un peu normal d'être, quand on a des imprimés à remplir
08:33 et que c'est à ce moment de considérer qu'on est les seuls à faire.
08:36 Je ne crois pas que ce soit vrai qu'on soit les seuls à faire.
08:39 En revanche, il arrive que, pour des raisons de discussion
08:44 avec d'autres parties prenantes ou des décisions politiques,
08:47 on ait ce qu'on appelle "surtransposé", c'est-à-dire demander plus
08:51 que ce qui avait marqué dans la directive communautaire.
08:54 Alors, il y a déjà un bon remède, qui est de faire des règlements communautaires
08:57 au lieu de faire des directives.
08:59 C'est-à-dire des textes directement applicables, qu'on n'a pas besoin de transposer.
09:02 On n'a pas besoin de les transposer, c'est directement applicable,
09:04 c'est le même texte qui s'applique à travers toute l'Europe.
09:07 Donc, ça déjà, c'est une simplification potentielle
09:10 pour les gens qui en sont destinataires, c'est-à-dire, in fine, les agriculteurs.
09:14 Mais vous, vous considérez, malgré la plainte des agriculteurs,
09:19 que nous n'avons pas d'autres choix ? On va y revenir tout à l'heure.
09:21 Au fond...
09:23 Mais bien sûr qu'on a... Oui.
09:24 Objectivement, je pense qu'on a d'autres choix,
09:26 et notamment si on avait une obsession, chaque fois qu'on prend un texte,
09:30 de vérifier si on n'est pas en contradiction avec un autre,
09:32 si on ne peut pas l'inclure dans un autre.
09:34 Si on ne peut pas... On a parlé de 14 textes sur les...
09:37 Je ne sais pas si c'est vrai ou pas, mais si c'est vrai, c'est absurde.
09:40 Donc, comment faire en sorte pour qu'on fasse se rencontrer les exigences réglementaires
09:45 et qu'on simplifie pour le destinataire final qui a le texte à remplir ?
09:50 Oui, je crois que c'est une vraie préoccupation.
09:53 Troisième dilemme, troisième incompatibilité, Vincent.
09:57 Le pouvoir d'achat des Français, d'un côté,
10:00 qui suppose qu'on baisse les prix, et le revenu des agriculteurs de l'autre,
10:05 qui évidemment suppose que les prix des matières qu'ils vendent
10:09 soient les plus élevés possibles.
10:10 Parce qu'aujourd'hui, ils disent que dans un certain nombre de cas,
10:13 le coût des intrants, enfin, leurs coûts de production
10:17 sont supérieurs à leurs prix de vente.
10:18 Comment est-ce qu'on rend compatible cet objectif de désinflation
10:22 ou d'amélioration du pouvoir d'achat des consommateurs
10:24 et de préservation du revenu des paysans ?
10:28 D'abord, on a fait un travail, nous, pour le ministère de l'Agriculture,
10:31 sur les revenus dans l'agriculture française.
10:34 Il y a deux éléments principaux à sortir.
10:37 Le premier, c'est qu'entre 2020 et 2022,
10:40 il n'y a pas eu d'effondrement des revenus de l'agriculture française
10:44 ramenés à l'actif agricole familial,
10:47 même si on aurait tendance, pour plaire un peu en ce moment,
10:51 de dire que c'est le cas.
10:52 Ça n'est pas le cas.
10:53 Les revenus sont meilleurs sur les trois dernières années
10:56 que sur la période 2010-2019.
10:58 Deuxième chose, c'est pour ça qu'il y a une révolte justifiée,
11:01 c'est que les agriculteurs, derrière des agriculteurs,
11:04 il y a une hétérogénéité des niveaux de revenus
11:07 qui, en dépit de la très forte restructuration des exploitations,
11:11 ne s'est pas gommée au fil du temps.
11:13 Donc, on a autant de riches et de pauvres aujourd'hui qu'avant.
11:16 Donc, sur ces revenus, la question, c'est évidemment de les maintenir
11:20 parce qu'il y a besoin de renouveler beaucoup d'agriculteurs.
11:23 Et donc, si les revenus sont bas, on n'arrivera pas à procéder aux investissements
11:26 qui intègrent la dimension environnementale qu'on évoquait tout à l'heure.
11:31 Et c'est pour ça que les agriculteurs sont un très grand malaise.
11:34 Alors, sur la question des prêts à la consommation...
11:35 – Je vous arrête une seconde parce que j'ai en effet regardé votre étude.
11:38 En effet, le revenu moyen des agriculteurs est à peu près celui du revenu médian,
11:43 est à peu près celui qui coupe en deux la population,
11:46 est à peu près celui de la population non agricole
11:50 En revanche, il y a une dispersion des plus riches aux moins riches,
11:53 des 10% des plus riches à 10% des moins riches qui est beaucoup plus forte.
11:57 Et cette dispersion varie en fonction soit de la taille,
12:00 enfin, ça peut être communatif, soit de la taille de l'exploitation,
12:03 soit du type de produits qu'ils font.
12:05 Donc, en effet, statistiquement, c'est pas mal, en moyenne ou en médiane,
12:11 mais dans la réalité, la dispersion est telle
12:13 qu'il y a vraiment une situation difficile pour beaucoup d'agriculteurs.
12:18 On estime qu'il y a 20% des agriculteurs qui sont sous le seuil de pauvreté en France.
12:22 Donc, on ne peut pas être trop fier de cette situation,
12:25 surtout que ça dure depuis des décennies.
12:27 C'est-à-dire, il y a toujours eu des agriculteurs en difficulté,
12:30 des agriculteurs avec des situations économiques peu favorables.
12:33 Ce qu'on aurait pu espérer, c'est qu'après tant de restructurations,
12:37 qu'on ait finalement sélectionné les bons, les derniers.
12:40 Et là, on se rend compte qu'il y a encore ce problème en 2024.
12:44 Et donc, la colère, elle est grande parce qu'en fait,
12:46 les doutes des agriculteurs pour l'avenir augmentent.
12:49 Et ils augmentent en lien avec ce que vous évoquiez, la question des prix.
12:52 Et évidemment que les prix, la question centrale,
12:56 je pense que les fameuses lois Egalim,
12:58 qui permettent finalement d'intégrer le coût de production d'une exploitation
13:02 dans la détermination du prix de finale vendu dans les grands magasins ou autres,
13:08 c'est une bonne loi.
13:09 Bon, elle a été rénovée, c'est la deuxième fois.
13:11 Maintenant, il faut qu'elle rentre en application.
13:13 Donc, l'ambition, à mon avis, pour la France,
13:15 c'est pas d'avoir une succession de changements de loi tous les deux ans.
13:19 C'est d'être capable d'appliquer les lois sérieusement
13:21 et d'en débattre au sein de la chaîne d'approvisionnement.
13:25 Parce que la grande distribution aura besoin des agriculteurs demain
13:30 pour gagner sa vie.
13:31 Si elle croit qu'elle gagnera plus en important,
13:33 moi, en tant qu'économiste, je pense que c'est faux.
13:35 Parce que les importations coûteront plus cher.
13:37 – Vous me faites une bonne transition pour la seconde partie,
13:39 qui est vers où on va.
13:40 J'avais le sentiment, moi, mais parce que je suis ignare,
13:44 que depuis le grand dessin du général de Gaulle,
13:48 qui a fantastiquement réussi, puisqu'il a organisé, modernisé,
13:52 transformé l'agriculture française pendant 30 à 40 ans,
13:55 le grand dessin du général de Gaulle,
13:56 il n'y a plus de grande vision stratégique
13:59 ou il n'y a plus de grande vision stratégique pour notre agriculture.
14:02 Mais peut-être que je me trompe.
14:03 Mais en dehors des visions stratégiques,
14:05 je me demandais si, si on reprend les points qu'on a évoqués ensemble,
14:09 il y avait des solutions qui n'étaient pas mises en œuvre.
14:11 Je vais essayer de les reprendre et de vous interroger dessus.
14:13 Donc la baisse des normes, Marion, vous l'avez évoquée.
14:19 Au-delà de la baisse des normes,
14:21 on a vu sur les OGM ou sur le glyphosate,
14:26 que nous les Français, on avait parfois une vision très conservatrice,
14:33 un principe de précaution que d'autres ne partageaient pas.
14:36 Et on voit par exemple que se développent en Amérique latine les OGM
14:40 et qui nourrissent le renouveau d'une agriculture.
14:42 Est-ce qu'on pourrait avoir un chemin de transition écologique tout à fait naturel,
14:50 qui soit plus modernisateur, plus technologique, moins normatif
14:57 et qui peut-être accompagne mieux, plus par des subventions,
15:00 la transition agricole vers une agriculture plus respectueuse du climat ?
15:06 Oui, oui, c'est toujours…
15:09 On a toujours un dilemme.
15:10 Pour faire une transition, de toute façon c'est difficile de faire une transition,
15:14 puisqu'on change ses habitudes, donc on arrive vers l'incertain.
15:17 Donc les professionnels hésitent toujours à aller vers l'incertain.
15:20 Donc il faut essayer d'aider collectivement cette transition,
15:23 si elle est collectivement souhaitable,
15:25 en les accompagnant par du conseil,
15:28 en les incitant, le cas échéant, en faisant des réglementations pour obliger.
15:32 Mais c'est toujours mieux d'avoir un mouvement qui accompagne
15:34 plutôt qu'un mouvement qui contraint.
15:36 Et donc lorsqu'on parle de climat, par exemple,
15:39 l'agriculture a une chance d'une certaine manière,
15:41 qui est très peu exploitée encore, mais qui pourrait l'être demain,
15:44 qui est le fait que la terre, le sol, stockent du carbone.
15:48 Et que certaines pratiques agricoles,
15:50 et on peut en faire la liste assez facilement,
15:52 permettent de stocker plus de carbone.
15:54 Bon, un temps, alors certaines, momentanément,
15:57 puis il faut veiller à ce que ce soit un stockage de longue durée.
15:59 Je vous en attends une seconde pour expliquer à ceux qui nous écoutent.
16:02 On peut réduire nos émissions de carbone d'un côté,
16:05 mais on peut aussi retenir le carbone.
16:08 C'est les deux façons d'améliorer notre...
16:11 Enfin, de lutter contre le réchauffement climatique.
16:13 Et en effet, la terre stocke du carbone.
16:16 Donc ce que vous dites, c'est qu'on pourrait stocker davantage de carbone.
16:18 Oui, surtout qu'actuel...
16:19 Enfin, depuis plusieurs années, on a tendance à déstocker le carbone.
16:23 Vous savez, on a parlé du labour.
16:25 Le labour déstocke le carbone.
16:26 Enfin, un certain nombre de pratiques ont conduit à enlever du carbone du sol.
16:31 Et par exemple, le fait de ne pas laisser les herbes sur place,
16:35 qui vont réenrichir les sols.
16:37 Oui, donc il y a eu un certain nombre de pratiques
16:39 qui, de fait, ont conduit à appauvrir les sols en carbone.
16:42 Or, le carbone a plusieurs avantages,
16:44 et notamment l'avantage d'abord de capter du carbone
16:48 et donc de lutter contre l'effet de serre,
16:51 mais aussi de donner une meilleure structure au sol,
16:54 de lui donner une plus grande capacité d'absorption d'eau.
16:57 Or, on a besoin de stocker de l'eau dans les sols.
16:59 Actuellement, avec les variations climatiques,
17:01 c'est utile de savoir stocker plus d'eau dans les sols.
17:04 Donc c'est une pratique doublement vertueuse,
17:06 vertueuse pour la société et pour l'environnement,
17:08 et vertueuse pour l'agriculteur.
17:10 Mais ça suppose un certain nombre de travaux
17:13 qui ne sont pas de l'intérêt direct de l'agriculteur immédiat.
17:16 Ça ne lui rapporte rien dans l'immédiat.
17:18 À terme, ça peut enrichir sa terre,
17:21 mais dans l'immédiat, souvent, ça ne lui rapporte rien.
17:23 Donc, collectivement, il faudrait qu'on arrive
17:25 à mettre en place une rémunération,
17:28 non pas par la contrainte, mais une incitation
17:30 à stocker plus de carbone dans les sols agricoles
17:32 en lui donnant un prix.
17:34 Une société qui voudrait pouvoir continuer
17:38 à avoir une pratique qui émet du carbone,
17:40 elle pourrait acheter des crédits carbone
17:43 à des agriculteurs s'engageant à des pratiques
17:45 permettant de stocker du carbone.
17:47 – Ça me conduit à une seconde question.
17:48 On a un niveau de subvention de concours publics
17:51 à l'agriculture européenne et française élevé,
17:53 c'est 26 milliards d'euros si on prend tout en compte,
17:56 c'est 1% du PIB.
17:58 Est-ce qu'on ne peut pas mieux,
17:59 alors je sais bien que ça fait partie de la réforme de la PAC,
18:02 mais est-ce qu'on ne peut pas mieux orienter
18:04 notre système d'aide publique pour mieux accompagner,
18:08 d'un côté les exploitations qui souffrent le plus,
18:13 soit en revenus, soit pour se restructurer
18:15 vers des productions plus faciles,
18:18 et puis d'autre part, mieux accompagner
18:19 la transition écologique.
18:21 Est-ce qu'on n'a pas trop sédimenté les aides ?
18:23 Est-ce qu'il n'y a pas une façon de réinventer nos aides
18:25 pour qu'elles accompagnent mieux les objectifs
18:28 à la fois agricoles et environnementaux ?
18:31 - Alors, c'est toujours facile de faire yakaf au con,
18:34 mais disons que si tout ça suppose d'en discuter d'abord
18:38 avec les intéressés et de voir ce qui peut marcher,
18:40 mais oui, il serait souhaitable d'avoir par exemple
18:44 un accompagnement des éleveurs.
18:46 Les éleveurs, vous le savez, en France, en moyenne,
18:48 les seules choses qu'ils gagnent, enfin ils ne vendent,
18:51 ils vendent, mais ça ne fait qu'équilibrer leurs coûts.
18:54 Donc tout ce que gagne l'éleveur, en moyenne,
18:56 ça vient de subventions.
18:58 Et donc, il faut faire très attention
19:00 quand on parle de déplacer les subventions.
19:03 Dans le rapport du Haut Conseil pour le Climat,
19:05 justement, on propose un certain nombre d'évolutions
19:08 du système de subventions,
19:10 notamment en ciblant ceux qui ont le plus de difficultés,
19:13 en ciblant les pratiques qui vont permettre
19:16 ce meilleur stockage de carbone,
19:18 en proposant des innovations dans l'élevage.
19:21 Par exemple, on peut ajouter des choses à l'alimentation animale,
19:24 on peut faire de la sélection génétique
19:27 pour que les animaux émettent moins de méthane dans leur eau.
19:30 Il y a un certain nombre de pratiques d'élevage,
19:32 on peut changer l'âge du village,
19:34 enfin ce sont des choses qui ne peuvent pas se faire du jour au lendemain,
19:36 mais il y a un certain nombre de pratiques qui ont été identifiées
19:39 par les chercheurs de l'INRAE
19:40 et qui permettraient de réduire de 30% à peu près les émissions par animal.
19:45 Donc ce n'est pas négligeable.
19:46 - Quand un ignorant comme moi regarde les statistiques,
19:48 je vois que des productions qui sont très compétitives,
19:53 notamment les grandes productions céréalières,
19:55 reçoivent des montants de subventions conséquents.
19:58 Votre point de vue sur la réorientation des aides publiques
20:02 ou le meilleur ciblage des aides publiques,
20:05 c'est toujours très compliqué parce qu'il y a toujours des perdants et des gagnants,
20:07 mais est-ce qu'on a modélisé ça ?
20:10 Est-ce qu'il y a des moyens de faire mieux ?
20:12 - Alors, on est nombreux à travailler avec des collègues depuis 20 ans,
20:17 25 ans, à chaque réforme de la PAC,
20:20 92, 99, 2003, 2008, 2014, 2027, sur ces questions-là.
20:25 C'est-à-dire, la question n'est pas technique.
20:28 En fait, les outils existent.
20:30 On n'a jamais eu autant d'outils pour orienter les aides de la PAC.
20:34 Donc ce n'est pas un déficit d'imagination de l'appareil administratif européen.
20:40 Non, au contraire.
20:42 Jamais on n'a eu autant de latitude dans le cadre du plan stratégique national.
20:46 Donc le plan stratégique, c'est la possibilité qui est offerte aux États membres
20:49 de choisir justement comment ils vont orienter les aides.
20:53 Et la difficulté, on l'a bien vu,
20:55 c'est que la France, elle ne veut pas se pénaliser dans l'orientation des aides
20:59 par rapport à d'autres pays concurrents.
21:01 Donc en donnant de la latitude aux États membres,
21:03 on se rend compte en fait qu'ils deviennent frileux.
21:05 Et l'application de ce qu'on appelle, excusez-moi du terme technique,
21:08 mais ce qu'on appelle l'éco-régime,
21:10 c'est le fait de conditionner 25% des aides de la politique agricole commune
21:16 à des comportements environnementaux et climatiques.
21:19 En France, on a tout fait pour que tout le monde…
21:21 Enfin, un papier scientifique là-dessus avec des collègues.
21:23 On a tout fait pour que tout le monde en bénéficie.
21:26 Ça veut dire que ce n'est pas du tout un problème d'outils disponibles,
21:30 c'est un problème de mise en cohérence à l'échelle de l'Europe du Green Deal.
21:33 – Je vois bien la difficulté, parce que quand on a un système d'aide
21:36 et qu'on change de système d'aide, on fait des perdants et des gagnants.
21:39 Et donc c'est toujours très… c'est un choix douloureux.
21:42 Mais en même temps, on se dit, enfin c'est une question une fois encore naïve,
21:46 je vous la pose à tous les deux, qu'on pourrait accompagner,
21:49 qu'on peut "investir" pendant un certain temps,
21:52 racheter les avantages, si j'ose dire,
21:56 accompagner cette transition des aides pendant un certain temps
21:59 pour permettre d'avoir un système d'aide
22:01 qui serait plus conforme à nos objectifs stratégiques.
22:06 – Les agriculteurs sont déjà très dépendants des aides.
22:09 Prenez la production bovine, aujourd'hui on est à 200% d'aides dans le revenu.
22:13 Donc la question, ce n'est pas de leur en remettre…
22:14 – Je crois qu'en moyenne c'est 70%…
22:16 – En moyenne, 64% sur les trois dernières années.
22:18 Les céréaliers sont plutôt 80.
22:21 Donc il y a des productions, notamment l'élevage d'herbivores,
22:24 où on est au-delà des 100%.
22:25 – Oui mais on a l'impression que ces aides ont un effet conservateur
22:29 et pas un objectif de transformation.
22:31 – C'est un terme que j'accepte volontiers.
22:34 – Madame la Présidente.
22:37 – Oui, le sujet c'est effectivement la compétition.
22:41 Je vous donne un exemple paradoxal.
22:43 Donc en mai, c'était 2022 je crois, on cherche à aider l'Ukraine.
22:49 L'Ukraine ne peut plus exporter par la mer Noire.
22:51 Donc l'Europe veut créer des couloirs pour que les produits agricoles ukrainiens
22:56 puissent s'exporter et que les Ukrainiens,
22:58 notamment l'agriculture ukrainienne, puissent continuer à vivre.
23:01 Mais le problème c'est que normalement c'était pour être exporté.
23:04 En pratique, il y a pas mal de produits qui sont restés d'abord dans les pays limitrophes,
23:07 puis après des produits qui sont restés y compris en France.
23:12 Et actuellement, je crois que c'est sur les poulets,
23:14 on a des dizaines de milliers de tonnes de poulets qui viennent d'Ukraine,
23:18 qui ne respectent pas les normes de bien-être lors de l'élevage,
23:21 qui ne respectent pas les normes environnementales.
23:23 Le coût du travail est inférieur.
23:26 Donc par rapport à un éleveur en France ou en Europe
23:29 qui respecte toutes les normes européennes, évidemment il est beaucoup moins cher.
23:32 Mais dans la réalité c'est marginal.
23:33 Je crois que les poulets, je crois qu'on a consommé cette année
23:37 350 grammes par habitant européen.
23:40 Un quart de poulet ukrainien par habitant européen.
23:43 Donc c'est symboliquement…
23:44 Non, non, c'est pas marginal.
23:45 Sur le marché du poulet en ce moment, sur le marché de l'œuf en ce moment,
23:48 en France…
23:49 Ça pèse sur les prix.
23:50 Oui, c'est des dizaines de pourcents.
23:51 C'est des dizaines de pourcents, donc ça pèse sur les prix.
23:53 Et le consommateur français, notamment, enfin quand il va au supermarché,
23:57 souvent il y a quand même un étiquetage qui explique d'où ça vient
24:00 et comment ça a été élevé, mais en restauration hors foyer,
24:03 que ce soit dans les cantines ou dans les restaurants,
24:06 vous avez très peu d'indications de la provenance de la nourriture que vous mangez.
24:10 Et donc on a de plus en plus d'importations.
24:13 Vous savez que c'est 22% en moyenne dans les importations alimentaires en France.
24:17 Dans la restauration hors foyer, c'est 50%.
24:20 Donc un produit arrive moins cher,
24:23 il y aura quand même une tendance à l'utiliser un maximum.
24:25 Je reviens à ma question sur le conservatisme.
24:28 Des ultras, enfin des libéraux, on pourrait dire,
24:31 moins de normes environnementales, plus de mécanismes d'incitation,
24:35 mais moins de normes, moins d'aides,
24:37 ou en tout cas des aides mieux orientées vers plus de compétitivité.
24:41 N'essayons pas de maintenir toute la diversité de notre agriculture,
24:45 essayons de nous concentrer.
24:46 Je sais bien que ces projets ont quelque chose de...
24:49 Ce sont les professeurs Nimbus, mais...
24:52 Moi je dirais, on a un système depuis 20 ans qui donne beaucoup d'aides à l'hectare.
24:57 En fait, on est détenteur d'hectares et on a une aide à l'hectare.
25:01 On en est plus ou moins sortis,
25:03 c'est-à-dire en termes de diversité entre agriculteurs,
25:06 puisqu'on a homogénéité le montant d'aides à l'hectare.
25:09 Mais ce qu'on n'a pas assez fait, c'est réorienter des aides vers la dynamique de projet,
25:14 qu'elles soient de nature environnementale ou qu'elles soient de nature aussi productive,
25:18 les deux ne sont pas opposées.
25:19 Et en fait, les jeunes agriculteurs,
25:21 pourquoi est-ce qu'ils sont si nombreux autour des routes aujourd'hui ?
25:25 Parce qu'ils n'ont pas beaucoup plus d'aides,
25:27 parce que les taux d'intérêt sont passés de 1% à 4%,
25:29 donc c'est beaucoup plus dur d'investir,
25:32 et parce qu'en plus ils sont critiqués.
25:35 Donc ça fait beaucoup en ce moment.
25:37 Donc il faut qu'on réajuste par rapport au projet,
25:40 effectivement vous avez raison, par rapport au projet qu'on souhaite mettre en oeuvre.
25:43 Un projet environnemental, mais aussi en France un projet productif,
25:46 parce qu'il manque 17% de volaille, 10% de viande bovine, 40% de viande bovine,
25:52 on a perdu un milliard de litres de lait en l'espace de 5 ans.
25:55 Je veux dire, la copie productive de la France, elle n'est pas bonne.
25:58 – Oui c'est ça, on a l'impression qu'on le perd sur tous les tableaux.
26:01 Dernière question malheureusement, parce que le temps nous bouscule,
26:04 la réduction du libre-échange intra-européen, plus de protectionnisme,
26:11 le souverainisme agricole, le regain du souverainisme agricole,
26:15 ça vous paraît en quelques secondes, ça vous paraît une farfelue
26:18 ou il y a une voie sur laquelle on peut travailler ?
26:21 – Globalement quand on regarde l'agriculture française
26:24 avec un petit peu plus de recul,
26:26 on a gagné à la politique agricole commune,
26:29 la France a gagné à être membre de l'Europe,
26:31 le marché unique a été positif pour l'agriculture et l'alimentation française.
26:36 Donc il faut toujours corriger les défauts de marché à un moment ou un autre,
26:40 il faut toujours corriger les défauts, la lourdeur ou la bureaucratie,
26:44 mais globalement on a été gagnant de cette mise en place
26:46 de la politique agricole et du marché commun.
26:49 – Vincent, quelques secondes.
26:50 – Il y a deux gros dossiers importants pour l'Europe et la France,
26:54 c'est l'Ukraine, puisqu'aujourd'hui l'Europe a une balance commerciale
26:57 négative de 10 milliards avec ce pays, et c'est bien sûr le Mercosur,
27:01 où on peut comprendre le monde agricole s'il ne souhaite pas qu'il y ait des accords,
27:04 parce que ce pays est très déséquilibré dans sa relation avec l'Europe.
27:07 – Merci à vous deux, merci, cette émission s'achève,
27:09 même si nous savons que nous sommes loin d'avoir épuisé le sujet,
27:13 un sujet essentiel, je vous lis quelques lignes de Michelet dans "Le peuple".
27:18 "La passion du paysan français, sa maîtresse est la terre.
27:21 Elle ne donnerait rien à cette pauvre terre de France si elle n'était pas aimée.
27:25 Chez nous, l'homme et la terre se tiennent et ils ne se quitteront pas.
27:28 Il y a entre eux un légitime mariage à la vie et à la mort."
27:34 On comprend mieux l'émotion que suscite en France la crise du monde agricole.
27:38 Merci Marion Guillaume, merci Vincent Châtelier de nous avoir aidés,
27:43 non pas à éclairer complètement le sujet,
27:45 mais en tout cas à projeter sur lui quelques éléments de compréhension.
27:49 Vous pouvez revoir cette émission sur le site de Public Sénat, publicsenat.fr.
27:56 Merci d'avoir écouté cette émission, de l'avoir suivie
27:59 et nous nous revoyons lors de la prochaine émission d'Ellémentaires.
28:04 Merci à vous.
28:05 [Musique]

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