• il y a 11 mois

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00:00 [Musique]
00:10 Pour ce jeudi grand portrait, nous avons la chance et l'honneur de nous entretenir une heure avec la lauréate du prix Nobel de physique 2023, Anne Huillier est notre invitée.
00:19 [Musique]
00:29 Combien de temps un électron met-il pour sortir d'un atome ? Comment saisir son mouvement ?
00:34 C'est grâce aux travaux de cette cinématographe de l'ato-seconde que l'on peut enfin répondre à ces questions.
00:40 On la surnomme la paparazza de l'infiniment petit.
00:43 Pionnière de la physique ultra-rapide, avec elle est né un nouveau domaine d'exploration, la physique ato-seconde,
00:49 et avec elle de nouveaux outils pour sonder les propriétés quantiques de la matière.
00:54 [Musique]
00:56 Anne Huillier, un Nobel en une fraction d'ato-seconde.
01:00 Anne Huillier, bonjour.
01:01 Bonjour.
01:02 Vous êtes professeure de physique atomique à l'université de London, Suède, et lauréate du prix Nobel de physique 2023.
01:08 Mille merci d'avoir accepté notre invitation.
01:10 Merci à vous.
01:11 Merci, merci à vous aussi d'être là au rendez-vous derrière votre poste en direct ou à toute heure en podcast sur l'appli Radio France,
01:18 mais aussi sur la plateforme YouTube.
01:20 Vous pouvez également nous écouter tout en nous suivant sur XX Twitter.
01:23 Chaque jour, on vous poste de nombreuses ressources pour compléter votre écoute.
01:27 C'est tout de suite sur notre fil @sciences_cqfd.
01:30 Qu'est-ce qui vous a inspiré dans votre parcours ?
01:33 Comment l'ato-physique ouvre-t-elle une fenêtre inédite sur la matière ?
01:37 Quelles en seront les prochaines étapes ?
01:39 Quelles découvertes vous ont marquées et quels en sont les éventuelles applications ?
01:42 Nous sommes ensemble jusqu'à 17h pour répondre à ces questions.
01:45 Pour commencer, on revient un tout petit peu en arrière.
01:48 Le 3 octobre 2023, c'est notre archive du jour.
01:51 L'Académie royale des sciences de Suède a décidé d'attribuer le prix Nobel de physique 2023
02:06 à Piers Agostini de The Ohio State University aux États-Unis,
02:13 à Ferenc Kraus du Max Planck Institute for Quantum Optics en Allemagne
02:19 et à Anne Lhuillier de la Lund University en Suède
02:23 pour des méthodes expérimentales qui génèrent des impulsions lumineuses à taux seconde
02:28 pour l'étude de la dynamique des électrons dans la matière.
02:31 Anne Lhuillier, il paraît que vous étiez en train de donner cours lorsque vous aviez appris que vous receviez ce Nobel.
02:36 Oui, effectivement, oui.
02:38 C'était pendant la pause au milieu d'un cours.
02:42 Vos étudiants devaient être sacrément contents, j'imagine.
02:45 Je n'ai pas pu le dire aux étudiants parce que quand on reçoit la nouvelle,
02:49 c'est secret pendant une heure de plus avant l'annonce officielle.
02:55 En fait, c'était pendant la pause.
02:56 Ensuite, je suis retournée voir mes étudiants et je leur ai demandé la permission de partir un quart d'heure avant.
03:02 Je n'aurais rien dit, mais je crois que les étudiants ont deviné.
03:05 Ils m'ont applaudi et j'ai continué à leur dire, mais je ne vous ai rien dit du tout.
03:09 Et ensuite, j'ai essayé de continuer ce cours pendant une demi-heure.
03:13 Ce n'était pas très facile, mais je me sentais obligée de le faire.
03:17 On peut imaginer, en effet, l'émotion que ça a dû être de continuer ce cours.
03:22 Ce prix Nobel vous a été remis le 10 décembre à Stockholm.
03:26 Depuis sa création en 1901, vous êtes la cinquième femme prix Nobel de physique, la deuxième française depuis Marie Curie.
03:32 Est-ce que ça compte pour vous ? Est-ce que c'est important à vos yeux ?
03:35 C'est très important. C'est une femme de plus.
03:37 Je pense que c'est vraiment très important pour les générations futures d'essayer de renverser un peu cette statistique qui est quand même très mauvaise pour les femmes.
03:46 Évidemment, on est vraiment très loin de renverser, mais aider un petit peu à ce qu'il y ait plus de femmes qui ont le prix Nobel en physique.
03:54 Oui, on manque d'étudiantes en sciences dès la licence.
03:56 Avec ce Nobel, vous espérez pouvoir inspirer des jeunes filles, leur donner la confiance pour se lancer dans une carrière scientifique ?
04:02 Oui, j'espère. Si ça réussit, même si il suffit d'une seule, je serai vraiment très contente.
04:08 C'est important d'avoir des modèles, de savoir qu'il y en a d'autres qui ont fait ce parcours avant moi.
04:14 Pour moi, c'était très important de savoir que Marie Curie avait eu le prix Nobel.
04:20 Marie Curie a été un modèle pour vous ?
04:21 Ah oui, vraiment !
04:23 Autre chose, votre prix Nobel a été célébré autant en France qu'en Suède.
04:28 Pour moi aussi, c'est extraordinaire. Je ne m'y attendais pas tellement, parce que je suis suédoise et je suis installée depuis 30 ans.
04:37 Mais ça a été vraiment célébré dans les deux pays, pour plusieurs raisons.
04:41 Je suis française et la découverte a été faite en France, au moins le début.
04:48 En plus, je pense que j'ai gardé des très bons liens avec mes anciens collègues.
04:53 Mais pour moi, française, ça a été extraordinaire que ce prix ait été aussi bien reçu dans les deux pays.
05:01 Je me suis sentie vraiment suédoise et française.
05:04 Donc, formidable !
05:06 On peut aussi parler de la série des Nobels de physique française de ces dernières années.
05:10 Gérard Mourou, récompense avec Donna Strickland en 2018, Alain Spey en 2022, Pierre Agostini et vous Anne Mully.
05:16 Vos carrières se sont caractérisées par une utilisation intensive de laser.
05:20 On peut dire qu'il existe une exception française en matière de laser ?
05:24 Je pense qu'il y a une très bonne école française en optique et en physique, physique atomique, physique quantique,
05:31 qui certainement amène ces prix Nobel.
05:35 C'est peut-être aussi une partie de chance, je ne sais pas.
05:38 On va parler de comment on étudie le mouvement et la dynamique des électrons au cœur de la matière.
05:42 Mais avant ça, un mot sur votre parcours.
05:44 Anne Mully, vous êtes née le 16 août 1958 à Paris.
05:47 Est-ce que vous identifiez la naissance de votre vocation ?
05:50 Y a-t-il quelque chose qui vous prédisposait aux sciences ?
05:53 Non, je n'arrive pas vraiment à me rappeler d'un moment particulier où cette vocation m'est venue.
06:02 C'est une question qui m'a été beaucoup posée depuis que j'ai le prix Nobel.
06:06 Je donne un petit peu deux réponses.
06:09 D'abord, j'ai un grand-père du côté de ma mère qui était professeur en radio-électricité.
06:16 C'est la vieille électronique et la radio.
06:19 Il était chercheur et ingénieur.
06:23 Il est mort quand j'avais 4 ans, donc je ne me rappelle plus très bien.
06:27 Mais il y a une espèce d'histoire familiale qui m'a passionnée.
06:30 Peut-être que ça m'a aidée dans mon parcours.
06:33 L'autre souvenir que j'ai, c'est vraiment un souvenir,
06:37 c'est quand les premiers hommes ont marché sur la Lune en 1969.
06:43 Ma grand-mère m'avait réveillée pour voir au milieu de la nuit le premier homme marcher sur la Lune.
06:50 Je me rappelle très bien.
06:51 Ce dont je me rappelle, ce qui m'avait émerveillée,
06:54 c'est la technique et la science qui ont été nécessaires pour que ce soit possible.
06:59 Je pense que j'avais déjà vraiment un intérêt vers les sciences à ce moment-là.
07:05 J'avais un peu plus de 10 ans.
07:07 Oui, c'est-à-dire ce réveil nocturne en pleine nuit de juillet à 1969.
07:10 Vous dites dans une interview "le pouvoir de la science mis au service de l'humanité m'a vraiment impressionnée".
07:15 L'idée des maths et de la physique était sans doute déjà là.
07:18 Mais cet événement a assuré ma détermination.
07:21 Oui.
07:22 Votre père était ingénieur en informatique.
07:24 La discipline faisait ses premiers pas.
07:26 Est-ce que les sciences étaient omniprésentes chez vous ?
07:29 Je ne dirais pas que les sciences étaient omniprésentes,
07:31 mais certainement le parcours de mon père a aussi influencé ma carrière.
07:35 Il a été vraiment au début de l'informatique.
07:39 Il a travaillé pour le lancement de fusées au CNES par exemple.
07:44 Et ça aussi, ça impressionne un enfant.
07:47 Les sciences étaient "bien vues" dans notre famille.
07:52 Vous êtes entrée à l'ENS en 1977.
07:54 Vous faites une double maîtrise, maths et physique.
07:57 Vous avez une agrégation de mathématiques.
07:59 Pourquoi avoir fait le choix de la physique ?
08:02 Je pense que ce n'est pas que j'ai fait un choix à ce moment-là.
08:07 C'est toujours un peu l'envie de faire de la physique.
08:10 Mais aussi l'idée que ce serait bien de faire des mathématiques le plus loin possible.
08:16 J'aimais beaucoup mieux les mathématiques que la chimie par exemple.
08:20 Et dans cette préparation à l'école normale, soit on fait physique-chimie,
08:26 soit on faisait mathématiques-physique.
08:29 Pour moi, mathématiques-physique correspondait mieux à ce que j'aimais.
08:32 Donc c'est ce que j'ai fait.
08:33 C'est pour ça que je suis rentrée à l'école normale supérieure en mathématiques.
08:37 J'ai voulu faire l'agrégation de mathématiques,
08:40 mais en même temps d'avoir cette double maîtrise pour pouvoir faire un peu les deux.
08:44 Mais ensuite, j'ai vraiment voulu aller vers la physique.
08:48 Mais avec un bagage mathématique qui était bien,
08:51 et ça m'a aidée pendant toute ma carrière.
08:54 Cette agrégation de maths vous a permis d'aller faire le DEA de physique quantique dont vous rêviez.
08:58 Qu'est-ce qui vous fascine plus précisément dans la mécanique quantique ?
09:01 Ce qui est très fascinant dans la mécanique quantique,
09:04 c'est que d'abord, c'est quand même très mathématique.
09:08 Et ça, ça correspondait à mon intérêt.
09:11 Et en même temps, c'est la physique du microcosme,
09:15 donc vraiment de ce qui se passe dans la matière,
09:18 ce qui est aussi fascinant.
09:19 Et il y a plein de choses qui ne sont pas intuitives dans la mécanique quantique
09:23 et qui sont en même temps très intéressantes.
09:25 La mécanique quantique et sa capacité aussi à expliquer comment la matière évolue
09:30 à la plus petite échelle, ça c'est aussi quelque chose qui vous intéressait à cette époque ?
09:33 Absolument, oui.
09:34 Là aussi, j'ai été influencée par des bons professeurs pendant toute mon éducation.
09:40 Je voudrais vraiment assister sur l'importance de l'enseignement
09:44 et pour inspirer les jeunes.
09:46 Professeur en mathématiques au lycée et professeur en physique,
09:50 et notamment pendant cette dernière année d'études,
09:53 ce DEA de physique quantique,
09:55 j'ai eu la chance d'avoir Claude Cohen-Tannoudji comme professeur en mécanique quantique,
10:00 et aussi Serge Haroche.
10:02 Et ça aussi, ça m'a beaucoup influencée.
10:05 Deux futurs prix Nobel.
10:07 Claude Cohen-Tannoudji sera d'ailleurs aussi votre président de jury de votre thèse
10:13 que vous soutenez en 1987.
10:14 Et vous dites aussi qu'il vous a beaucoup inspiré dans votre parcours,
10:17 mais de quelle façon plus précisément ?
10:19 Ce qui m'a beaucoup inspirée, c'est sa manière d'enseigner la science physique.
10:24 Très pédagogique, mais en même temps sans avoir peur des équations
10:29 et de raconter avec l'aide des outils mathématiques
10:32 ce qui se passe, d'aller en profondeur des choses,
10:35 mais en restant très pédagogique.
10:37 Ça, ça m'a inspirée dans ma carrière, aussi dans ma façon d'enseigner.
10:41 J'essaye d'appliquer le même style.
10:43 Bon, je ne peux jamais copier, bien sûr, ce qu'il avait fait,
10:46 mais un petit peu, et je crois que c'est un petit peu une école française,
10:50 d'enseigner quelque chose en allant au fond,
10:53 sans avoir peur de faire un peu de mathématiques
10:56 et de dériver des équations,
10:58 mais en même temps d'extraire l'interprétation physique
11:01 et d'essayer de faire comprendre avec les mains ce qui se passe.
11:05 À la fin de votre DEA, vous voyez une annonce du CEA,
11:08 du Commissariat à l'énergie atomique,
11:10 à sa clef, en physique des atomes en champs laser intenses.
11:13 À l'époque, c'était un peu exotique ?
11:15 Enfin, en quoi ça consistait ?
11:17 C'était très exotique.
11:19 C'était un petit peu à côté de ce qui se faisait en physique atomique
11:25 à l'heure actuelle, qui était beaucoup vers les atomes froids.
11:29 Mais donc, ça, c'était un petit peu exotique.
11:31 C'était au CEA, mais ça avait l'air très intéressant.
11:35 Donc, c'est pour ça que j'ai été…
11:37 D'abord, j'ai fait un stage au CEA,
11:41 et à l'issue du stage, Gérard Maffrey m'a proposé
11:45 de rester comme étudiant de thèse.
11:48 J'ai accepté la proposition,
11:50 et donc, j'ai démarré une thèse l'année suivante.
11:54 Envoyer de la lumière laser sur du gaz,
11:57 enfermé dans une chambre à vide, et regarder ce qui se passe,
11:59 c'est ce que vous n'avez jamais cessé de faire jusqu'à aujourd'hui.
12:02 Quelle a été votre découverte ?
12:04 Et que s'est-il passé à sa clef en 1987 ?
12:07 Reste avec nous, on y arrive.
12:09 [Musique]
12:14 France Culture, la science CQFD, Natacha Trio
12:19 [Musique]
12:21 En direct sur France Culture, nous avons la chance de nous entretenir une heure
12:25 avec Anne Lhuillier, pionnière de la physique ultra-rapide à l'échelle de l'Ato seconde
12:29 et prix Nobel de physique 2023.
12:31 Ce prix Nobel récompense les méthodes expérimentales
12:34 qui ont permis la production d'impulsions de lumière
12:36 d'une durée de l'ordre de l'Ato seconde.
12:39 C'est un domaine de recherche qui est apparu à la fin des années 80.
12:42 Avant de décrire votre découverte,
12:44 Anne Lhuillier, peut-être faire un point sur les échelles et les ordres de grandeur.
12:48 Qu'est-ce qu'une Ato seconde ?
12:50 Une Ato seconde, c'est 10 - 18 secondes.
12:56 10 à la puissance -18 secondes, c'est très très très court.
13:00 C'est un milliardième de milliardième de secondes.
13:05 On peut aussi écrire ça 0,170 et puis un 1.
13:11 Donc c'est une échelle de temps très petite.
13:14 On peut comparer une seconde à une Ato seconde
13:17 comme de une seconde à l'âge de l'univers
13:20 qui est 13,8 milliards d'années.
13:26 Oui c'est ça, on dit qu'il y a autant d'Ato secondes dans une seconde
13:28 que de secondes depuis le Big Bang.
13:31 Dans une seconde, il y a un milliard de milliards d'Ato secondes.
13:36 Mais que peut-il bien se passer en une Ato seconde ?
13:39 L'Ato seconde, ou on va dire quelques dizaines d'Ato secondes,
13:44 c'est l'échelle de temps du mouvement des électrons
13:49 dans les atomes et les molécules dans la matière.
13:53 Donc avoir des impulsions lumineuses qu'on va réussir à produire
13:58 dans ce domaine temporel, ça permet d'essayer de capter
14:03 ce mouvement très rapide des électrons dans la matière.
14:08 Alors toujours sur ces questions d'échelle et d'ordre de grandeur,
14:11 les noyaux des molécules bougent les uns par rapport aux autres,
14:14 ils ont des vitesses de l'ordre de la femtoseconde, c'est ça ?
14:17 Voilà, ils ont l'échelle de temps pour suivre le mouvement des atomes
14:23 dans les molécules, c'est la femtoseconde,
14:27 ou à nouveau quelques dizaines, centaines de femtosecondes.
14:31 Donc ça on a commencé à pouvoir le faire à l'aide de lasers femtosecondes,
14:36 ça veut dire lasers avec une impulsion lumineuse de durée femtoseconde,
14:41 donc c'est le domaine de la femtochimie.
14:45 Et avec nos impulsions Ato secondes, on va aller voir des particules
14:50 qui bougent encore plus vite que les atomes,
14:53 ces particules sont les électrons,
14:57 donc on va pouvoir voir le mouvement de ces électrons.
15:01 Je pose une question volontairement naïve pour bien comprendre
15:04 pourquoi on a besoin de la physique Ato seconde pour étudier le mouvement des électrons,
15:07 est-ce qu'on ne peut pas imaginer prendre un appareil photo
15:09 perfectionné pour capter ce mouvement-là ?
15:12 Non, on ne peut pas, parce que c'est la même idée que
15:18 pour pouvoir filmer un mouvement rapide, par exemple un footballeur
15:23 ou un joueur de tennis avec sa raquette qui bouge très très vite,
15:28 il faut une caméra avec un temps d'exposition très court,
15:33 ou un flash très court, pour pouvoir suivre ce mouvement,
15:38 on prend plusieurs expositions pour suivre le mouvement.
15:41 Si on a un temps d'exposition très long, on va voir quelque chose de complètement flou,
15:46 je crois que tout le monde a vu ces images quelque part,
15:50 c'est la même idée, pour voir le mouvement rapide des électrons,
15:56 il faut un flash qui a une durée très très courte,
16:01 comparable à l'échelle de temps de ce mouvement,
16:06 et c'est pour ça qu'il nous faut ces impulsions Ato secondes.
16:10 En 1986, à Saclay, à Nuillier, vous travaillez sur les phénomènes
16:13 d'excitation et d'ionisation multiple, on peut peut-être aussi rappeler
16:17 qu'est-ce que c'est l'ionisation ?
16:20 L'ionisation c'est simplement qu'on arrache un électron d'un atome,
16:25 ce n'est pas facile parce que les électrons sont très liés,
16:31 ils sont vraiment confinés par l'atome, par les forces électromagnétiques
16:39 entre l'électron et le noyau,
16:44 et donc c'est quelque chose de très stable,
16:47 heureusement parce que sinon on ne serait pas là,
16:50 et donc avec l'aide de différents moyens,
16:53 par exemple avec l'aide d'un rayonnement dans le domaine des X,
16:58 on peut enlever un électron d'un atome et on forme un ion.
17:04 Vous étudiez cet effet photoélectrique en temps réel,
17:08 c'est un processus qui a été théorisé par Einstein en 1905 ?
17:12 Oui, on va pouvoir le faire avec les impulsions à tout seconde,
17:17 d'étudier en temps réel, avec des petites guillemets,
17:22 cet effet de photionisation en temps réel.
17:26 Mais à l'époque, pendant ma thèse, au début des années 1980,
17:32 on étudie l'ionisation, ça s'appelle l'ionisation multifotonique,
17:37 ça veut dire en absorbant plusieurs photons,
17:40 on utilise maintenant un rayonnement laser intense
17:43 pour arracher un électron à l'atome.
17:47 Donc ce n'est pas exactement le même phénomène,
17:49 ce n'est pas aussi simple, on va dire ça comme ça,
17:53 que le phénomène de photoionisation qui a été expliqué par Einstein,
17:57 où l'atome va absorber un seul photon pour être ionisé,
18:03 là on absorbe plusieurs photons en même temps,
18:06 ça veut dire qu'on doit vraiment avoir un laser intense
18:10 pour pouvoir faire ça, et on regarde ce qui se passe.
18:14 Oui, c'est ça, c'est ce processus d'ionisation,
18:16 on peut le déclencher avec des lasers,
18:17 et donc attendre des chambres électriques très puissantes.
18:20 Voilà, exactement, et c'était mon sujet de thèse,
18:23 c'était le sujet d'un petit groupe de recherche
18:26 dirigé par Gérard Minfray dans les années 80.
18:29 Oui, votre thèse que vous soutenez en 86,
18:31 intitulée "Ionisation multifotonique et multielectronique",
18:35 après ça, en juillet 87, vous êtes donc embauchée au CEA,
18:38 vous bombardez des atomes avec un laser intense,
18:41 mais au lieu de suivre les ions excités,
18:43 comme vous l'aviez fait jusque-là,
18:45 vous avez l'idée de regarder si ces ions,
18:47 en se désexcitant, émettent de la lumière.
18:50 Voilà, l'idée qui est apparue à l'issue de ma thèse
18:55 et d'autres études, c'est que, bon,
18:58 on arrive à ioniser un atome,
19:00 mais on peut aussi l'exciter,
19:02 c'est-à-dire qu'on bouge les électrons,
19:05 non pas complètement, on les enlève,
19:08 mais on les bouge vers des états plus excités,
19:11 et si on arrive à des états excités,
19:13 on doit pouvoir ensuite,
19:15 l'atome va se désexciter en émettant de la lumière,
19:18 ça s'appelle la lumière de fluorescence.
19:20 Donc l'idée qu'on avait, c'est de regarder la lumière
19:23 qui est émise dans ce processus,
19:25 pour apprendre plus de choses sur, justement,
19:28 ces phénomènes d'ionisation, d'excitation,
19:31 par absorption d'un rayonnement laser intense.
19:34 - Cette idée-là que vous aviez eue,
19:36 c'était par hasard ?
19:37 C'est de la pure sérendipité ?
19:39 - Non, c'était pas...
19:42 D'abord, on n'était pas tout seul,
19:44 il y avait d'autres équipes qui avaient...
19:46 C'était pas une idée par hasard,
19:48 c'était assez naturel,
19:49 parce qu'on avait passé beaucoup d'années
19:52 à regarder les ions émis,
19:54 ou les électrons émis,
19:56 et c'était un petit peu la suite
19:58 de regarder la lumière émise.
20:01 - C'est ça, c'est avec l'idée que peut-être
20:03 la lumière laser utilisée pour ioniser,
20:05 peut-être elle-même modifie après l'ionisation.
20:09 - Oui, enfin, que dans ce phénomène,
20:13 probablement, et oui, c'est toujours le cas,
20:16 on produit aussi des atomes excités
20:19 ou des ions excités,
20:20 et qu'on peut apprendre plus de choses
20:22 en regardant la lumière émise,
20:25 cette lumière de fluorescence.
20:27 Donc c'était une idée assez naturelle.
20:29 Bon, par contre, ce qui est vraiment...
20:32 Ce qui me fascine toujours,
20:34 c'est qu'on n'a pas du tout vu ça,
20:35 on a vu autre chose.
20:37 - C'est ça, c'est qu'au lieu de voir
20:39 une simple fluorescence,
20:40 vous avez vu apparaître des harmoniques,
20:42 beaucoup d'harmoniques.
20:43 Qu'est-ce que c'est que ces harmoniques ?
20:45 C'est comme avec le son ?
20:47 - Oui, voilà, alors on a vu des harmoniques.
20:50 Les harmoniques, c'est un terme
20:52 qu'on emploie beaucoup en musique.
20:55 Lorsqu'on produit une certaine note de musique
20:59 avec un instrument, en général,
21:01 on produit pas uniquement cette note,
21:04 mais aussi des harmoniques de cette note.
21:09 Ça veut dire, si on pense qu'on fait de la musique,
21:14 qu'on produit une certaine onde,
21:17 qui a une certaine fréquence,
21:20 on va produire des harmoniques,
21:22 c'est-à-dire des ondes qui ont une fréquence
21:24 beaucoup plus élevée, égale à un multiple
21:28 de cette fréquence initiale.
21:31 Alors si on parle de musique,
21:33 par exemple, je fais un do avec un piano,
21:35 pour l'harmonique, c'est le do suivant,
21:38 c'est le cel d'au-dessus,
21:40 donc c'est la même note,
21:42 mais comme j'ai dit,
21:45 la fréquence correspond à deux fois,
21:48 si on prend cel d'au-dessus,
21:50 ça va être deux fois la fréquence de l'onde initiale.
21:53 Et les instruments de musique ont tous,
21:55 plus ou moins, la possibilité
22:02 de créer ces harmoniques,
22:04 et c'est ce qui fait le timbre d'un instrument de musique,
22:07 c'est le nombre d'harmoniques qui sont produits
22:10 à chaque fois qu'on produit une certaine note.
22:13 C'est quelque chose que je ne connaissais pas tellement,
22:16 mais j'ai appris que, par exemple,
22:18 les instruments à cordes produisent naturellement
22:21 beaucoup d'harmoniques,
22:23 alors que, par exemple, la flûte
22:25 est un son très pur, quasiment pas d'harmonique.
22:28 Et parmi les instruments à cordes,
22:30 l'instrument qui produit le plus d'harmoniques,
22:32 c'est l'alto.
22:34 Donc nous, on produit des harmoniques
22:38 pas d'une onde acoustique,
22:41 mais on va produire les harmoniques
22:43 de notre onde laser.
22:45 Et lorsque vous publiez vos résultats en 88,
22:47 vous montrez qu'on observe justement
22:49 14 nouvelles couleurs appelées harmoniques d'ordre élevé.
22:52 Voilà, on voit jusqu'à l'harmonique 33,
22:57 ce qui est énorme,
22:59 et c'était vraiment le résultat majeur
23:02 de cette expérience.
23:04 On ne voit pas tellement cette fluorescence
23:07 qu'on cherchait, ou quasiment pas,
23:09 mais à la place, on voit des harmoniques
23:12 d'ordre très élevé,
23:14 c'est-à-dire qu'on en voit beaucoup
23:16 et ça va très très loin.
23:18 On produit de nombreuses couleurs additionnelles.
23:22 Alors quand je dis couleurs,
23:24 on caractérise la lumière
23:27 à l'aide d'une fréquence,
23:30 c'est-à-dire une lumière, c'est une onde
23:33 qui a une certaine fréquence,
23:35 et dans le domaine visible,
23:37 les fréquences sont la même chose que les couleurs.
23:42 Par exemple, une couleur bleue
23:44 a une fréquence plus élevée qu'une couleur rouge.
23:47 Donc avec nos harmoniques,
23:49 on va produire, on part d'un laser
23:53 qui a généralement une fréquence
23:55 dans le domaine infrarouge,
23:57 donc c'est en dessous du rouge,
23:59 généralement on ne la voit pas,
24:01 mais on parle de l'infrarouge
24:03 et en multipliant cette fréquence
24:06 par un nombre entier,
24:08 comme dans cette première expérience,
24:10 on a été jusqu'au nombre 33,
24:12 c'est-à-dire qu'on produit une fréquence
24:14 qui est 33 fois la fréquence initiale.
24:18 Ça nous emmène très loin,
24:20 ça nous emmène au-delà du domaine visible,
24:22 donc on produit de la lumière
24:24 à une couleur qui est invisible,
24:27 qui est dans le domaine,
24:29 on appelle ça l'ultraviolet extrême.
24:31 Donc on est au-delà de l'ultraviolet.
24:33 Malheureusement, on ne peut pas voir ces couleurs,
24:37 ce n'est pas visible à l'œil,
24:40 c'est dans ce domaine,
24:42 l'ultraviolet extrême.
24:44 - Ces ultraviolets extrêmes,
24:46 on parle du VX,
24:48 les harmoniques, au lieu de s'atténuer peu à peu,
24:51 elles conservaient la même intensité ?
24:54 - Voilà, ça a été la grande surprise,
24:58 parce qu'en fait on s'attendait à ce que ces harmoniques
25:00 soient de plus en plus difficiles à produire,
25:02 donc on s'attendait à rien du tout,
25:06 mais si on voyait les harmoniques,
25:08 leur intensité devrait descendre
25:13 lorsqu'on va vers des ordres élevés,
25:15 et au contraire, on a vu un plateau,
25:18 c'est-à-dire que toutes ces harmoniques
25:20 ont quasiment la même intensité
25:22 jusqu'à une certaine fréquence,
25:24 qu'on appelle la fréquence de coupure,
25:26 où le phénomène s'arrête.
25:28 - Vous avez ensuite eu envie de creuser ce phénomène,
25:31 d'aller plus loin,
25:33 et vous avez construit un spectromètre spécial,
25:35 un instrument dédié à la génération d'harmoniques.
25:38 - Oui, voilà.
25:40 On a voulu optimiser un petit peu
25:44 la façon d'étudier ces phénomènes,
25:47 et construire un instrument
25:49 qui nous permettrait de les mesurer dans de bonnes conditions.
25:53 - Et là, à ce moment-là, vous dédéclentez non plus 14 nouvelles couleurs,
25:56 mais 125, et on parle à ce moment-là
25:58 de générations d'harmoniques d'ordre très élevé.
26:01 - Voilà, c'est ça.
26:03 Ça, c'était une expérience avec mon premier étudiant de thèse,
26:06 Philippe Balcourt,
26:08 donc ça, on est en 92,
26:11 et on a utilisé un laser qui était très puissant,
26:16 c'est un domaine qui a énormément été aidé
26:20 par le progrès des technologies laser.
26:24 Mes collègues avaient implémenté
26:28 une nouvelle technique qui s'appelle
26:30 l'amplification à dérive de fréquence,
26:32 qui a eu le prix Nobel en 2018,
26:35 à Dona Strickland et Gérard Moreau.
26:38 Donc mes collègues à Saclay avaient implémenté cette technique
26:42 avec le laser qu'on avait à ce moment-là.
26:45 La première expérience qui a été faite avec ce laser,
26:48 ça a été de regarder la génération d'harmoniques
26:51 et de voir ces harmoniques extrêmement élevées
26:54 jusqu'à des ordres 125 ou quelque chose comme ça.
26:59 - En pratique, les harmoniques obtenues,
27:01 on peut se poser la question de sont-elles vraiment
27:03 de l'ordre de la taux seconde,
27:05 puisque à ce moment-là, on ne pouvait pas les mesurer,
27:07 on n'avait pas l'outil.
27:08 C'est là qu'interviennent les travaux de Pierre Agostini.
27:11 Comment ont-ils permis de mesurer concrètement
27:13 ces impulsions lumineuses et de faire voir le jour
27:15 à la physique à taux seconde ?
27:17 Restez avec nous, on répond à cette question dans quelques secondes.
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