En 1924, Guillaume Seznec est reconnu coupable du meurtre de Pierre Quéméneur, un élu du Finistère ; il est condamné à mort alors que le corps n'a jamais été retrouvé.
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PersonnesTranscription
00:00 (musique de suspense)
00:03 ♪ ♪ ♪
00:06 (cris de la foule)
00:09 ♪ ♪ ♪
00:12 (cris de la foule)
00:15 ♪ ♪ ♪
00:18 (cris de la foule)
00:21 ♪ ♪ ♪
00:24 (cris de la foule)
00:27 ♪ ♪ ♪
00:30 (cris de la foule)
00:33 ♪ ♪ ♪
00:36 ♪ ♪ ♪
00:39 Musée de la préfecture de police de Paris.
00:42 Dans ses vitrines, la collection d'objets la plus incroyable
00:45 de l'histoire de la criminalité en France.
00:48 L'œilleton dans lequel le Dr Petiot regardait agoniser ses victimes,
00:51 la cordelette qui servit à étrangler l'huissier gouffé,
00:54 la chaudière de l'andruche.
00:57 Couteau, révolver, matraque, toutes ces armes ont été utilisées
01:00 pour commettre les crimes les plus abominables.
01:03 À partir du 19e siècle,
01:06 les policiers font appel à la science
01:09 pour résoudre leurs enquêtes.
01:12 L'anthropométrie, l'étude de l'iris humain,
01:15 la graphologie et la morphopsychologie sont utilisées.
01:18 Dans les archives du musée, les comptes rendus d'enquête,
01:21 les scripts des interrogatoires,
01:24 les croquis des scènes de crimes vont nous emmener
01:27 sur la piste sanglante des plus grands meurtriers de l'histoire.
01:30 Le 13 juin 1917,
01:39 le général Peirching, commandant en chef
01:42 de l'American Expeditionary Force, débarque à Boulogne-sur-Mer.
01:45 C'est le début de l'arrivée massive des troupes américaines
01:48 qui vont permettre de mettre un point final
01:51 à la Première Guerre mondiale.
01:54 Les Américains amènent avec eux une logistique importante,
01:57 des denrées alimentaires, du savon, du chocolat
02:00 et le chewing-gum que les Français découvrent,
02:03 mais aussi des véhicules et de nombreux objets
02:06 issus de l'industrie de pointe américaine.
02:09 À la fin de la guerre, lorsque les troupes américaines repartent,
02:12 elles laissent derrière elles une quantité astronomique
02:15 de matériel qui n'a pas été utilisé.
02:18 Et des profiteurs font commerce de ces denrées
02:21 qu'ils volent dans les grands camps laissés à l'abandon
02:24 et très peu surveillés.
02:27 En Bretagne, Pierre Kemener est de ceux-là.
02:30 Marchand de bois, il a largement profité de la demande du génie
02:33 qui devait construire les baraquements pour installer les troupes alliées.
02:36 Guillaume Seysnec, lui, s'est rempli les poches
02:39 en nettoyant le linge des soldats et des officiers.
02:42 Il avait négocié un accord avec l'armée américaine
02:45 et se faisait payer en partie avec des dollars or.
02:48 En 1923, les rentrées s'essoufflent
02:51 et les deux hommes cherchent d'autres profits.
02:54 Les véhicules, qui sont restés sur les parkings militaires,
02:57 semblent de bonnes affaires.
03:00 Il y a notamment des cadillacs, un trafic à mettre en place,
03:03 et les deux hommes se lancent dans l'aventure.
03:06 Malheureusement pour eux, l'entreprise va se finir tragiquement.
03:09 Kemener disparaît, certainement assassiné,
03:12 et Seysnec, reconnu coupable,
03:15 va partir au bagne et donner son nom
03:18 à une affaire dont on parle toujours aujourd'hui,
03:21 devenue pour certains comme le symbole de l'erreur judiciaire.
03:24 De nombreux ouvrages ont été écrits,
03:27 chacun amenant une thèse différente,
03:30 et le réalisateur Yves Boisset a tourné un téléfilm en 1993,
03:33 l'affaire Seysnec.
03:36 Alors, que s'est-il réellement passé le 25 mai 1923 ?
03:39 Le 13 juin 1923,
03:53 deux hommes se présentent à la Sûreté Générale,
03:56 11 rues des Saucées à Paris.
03:59 Louis Kemener et son beau-frère, Jean Poulikène,
04:02 notaires à Pont-l'Abbé dans le Finistère.
04:05 Ils viennent signaler la disparition inquiétante
04:08 de Pierre Kemener, qui s'est rendu pour affaire à Paris
04:11 et dont il n'avait plus aucune nouvelle
04:14 depuis le 24 mai, date de son départ pour la capitale.
04:17 Ils sont reçus par le commissaire Raymond.
04:20 Pierre Kemener est conseiller général
04:23 du canton de Cisun, dans le Finistère.
04:26 On prend donc très au sérieux la démarche des deux hommes
04:29 et on charge le commissaire Vidal d'éclaircir cette affaire.
04:33 - Kemener est le pur produit de la société rurale bretonne
04:36 puisqu'il est né dans une famille nombreuse,
04:39 fils d'agriculteur.
04:42 Et il se retrouve très vite, en fait,
04:45 à être obligé de chercher du travail ailleurs
04:48 parce qu'il n'est pas l'aîné de la famille.
04:51 Et donc, il va à Morlaix et il revient dans son pays natal
04:54 ouvrir une petite boutique de boulangerie
04:57 pour se faire un petit peu de l'argent.
05:00 Et puis, il revient dans son pays natal
05:03 ouvrir un commerce de vins spiritueux.
05:06 En même temps, il commercialise du charbon et du bois
05:09 dans le pays, ce qui fait que très rapidement,
05:12 il se spécialisera dans le bois et de l'importation
05:15 de charbon venant du pays de Galles.
05:18 Kemener, pendant la guerre, est trop vieux
05:23 pour être mobilisé et donc l'armée
05:26 va l'utiliser dans le génie
05:29 pour acheter du bois, justement, pour les besoins de l'armée.
05:32 Et il va continuer comme ça à travailler en auxiliaire,
05:35 en fait, de l'effort militaire, ce qui fait
05:38 qu'il s'enrichit considérablement pendant la guerre
05:41 et il continue son négoce après la guerre,
05:44 un négoce qui devient important puisqu'on le voit
05:47 frêter des bateaux complets pour aller sur le pays de Galles
05:50 où il vend des poteaux de mines et où il rapporte du charbon.
05:53 Donc, Kemener est un industriel important
05:56 et sa réussite est marquée
05:59 par la construction d'une villa à Landernaux,
06:02 une villa qui domine la ville,
06:05 une très, très belle construction.
06:08 Et en même temps, il devient conseiller général
06:11 de son canton natal de Cisun.
06:14 Donc, il devient un notable qui a pignon sur rue.
06:17 Pierre Kemener était parti avec son ami
06:22 Guillaume Cézenec, maître de la scierie
06:25 et son frère, Raon Harvelin, à Morlaix.
06:28 Ils étaient associés depuis plusieurs mois
06:31 pour une affaire de revente de voitures,
06:34 des Cadillacs laissées par les Américains après la guerre.
06:37 (musique douce)
06:40 ♪ ♪ ♪
06:43 ♪ ♪ ♪
06:46 - Les Américains, quand ils sont engagés
06:49 dans la Première Guerre mondiale,
06:52 ils engagent des troupes et ce qu'ils font toujours,
06:55 ils envoient du matériel. Donc, il y avait des bateaux
06:58 et des bateaux, des cargos qui amenaient du matériel,
07:01 donc des véhicules, de la nourriture,
07:04 des couvertures, de l'équipement militaire.
07:07 Il y a eu de la même façon un nombre important d'automobiles,
07:10 bon, pas uniquement des Cadillacs.
07:13 Les Cadillacs étaient des automobiles réservées aux officiers.
07:16 Donc, c'était des véhicules de luxe et un ouvrage
07:19 après la guerre par la société Cadillac aux États-Unis
07:23 dit qu'il y a eu 2 095 Cadillacs expédiés sur le front
07:28 pendant la Première Guerre mondiale.
07:31 Ce qui fait que 2 095 Cadillacs n'étaient pas suffisants
07:35 pour un vaste trafic, sachant qu'un certain nombre de Cadillacs
07:39 avaient été détruits pendant la guerre.
07:42 ♪ ♪ ♪
07:44 - Un intermédiaire, un certain Chertgui,
07:47 un Américain, recherchait ces véhicules
07:50 pour les envoyer en Union soviétique.
07:53 "Ils rachètent les véhicules à prix d'or", avait dit Kemener.
07:56 L'intermédiaire voulait acheter les voitures par lot de 10.
08:00 Il fallait donc de l'argent pour se procurer ces véhicules.
08:03 Kemener en avait fait part à son banquier,
08:06 qui, flérant une arnaque, avait refusé de lui avancer
08:09 les 150 000 francs demandés.
08:12 - Pourquoi est-ce que Kemener a besoin d'emprunter
08:16 150 000 francs de l'époque, si il y a une somme importante?
08:20 Quel est son intérêt?
08:22 Puisqu'il est supposé livrer des Cadillacs,
08:25 donc il va être payé, rémunéré.
08:27 Donc pourquoi est-ce qu'il doit porter,
08:29 pour participer à cette affaire, 150 000 francs?
08:32 On n'a aucune idée, on ne sait pas.
08:34 Donc ils partent à Paris pour vendre une 1re Cadillac.
08:37 Donc c'est eux qui devraient être payés
08:39 et non pas eux qui doivent payer.
08:41 Donc il y a un truc bizarre là-dessous.
08:43 Donc personne n'a jamais été capable d'évider.
08:46 Sauf si, effectivement, c'est une arnaque.
08:48 Donc qu'est-ce qu'on leur a promis?
08:50 Pourquoi Kemener a besoin d'aller à Paris
08:52 à un rendez-vous avec 150 000 francs?
08:54 Eh bien, mystère.
08:56 - Dans un 1er temps, 16 necs possédant justement une Cadillac,
09:03 les 2 hommes décident de se rendre à Paris
09:06 à bord de cette voiture pour la présenter à Sherdly.
09:09 Le voyage n'est pas de tout repos.
09:11 La voiture subit plusieurs crevaisons
09:13 et elle tombe en panne à de nombreuses reprises.
09:16 Adreux, nouvelle panne,
09:18 les 2 hommes font réparer la voiture auprès du garage O'Day.
09:22 Kemener décide alors de prendre le train
09:25 pour ne pas manquer le rendez-vous.
09:27 16 necs, lui, reprend la route pour la Bretagne
09:30 jugeant la voiture en trop mauvais état
09:32 pour la présenter à Paris.
09:34 Il arrive chez lui à Morlaix
09:36 le lundi 28 mai vers 4 h du matin.
09:40 - 16 necs est donc fils d'agriculteur à Plo-Moderne,
09:43 région relativement riche, donc des paysans aisés.
09:46 Et rapidement, il prend un commerce de vélo
09:49 donc dans le bourg de Plo-Moderne,
09:52 un commerce qui fonctionne normalement,
09:55 mais il y a un incendie et donc il est ruiné.
09:58 Mais les assurances font qu'il peut réinvestir ailleurs.
10:02 Donc il tient un bistrot auprès de Châteaulin,
10:05 puis il va sur Brest, où il va ouvrir une buanderie.
10:09 Une buanderie qui va travailler, on est pendant la guerre,
10:13 qui va travailler pour les Américains
10:16 et pour l'armée française.
10:18 Donc c'est une buanderie déjà industrielle
10:20 qui est relativement importante.
10:22 Et 16 necs monte en puissance pendant la guerre également
10:25 et il investit à Morlaix,
10:27 où il achète un commerce de bois.
10:30 De bois en gros, une saboterie en fait.
10:33 Et il offre une dizaine d'ouvriers à l'époque de l'affaire.
10:37 Donc c'est aussi un industriel qui a pignon sur rue.
10:42 Mais 16 necs va rapidement comprendre
10:46 l'intérêt de tous les trafics d'après-guerre,
10:50 notamment autour du camp américain de Brest.
10:53 Et il va très rapidement devenir,
10:56 en plus de son activité bois,
10:58 il va devenir une espèce de chiffonnier.
11:01 Il achète des stocks américains,
11:03 il les revend au plus haut franc
11:05 et il va être dans ces trafics-là
11:07 pendant toutes les années d'après-guerre.
11:10 Pierre Keméner avait dit à sa famille
11:13 qu'il serait de retour au plus tard le 28 mai
11:16 afin d'être présent au noce de sa nièce.
11:19 Le 4 juin, Jenny, sa sœur,
11:22 sans nouvelles de son frère,
11:24 se rend chez 16 necs.
11:26 Ce dernier n'a pas de nouvelles non plus.
11:34 Mais il n'est pas inquiet.
11:36 Les affaires demandent quelquefois
11:38 plus de temps que prévu.
11:40 Le 10 juin, c'est Louis Keméner
11:46 et son beau-frère Jean Pouluken
11:48 qui se rendent chez 16 necs.
11:50 Ce dernier convient que la situation est inquiétante
11:53 et les 3 hommes se présentent à la police mobile de Rennes
11:57 pour signaler la disparition.
12:01 Le 11 juin, Louis Keméner et Jean Pouluken
12:04 décident de faire eux-mêmes l'enquête.
12:07 Ils partent pour Paris.
12:09 16 necs leur a indiqué que l'Américain
12:12 que devait rencontrer Keméner
12:14 habitait boulevard Malzherbe.
12:16 Au 6, au 16 ou au 21,
12:19 il ne se souvenait plus du numéro.
12:21 Fait étrange, le numéro 6 du boulevard Malzherbe
12:25 correspond au bureau de poste
12:27 où Pierre Keméner avait demandé
12:29 à son beau-frère Jean Pouluken
12:31 de lui envoyer un chèque de 60 000 francs.
12:34 Le préposé leur confirma qu'un pli était arrivé
12:37 pour M. Keméner
12:39 et qu'une personne avait voulu le récupérer
12:41 mais il ne lui avait pas été remis.
12:43 Aux autres numéros, aucune trace de Cherdy.
12:46 Les 2 hommes continuent leur enquête
12:48 à l'hôtel de Normandie,
12:50 près de la gare Saint-Lazare.
12:52 C'est là que Pierre Kemener aurait dû descendre
12:55 mais là encore, aucune trace.
12:57 Ni d'ailleurs dans les différents endroits
12:59 que leurs parents fréquentent habituellement
13:01 lorsqu'ils seront à Paris.
13:03 Ils décident donc d'avertir la sûreté générale.
13:06 Le lendemain, de retour à Landerneau,
13:10 les 2 hommes sont accueillis par génie Kemener,
13:13 tout à sa joie d'avoir reçu un télégramme
13:15 de son frère, posté du Havre.
13:17 "Ne rentrerez Landerneau que dans quelques jours.
13:21 "Tout va pour le mieux. Signé Kemener."
13:24 Le mystère semble résolu.
13:26 On s'empresse de rassurer les Sèsnecs
13:28 et d'avertir la police afin de faire cesser les recherches.
13:32 Pourtant, Jean Pouliken émet un doute.
13:35 Pourquoi son beau-frère a-t-il signé son télégramme "Kemener" ?
13:39 Alors qu'il a l'habitude de mettre son prénom "Pierre"
13:43 à la fin des lettres destinées à la famille.
13:46 Le 18 juin, toujours sans nouvelles,
13:48 Jean Pouliken adresse une lettre à la sûreté générale
13:51 afin de mettre en doute l'authenticité du télégramme
13:54 et demander de reprendre l'enquête.
13:57 Le 20 juin 1923, François Moutel fait son inspection quotidienne
14:02 dans les salles d'attente de la gare du Havre.
14:05 Il est 22h30 et le dernier train pour Paris vient de partir.
14:09 Sous une banquette, il aperçoit une valise oubliée de couleur jaune.
14:14 Il la porte à la consigne des objets trouvés
14:17 et en fait l'inventaire avec le chef de gare Eugène Leroy.
14:21 La serrure est fracturée et ils n'ont aucune peine à l'ouvrir.
14:24 A l'intérieur, du linge, des chemises et une serviette en cuir
14:29 dans laquelle se trouve un portefeuille vide
14:32 et un carnet de notes noir,
14:34 une promesse de vente sur du papier timbré
14:37 et des papiers d'identité au nom de "Pierre Kemener".
14:41 Le chef de gare envoie donc une lettre au propriétaire de la valise
14:44 afin de signaler sa découverte.
14:48 Dès le lendemain, Jenny Kemener, recevant le courrier, imagine le pire.
14:53 Elle avertit la direction de la Sûreté Générale.
14:56 Le 22 juin, le parquet de Brest ouvre une information contre X pour meurtre
15:02 attendu que la disparition de Pierre Kemener
15:05 paraît imputable à un attentat criminel.
15:08 L'enquête est menée de front par la 13e brigade de police mobile de Rennes
15:14 et par le commissaire Vidal de la Sûreté Générale.
15:17 Le 26 juin 1923, Jean-Baptiste Cunha, commissaire à Rennes,
15:23 procède à l'audition de Guillaume Céznec à son domicile.
15:26 Ce qui paraît logique puisque c'est le dernier à avoir vu Pierre Kemener vivant.
15:32 Céznec lui explique qu'en avril 1923,
15:35 Kemener lui avait fait part de la demande d'un Américain du nom de Cherdly
15:40 qui recherchait des voitures américaines pour le gouvernement russe.
15:44 "Il y a de l'or à gagner en barre", avait-il précisé.
15:48 - Il s'avère que la Russie soviétique à cette époque-là, en 1923,
15:54 à l'époque où Kemener et Céznec se lancent dans ce trafic,
15:58 n'achètent pas ce genre de véhicules parce qu'ils n'ont pas de besoin.
16:02 Ils n'ont aucun besoin pour ces véhicules.
16:04 Ils ont besoin effectivement de tracteurs, ils ont besoin de véhicules utilitaires.
16:08 Les cadillacs ne sont pas du tout adaptés.
16:10 Donc la Russie soviétique n'a jamais acheté de cadillac en 1923
16:15 parce que ça ne correspondait pas à leurs besoins de l'époque.
16:18 De plus, s'ils avaient eu besoin, ils pouvaient tout à fait acheter des véhicules neufs
16:22 en passant par les circuits établis entre les Etats-Unis et la Russie.
16:29 Ford vendait tout à fait légalement des véhicules.
16:32 La Grande-Bretagne vendait aussi de son côté en toute légalité des véhicules à la Russie soviétique.
16:38 La Russie soviétique de l'époque n'avait aucune raison d'aller acheter ces véhicules
16:43 avec deux bretons marchands de bois.
16:48 Complètement, on est à la limite du délire.
16:52 De son côté, le commissaire Vidal, en présence de Génie Kemener,
16:59 fait l'inventaire de la valise retrouvée en gare du Havre.
17:03 Le linge est bien celui de Pierre Kemener.
17:06 Le portefeuille est vide, il n'y a pas d'argent.
17:10 Mais ce qui étonne Génie, c'est l'existence de la promesse de vente par Pierre Kemener
17:15 de sa propriété de plourivaud au profit de Guillaume Seysnec.
17:20 Elle est datée du 22 mai 1923 et elle n'en a jamais entendu parler.
17:26 Le carnet de notes noires contient le compte des dépenses effectuées par Pierre Kemener
17:31 et Guillaume Seysnec pendant leur voyage pour Paris.
17:34 Dans la liste des "frais Kemener", il est indiqué un billet de train Dreux-Paris pour 11,40 francs
17:41 et un autre Paris-le-Havre pour 31,75 francs.
17:46 Ce qui tendrait à prouver que Pierre Kemener a bien pris le train à Dreux pour Paris
17:51 afin d'assister à son rendez-vous.
17:53 Et ensuite, il se serait rendu au Havre, d'où il aurait pu envoyer le télégramme rassurant.
17:59 Pourtant, Génie Kemener ne reconnaît pas l'écriture de son frère sur les dernières lignes du carnet,
18:06 qui justement font état de ses dépenses.
18:09 Il pourrait s'agir de mentions rajoutées par l'assassin pour égarer la police.
18:14 D'ailleurs, après enquête, on s'aperçoit rapidement que les tarifs indiqués pour les billets de train
18:19 ne correspondent pas au prix réel.
18:21 Le faussaire a tout simplement oublié de rajouter les taxes.
18:25 À partir de ce jour, la presse s'empare de l'affaire.
18:30 À la une du Petit Journal et du Petit Parisien s'étale la photo de Pierre Kemener.
18:35 Sa valise a été retrouvée tachée de sang.
18:38 En effet, quelques petites taches de sang ont été observées par les policiers
18:42 sur le couvercle et près de la serrure de la valise.
18:48 Le 28 juin, le commissaire Vidal convoque Guillaume Céznec à Paris.
18:53 Ce dernier lui répète son récit.
18:55 "Nous avons quitté Dreux vers 20h00 sans avoir mangé.
18:59 Après avoir parcouru 7 à 8 km, nous avons eu l'impression que la voiture n'était pas en état d'arriver à Paris
19:05 et nous avons jugé prudent de retourner à Dreux, où nous sommes arrivés peut-être à 21h00.
19:11 Nous avons dîné dans un hôtel.
19:13 Immédiatement après le repas, nous nous sommes rendus à la gare.
19:17 Pierre Kemener pilotait.
19:19 Il m'est difficile de préciser l'heure, je suppose qu'il pouvait être 21h30."
19:25 Sur le contenu de la valise, le commissaire demande à Céznec des précisions sur la promesse de vente retrouvée.
19:32 "Le 22 mai 1923, nous avons conclu l'accord dans la matinée à la terrasse de l'hôtel des Voyageurs à Brest
19:39 et Kemener s'est chargé de la faire taper en deux exemplaires.
19:43 Un sur moi", précisa Céznec en montrant son exemplaire.
19:47 Le commissaire Vidal décide alors de se rendre sur les lieux afin de vérifier le témoignage de Céznec qui manque de précision.
19:56 Le 29 juin, Céznec, entouré de plusieurs inspecteurs, se rend à Dreux.
20:04 On retrouve facilement le garage Odet.
20:07 Le garagiste indique qu'il a bien effectué une réparation le 25 mai et que l'automobile a quitté l'atelier entre 20h15 et 20h30.
20:16 Devant la gare, Céznec confirme que c'est bien là qu'il a laissé son compagnon.
20:21 Mais il est impossible de retrouver l'hôtel où les deux hommes ont dîné juste avant.
20:26 Des témoignages spontanés et les investigations des inspecteurs vont mettre à jour une autre version.
20:34 À Oudan, ville située à 20 km de Dreux, à l'hôtel du Plat d'Etaing, les serveuses se souviennent très bien des deux hommes.
20:42 Ils sont venus dîner vers 21h15.
20:46 À la gare de Oudan, monsieur Garnier, le facteur Nouvion, le chef de gare Pierre Piot et son épouse ont entendu le bruit d'un choc.
20:55 Il était 22h05.
20:57 Une automobile venait de heurter la barrière.
21:00 Garnier et Nouvion confirmèrent par la suite avoir reconnu Céznec.
21:05 Garnier demanda même au conducteur qu'il reconnut comme étant quéméneur sur une photographie.
21:10 - Mais où allez-vous ?
21:11 Celui-ci lui répondit "La route de Paris, s'il vous plaît".
21:15 Les dégâts étant peu importants, la voiture avait repris la route dans la direction indiquée.
21:20 - Alors donc c'est le dernier témoignage où on les voit tous les deux ensemble.
21:24 - Il dira qu'il y avait des discussions entre les deux hommes, visiblement il n'était pas d'accord sur ce qu'il fallait faire.
21:30 - Je pense que quéméneur ne voulait pas continuer à Paris et se retrouver au milieu de la nuit dans une cadiac qui était en panne.
21:36 - Donc il a préféré prendre le train, voilà c'est ce qu'on imagine, c'est ce que Céznec va dire.
21:42 - Maintenant on ne reverra plus quéméneur, donc du coup que croire, qu'est-ce qui s'est passé après ?
21:51 Céznec reconnaît s'être trompé entre Dreux et Houdon.
21:55 Mais il affirme qu'il a laissé quéméneur à la gare vers 22h.
21:59 Or à 7h, il n'y a plus de train pour Paris. Le suivant ne passant qu'à 3h49 le lendemain.
22:05 "Qu'a donc fait quéméneur en attendant ?" demanda un des inspecteurs.
22:09 "Il a peut-être rencontré une gonzesse avec qui il a pu aller coucher ?" répond Céznec.
22:17 Suite aux investigations faites en Bretagne et à Paris, le juge d'instruction de Brest, Ernest Binet, délivra un mandat d'amené à l'encontre de Guillaume Céznec.
22:27 Céznec arrêté, les choses vont aller très vite.
22:31 La presse, qui suit jour après jour les avancées de l'enquête, va en faire son gros titre.
22:37 Et la photo de Céznec, présentée en première page, provoque un témoignage déterminant.
22:45 Monsieur Chesnoir, qui tient un magasin de fourniture de bureaux au Havre, déclare avoir vendu une machine à écrire de marque royale à l'homme dont la photographie a été publiée dans le journal Excelsior le 1er juillet 1923.
23:01 La vente s'est effectuée le 13 juin.
23:04 Et outre Monsieur Chesnoir, son employée, Mademoiselle Errenval, une caissière, Mademoiselle Feuillotet, et deux représentants en machine à écrire, Messieurs de Hainaut et Legrand, déclarèrent avoir vu Céznec dans le magasin.
23:18 D'ailleurs, les deux hommes avaient partagé le même compartiment de train entre Rouen et le Havre, le matin même, avec lui.
23:25 Céznec nie tout. Il affirme n'avoir jamais été au Havre le 13 juin 1923.
23:32 Pourtant, d'autres témoignages vont confirmer sa présence dans cette ville.
23:39 - Le 13 juin est assez compliqué. C'est-à-dire, en fait, tout commence le 12 juin, où Céznec quitte Morlaix avec un camion pour l'amener dans le nord des côtes du Nord, à l'époque.
23:52 Et il va tomber en panne à Ploarette. Et donc, on le voit mettre sa voiture dans une ferme et puis aller à pied à la gare de Ploarette.
24:02 Et il se trouve qu'il va faire un télégramme qu'il demandera de poster le lendemain matin pour dire qu'il était en panne à la gare de Ploarette.
24:13 C'est Mademoiselle Nicolas qui doit apporter le télégramme à la poste le lendemain.
24:17 - J'ai eu peur, parce qu'il était bizarre. D'abord, ses cicatrices, la figure. Et puis il était habillé quand même pas comme un monsieur, mais comme un ouvrier.
24:26 Enfin, c'était pas pour ça que j'avais peur de lui, mais c'est parce qu'il était drôle. Il avait pas l'air normal. Il avait l'air soucieux.
24:36 Il faisait les 100 pas en tout en ayant l'air de réfléchir beaucoup.
24:40 Il faut qu'il ait parti. Moi, j'ai pu penser à ça. Ce n'est qu'après, quand mon père, en lisant le journal, a vu cette histoire quéménaire, dit on parle d'un homme et ses nec.
24:48 Alors à ce moment là, c'est ce nom là qui m'a frappé. Je dis ses nec, ses nec. J'ai déjà vu ce nom là quelque part.
24:54 Et puis c'est à ce moment là que je me suis rappelée du télégramme.
24:58 En panne à 10 km de Lagnon ne rentrerait que demain matin ses nec.
25:03 Et il se trouve que à Plouarette, ce soir là, il y a un billet qui est délivré pour aller au Havre.
25:10 Et ce qui fait que tout ça, ça mettra la puce à l'oreille à la police en disant on retrouve ce même chemin.
25:18 Donc, les enquêteurs ont très vite fait le lien et ont dit qu'en fait, il avait laissé sa voiture là pour prendre le train pour le Havre et faire un retour plus tard.
25:28 Donc le jour d'après pour rechercher sa voiture tout simplement qui n'était pas du tout en panne.
25:35 Le vendredi 6 juillet à 15 heures, une perquisition est organisée chez ses nec à Traon-Arvelin afin de rechercher la fameuse machine à écrire.
25:48 Tous les recoins de la Syrie sont fouillés et dans le grenier d'un des bâtiments, les inspecteurs Thomas et Chélin trouvent derrière un grand panneau de bois un paquet assez volumineux.
25:58 Enveloppé dans un vieux tablier recouvert de plusieurs feuilles de papier, ils découvrent la fameuse machine à écrire royale.
26:09 Pour avoir la preuve que c'est bien cette machine qui a servi pour fabriquer la promesse de vente, les policiers vont taper le texte du document.
26:18 Il n'y a aucun doute, la frappe est bien la même. Madame Seznek est témoin de l'expérience.
26:25 Elle va d'ailleurs signer le compte rendu mais elle affirme n'avoir jamais vu cette machine auparavant.
26:32 D'autre part, on découvre également du papier timbré numéro 195, identique à celui qui a servi pour établir l'acte.
26:41 Ce papier a été acheté à Morlaix chez Monsieur Julien Rams, une connaissance de Seznek.
26:48 La machine à écrire a une importance énorme dans cette affaire-là puisque c'est la machine à écrire qui a servi à taper le faux en écriture.
26:57 Donc c'est en fait la pièce à conviction qui va dire que Seznek était intéressé pour faire disparaître Kemeneur pour récupérer le domaine de Plourivaud.
27:07 L'expertise des textes du contrat et de sa copie, passés entre Kemeneur et Seznek, du télégramme expédié du Havre signé Kemeneur
27:17 et des feuilles 46 et 48 du carnet noir retrouvés dans la valise, va démontrer qu'ils sont tous de la même main.
27:26 En conclusion du rapport d'expertise remis le 19 décembre 1923, on pouvait lire
27:33 « Les quatre pièces qui nous ont été remises ne sont pas de la main de Kemeneur.
27:38 Elles sont de la main de Seznek qui s'était forcé, avec un succès très relatif, d'imiter l'écriture de Kemeneur. »
27:45 Une autre interrogation des enquêteurs était le prix dérisoire, 35 000 francs, indiqué sur cette promesse de vente,
27:52 alors que la propriété de Kemeneur était évaluée à 150 000 francs.
27:58 À ceci, Seznek répondit que les 35 000 francs ne représentaient qu'une partie de la somme.
28:03 Le solde devait être payé en dessous de table, afin d'éviter les effrets.
28:08 Seznek s'était fait une cagnotte en dollars, des pièces d'or qu'il gardait dans une petite boîte en carton.
28:14 Il avait accumulé ce magot lorsqu'il possédait une blanchisserie pendant la présence des troupes américaines en Bretagne.
28:20 Il avait, dit-il, remis cet argent à Kemeneur le jour de la signature de l'acte.
28:26 La boîte en carton et son contenu n'ont jamais été retrouvés.
28:31 Durant son incarcération préventive, il va se passer de nombreux événements qui vont tenir la presse en allers.
28:41 Guillaume Seznek va demander, dans les courriers qu'il envoie à sa femme, de solliciter ses amis pour faire de faux témoignages.
28:49 Il va demander aux gens de changer de date ou de choses comme ça pour que sa version soit validée.
28:58 Et donc là aussi, tout ça, ça va être intercepté, tout ça, ça va être connu et ça va ne faire que l'enfoncer.
29:03 Donc la période de prison pour Seznek est assez dramatique parce que jusque le moment où il est transféré à Quimper pour passer aux Assises,
29:11 il va encore essayer de soudoyer d'autres gens qui sont en cellule avec lui pour susciter de faux témoignages.
29:17 Donc ça, ça va ne faire que l'enfoncer.
29:20 Est-ce à la demande de Seznek ou de sa femme ?
29:23 Plusieurs témoins tardifs vont venir déclarer spontanément avoir vu Kemeneur après le 25 mai.
29:30 On crut le voir à la gare de Rennes, à la terrasse du café de Versailles à Paris, dans un restaurant à Montparnasse.
29:37 Le témoignage qui retint le plus l'attention fut celui de François Leher, qui était receveur stagiaire sur la ligne de tramway Hôtel de Ville-Hauteuil.
29:47 Il dit qu'il avait vu Pierre Kemeneur monter à l'arrêt Pont de Solferino.
29:52 C'était le 26 mai 1923, vers 18h30.
29:56 Les deux hommes se connaissaient. Leher était originaire du Finistère et il s'entretint en Breton.
30:03 Cette déposition peut remettre en question une partie de l'instruction.
30:07 Mais l'enquête faite autour de François Leher va décrédibiliser en partie son témoignage.
30:12 En Bretagne, les habitants qui avaient côtoyé le témoin le considéraient comme un escroc.
30:18 À Paris, ses collègues des tramways le jugeaient bavard, causant à torer à travers, vantard, bluffeur.
30:24 Autant dire que son témoignage était à prendre avec des pincettes.
30:29 Le 28 juillet 1924, l'instruction est terminée et l'acte d'accusation retient les éléments suivants.
30:38 Le rendez-vous avec Charlie ou Cherdy à Paris n'est qu'une invention de Seysnec.
30:45 Le 25 mai 1923, Pierre Kemeneur n'a jamais pris le train pour Paris.
30:51 Le télégramme établi le 13 juin 1923, signé Kemeneur, est un faux.
30:57 Seysnec s'est procuré au Havre une machine à écrire avec laquelle il a fabriqué les fausses promesses de vente dont un exemplaire est retrouvé dans la valise de Kemeneur.
31:07 Le mobile du crime est de s'approprier la propriété de Kemeneur et les sommes d'argent qu'il avait sur lui.
31:14 C'est le 24 octobre 1924 que s'ouvre à Quimper le procès de Guillaume Seysnec.
31:20 Monsieur Dolin du Fresnel va présider la cour. Seysnec est défendu par Maître Kahn et Maître Lehi.
31:27 Pendant 7 jours, Seysnec va camper sur ses positions. Il n'est pour rien dans la disparition de Kemeneur.
31:33 Plus de 100 témoins, experts et policiers vont être entendus à la barre. Seysnec persiste dans ses dénégations. Il est innocent.
31:43 Le crime de Guillaume Seysnec est un crime de la liberté.
31:47 Il est un homme qui a été convaincu de ses failles.
31:51 Il a été convaincu de ses failles.
31:54 Les faits contre Guillaume Seysnec sont extrêmement lourds et difficilement contestables.
32:00 Que ce soit les faux, les usages de faux qu'il ne met pas en cause par rapport à une fausse promesse de vente qui le liait à Kemeneur.
32:10 Que ce soit un certain nombre d'explications qu'il est incapable de fournir alors que plusieurs témoins l'ont vu au Havre.
32:16 Et il est vrai que la machine à écrire, par exemple, retrouvée dans la scierie de Guillaume Seysnec et qui a servi à rédiger les deux fausses promesses de vente, bien était trouvée chez Seysnec.
32:35 Le 2 novembre 1924, le bâtonnier Alizon, avocat de la partie civile, commence sa plaidoirie.
32:43 « Seysnec a voulu le crime. Seysnec a perpétré le crime. Seysnec a profité du crime. »
32:51 Évoquant la réponse de Seysnec lorsque le policier lui avait demandé devant la gare de Houdan ce qu'avait fait Kemeneur en attendant le train du matin, le bâtonnier Alizon va avoir cette phrase terrible.
33:02 « Vous nous avez parlé de gonzesses qui étaient allées rejoindre Kemeneur. Cette amante-là, nous la connaissons tous. C'est la mort dont le baiser glacé s'est la jamais les lèvres sur lesquelles elle se pose et dont vous vous faites, Seysnec, l'entremetteur cupide et sinistre. »
33:21 Et il finit sa plaidoirie par ces mots « Repentez-vous, Seysnec, et Dieu, plus tard après l'expiation, vous pardonner. »
33:31 Le lendemain, l'avocat général Guyot fait sa réquisition. Il réclame la peine suprême contre un assassin félon meurtrier de son ami coupable d'un crime prémédité.
33:45 Maître Marcel Kahn, l'avocat de la Défense, va essayer de semer le doute dans la tête des jurés.
33:52 Il situe la séparation de Seysnec et Kemeneur à Dreux, réfute les expertises qui disaient que la promesse de vente et le télégramme étaient des mains de Seysnec.
34:02 Puis il met en avant la déposition de Leher, qui a dit avoir vu Kemeneur à Paris le 26 mai, démontrant ainsi qu'il n'y a pas eu crime et d'ailleurs où est le corps.
34:12 Il termine sa plaidoirie en s'adressant au juré. « Malheur à vous, juré breton, si l'on pouvait jamais dire un jour que vous avez condamné sans preuve un homme qui n'était pas coupable. »
34:25 Trois questions vont être posées au juré. Seysnec est-il coupable d'avoir volontairement donné la mort à Pierre Kemeneur ?
34:33 A-t-il agi avec préméditation ? Et est-il coupable d'avoir fabriqué les fausses promesses de vente ?
34:41 Les jurés vont déclarer Seysnec coupable, mais sans préméditation. Sur le fond en écriture, ils répondent oui à la majorité.
34:52 Seysnec est condamné aux travaux forcés à perpétuité. La promesse de vente est déclarée nulle.
34:59 Seysnec se pourvoit immédiatement en cassation, mais sa demande est rejetée.
35:06 Condamné au bagne, Guillaume Seysnec va partir pour Saint-Martin-de-Ré le 17 janvier 1925 et embarquer pour la Guyane à bord de la Martinière le 7 avril 1927.
35:20 Il y a un choc important en 1923 lorsque Albert Londres fait paraître ses reportages. Là, Albert Londres, dans un quotidien qui tire à plus d'un million d'exemplaires, montre tout le côté humain, absurde, pathétique du bagne.
35:39 Et c'est d'autant plus insupportable que la France sort des souffrances de la Première Guerre mondiale.
35:44 La pression intérieure de la presse, de groupes comme l'Armée du Salut, un certain nombre d'hommes politiques font que le Front populaire, tout à fait logiquement, va en 1938, en juin 1938, produire un décret-loi mettant fin à la transportation.
36:03 C'est-à-dire on ne va plus envoyer les condamnés aux travaux forcés en Guyane.
36:09 Le 17 juin 1938, par décret, le président de la République, Albert Lebrun, abolit la transportation au bagne de Guyane.
36:19 Un mois plus tard, Céznec voit sa peine à perpétuité commuée en 20 ans de travaux forcés.
36:26 Profitant d'une remise de peine pour bonne conduite, il va finalement être libéré le 14 mai 1947.
36:34 Le 2 juillet 1947, il débarque au Havre. Il a 69 ans.
36:41 Pendant tout le temps de son incarcération, Marie-Jeanne, la femme de Guillaume Céznec, ne va cesser de crier à l'innocence de son mari.
36:51 Elle va signaler à la justice et à la presse le moindre élément pouvant mettre en doute sa culpabilité.
36:56 Mais toutes ces pistes ne débouchent sur rien et toutes les demandes en révision qu'elle a déposées sont rejetées.
37:03 En 1926, c'est la presse qui reprend le flambeau de l'innocence de Céznec.
37:09 La dépêche dauphinoise est le premier journal à évoquer l'idée d'une erreur judiciaire.
37:14 Le quotidien affirme qu'un sosie de Céznec a fait le coup.
37:18 La presse a besoin de symboles. Elle a le territoire, elle a l'ancrage et elle a des personnages romanesques absolument formidables.
37:30 La mère de Céznec lui-même, du reste Guillaume Céznec, sa mère, sa femme et plus tard sa fille.
37:36 En plus, là, tout un environnement tout à fait extraordinaire pour qui veut écrire des papiers.
37:44 Et comme la mère et la femme vont lutter, et c'est tout à leur honneur, pour défendre l'innocence de leur fils et Marie,
37:53 et bien petit à petit d'autres vont se mettre dans ce mouvement.
37:58 Il y a un juge dont on donne souvent le nom, un ancien juge d'instruction, le juge Hervé,
38:03 des missionnaires du reste de l'administration, et certainement, comme on le sait, en particulier en 1930,
38:11 n'ayant peut-être pas tous ses esprits et qui se prend de frénésie maniaque, il n'y a pas d'autre mot, pour l'affaire Céznec.
38:19 La presse de l'époque et l'opinion publique ne veut entendre que l'aversion de l'innocence.
38:25 En 1934, la Fédération du Finistère de la Ligue des Droits de l'Homme organisa le 18 février une rencontre entre Mme Françoise Bosser,
38:37 le juge Charles-Victor Hervé, et cinq des jurés ayant condamné Guillaume Céznec.
38:43 On leur présenta l'affaire de Plourivaud, argumentée par l'ancien juge de paix.
38:48 Des mariniers auraient entendu des coups de feu venant de la propriété de Kemeneur dans la nuit du 25 au 26 mai 1923.
38:56 Ce fait n'ayant pas été porté à la connaissance du tribunal, les jurés demandèrent une révision du procès.
39:05 Un texte sera adressé au ministre de la Justice, Henri Chéron, mais il ne sera pas suivi d'effet.
39:12 Le 12 janvier 1935, François Leher, le principal témoin de la défense, celui-là même qui avait témoigné avoir vu Kemeneur le 26 mai 1923,
39:30 épouse en deuxième noce Jeanne Céznec, la fille de Guillaume.
39:35 Ils ont trois enfants, Francette, Bernard et Denis. Hélas, le couple bas de l'aile, François Leher est violent avec son épouse.
39:44 Le 3 octobre 1948, Jeanne Céznec le tue de trois balles de revolver.
39:51 Deux témoins qui ont assisté au drame expliquent que Jeanne était en état de légitime défense, son mari s'étant jeté sur elle pour l'étrangler.
40:00 Son procès a lieu en juillet 1949 à la cour d'assises de Quimper. Elle est acquittée.
40:07 Guillaume Céznec, de retour du bagne, reste à vivre avec sa fille Jeanne.
40:12 Le 28 novembre 1949, il quitte la Bretagne et s'installe dans le Midi. En octobre 1950, il parte vivre à Paris.
40:22 Le 14 novembre 1953, Guillaume Céznec est renversé par une voiture. Victime d'un traumatisme crânien, Céznec se rétablit petit à petit et fait même un voyage à Plourivaud.
40:35 Mais le 14 février 1954, il décède au domicile de sa fille, emportant avec lui son secret.
40:48 En 1960, Denis Lehert Céznec, le fils de Jeanne et de François Lehert, reprend le combat pour prouver l'innocence de son grand-père.
40:58 Il va faire un travail considérable, se plongeant dans les archives, recueillant des témoignages et alertant la presse au moindre fait nouveau.
41:07 En 1976, il demande à Denis Langlois, avocat spécialisé dans la défense des droits de l'homme, de déposer au nom de sa mère une demande de révision.
41:29 Le dossier était aux archives du Finistère, je l'ai fait venir à Paris et ça a été pour moi une énorme surprise.
41:38 C'était un assemblage d'un mètre cinquante de haut, des dossiers poussiéreux jaunis et j'ai eu l'impression vraiment de faire une recherche historique.
41:50 Au premier abord, il m'est apparu que Céznec était coupable, que le jugement avait été rendu tout à fait équitablement, que sa condamnation s'imposait.
42:02 Et puis j'ai continué à chercher dans les couches plus profondes du dossier et je me suis aperçu que ce n'était pas aussi net que cela.
42:11 Il y avait des témoignages qui avaient été cartés, des expertises qui n'avaient pas été faites.
42:18 Et puis je me rendais compte que dès le début, on avait suivi une seule piste.
42:24 Une seule piste, la culpabilité de Céznec qui avait assassiné Kemener dans les environs de Oudan, qui avait fait disparaître son corps justement aux alentours de Oudan.
42:35 Et puis toutes les autres pistes avaient été cartées.
42:39 Donc une enquête, je dirais serrée sur certains points, mais bâclée sur d'autres.
42:48 Il y avait tout un tas d'autres pistes qui auraient dû être explorées, elles ne l'avaient pas été.
42:53 Donc j'ai considéré qu'il était possible de déposer une demande en révision au nom de Jeanne Céznec, l'une des filles de Céznec.
43:04 Malheureusement, cette demande en révision a été rejetée comme les précédentes.
43:09 L'acharnement de la famille est tel que le 23 juin 1989, une loi est votée à l'unanimité au Parlement.
43:18 Elle modifie la procédure de révision des cas jugés en acide.
43:22 Appelée par le journal Le Monde, loi Céznec, elle permet la révision d'un procès suite à la découverte d'un fait nouveau.
43:30 Non plus de nature à établir l'innocence d'un condamné, mais seulement de nature à faire naître un doute.
43:40 Le 30 mars 2001, c'est Marie-Lise Lebranchu, alors garde d'Essoe et ministre de la Justice,
43:46 qui présente la 14e demande de révision, invoquant une machination policière et mettant en avant la découverte d'un certain Budjema Gherdi,
43:56 revendeur de pièces détachées d'automobiles, qui aurait pu être le personnage avec lequel Kemener avait rendez-vous le 27 mai 1923.
44:05 La commission de révision va renvoyer la décision vers la Chambre criminelle et le 14 décembre 2006,
44:12 au terme d'une longue réflexion et d'un long rapport, elle rejette la demande.
44:17 C'est-à-dire mettre en cause, et encore parfois aujourd'hui, l'innocence de Guillaume Ceznec, c'est mettre en cause l'innocence de Dreyfus.
44:26 Donc on est vraiment sur quelque chose qui rebondit, qui est renouvelé, comme aucun ou très peu d'historiens ou de journalistes ne remontent aux sources,
44:36 ne vont vraiment travailler sur le sujet.
44:38 Personne ne met vraiment en cause l'idée d'une innocence de Guillaume Ceznec, si ce n'est en dernier recours, en décembre 2006,
44:46 la Cour de cassation qui reprend l'intégralité du dossier, qui analyse les 14 demandes de révision qui se sont accumulées depuis la fin des années 1920,
44:56 et qui conclut que finalement rien ne permet de remettre en cause le jugement tel qu'il a été prononcé par la Cour d'assises de Quimper en 1923.
45:06 Alors il est vrai qu'on n'a pas retrouvé, en quelque sorte, ni le cadavre, ni l'arme du crime.
45:13 On a plus ou moins quand même le motif, mais sauf à considérer qu'il est possible, sans grand dégât, de réaliser un crime parfait,
45:22 à partir du moment où on a énormément de preuves, de suspicions et d'intimes convictions des jurés, comme c'est prévu dans le droit français,
45:32 on peut difficilement mettre en cause le jugement d'origine.
45:36 Un autre personnage fut mis en avant par les défenseurs de l'innocence de Ceznec.
45:41 Il s'agissait de Pierre Bonny, l'inspecteur stagiaire qui était sur l'affaire avec le commissaire Vidal.
45:48 Pierre Bonny fit parler de lui plus tard lorsqu'il s'occupa de l'affaire Stavisky, comme chef d'enquête cette fois-ci.
45:55 Il fut félicité par le ministre Chéron, puis après une période de disgrâce, il intégra pendant l'occupation l'équipe de la Carlin,
46:04 et participa avec l'affront aux arrestations des juifs, au pillage de leurs biens et aux séances de torture.
46:12 Cet itinéraire sulfureux fut utilisé pour expliquer qu'il aurait pu manipuler les différents éléments de l'enquête et falsifier des preuves
46:21 pour mettre sur le dos de Ceznec le meurtre de Kemeneur.
46:25 Et tout cela ne serait qu'une machination policière.
46:29 Denis Langlois, l'ancien avocat de la famille Ceznec, vient de retrouver dans ses archives un élément étonnant qui pourrait bien faire avancer les choses.
46:40 En 1977, il reçoit la visite de Bernard Lehert, le frère de Denis Lehert Ceznec.
46:46 Il m'a fait écouter un enregistrement magnétique de son oncle, petit Guillaume, l'un des fils de Ceznec, où celui-ci faisait des révélations surprenantes.
47:01 Il disait que par un dimanche de mai 1923, il jouait dans le jardin de la propriété familiale à Morlaix et qu'il avait brusquement entendu les cris de sa mère par la fenêtre de la salle à manger ouverte.
47:20 Sa mère disait "non, Pierre, pas vous, non, laissez-moi tranquille, laissez-moi tranquille ou j'appelle".
47:28 Et puis plus rien.
47:30 Petit Guillaume s'approche de la fenêtre de la salle à manger, se hisse sur le rebord et il voit sur le sol de la salle à manger le corps de Kemener recroquevillé du sang sortant du front et en face sa mère livide.
47:55 Il constate aussi que sur la cheminée, il y a un chandelier qui est de travers et il suppose que sa mère a repoussé Kemener qui se faisait un soupirant très pressant et qu'elle l'a frappé avec ce chandelier.
48:15 Bertrand Villain a lui aussi une autre pièce du puzzle.
48:20 C'est l'inventaire des biens et le descriptif de la maison de Ceznec.
48:24 C'est un document unique.
48:26 Nous sommes allés sur les lieux pour vérifier le témoignage de Petit Guillaume.
48:31 Nous sommes ici dans la salle à manger de la maison Ceznec.
48:35 Ici, vous pouvez voir la cheminée.
48:38 Nous avons l'inventaire qui a été réalisé le 17 juillet 1923.
48:44 Il est bien indiqué que dans la salle à manger, il y avait une pendule en marbre avec un vieux candélabre de style Louis XV.
48:54 D'après le témoignage de Petit Guillaume, le fils de Guillaume Ceznec, Kemener serait décédé devant cette cheminée.
49:05 Il aurait vu par la fenêtre le corps sur le carrelage.
49:13 Mais la confession de Petit Guillaume ne s'arrête pas là.
49:18 On demande à Petit Guillaume de ne rien dire.
49:24 La bonne angelle aussi a été témoin de ces faits.
49:28 Ensuite, Guillaume Ceznec revient de Paris.
49:34 Catastrophé, bien sûr, devant le cadavre de Kemener.
49:40 Il dit "on est ruiné, on est ruiné, l'argent qu'on lui a donné, on n'en reverra jamais la couleur".
49:46 Petit Guillaume pense que ses parents ont enseveli le corps de Kemener à un endroit précis qu'il indique dans son témoignage.
49:57 Si la version de Petit Guillaume est vraie, il nous dit qu'il aurait été enterré dans une espèce de cellier qui se trouvait dans la maison.
50:12 Dans l'inventaire du 17 juillet 1923, nous avons une cave.
50:17 Et dans cette cave, il y aurait trois barriques de vin et une demi-barrique.
50:23 Nous sommes actuellement dans la maison, nous avons parlé avec le propriétaire.
50:28 Il n'y a aucune cave dans cette maison, donc on peut se demander où est passée la cave.
50:36 En y regardant de plus près, il apparaît que le sol de la cuisine a été modifié.
50:42 Et nous pouvons constater que les tomates ne sont pas identiques, donc comme si le sol avait été refait avec un autre type de carrelage.
50:56 Peut-être la trace de la cave qui aurait été rebouchée ?
51:00 Un autre lieu intrigue. C'est un bâtiment en pierre situé à quelques mètres de la cuisine et qui pourrait servir de cellier.
51:08 Donc on peut voir qu'une ouverture existe dans ce bâtiment et cette ouverture a été comblée.
51:15 Donc c'est visible ici et ici on a la trace d'un ato qui indique qu'il y avait effectivement une ouverture.
51:26 Alors est-ce derrière la cave, l'ancienne cave, qui aurait été murée et qu'est-ce qu'il y avait dans cette cave ? On n'en sait rien.
51:34 En attendant que des fouilles soient entreprises dans la maison, Denis Ceznec, qui entre-temps a voulu oublier le nom de son père, le R, continue le combat qu'il a accompagné toute sa vie.
51:47 Ma mère et mon grand-père, ils formaient pour moi à mes yeux de petits garçons un couple. C'était un couple.
51:57 Mon grand-père c'était mon père en fait, psychologique. Je n'avais qu'une idée, c'était que mon grand-père soit innocenté.
52:05 Et ma mère c'était son objectif. C'est vrai que ma mère travaillait la nuit, elle travaillait le jour et se concentrait à l'affaire.
52:14 Des fois je me demandais comment elle arrivait à être tuée en impair. On vivait que pour l'affaire.
52:21 Et il y avait une nuée de journalistes en permanence, en permanence, en permanence. Je trouvais ça normal, je trouvais ça normal parce que j'étais habitué à cette ambiance.
52:32 Aujourd'hui, plus de 80 ans après l'affaire et le rejet de 14 demandes de révision, Denis Ceznec ne baisse toujours pas les bras.
52:44 Non, non, non, je ne baisse pas les bras. J'ai plus la même niac qu'avant parce que tout le monde est mort, tout le monde est mort.
52:50 Ma mère est morte, mon frère s'est suicidé. Puis disons que égoïstement, il y a l'âge qui vient et on se dit qu'on a déjà sacrifié beaucoup de choses.
53:04 Je pense à ma femme, je pense à mes amis, je pense à... C'est pas normal, j'ai une vie qui est anormale.
53:11 Alors c'est bien d'avoir des contacts au plus haut niveau de l'état et tout ça, c'est bien gentil, mais il faut avoir, comme je vous disais, des nerfs en titane ou avoir la niac et quelque part...
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