Xerfi Canal a reçu Joan Le Goff, professeur en sciences de gestion à l'IAE Paris Est, pour parler de musique.
Une interview menée par Jean-Philippe Denis.
Une interview menée par Jean-Philippe Denis.
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00:00 Bonjour, Johan Le Goff.
00:10 Bonjour, Jean-Philippe Degny.
00:11 Johan Le Goff, vous êtes professeur des universités en sciences de gestion.
00:14 Vous êtes professeur à l'IEE Paris-Est.
00:16 Johan Le Goff, la musique change de disque et ça fait chazam, vinyle, stream, pop, buzz.
00:23 C'est dans la collection Drôle de marché, édition L'Armatant, ouvrage co-écrit avec
00:27 Al Benjamin.
00:28 Johan Le Goff, c'est quoi un drôle de marché ? Pourquoi la musique c'est un drôle de
00:34 marché ?
00:35 Un drôle de marché, c'est un marché qui est atypique, un marché où les acteurs ont
00:40 des rôles fluctuants, un marché où les produits sont hybrides et puis un marché
00:44 où on joue avec les normes, les normes de la légalité, de la moralité.
00:48 C'est des marchés qui favorisent l'innovation.
00:50 C'est ça les drôles de marché.
00:51 L'idée c'est d'avoir des marchés qui sont un peu rétifs à l'analyse avec nos
00:53 outils habituels.
00:54 Dans cette collection, on a déjà étudié le marché de la seconde main, de la mort,
00:59 de la beauté, voilà des marchés originaux.
01:00 Et la musique, c'est un drôle de marché.
01:03 Le fan peut devenir musicien, le musicien crée son label, le vinyle on peut l'acheter
01:08 pour autre chose que pour l'écouter.
01:09 Il y a 30% des acheteurs n'ont même pas de platine pour écouter les vinyles.
01:12 Aujourd'hui les disquaires sont aussi restaurateurs et puis on joue avec les normes, les pratiques
01:17 actuelles.
01:18 Le deepfake va permettre de faire chanter les morts, le meet and greet consiste à facturer
01:23 le selfie après un concert et puis quant au trafic de données, du streaming, c'est
01:27 un gros sujet d'actualité qui là aussi flirte largement avec les normes du légal
01:30 et du moral.
01:31 Bien sûr, c'est un ouvrage, vous avez une culture musicale incroyable, c'est vraiment
01:37 incroyable.
01:38 Moi j'y ai appris beaucoup.
01:39 Parfois je suis à la limite d'être en accord avec vous, plutôt en désaccord, ça
01:44 dépend des interprétations, etc.
01:46 Mais ce qui est sûr, c'est que c'est absolument fascinant.
01:51 Plusieurs éléments.
01:52 Un livre avec lequel on est d'accord, on arrête de lire, un livre avec lequel on est
01:56 en désaccord, on va jusqu'au bout au moins par colère.
01:58 Donc bien joué.
01:59 Des interviews de rock and folk, des interviews d'artistes, de labels.
02:07 Quand on prend cette transformation, moi j'avais retenu, je vous dis ce que j'avais
02:11 retenu de l'industrie musicale, c'est en gros le numérique a dévasté l'industrie,
02:15 on dit toujours la moitié de son chiffre d'affaires à peu près, et les grandes
02:20 majors deviennent des gestionnaires de catalogue de droits.
02:22 C'est-à-dire que le passé finalement fait le...
02:25 J'ai eu bon ou vous tempérez ?
02:27 Alors évidemment vous avez eu presque juste.
02:31 Un enseignant qui met 20, ce n'est pas un bon enseignant, donc vous avez presque juste.
02:34 Pour les majors, ce n'est pas juste la gestion de catalogue, parce qu'aujourd'hui
02:38 elles ont un savoir-faire qu'on qualifie d'à 360 degrés.
02:42 Les sources de revenus se sont multipliées et certaines nécessitent un vrai savoir-faire,
02:47 c'est-à-dire les concerts, la gestion de marketing, et ce que l'on peut faire seul
02:51 en postant une vidéo sur un réseau social ou sur YouTube, ce qu'on fait des débutants
02:56 célèbres maintenant comme Jen ou d'autres, on ne peut pas le faire ensuite à l'échelle
03:02 de tournées mondiales, à l'échelle de gestion du marketing.
03:05 Stromae l'a clairement dit, il veut une major parce qu'il adore le marketing, il veut du
03:10 bon marketing.
03:11 Les majors savent faire ça.
03:12 La gestion des contrats est extrêmement complexe et ce n'est pas par hasard si d'une
03:17 manière ou d'une autre, à peu près tous les rappeurs, qu'ils soient français ou
03:21 internationaux, dépendent de majors, ils y trouvent largement leur compte, même si
03:24 à nouveau il y a des labels qui ont l'air d'être indépendants, mais ça c'est toute
03:28 une affaire de communication.
03:30 Les majors gèrent du marketing et le font très très bien.
03:34 Elles gèrent ces contrats à 360 degrés et là aussi elles ont une réelle expertise
03:38 et ensuite il y a la question du partage des profits et jamais je n'ai dit qu'elle
03:43 était équitable, qu'il était équitable ce partage.
03:45 Ça c'est une autre affaire.
03:46 Ça c'est un autre sujet, si c'était équitable ça se saurait.
03:50 Aujourd'hui, l'industrie musicale, les grandes tendances, c'est quoi ? Vous l'avez
03:57 évoqué avec la cassette, vous avez évoqué le vinyle dans l'ouvrage, c'est quoi les
04:01 grandes tendances aujourd'hui d'industrie musicale qu'il faut retenir ?
04:04 Alors, les tendances, il y en a qu'on vient d'évoquer effectivement.
04:08 Il y a un point qui est vraiment un enseignement de cette étude conduite avec un co-auteur,
04:14 Albonjamin, c'est qu'il y a une influence symétrique entre les pratiques managériales
04:20 ou industrielles et les pratiques artistiques et je crois que c'est vraiment l'enseignement
04:22 qui est quasiment intemporel.
04:24 Les artistes s'adaptent aux contraintes techniques et financières qu'on leur impose.
04:29 Ça donne par exemple, le streaming passe un mode de rémunération qui est fondé sur
04:34 le titre et non pas la durée comme les passages radios.
04:36 Que font les rappeurs typiquement ? Les meilleurs artistes capitalistes que l'on est, ils vont
04:43 faire des morceaux de plus en plus courts.
04:44 La durée moyenne est passée de 3 minutes 30 à 2 minutes 30 en 2020, on est vraiment
04:48 sur une chute de la durée parce qu'on a une multiplication de petits morceaux lucratifs
04:52 pour ces rappeurs qui ont su s'adapter à la contrainte.
04:54 Inversement, certains artistes ont des fulgurances, des expérimentations qui vont anticiper sur
05:00 ce que va faire l'industrie plus tard, en 2015 dans l'usine nouvelle, et ce n'est
05:04 pas un journal musical, on évoque le fait que pour la première fois depuis 1985, une
05:10 presse à vinyles a été installée pour un label, Fearnman Records, qui est un label
05:14 absolument inconnu, qui est créé par Jack White aux Etats-Unis et tout le monde parle
05:18 d'un hurle-berlut, d'une excentricité, ça a l'air anormal de faire ça.
05:22 Depuis 2015, le marché des vinyles a été multiplié par 5, il a dépassé les CD aux
05:28 Etats-Unis et Jack White a sa presse à vinyles qui est exhibée au public, puisqu'on voit
05:32 à travers les vitres les vinyles en train d'être pressés religieusement, on a une
05:36 anticipation d'un artiste qui a senti venir une évolution majeure dans l'industrie.
05:40 Donc il y a cet aller-retour entre l'artistique et le managerial, si j'ose dire, qui est
05:46 assez fascinant dans cette industrie.
05:48 Les contraintes, les artistes en jouent et puis l'industrie court après les artistes
05:52 finalement, c'est surtout ça qui a retenu.
05:53 Pour conclure, j'aime beaucoup les différents titres, j'avais retenu "Au revoir les copains,
06:05 la mauvaise passe de la presse musicale", vous jouez avec les mots sans arrêt dans
06:09 cet ouvrage et c'est absolument délicieux.
06:11 Comment on en vient finalement, pourquoi vous prenez la musique, pourquoi pour vous c'est
06:16 important de comprendre le marché de la musique ?
06:18 Alors, à nouveau, trois raisons rapidement.
06:22 La première, c'est que c'est réellement un drôle de marché au sens où l'ont conçu
06:26 les deux créateurs de la collection dans laquelle est publié le livre, Faouzi Benseba
06:29 qui est professeur à l'Université Paris-Nanterre et puis la regrettée Fabienne Boudier qui
06:33 est disparue trop tôt et à qui je voudrais rendre hommage rapidement.
06:37 C'est vraiment un drôle de marché tel qu'il l'avait imaginé.
06:39 La deuxième raison, c'est une raison plus personnelle, j'avais envie de pouvoir collaborer
06:44 à nouveau avec Al Benjamin, mon co-auteur qui est guitariste du groupe Berceau des Volontés
06:49 Sauvages et les Purple Lord, des groupes de rock.
06:52 J'avais déjà eu l'occasion de travailler avec lui sur le film Elvette Goldmine de Tom
06:57 Hanks, on avait écrit ensemble.
06:58 Et puis, la troisième raison académique cette fois-ci, c'est la volonté de prendre
07:03 acte de l'excellent numéro de la RFG qui est paru, dirigé par nos collègues et amis
07:08 Émilie Ruiz, Albéric Tellier et Julien Pénin sur l'industrie musicale.
07:12 C'est un numéro qui méritait d'être prolongé et je crois que ce livre prolonge
07:17 assez bien cette investigation sur l'industrie musicale et ses mutations.
07:20 C'est un peu l'idée de ce travail qui a été un travail d'une année pleine sur
07:25 la musique et ses innovations.
07:27 La musique change de disque, Al Benjamin et Johannes Le Goff.
07:31 Merci Johannes Le Goff, édition L'Armatant.
07:33 Merci Joël-Philippe Denis.
07:35 [Musique]
07:40 [SILENCE]