• il y a 11 mois
Danielle Mattei, directrice de l'association Alpha depuis 1994, association d'action socio-éducative, de formation professionnelle, de médiation et d'accès aux droits dans les quartiers populaires bastiais est l'invitée de la rédaction de RCFM.

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Transcription
00:00 Daniel Maté, bonjour.
00:02 Bonjour.
00:03 Vous êtes au travail, donc on l'a dit, auprès des habitants des quartiers Populaire Bastia depuis 1994.
00:09 Est-ce que les tensions dont Evelyne vient de parler sont réelles aujourd'hui sur le terrain, pour vous, qui vous y est trouvé ?
00:18 Ou est-ce qu'il s'agit d'une agitation extérieure, voire politique ?
00:22 Alors, je dirais que pour être sur le terrain, justement, comme vous l'avez précisé, depuis 30 ans,
00:28 et d'analyser quand même les différents phénomènes sur les quartiers, je peux dire qu'il y a des cycles.
00:36 Je me souviens déjà, en 2005, il y avait eu des phénomènes de rix à la rue droite, etc.
00:44 Et l'actualité s'était enflammée à ce sujet.
00:48 Nous avions justement construit un certain nombre de projets pour retravailler sur la mixité culturelle.
00:54 Et effectivement, je dirais qu'il y a toujours eu des soubresauts, alors ça ne veut pas dire qu'il ne faut pas...
01:00 Des pics, des crispations ?
01:02 Des crispations, comme j'en parle souvent. Il y a un peu des contractions de la société par rapport à des phénomènes,
01:08 par rapport à une société qui est en crise, nous le savons tous.
01:13 Alors après, certains diront, à juste titre, que depuis que nous sommes nés, il y a toujours des crises.
01:17 Mais c'est un peu la réalité des histoires humaines.
01:21 Et actuellement, sur le quartier, je dirais que bien évidemment qu'il y a des phénomènes à prendre en compte,
01:27 parce qu'il y a une augmentation de la pauvreté.
01:29 Voilà, le principal problème, est-ce qu'il y a la pauvreté, un sentiment de la population de déclassement ?
01:37 Vous en parlez souvent.
01:38 Exactement, oui. Je pense aujourd'hui que ce qui est notable,
01:43 entre la période où j'ai démarré mon activité sur le quartier et aujourd'hui,
01:49 je me rends compte qu'il y a une baisse de l'espérance.
01:53 Moi, ce que je ressens vraiment, c'est qu'il y a une absence de perspective.
01:57 Et quand les personnes ont des absences de perspective, par définition à ce crispe,
02:02 elles ne peuvent plus se projeter.
02:04 Et on en arrive un peu à des périodes d'obscurantisme, de repli sur soi.
02:08 C'est un grand classique dans l'histoire de l'humanité.
02:10 Alors, je n'ai pas prétention ici à faire un travail sur l'histoire de l'humanité,
02:15 mais quand même, j'ai quelques outils pour analyser les phénomènes.
02:18 Et nous sommes à un moment complexe de l'histoire.
02:21 Il faut être prudent, justement, parce que certains pourraient s'engouffrer
02:25 dans cette misère sociale qui s'installe.
02:28 Justement, vous êtes au contact de ces populations depuis longtemps.
02:32 Est-ce qu'elles ont changé, si oui, dans leur origine ou finalement dans leur situation sociale ?
02:38 Parce que vous parliez de précarité avant tout.
02:41 Eh bien, moi, ce que je dirais, c'est que bien évidemment, dans une société qui est très paroxytique sur différents points,
02:50 je veux dire, chacun a quelque chose à revendiquer, toutes les minorités sont à l'œuvre, etc.
02:56 Qu'il s'agisse d'orientation sexuelle, de groupe ethnique, de religion.
03:01 Quand toutes ces revendications légitimes, ou pas d'ailleurs,
03:05 parce que je pense que beaucoup de gens surfent sur la vague pour d'autres intérêts
03:09 que réellement les intérêts individuels et l'intérêt général.
03:12 Donc, ce qui est vraiment problématique aujourd'hui, de l'analyse que j'en fais au quotidien,
03:20 c'est que, justement, je vais me répéter, c'est qu'il n'y a plus, je dirais,
03:26 de possibilité de se projeter au-delà de l'année prochaine, etc.
03:30 Le Covid, en plus, la crise sanitaire a accentué le phénomène du repli sur soi.
03:35 Voilà, mais vous parlez de ce phénomène-là, il se traduit comment aujourd'hui ?
03:38 - Chez les corses, chez les populations issues de l'immigration ?
03:41 - Je dirais que, je le disais en préambule, il y a vraiment un repli sur soi
03:45 et chacun veut marquer son identité parce qu'il a peur de se perdre dans ce grand tout.
03:49 - Pour vous, s'il y a plus de désœuvrement, il n'y a pas plus de populations issues de l'immigration ?
03:53 Qu'est-ce qui se passe ? On voit plus les minorités ?
03:56 - Je pense qu'il y a plus de visibilité de l'immigration.
04:00 - Ça passe par quoi, les signes ostentatoires ?
04:02 - Ça passe par des signes ostentatoires liés à la religion,
04:05 ça va être aussi même dans les propos de la population corse
04:09 d'afficher de manière beaucoup plus soutenue son appartenance à une tradition chrétienne.
04:14 - La peur d'une identité menacée ?
04:16 - Je pense que c'est ça, mais je vais peut-être être un peu raide,
04:21 mais je pense que si on veut garder notre identité,
04:24 auquel on tient et auquel je tiens aussi particulièrement,
04:27 c'est pour ça que je travaille tous les jours sur les quartiers,
04:30 je pense qu'il faut justement travailler.
04:33 Il ne suffit pas de monter les gens les uns contre les autres.
04:36 Je pense que là on fait fausse route, parce qu'à semer la haine, on ne va pas y arriver.
04:40 - La mixité culturelle, elle en a pris un coup ?
04:43 - Dans le cadre de mon travail, je constate que ça a toujours été difficile quand même.
04:49 Même il y a 30 ans, quand j'ai démarré, c'était quand même difficile cette mixité culturelle.
04:54 Après, il ne faut pas rejeter aussi notre réalité historique.
04:57 Nous avons construit toutes nos valeurs, toute notre histoire, par rapport à la peur des envahisseurs.
05:04 Et puis, comme j'en ris souvent avec une collègue au travail,
05:08 quand on était de Bastia et qu'on allait à Fourriane, on était presque un étranger.
05:12 Donc, vous voyez ce que je veux dire ? La notion d'étranger, de xénophobie, même si on peut en rire,
05:17 elle est presque constitutive de notre rapport à l'autre, à l'identité.
05:22 - Est-ce que les pouvoirs publics ont une responsabilité là-dedans,
05:25 vous qui travaillez à leur contact ? Est-ce que ceux qui défendent la communauté de destin, par exemple, y croient vraiment ?
05:30 - Je vais vous dire que je trouve qu'on manque de courage par moment.
05:33 Ce que je dis en tant qu'actrice du secteur associatif, je pense qu'on manque de courage.
05:38 Je pense qu'effectivement, je crois à la communauté de destin. Personnellement, j'y crois.
05:43 Même si derrière, c'est un mot, un vocable, etc.
05:47 Ça peut être de l'incantation, mais on peut y travailler.
05:49 Et j'ai vu dans beaucoup de situations, pour être présente sur le quartier, que lorsqu'on y croit vraiment,
05:55 et lorsqu'on instille un peu cette vision du monde, qu'il n'y ait pas ce dissoudre dans la culture de l'autre.
06:01 C'est au contraire, c'est parce qu'on aime sa culture qu'on a envie de la partager.
06:05 Et ça ne me dérange pas à un moment donné de me retrouver dans la culture méditerranéenne de l'autre.
06:10 - En deux mots, Daniel Mathé, la misère, on en a beaucoup parlé, elle favorise aussi des dérives.
06:16 Le trafic de stupéfiants, notamment, on en parle beaucoup. Pour vous, les zones de non-droit en Corse, c'est une vue de l'esprit ?
06:22 - Alors écoutez, c'est une réalité qu'il y a des trafics de stupéfiants.
06:25 Je ne fais pas partie des services de police, donc je ne peux pas vous dire exactement.
06:31 Mais par contre, ce que je peux dire, c'est qu'il n'y a aucun endroit à Bastia, où il y a des zones de non-droit.
06:38 - Ce sera le mot de la fin.
06:40 Merci beaucoup, Daniel Mathé, d'être venu nous donner votre sentiment et votre expérience, surtout au sein de ces quartiers.
06:45 au sein de ces cartes.
06:46 Je vous remercie de m'avoir donné la parole.

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