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En une poignée de romans, dont l’explosif « Feu » (2021, Fayard), Maria Pourchet, 43 ans, a prouvé qu’elle disséquait comme personne la société, le couple et le langage, de son écriture vive et tranchante. Elle le confirme avec « Western » (Stock), roman-événement de la rentrée, qui ausculte les Don Juan à l’ère #Metoo et cavale fièrement hors des sentiers dogmatiques. Voici sa master class, donnée le 24 octobre à l'auditorium de "l’Obs", animée par Elisabeth Philippe, journaliste au service culture.

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Transcription
00:00:00 Bonsoir à toutes et à tous.
00:00:01 Merci beaucoup d'être ici ce soir pour assister à cette masterclass
00:00:05 organisée par l'Obs et consacrée à Maria Pourcher, écrivaine et scénariste
00:00:09 dont la puissance de feu littéraire, l'ironie, le sens affûté de la formule
00:00:13 ont été saluées dès son premier roman "Avancé", paru en 2012 chez Gallimard.
00:00:17 Suivront "Rome en un jour", "Champions", "Toutes les femmes sauf une"
00:00:21 et "Les impatients".
00:00:22 En 2021, c'est l'embrasement général du public et de la critique pour "Feu",
00:00:27 paru chez Fayard, l'histoire de la montée du désir entre Laure,
00:00:30 une prof, mariée, et Clément, un banquier dépressif qui vit avec son chien.
00:00:35 Sorti en cette rentrée, "Western", votre dernier roman, paru chez Stock,
00:00:39 peut lui se lire comme le prolongement de "Feu" en ce sens où c'est
00:00:43 une exploration encore plus minutieuse et complexe des lois du désir,
00:00:46 des rapports hommes-femmes et du discours amoureux.
00:00:49 Ce que je vous propose pour cette masterclass,
00:00:51 c'est de revenir sur votre parcours d'écrivaine.
00:00:54 Je vous signale aussi qu'à l'issue de cette rencontre,
00:00:57 Maria Pourcher pourra signer des livres.
00:00:59 Si vous le souhaitez, vous pourrez aussi poser des questions.
00:01:02 Donc on va commencer.
00:01:04 - Bonsoir à tous et merci d'avoir fait l'effort de venir ici
00:01:08 et d'être si nombreuses.
00:01:10 - Première question assez évidente si on veut retracer un peu votre parcours.
00:01:15 Quand est-ce que vous avez su que vous vouliez devenir écrivaine
00:01:17 et qu'est-ce qui vous en a donné l'envie ?
00:01:21 - Alors, c'est curieusement avant de savoir exactement lire.
00:01:27 J'avais 6-7 ans et ce qui m'a donné l'envie et un peu la certitude,
00:01:33 comme on peut en former quand on est petit, c'est la chanson à texte.
00:01:37 Mes parents écoutaient beaucoup de chanteurs à texte français,
00:01:42 Brassens, Brel, Reggiani.
00:01:45 Ils écoutaient aussi un album qui s'appelait "Sarbacane",
00:01:50 de Cabrel, que je crois que ma mère aimait beaucoup.
00:01:54 Et c'est cette langue-là que je trouvais un peu hypnotique,
00:02:01 poétique, très enveloppante,
00:02:04 à laquelle je pouvais avoir accès facilement.
00:02:08 Il suffisait que je mette un 45 tours sur un pick-up.
00:02:11 Et il y a beaucoup de...
00:02:14 On a tendance à reconstruire toujours ex post les raisons
00:02:17 pour lesquelles on écrit.
00:02:19 Et ça, je suis sûre que c'est vrai.
00:02:20 Je me rappelle exactement de l'émotion que ça me faisait,
00:02:23 que la langue maternelle me faisait.
00:02:25 Peut-être même que le maternel se situait un peu là.
00:02:29 Et je savais que... Je savais pas ce que je ferais,
00:02:33 mais ça aurait un rapport avec le fait d'entendre et de créer ça.
00:02:39 Et ensuite, quand j'ai su lire,
00:02:43 et quand j'ai compris ce que ça produisait,
00:02:46 j'ai confondu un peu le plaisir de s'enfermer dans le royaume d'un livre
00:02:51 et d'être protégée de tout ce qu'il y avait autour,
00:02:53 et le fait d'en faire.
00:02:55 Puisque j'en lisais en permanent,
00:02:58 je lisais vraiment de manière quasi-pathologique,
00:03:01 j'avais le sentiment, j'allais dire illusoire,
00:03:05 mais en fait pas tant que ça,
00:03:06 que j'étais en train d'apprendre à construire cet objet.
00:03:10 - Déjà, vous voyez la mécanique un peu derrière, comment ça se construisait.
00:03:14 - C'était un peu par infusion,
00:03:15 mais j'avais l'impression que c'était une évidence.
00:03:17 Quand on me demandait quel métier...
00:03:20 Alors, j'ai dit plusieurs métiers,
00:03:22 parce que j'ai, à un moment,
00:03:24 j'ai entendu des dialogues de films que je trouvais très bien écrits,
00:03:29 et j'avais demandé à mon père quel métier ça...
00:03:33 Il m'avait dit que c'était Michel Audiard,
00:03:34 donc je pensais que c'était un seul mot,
00:03:36 et que c'était un métier, Michel Audiard,
00:03:38 et pendant quelques années, en CP, c'est loin,
00:03:41 j'ai dit que je voulais faire Michel Audiard,
00:03:43 avec un mot et un seul mot.
00:03:45 Mais sinon, voilà, ça a été formé très, très tôt,
00:03:48 vraiment à l'école primaire,
00:03:49 et j'ai eu la chance que ça soit très accompagné
00:03:51 par mes profs de français.
00:03:54 J'étais très encouragée dès la 6e à faire des concours de nouvelles,
00:03:59 mes profs de français,
00:04:01 et je les remercie beaucoup, parce que ça a été déterminant, je pense.
00:04:06 Ils me demandaient mes textes, ils lisaient mes rédactions en classe,
00:04:09 jusqu'à la classe de 1re,
00:04:12 qui a été un moment décisif, mais en négatif,
00:04:15 où j'ai eu une prof de français
00:04:18 à qui on m'avait annoncé en disant "T'as de la chance,
00:04:22 t'as quelqu'un qui lit beaucoup dans ta classe",
00:04:24 c'était déjà une exception,
00:04:26 dans 95, par là-dedans,
00:04:29 qui lit beaucoup, qui aime beaucoup écrire,
00:04:32 et en fait, cette prof-là a trouvé qu'en fait, non,
00:04:37 c'était complètement surévalué,
00:04:39 et elle a passé l'année à me mettre des notes en dessous de la moyenne,
00:04:44 et moi, quelque part,
00:04:46 mon existence sociale scolaire reposait là-dessus,
00:04:50 sur le fait que j'étais la fille qui lisait tout le temps
00:04:52 et puis la fille qui écrivait.
00:04:53 Et dans la société constituée en lycée,
00:04:58 on sait l'importance que ça peut avoir et de quoi ça peut protéger.
00:05:02 Et elle, elle me disait carrément,
00:05:04 "Mais non, les gens se sont trompés, c'est extrêmement violent."
00:05:09 Oui, c'était très violent,
00:05:10 et elle me disait qu'il fallait que je fasse une terminale technique,
00:05:13 mais je disais, "Bon, bref."
00:05:16 Et après, il y a eu un démenti à la fin de la première,
00:05:19 j'ai eu 19 à l'écrit au Bac français,
00:05:22 mais ça n'a pas suffi, en fait.
00:05:23 Cette année-là m'avait...
00:05:26 Et surtout, elle m'avait dit, quand elle me disait,
00:05:28 "Mais tu n'auras même pas le Bac,
00:05:30 "parce que le coef en lettres, il est fort et tout."
00:05:32 Et je disais, "Si, j'aurai le Bac, qu'est-ce que tu veux faire plus tard ?
00:05:34 "Je veux être écrivain."
00:05:36 Et là, elle m'a regardée comme si je devais prononcer
00:05:40 une phrase de la dernière arrogance, de la dernière naïveté,
00:05:44 et elle m'a répondu un truc, genre, "Mais pour qui tu te prends ?"
00:05:48 Et ça a marché.
00:05:49 C'est-à-dire que pendant des années,
00:05:51 je pense que j'ai fait une espèce de dépression un peu précoce,
00:05:55 parce que je n'avais plus d'idées, j'avais plus de rêves.
00:05:58 Donc je me disais, "Mince, alors il faut que je me forme vraiment à un truc,
00:06:00 "mais alors quoi ?"
00:06:03 Et je n'étais pas prof de lettres non plus, puisqu'apparemment...
00:06:06 Et c'est revenu assez tard,
00:06:09 c'est revenu en lisant des auteurs que je croisais tard,
00:06:14 Romain Garry, Eschnoze,
00:06:17 qui m'ont fait renouer avec la nécessité d'écrire.
00:06:21 - D'où ce détour par des études de sociologie,
00:06:24 c'est ce dégoût créé, généré par cette professeure de lettres
00:06:27 qui vous a fait embrasser des études de socio.
00:06:31 - Peut-être que sinon, je serais allée en lettres,
00:06:33 ça a dû jouer.
00:06:36 Après,
00:06:38 je n'avais pas envie d'approcher la littérature comme ça,
00:06:43 comme par l'étude.
00:06:45 Ce n'était tellement pas là que je voulais être,
00:06:47 donc j'ai pris d'autres biais, les sciences sociales,
00:06:51 les sciences de la formation, la sociologie de la culture, tout ça.
00:06:55 Mais c'est à la fac quand même que j'ai renoué
00:06:57 avec mon projet de romancière,
00:07:01 et je suis désolée s'il y a des profs d'université parmi nous,
00:07:04 je sais qu'il y en a,
00:07:06 et je cherchais obsessionnellement un métier
00:07:11 qui me permettrait d'écrire.
00:07:12 Et j'étais encore hantée par une illusion,
00:07:17 et encore une autre,
00:07:18 quant au métier d'enseignant-chercheur,
00:07:23 et je me disais que ça, ça doit laisser beaucoup de temps.
00:07:25 Et j'en étais tellement sûre que j'ai consenti à faire 9 ans d'études
00:07:28 pour un truc que je concevais un peu comme une planque.
00:07:31 Donc j'ai fait l'expérience assez vite que c'est tout sauf ça,
00:07:36 et puis c'est de moins en moins ça,
00:07:37 et puis la masse de travail est absolument exponentielle
00:07:41 dans l'université française pour les enseignants-chercheurs,
00:07:44 et je m'en suis...
00:07:47 Et ça m'a suffisamment effrayée
00:07:50 pour que j'abandonne cette voie-là.
00:07:55 Et puis j'ai fini par chercher,
00:07:57 j'ai cessé de chercher ce que je pouvais faire d'autre
00:07:59 pour pouvoir écrire, et je n'ai fait que écrire.
00:08:02 J'ai trouvé les métiers où la rédaction était structurante.
00:08:09 -Malgré tout, ces 9 années d'études, elles n'ont pas été vaines,
00:08:11 parce qu'on voit quand même dans vos livres l'importance,
00:08:14 la façon dont justement la sociologie irrigue aussi vos romans.
00:08:18 Il y a toujours des descriptions extrêmement précises
00:08:19 des milieux socioprofessionnels dans lesquels évoluent vos personnages,
00:08:23 des descriptions très fines aussi de la vie en entreprise,
00:08:27 notamment, quelle qu'elle soit.
00:08:29 Est-ce que vous pensez effectivement
00:08:30 que ça vous a nourri ces années d'études
00:08:32 et à travailler justement dans les sciences sociales,
00:08:34 avec la sociologie ?
00:08:36 -Ah oui, oui.
00:08:38 Et puis j'ai beaucoup aimé ce que j'ai appris.
00:08:41 J'ai beaucoup aimé les gens qui m'entouraient.
00:08:47 Dans ces milieux-là, dans les laboratoires,
00:08:49 on est quand même souvent en contact de la pensée en train de se faire.
00:08:52 Et ça, c'est vraiment le seul truc qui m'a manqué, en fait,
00:08:56 à l'université.
00:08:58 Je pourrais dire que c'est les étudiants,
00:09:00 et en fait, non, c'est les autres chercheurs.
00:09:03 Et peut-être que c'est pour ça qu'on me dit que mes romans pensent.
00:09:08 Je pense que j'ai une façon d'approcher mes sujets,
00:09:13 d'approcher un peu toujours avec des réflexes de chercheur,
00:09:17 donc à la fois statuer très, très tard,
00:09:22 pratiquer le doute cartésien le plus longtemps possible,
00:09:25 suspendre le jugement le plus longtemps possible,
00:09:28 et puis enquêter.
00:09:30 Quand je parle d'un type de personnage,
00:09:35 d'une catégorie, quelle que soit,
00:09:38 soit je vais enquêter sur la pratique professionnelle qui est la sienne,
00:09:43 sur le groupe d'individus qui est le sien,
00:09:45 sur la pathologie qui est la sienne,
00:09:48 au nom du réalisme psychologique auquel je tiens.
00:09:50 Mais je pense que tout ça, effectivement,
00:09:51 c'est des réflexes de chercheur.
00:09:54 Et puis...
00:09:57 Quand je faisais des enquêtes sociologiques,
00:09:59 c'était un peu ma limite,
00:10:00 et c'est pour ça que c'est bien que j'ai arrêté,
00:10:01 j'étais toujours tentée par la fiction.
00:10:04 - Comment on met de la fiction dans les enquêtes sociologiques ?
00:10:06 - Oui, voilà, parce que les datas,
00:10:08 que reflètent du réel, étaient toujours un petit peu décevantes.
00:10:11 Donc j'avais trop tendance à en rajouter,
00:10:14 et à orner le truc pour que ça soit plus lisible,
00:10:19 plus séduisant, et puis à la fin, ça devait être faux, je pense.
00:10:22 Donc ma pratique de chercheur,
00:10:28 parce que j'ai beaucoup plus pratiqué la sociologie
00:10:30 ensuite dans le conseil, dans le privé,
00:10:32 qu'à la fac,
00:10:35 et donc le roman, la fiction,
00:10:40 iriaient déjà, le premier exercice, et inversement.
00:10:43 - C'est toujours nourri mutuellement.
00:10:45 D'ailleurs, vous avez consacré votre thèse,
00:10:47 vous me dites si je me trompe,
00:10:49 aux écrivains à la télévision, dans les médias.
00:10:51 Et je me demandais ce que vous, ça vous faisait d'être passée
00:10:53 justement de l'autre côté de l'écran et du miroir.
00:10:57 - Comme tous les chercheurs qui ont l'occasion
00:11:00 de passer du côté de leur objet,
00:11:02 je me suis rendue compte de toutes les conneries que j'avais dites,
00:11:06 à minimal les approximations.
00:11:08 - La plus grosse, ça serait quoi, la plus grosse erreur,
00:11:09 ou ce qui vous a vraiment frappé ?
00:11:12 - Non, il n'y en a pas de cet ordre-là,
00:11:17 mais c'est que j'agère un peu.
00:11:18 Je travaillais sur la représentation du livre à la télévision.
00:11:23 Et...
00:11:24 Et...
00:11:25 Et...
00:11:27 Non, c'est plutôt de l'ordre...
00:11:31 C'est le fait d'être loin, en fait, qui...
00:11:34 Mais c'est tout, il n'y a pas eu de révélation.
00:11:37 "Oh, j'ai écrit ça !"
00:11:38 - Pas d'énorme surprise. - Pas d'énorme surprise.
00:11:41 - En 2012 sort votre premier roman, "Avancé", il paraît, chez Gallimard.
00:11:45 Il y a déjà un peu tous les ingrédients,
00:11:47 j'ai l'impression, de ce qui va faire votre signature par la suite.
00:11:52 Un couple, de l'humour, de l'ironie, et puis cette dimension sociologique.
00:11:56 Est-ce que vous avez effectivement l'impression
00:11:58 que c'est les bases, les fondements de votre univers littéraire
00:12:03 qu'on trouve là, déjà posé ?
00:12:05 - Alors moi, je me le dis jamais.
00:12:07 C'est plutôt mes lecteurs, mes proches...
00:12:12 Il y a une amie, une de mes meilleures amies,
00:12:14 qui un jour m'a dit récemment
00:12:17 que tous mes livres commençaient par une absence.
00:12:19 Et il est vrai que mon premier livre commence par...
00:12:23 On attend quelqu'un.
00:12:24 Tout le monde est en train d'attendre quelqu'un.
00:12:26 Le personnage est en suspens sur un balcon,
00:12:29 et puis il regarde un chantier qui est à l'abandon,
00:12:31 en disant à quel moment les ouvriers arrivent,
00:12:34 et ils ne sont pas là, ils vont pas être là durablement.
00:12:37 Et ensuite, mon deuxième livre,
00:12:39 on a un jour, on attend sur une terrasse
00:12:42 la personne dont on doit fêter l'anniversaire,
00:12:43 et elle n'arrive pas.
00:12:45 Là, Alexie, on l'attend...
00:12:48 Ça commence au théâtre, on l'attend pour la répétition,
00:12:50 et il ne vient pas.
00:12:52 Les précédents aussi, toutes les femmes sauf une,
00:12:54 la mère devrait être là, elle n'est pas là, etc.
00:12:57 Et donc ça, je pense que...
00:13:00 Je sais pas si c'est un réflexe,
00:13:02 ce que ça dit...
00:13:04 Est-ce que c'est les fondements d'une oeuvre ?
00:13:06 Est-ce que c'est mon rapport à l'écriture ?
00:13:09 Parce que je commence effectivement par regarder dans le vide,
00:13:12 en attendant de voir arriver un personnage
00:13:15 qui devienne de plus en plus précis,
00:13:16 parce que je sais jamais...
00:13:18 - Comment ça commence, justement, chez vous, l'écriture ?
00:13:21 C'est une idée, c'est un personnage,
00:13:24 c'est quelque chose que vous voyez en vous-même ?
00:13:27 - C'est lié à un personnage, à la trajectoire d'un personnage.
00:13:31 Je peux voir des plans indistincts.
00:13:34 Il y a la trajectoire de quelqu'un ou un morceau de trajectoire.
00:13:38 Ce quelqu'un va arriver en premier, là, c'est le personnage d'Alexie.
00:13:42 - Juste en western.
00:13:43 - Je sais jamais si je vais l'aimer ou pas,
00:13:46 s'il va être fréquentable ou pas,
00:13:49 mais en tout cas, je sais que je vais le fréquenter tout le temps,
00:13:51 d'un roman, et je vais apprendre à le connaître
00:13:54 en même temps que mon lecteur, presque.
00:13:55 Et puis... En tout cas, c'est ce que je restitue au lecteur.
00:13:59 C'est cette expérience-là.
00:14:02 Et puis ensuite, il y a un autre personnage qui va arriver,
00:14:04 et c'est comme quand on voit quelqu'un arriver.
00:14:05 Ils vont être de plus en plus nets.
00:14:07 Et jusqu'à ce que je puisse tardivement distinguer
00:14:12 leur passé.
00:14:14 C'est d'abord leur physique, après, ce qu'ils sont en train de faire.
00:14:16 Et peu à peu... - C'est d'abord leur physique
00:14:18 qui s'impose à vous.
00:14:20 - Oui, et avec leur physique vient une histoire.
00:14:22 Je commence à avoir des préjugés sur mes propres personnages.
00:14:25 Selon comme ils sont habillés, où ils vivent,
00:14:29 je peux déterminer qui ils sont.
00:14:31 - Et les prénoms arrivent quand ? Parce que j'ai remarqué quelque chose.
00:14:34 Justement, dans "Avancé", je crois que l'héroïne se fait appeler Victoria,
00:14:38 mais en fait, son prénom est Marie-Laure.
00:14:41 - Oui, c'est ça.
00:14:42 Et dans "Les Impatients", l'héroïne s'appelle Renne,
00:14:46 se fait appeler Renne, mais en fait, son prénom, c'est Nadege.
00:14:49 - Oui.
00:14:50 - Je sais pas s'il y a d'autres livres où ça se fait.
00:14:53 - Oui, il y en a d'autres, dans "Champion".
00:14:56 Non, mais ça, c'est pour faire droit à la schizophrénie ordinaire
00:14:59 qui nous concerne tous.
00:15:02 Je vis tranquillement avec le fait que...
00:15:06 En même temps, j'ai pas trop le choix.
00:15:09 Il y a différentes versions de moi.
00:15:12 Et le roman, c'est précisément l'espace pour les agiter, en fait.
00:15:19 Et comme je peux, parce que si, selon les circonstances,
00:15:23 je changeais de prénom, je pense que je serais en HP rapidement.
00:15:27 Mais dans un livre, on peut.
00:15:29 Et ça me paraît extrêmement réaliste.
00:15:32 Et comme les personnages que vous citez,
00:15:35 ils ont transgressé pas mal de choses pour Victoria,
00:15:38 qui est franchement bordeur.
00:15:40 Donc c'est le premier truc qu'on transgresse,
00:15:44 c'est l'identité imposée.
00:15:45 - Oui, c'est souvent des personnages qui se réinventent aussi.
00:15:47 Vous dites qu'ils transgressent.
00:15:49 Il y a souvent aussi une dimension de...
00:15:51 Pour reprendre un terme très usité de "transfuge de classe",
00:15:54 il y en a beaucoup qui sont dans cette situation aussi dans vos...
00:15:58 - En tout cas, des gens...
00:15:59 "Transfuge de classe", exactement, pas aussi spectaculaire que ça.
00:16:04 Pas aussi romantique, pas aussi zola.
00:16:08 Mais en tout cas, c'est toujours des personnages,
00:16:11 notamment chez les femmes, systématiquement chez les femmes,
00:16:13 d'ailleurs, c'est ça qui m'intéresse, en fait,
00:16:16 chez mes contemporains et du coup chez mes personnages,
00:16:21 c'est la transgression, en fait.
00:16:27 Comment on dépasse sa condition, mais aussi ses conditionnements.
00:16:31 Tout ce que la famille, l'appareil, l'éducation, la naissance
00:16:35 peuvent prévoir pour vous, ou affecter de prévoir pour vous
00:16:39 ce qu'il ne faut surtout pas croire, en fait.
00:16:42 Et je raconte toujours des personnages pris par le désir
00:16:48 ou simplement l'occasion d'envoyer balader les conditionnements.
00:16:53 Enfin, on les envoie balader,
00:16:54 c'est l'opération douloureuse de toute une vie,
00:16:57 il faut pas croire que...
00:16:59 Donc oui, "transfuge de classe",
00:17:02 je sais même pas si j'ai raconté une fois un "transfuge de classe".
00:17:06 - Non, je pensais aux personnages de Rennes.
00:17:08 - C'est Nicolas Mathieu, ça, de montage.
00:17:09 - Oui, c'est plus Nicolas Mathieu.
00:17:11 Non, mais en tout cas,
00:17:12 qui sont en décalage par rapport à leur famille.
00:17:15 C'est pas forcément "transfuge de classe",
00:17:17 il y a effectivement cette dimension de transgression.
00:17:20 Oui, je pensais à Rennes,
00:17:21 ou même, là, ils me viennent pas tous en tête, mais...
00:17:24 - Pour moi, c'est le premier exercice de la liberté
00:17:27 qui conditionne après toutes les autres tentatives.
00:17:29 - Et ce conditionnement, d'ailleurs,
00:17:30 ces injonctions auxquelles ils tentent d'échapper, vos personnages,
00:17:34 souvent, j'ai l'impression que tout ça est exprimé par les voix des mères.
00:17:38 C'était notamment très présent dans "Feu",
00:17:40 où il y avait ce roman, pour ceux qui ne l'auraient pas lu,
00:17:43 qui alternait la vie de Laure et puis celle de Clément,
00:17:48 donc deux personnages qui allaient se rencontrer.
00:17:50 Et lorsqu'il était dans les passages sur Laure,
00:17:52 on pouvait entendre la voix d'outre-tombe de la mère,
00:17:55 de la grand-mère, qui, effectivement,
00:17:57 rappelait ce que c'était de bien se comporter
00:18:00 ou d'être une femme, etc., en tout cas, qui jugeait.
00:18:03 Et il y a souvent le rôle des mères
00:18:06 qui incarne un peu ces injonctions sociales.
00:18:09 - Oui, qui rappelle ce qu'il s'agit de dépasser, en général,
00:18:13 pour mes personnages féminins.
00:18:14 Alors, ça, elles arrivent...
00:18:16 Alors, là, la voix de la mère,
00:18:20 ces injonctions-là, dans "Western",
00:18:23 elle est un peu plus basse, elle est à bas bruit,
00:18:29 alors qu'elle pouvait s'exprimer avec fracas dans les précédents.
00:18:33 Et donc, c'est une bonne nouvelle pour moi.
00:18:35 Ça veut dire que ça commence à...
00:18:36 - Ça va mieux. - Ça va un petit peu mieux.
00:18:39 Et donc, c'est là, parce que...
00:18:42 C'est des voix que j'ai jamais réussies à faire complètement taire.
00:18:45 C'est-à-dire que, dans mon éducation à moi,
00:18:50 la voix maternelle était très, très injonctive,
00:18:52 c'était grand maternel, c'était une lignée de femmes
00:18:56 où se répétaient des ordres à ne pas être,
00:18:59 ou à être, surtout, et surtout à ne pas,
00:19:03 et où à être ceci ou cela.
00:19:05 Ça passait aussi par les hommes, mais moins,
00:19:06 c'était plus verbalisé par les femmes,
00:19:09 jusqu'à un point où c'était devenu ma voix intérieure.
00:19:11 Mais la voix intérieure que je ne cesse pas de contredire.
00:19:14 Donc, quelque part, c'est paradoxalement un moteur
00:19:17 de démoncipation.
00:19:19 Mais en tout cas, c'est là.
00:19:21 Ça a été parfois assourdissant.
00:19:22 J'étais obligée de les mettre dans mes livres,
00:19:24 puisque la fiction, c'est ça, en fait.
00:19:27 Il s'agit de mettre décemment, poliment, dehors
00:19:32 ce qui est trop dedans, en fait,
00:19:34 sans que ce soit de l'ordre du...
00:19:39 Sans que ce soit hémétique, sans qu'il s'agisse de vomir.
00:19:42 C'est pour ça que je dis "poliment".
00:19:44 -Ça reste très poli, effectivement.
00:19:47 Ce qu'on remarque aussi tout de suite quand on vous lit,
00:19:50 ce qui frappe, c'est évidemment la vitesse.
00:19:52 La vitesse de la phrase,
00:19:53 qui est très fulgurante, très véloce.
00:19:55 Et ce goût-là pour la vitesse,
00:19:57 je trouve qu'on le remarque déjà dans les titres de vos livres
00:20:00 "Avancé", "Romans d'un jour", "Les impatients".
00:20:02 Il y a quelque chose comme ça de très...
00:20:04 Il faut que ça aille vite, une sorte d'urgence.
00:20:07 Et donc, c'est vraiment très présent dans votre style,
00:20:10 fait de phrases courtes, très vivaces.
00:20:12 Il y a beaucoup de zeugmas aussi,
00:20:14 de formules, de figures de style
00:20:15 qui permettent de condenser comme ça la pensée.
00:20:18 Ça vous vient d'où, ce goût de la vitesse et de l'urgence
00:20:21 dans l'écriture ?
00:20:23 -Je crois que le premier...
00:20:26 Je crois que...
00:20:29 mon style...
00:20:31 est très paramétré par les conditions de l'écriture.
00:20:35 J'ai pas beaucoup de temps, ou alors je m'en donne pas beaucoup.
00:20:40 Comme s'il fallait que l'exercice de l'écriture,
00:20:44 ce qui me fait le plus de bien,
00:20:46 j'ai besoin qu'il soit frustré.
00:20:48 Voilà.
00:20:49 Je ne sais pas pourquoi.
00:20:50 Un jour, je creuserai ça.
00:20:53 Donc j'ai pas beaucoup de temps,
00:20:55 et donc je concentre.
00:20:58 Non seulement j'ai pas beaucoup de temps,
00:21:01 j'ai pas envie de faire des gros livres,
00:21:03 parce que j'ai toujours pensé,
00:21:05 pareil, je le développerai pas,
00:21:07 mais qu'un gros livre, c'était un échec.
00:21:09 Je ferais pas...
00:21:11 Je me dis, si t'as besoin de 1 000 pages
00:21:12 pour dire ce que t'as envie de dire, c'est que c'est raté.
00:21:14 - Heureusement que Marcel Proust n'est pas dans cette salle.
00:21:17 - Vraiment, alors là, ça ne regarde que moi.
00:21:20 En tout cas, pour moi, si j'avais besoin de 1 000 pages,
00:21:22 ça serait pas bon signe.
00:21:23 Et pourtant, j'ai plein de choses à dire,
00:21:25 avec une idée un peu envahissante et pénible d'ailleurs
00:21:30 de ma propre finitude.
00:21:32 Finalement, on fait un nombre limité de livres dans une vie.
00:21:36 Donc tout ça fait que je veux en dire un maximum
00:21:40 dans chaque phrase.
00:21:41 Donc je concentre, je condense.
00:21:43 Et puis, comme j'ai peur que ça se finisse,
00:21:48 mais c'est un...
00:21:50 Je m'auto-arbitre parce que je pourrais me donner plus de temps,
00:21:54 mais je ne parviens pas à me donner plus de temps.
00:21:56 Donc je sais que le temps, le 26 du mois,
00:22:00 j'ai prévu de rentrer à Paris et de passer à autre chose,
00:22:03 donc j'ai les souffles coupés comme ça,
00:22:05 et je pense que mon...
00:22:07 Très largement, mais pour les deux tiers,
00:22:10 mon style, c'est ça, quoi.
00:22:13 Et...
00:22:14 Ouais, peut-être même intégralement lié aux conditions.
00:22:21 Et puis pour moi, le français,
00:22:23 je conçois depuis que je suis enfant,
00:22:26 je conçois le français comme un animal,
00:22:28 qui ressemblerait à un cheval.
00:22:30 Et si je dois étendre le truc,
00:22:34 parce que j'avais tout un bestiaire comme ça quand j'étais petite,
00:22:37 c'est une horde.
00:22:38 Les mots, c'est une horde de chevaux.
00:22:41 Et pour rendre l'état du français tel que moi, je le vis,
00:22:46 il y a forcément quelque chose de l'ordre du galop,
00:22:49 du muscle, de la vivacité,
00:22:51 de quelque chose qu'il s'agit d'attraper, d'ompter,
00:22:54 et puis si on l'attrape cinq minutes, il peut repartir.
00:22:56 Donc j'ai le sentiment d'attraper des phrases
00:22:58 et de les tenir un certain temps, de leur faire faire une figure,
00:23:01 et puis elles sont déjà parties.
00:23:02 -Ca vous est venu d'où, cette image du français
00:23:04 comme une horde de chevaux ?
00:23:07 -Elle s'est toujours imposée.
00:23:09 -Et vous avez une image pour chaque langue ?
00:23:12 -Je parle essentiellement...
00:23:14 J'étais assez bonne en latin, en langue morte,
00:23:15 mais j'ai un rapport compliqué aux langues vivantes,
00:23:18 c'est surtout le français.
00:23:20 Et je l'ai conçu tout de suite comme ça, en fait,
00:23:23 comme c'était quelque chose que je voulais,
00:23:26 je voulais dompter ce que j'entendais.
00:23:29 Je ne connaissais rien de plus beau que le français,
00:23:30 quand j'étais enfant, et peut-être la forêt,
00:23:32 mais j'habitais dans les Vosges,
00:23:34 donc on a plutôt intérêt à apprécier la forêt,
00:23:36 sinon c'est encore plus dur.
00:23:38 Et il y avait...
00:23:40 Je sais pas comment ça s'est formé.
00:23:42 J'ai retrouvé parfois des choses équivalentes chez Gionnaud
00:23:47 ou chez Michon, où j'avais l'impression
00:23:50 qu'il parle parfois de la langue un peu comme un animal.
00:23:53 Mais alors pour moi, c'était...
00:23:55 J'aime bien les chevaux, mais j'en ai un peu peur.
00:23:58 Ils contiennent toujours une surprise, ces animaux.
00:24:02 Et le français, c'est ça.
00:24:03 -Quand vous écrivez, vous avez des surprises vous-même.
00:24:05 Est-ce que ces phrases très rapides qui claquent, qui galopent,
00:24:08 est-ce qu'elles vous viennent vite aussi ?
00:24:10 Est-ce que vous écrivez vite ?
00:24:12 -Oui.
00:24:14 Oui, oui, ça va avec, en fait.
00:24:16 Ça va avec.
00:24:18 -Oui, il y a pas un travail de...
00:24:19 -La première version, elle est rapide.
00:24:22 Après, il y a...
00:24:24 Il y a des phrases, évidemment, que je vais retravailler,
00:24:27 mais le retravail des versions d'après,
00:24:31 c'est surtout des copies-collées, en fait.
00:24:33 Je déplace, c'est l'ordre du texte qui va changer.
00:24:36 Je vais identifier des carences, des blancs,
00:24:39 et puis je vais les remplir ensuite.
00:24:41 Mais la phrase, elle est assez peu...
00:24:44 Parce que si je commençais...
00:24:45 Parfois, je relis mes livres et je me dis, si j'avais travaillé ça,
00:24:48 j'aurais mis beaucoup plus d'air,
00:24:50 et peut-être que ça serait bien,
00:24:52 peut-être que ça serait autre chose.
00:24:54 Et vous me reconnaîtriez peut-être pas un stiche aujourd'hui.
00:24:59 Peut-être que ça ferait 1 000 pages.
00:25:01 Et ça serait raté.
00:25:04 Dans vos livres, je le disais, quand on parlait d'avancée,
00:25:07 il y avait déjà, à mon sens,
00:25:09 les éléments clés de vos livres qui allaient suivre.
00:25:13 Il y a notamment, ce qui revient beaucoup,
00:25:14 c'est la question des rapports homme-femme,
00:25:17 qui est toujours au coeur de vos romans.
00:25:18 Mais vous le disiez, vous faites des romans qui pensent,
00:25:22 donc vous essayez de vous affranchir un peu des clichés,
00:25:25 des préjugés, des a priori
00:25:27 qu'il peut y avoir sur les sujets dont vous vous emparez.
00:25:30 Et c'est vrai que dans cette question des rapports homme-femme,
00:25:33 j'ai l'impression que vous essayez toujours
00:25:35 d'aller contre les clichés qui sont accolés à chacun des genres,
00:25:40 homme ou femme.
00:25:41 Par exemple, dans "Feu", Clément, il incarne une masculinité...
00:25:44 - Qui se refuse à elle-même. - Qui se refuse à elle-même, exactement.
00:25:47 Qu'est-ce qui vous passionne tant dans cette question,
00:25:49 qui en même temps irrigue un certain nombre de livres
00:25:53 et est très présente dans la littérature,
00:25:54 mais que vous, vous traitez...
00:25:56 Votre dernier livre s'appelle "Western".
00:25:58 On a toujours l'impression qu'il y a une forme de duel
00:26:00 qui s'instaure entre vos personnages féminins et masculins
00:26:02 dans cette espèce de lutte pour le désir.
00:26:06 - Alors, première partie de la question,
00:26:09 les clichés...
00:26:10 En fait, moi, j'en ai jamais rencontré, des clichés.
00:26:14 En général, quand on identifie, quand on diagnostique un cliché,
00:26:17 on en tient...
00:26:18 "Ce type est caricatural" ou "Cette nana est un cliché",
00:26:22 ça fait partie de tout ce qu'on met entre soi et l'autre
00:26:24 pour éviter de le rencontrer.
00:26:26 Moi, ce qui m'intéresse chez mes contemporains
00:26:28 et c'est pour ça que j'écris, c'est le contraire.
00:26:33 En fait, c'est la trajectoire, c'est la surprise,
00:26:37 c'est toutes les nuances, la complexité, les paradoxes,
00:26:40 les contradictions, la lâchetée aussi.
00:26:42 Je m'intéresse beaucoup à la lâchetée
00:26:44 parce que je pense que c'est là que j'y ai de plus humain,
00:26:49 parfois, dans la peur.
00:26:51 Et...
00:26:53 Et...
00:26:54 Donc...
00:26:56 Et c'est ça qui explique les gens.
00:26:57 C'est pas les effets des tictages,
00:27:00 les appartenances obligées, les déclarations...
00:27:04 Donc...
00:27:05 Ou les stéréotypes auxquels, ou les sociotypes auxquels
00:27:09 ils peuvent s'accorder, décider de s'accorder
00:27:13 ou être accordés par l'extérieur.
00:27:16 Et pour ce qui est des rapports duels,
00:27:20 à la fois, ça me désole
00:27:23 et à la fois, ça m'intéresse, comment dire.
00:27:26 Effectivement, le couple,
00:27:29 c'est la figure qui m'intéresse le plus enfant,
00:27:33 puisque...
00:27:35 Depuis l'enfance, je veux dire,
00:27:36 c'est ce qui commence à m'intéresser enfant.
00:27:40 C'est-à-dire que c'est étrange de consentir
00:27:44 à la violence symbolique qui va avec le couple.
00:27:47 - Vous en aviez conscience dès l'enfance ?
00:27:49 - Oui, parce que j'assistais à des formes de couples
00:27:52 qui relevaient du désamour, de la guerre.
00:27:57 Et après, moi, quand j'ai formé des couples,
00:28:01 j'ai éprouvé aussi, sans que ce soit de cet ordre-là,
00:28:03 mais j'ai éprouvé aussi ce qu'il pouvait y avoir
00:28:07 de difficile à construire, à maintenir,
00:28:12 la lutte que ça pouvait constituer parfois
00:28:17 et qui parfois pouvait nous apparaître proportionnellement
00:28:21 ou peut-être tellement supérieure aux bénéfices et à la paix
00:28:25 que voilà, pourquoi en fait ?
00:28:27 Pourquoi on a besoin de ça ?
00:28:28 Et pourtant, moi, je suis incapable d'être dans une autre formation
00:28:31 sentimentale que le 2.
00:28:34 Et pourquoi...
00:28:36 C'est tellement fascinant, ça,
00:28:38 parce qu'on peut dire qu'il y a quelque chose de contre-nature,
00:28:42 que j'ai jamais cessé de l'interroger.
00:28:44 Et il y a parfois aussi des couples toxiques
00:28:47 où on peut trouver un bénéfice à rester longtemps
00:28:49 dans ce qu'on va appeler un couple toxique,
00:28:51 mais parce qu'il y a autre chose que cette toxicité.
00:28:54 C'est une stimulation permanente.
00:28:57 Qu'est-ce qu'on va chercher comme révélateur ?
00:28:59 Quels fonds on a besoin de toucher pour...
00:29:02 Voilà, en fait, l'autre, je dis en banalité,
00:29:04 mais comme l'autre est un miroir,
00:29:07 personne ne m'a plus appris sur moi-même,
00:29:11 ne m'a plus éduqué que les gens avec qui j'ai partagé ma vie,
00:29:14 même dans les cas les plus...
00:29:17 Comme c'est ce que je vis au quotidien, ce qui m'intéresse le plus,
00:29:20 ça revient toujours dans mes romans.
00:29:22 Et là, pour ce qui est du duel,
00:29:24 je suis un peu effrayée par tout ce qui organise,
00:29:28 pour nos enfants, tout ce qui continue à organiser
00:29:31 et à raconter jusqu'à la faire exister, je pense, hors de proportion,
00:29:35 la guerre des sexes.
00:29:36 Et...
00:29:38 Et je cherche...
00:29:41 Je pense qu'une partie de ma recherche en écriture,
00:29:43 c'est comme imaginer des histoires
00:29:47 où on parviendrait à pacifier ça, et à quelles conditions.
00:29:51 Et...
00:29:52 Parce que pour moi,
00:29:54 la violence la plus forte,
00:29:59 celle que j'ai le plus observée, celle qui fait le plus de dégâts,
00:30:02 c'est pas la lutte des genres, c'est la lutte des classes.
00:30:05 Et j'ai l'impression parfois que le discours,
00:30:07 peut-être même les sciences sociales,
00:30:09 ont un peu abandonné, ont laissé...
00:30:14 Oui, une désaffection pour le sujet de la lutte des classes, vraiment.
00:30:17 Alors qu'il était à la naissance de la sociologie critique
00:30:20 pour quelque chose qui est, me semble-t-il,
00:30:24 le plus construit, et qui est la lutte des genres.
00:30:28 - Si on parle d'intersectionnalité,
00:30:30 où justement cette lutte des classes et cette lutte des genres pourrait...
00:30:32 Bon, là, ça nous fait un peu sortir de notre sujet.
00:30:34 - C'est vrai que l'intersectionnalité, c'est une...
00:30:37 Mais c'est petit, en fait.
00:30:38 Mais c'est une... Oui, oui, c'est un biais.
00:30:41 Mais quand même, c'est toujours les identités.
00:30:43 C'est toujours la lutte des identités, l'intersectionnalité.
00:30:46 Et...
00:30:47 Et...
00:30:49 Mais oui, c'est vrai.
00:30:50 Et donc, je continue à interroger cette dualité-là,
00:30:54 mais pas avec les mêmes besoins.
00:30:58 Il y a quelque chose de plus militant, maintenant, je pense.
00:31:03 Je vois s'éloigner sur...
00:31:07 Je vois tout ce qui organise, ça me saute aux yeux,
00:31:11 tout ce qui organise la polarisation homme-femme.
00:31:14 - Y compris en littérature ?
00:31:15 Est-ce que vous pensez que ça contamine aussi la littérature
00:31:18 qui se fait plus militante et qui est plus dans, justement,
00:31:21 cette répercussion peut-être d'une certaine doxa ?
00:31:23 Il faut présenter les personnages féminins comme tels,
00:31:25 les personnages masculins ?
00:31:26 - Alors, j'évite...
00:31:28 Je doute pas que ça existe, mais je les lis pas.
00:31:30 Donc je peux pas...
00:31:31 - Vous confirmez que ça existe.
00:31:32 - Je peux pas... Voilà, je...
00:31:35 Comme j'ai peu de temps pour lire,
00:31:38 j'ai aussi peu de temps pour lire que pour écrire.
00:31:40 Je sais que par rapport à la moyenne des usages,
00:31:42 ça reste beaucoup, j'ai de la chance,
00:31:45 mais je finis par lire qui je connais, par lire...
00:31:49 Voilà, j'ai plus assez de découvertes, en fait.
00:31:55 Je me risque pas, comme n'étant pas journaliste,
00:31:58 je me risque pas à lire des choses que je vais lâcher
00:32:01 à la 2e page, parce que sinon, je vais les lâcher.
00:32:03 Donc je sais pas.
00:32:05 Mais si vous me le dites...
00:32:08 - Je vous le dis, je vous donnerai des titres.
00:32:10 - Je me suis prise. - Si ça vous intéresse.
00:32:12 - Je le disais en introduction, pour moi,
00:32:14 mais je crois que vous l'avez dit vous-même,
00:32:16 "Feu" et "Western" forment une sorte de diptyque.
00:32:20 En tout cas, "Western" prolonge la réflexion
00:32:22 que vous aviez amorcée dans "Feu",
00:32:25 notamment autour de la question du désir.
00:32:26 Et d'ailleurs, en relisant "Feu" pour préparer cette rencontre,
00:32:29 j'ai retrouvé cette phrase, donc c'est Clément,
00:32:32 ce personnage de banquier dépressif
00:32:34 qu'a son bouvier bernois papa,
00:32:36 qu'on a tous... Voilà, qui nous a tous énormément émus.
00:32:39 Et Clément dit à un moment,
00:32:40 "Je m'efface déjà moi-même du Western un peu tous les jours."
00:32:43 Donc il y avait déjà cette idée...
00:32:45 Est-ce que cette phrase-là était présente à votre esprit
00:32:48 quand vous vous êtes mis à l'écriture de...
00:32:49 - Exactement, c'est un peu le spin-off.
00:32:51 Alors, ça veut pas dire la même chose,
00:32:53 parce que dans la langue de Clément,
00:32:55 c'est-à-dire qu'il se retire du champ de bataille.
00:32:58 Je veux dire, s'il faut...
00:32:59 Tout ce qu'il y a à faire pour répondre à l'injonction "sois un homme",
00:33:03 il était déjà fatigué d'avance.
00:33:05 Donc c'est ça qu'il disait,
00:33:08 en disant "je me retire du Western",
00:33:10 c'était "je me retire du jeu",
00:33:11 "je me retire de cacorale", en fait.
00:33:13 "Je me retire des règlements de compte, homme-femme."
00:33:15 C'était ce Western-là.
00:33:17 C'est pas ce Western que je raconte dans "Western",
00:33:20 et pourtant, c'est vrai.
00:33:22 Cette phrase-là, elle dit beaucoup de choses pour moi.
00:33:25 Elle me parlait aussi de...
00:33:26 Pour Clément, elle dit ça,
00:33:28 mais je sais pas si vous vous souvenez,
00:33:32 il y avait eu une affaire, c'est avant "Me Too",
00:33:35 concernant Kevin Spacey,
00:33:37 et son propre visage avait été effacé...
00:33:39 - Un acteur américain, je vous laisse...
00:33:41 - Voilà, l'acteur Kevin Spacey.
00:33:43 Et suite à une affaire où il était...
00:33:48 Je sais même plus c'était quoi, l'affaire.
00:33:49 - Il était accusé d'agression sexuelle sur des...
00:33:51 - Sur son conjoint. C'est ça.
00:33:54 Et à partir de là,
00:33:55 donc avant que...
00:33:57 L'affaire a été jugée depuis,
00:33:58 et je sais pas ce qu'il en ressort, mais bon, il est pas...
00:34:02 Il est pas en prison,
00:34:03 mais son visage a été effacé de sa propre filmographie.
00:34:07 Alors ça, j'avais...
00:34:09 On n'avait pas plus parlé que ça,
00:34:11 mais je trouvais que c'était extraordinaire, en fait,
00:34:14 dans l'histoire du cinéma, dans l'histoire de la masculinité,
00:34:17 dans l'histoire du droit mou,
00:34:20 parce que c'est pas une décision de l'ordre du droit pénal,
00:34:23 c'est un droit émotionnel, en fait, qui décide de ça,
00:34:26 qui décide d'effacer quelqu'un de son oeuvre.
00:34:28 Et c'est unique, je crois, dans l'histoire de l'art, c'est unique.
00:34:33 Et ce truc-là m'avait...
00:34:34 - Il a eu des visages effacés pour d'autres raisons.
00:34:36 - Oui, j'imagine, dans la peinture du XVIIIe, ça a dû...
00:34:40 Mais là, voilà, j'avais été...
00:34:44 Et s'effacer du western, c'était ça.
00:34:48 Et au moment, quand j'ai imaginé ce personnage d'Alexis
00:34:51 qui anticipe sur son propre effacement,
00:34:53 parce qu'il se doute bien qu'il va...
00:34:56 que la façon dont...
00:34:57 Comme c'est donjuan, et que le donjuanisme aujourd'hui
00:35:00 est ulcérant,
00:35:02 et insupportable pour plein de bonnes raisons aussi à la société,
00:35:06 il pressent que lui aussi,
00:35:08 il va pouvoir faire l'objet de cet effacement.
00:35:11 Et donc il essaye d'anticiper.
00:35:12 Et pareil, c'était effectivement contenu.
00:35:15 Le programme était un peu contenu dans cette phrase.
00:35:16 Quand je l'ai écrite, je savais qu'elle allait encore m'emmener ailleurs.
00:35:20 - Oui, parce que peut-être, pour simplement resituer rapidement
00:35:23 l'intrigue de "Western",
00:35:25 ce fameux Alexis, Alexis Zagner, c'est un comédien
00:35:28 qui s'apprête à jouer donjuan au théâtre.
00:35:31 Le livre s'ouvre et il est absent.
00:35:33 Il n'est pas sur scène pour la répétition,
00:35:35 parce qu'effectivement, il craint d'être attrapé par un scandale MeToo.
00:35:38 Il a une relation avec une très jeune fille,
00:35:41 une aspirante comédienne, Chloé.
00:35:43 Et il sent qu'il va se passer quelque chose à cause de cette histoire,
00:35:47 que ça va lui revenir comme un boomerang, et que ça va faire très mal.
00:35:50 - Au départ, il ne sait pas vraiment que c'est ce genre d'histoire.
00:35:53 - Il pressent qu'il y a quelque chose...
00:35:54 - Il a un instinct. Il a entendu, il y a plein de signaux,
00:35:57 il y a plein d'alertes faibles qui vont devenir des signaux forts
00:36:00 quant à ce mec-là, on n'en veut plus, c'est ce qu'il incarne.
00:36:03 - Exactement. - C'est ce qu'il incarne.
00:36:04 - Et il choisit de fuir, de partir en cavale,
00:36:07 et d'aller se réfugier dans l'Écosse.
00:36:10 Et là, il tombe sur Aurore,
00:36:12 qui, elle, vit dans la maison de sa mère
00:36:15 après un burn-out avec son fils Cosma.
00:36:18 Et c'est le début du western.
00:36:19 Voilà, on va dire ça comme ça, pour resituer un peu les choses
00:36:22 et remettre un cadre à notre discussion.
00:36:26 Est-ce que vous souhaitez lire un passage justement de western
00:36:28 pour qu'on ait aussi en tête, dans l'oreille,
00:36:31 la musique de votre écriture ?
00:36:35 - Alors, est-ce que...
00:36:37 Oui, oui, oui.
00:36:43 (Rires)
00:36:44 Alors...
00:36:47 Je vais prendre un truc complètement...
00:36:49 Complètement...
00:36:54 Sans...
00:36:56 J'aurais pu prendre le début de l'histoire, mais bon, voilà, tant pis.
00:36:59 Ça va donner aucune indication sur ce qui se passe.
00:37:02 Donc là, c'était un moment où Alexis et Aurore
00:37:07 sont dans un ouest, donc l'ouest de la France, dans le Lot.
00:37:10 Et ils n'ont rien d'autre à faire que de se raconter,
00:37:13 que de raconter ce qui les a menés là,
00:37:16 dans cet exil consenti pour l'un, pas consenti pour l'autre.
00:37:22 Et Aurore est en train de raconter,
00:37:25 elle a commencé à raconter des éléments de sa vie à Alexis,
00:37:29 et puis finalement, elle n'arrête plus.
00:37:33 "Aurore ne veut plus arrêter ça, se verser.
00:37:36 "Elle ira désormais dans son récit comme en forêt,
00:37:39 "chauffée par l'alcool.
00:37:41 "A écouter cette voix ronde qui est maintenant la sienne,
00:37:44 "parler d'elle au passé,
00:37:46 "elle a trouvé un rythme à sa respiration,
00:37:48 "un rythme qui lui convient.
00:37:51 "Alors elle veut rester là, dans ce champ bizarre qui la berce, elle.
00:37:56 "Aurore raconte, Aurore raconte Aurore sans respirer.
00:38:00 "Donc elle dure, elle a 33 ans.
00:38:03 "Elle s'accroche, dit-elle, au lambeau de sa principale croyance,
00:38:07 "celle que les hommes protègent et guident.
00:38:10 "Elle s'y accroche comme les petits s'accrochent au lambeau
00:38:13 "d'un âge sale et enivrant.
00:38:14 "Vous voyez ?
00:38:16 "Un doudou, si on veut,
00:38:21 "adorable, le patriarcat en forme de lapin synthétique,
00:38:24 "usé et puant, deux oreilles faméliques tossées par de grandes petites filles.
00:38:28 "C'est l'image la plus sympathique qu'on lui ait proposée
00:38:31 "pour expliquer l'incroyablement lente extinction de leur règne.
00:38:36 "Aurore dit Aurore, Aurore dure ainsi trois ans sur la route défoncée,
00:38:41 "enfoncée dans la croyance jusqu'au genou.
00:38:43 "Trois années dont elle ne se souvient plus beaucoup,
00:38:46 "faite d'endurance, de rebonds mous et d'attente que quelque chose arrive.
00:38:51 "Le temps qu'il faut pour finir d'apprendre la vérité.
00:38:55 "À savoir qu'un homme n'est occupé que de sa propre croissance.
00:38:59 "Si on l'ignore, on ne fait qu'attendre, l'attendre, l'accompagner,
00:39:03 "découvrir un peu tard qu'on n'a pas sa place à soi,
00:39:07 "on a juste la sienne.
00:39:09 "Vers la fin de la route, une autre grossesse, cet enfant-là.
00:39:14 "Cosma, dit Alexie, Cosma, l'élu",
00:39:19 ça fait référence à ce qu'elle disait avant, le père de Cosma,
00:39:21 "l'élu qui parle mal parle un jour encore plus mal
00:39:24 "et prononce une phrase de trop.
00:39:27 "Quand Aurore quitte le père, Cosma a neuf mois et s'édit-on de la folie.
00:39:32 "Pas du tout.
00:39:33 "Mère, elle ne peut plus être la fille de son mari,
00:39:38 "et comme il est trop tard pour être autre chose,
00:39:40 "que l'autre en a pris l'habitude, qu'il parle trop fort,
00:39:44 "qu'il parle de fric et que c'est foutu, elle s'en va."
00:39:49 "C'était quoi, la phrase de trop ?" demande Alexie.
00:39:53 "On ne fait pas un dictionnaire des citations machistes,
00:39:55 "on devrait peut-être, mais pas ce soir.
00:39:59 "Et lui, le type, il est où ?
00:40:02 "Ça ne raconte pas lui.
00:40:04 "Elle voit qu'il s'attache surtout à l'histoire de l'homme,
00:40:07 "que ça l'intéresse davantage, c'est fatigant, mon Dieu.
00:40:11 "Elle se trompe.
00:40:13 "Il est fasciné de l'accès qu'elle lui donne à son monde.
00:40:16 "Il n'a jamais rien connu de semblable.
00:40:18 "L'accès à une femme autrement que par le corps, par le compte.
00:40:24 "Il est surpris alors qu'il ne l'était plus dans cette vie, plus jamais.
00:40:29 "Dégouté, oui, vaguement ému ou agressé, mais surpris, jamais."
00:40:34 Merci beaucoup.
00:40:37 - Alexie et comédien, qu'est-ce qui vous a donné envie
00:40:45 de situer cette intrigue dans ce milieu, ce milieu du théâtre,
00:40:48 de prendre un acteur ?
00:40:50 On sait aussi que "Me Too",
00:40:52 parce qu'on a beaucoup parlé de romans post-"Me Too"
00:40:53 pour évoquer "Western",
00:40:55 on dirait si c'est une qualification qui vous convient.
00:41:00 Et on sait que ça a commencé justement dans le milieu du cinéma.
00:41:02 C'est ça qui vous a donné envie de situer "Western" dans ce milieu ?
00:41:06 - Non, ça pourrait, mais en fait, ça fait longtemps
00:41:09 que j'ai envie de fréquenter le théâtre dans un roman.
00:41:14 Moi, j'aime beaucoup les théâtres.
00:41:16 Déjà, le lieu...
00:41:17 Ma mère travaillait pour une association
00:41:19 qui s'appelait les ATP, Amis du théâtre populaire.
00:41:21 Ça faisait partie des associations post-satellite du TNP
00:41:25 de Jean Villard, pour les gens qui connaissent un peu le théâtre,
00:41:29 le mouvement de la démocratisation culturelle, tout ça.
00:41:31 Et donc, cette association-là faisait venir
00:41:34 les grands noms du théâtre subventionné.
00:41:36 Donc moi, j'ai vu des...
00:41:37 Toute petite, avec ma mère,
00:41:39 je voyais Françon, Mouchkine, Sivadier,
00:41:42 même au moment des répétitions, quand ils venaient avec leur troupe.
00:41:47 J'ai assisté à beaucoup de répétitions.
00:41:49 J'étais toujours une petite fille cachée.
00:41:51 Et ça, vraiment, ça me fascinait.
00:41:52 Pour moi, le théâtre est vraiment le lieu de la surprise.
00:41:56 Dans les répétitions, on ne voyait jamais la même chose,
00:41:57 ils ne donnaient jamais la même chose.
00:41:59 Et j'ai toujours ensuite...
00:42:01 Alors, moi, j'ai pas ça en moi,
00:42:03 j'ai jamais voulu être comédienne,
00:42:05 mais j'ai toujours traîné dans les théâtres pour regarder
00:42:08 ou trouver un job, ou à la communication,
00:42:11 ou faire du rédactionnel, faire...
00:42:14 Et puis aujourd'hui, encore, c'est l'art qui me fascine le plus.
00:42:17 Le jeu, parce que je comprends toujours pas.
00:42:21 Je ne comprends pas comment...
00:42:23 On voit pas l'instrument.
00:42:24 Une grande comédienne ou un grand comédien,
00:42:27 je comprends pas où ils vont chercher ça,
00:42:29 comment on peut, à ce point, s'ouvrir en deux,
00:42:32 cette générosité-là, c'est vraiment de la générosité.
00:42:35 Qu'est-ce qui reste après de soi, une fois qu'on a...
00:42:38 Je suis fascinée par les comédiens.
00:42:41 Enfin, au sens générique.
00:42:43 Les hommes, les femmes.
00:42:45 Donc c'était vraiment ça, le besoin.
00:42:48 C'est parce que je voulais être dans le théâtre.
00:42:52 Il y a eu plein de romans où je me suis dit,
00:42:54 "Allez, là, je vais y aller, là, ça va être le théâtre."
00:42:57 -Dans "Feu", déjà, et en plus, ils vont, je crois,
00:42:59 dans "Feu", ils vont voir leur présentation.
00:43:00 -Oui, même le personnage de Lorenza Cio,
00:43:01 j'avais envie de le reprendre, de le travailler et tout.
00:43:07 Et puis, voilà, c'est venu là.
00:43:08 Après, effectivement, mais ce qui s'est passé
00:43:11 chez les comédiens, c'est après.
00:43:13 Voilà, moi, on me dit, c'est sur "De par Dieu",
00:43:15 mais en fait, c'est la profession de toutes les autoréalisatrices,
00:43:18 parce que "De par Dieu", ça arrive vraiment après, quoi.
00:43:20 J'ai fini mon livre, mais il n'est pas sorti.
00:43:23 Et il y en a eu plein d'autres, comme ça.
00:43:25 Mais non.
00:43:28 Et puis, en plus, alors "Me Too",
00:43:32 il faut repréciser, tout le monde l'a en tête,
00:43:34 mais "Me Too", dans la première vague,
00:43:37 "Me Too", elle a désigné les criminels,
00:43:41 c'est-à-dire les violeurs.
00:43:43 Alexis, c'est pas...
00:43:45 Il fait partie de la catégorie
00:43:47 que "Me Too" a fini par éclairer à la périphérie,
00:43:51 c'est-à-dire tout ce que Virginie Despentes
00:43:53 a appelé les connards innocents,
00:43:54 c'est-à-dire ceux qui étaient non pas abuseurs,
00:43:58 mais abusifs dans leur comportement amoureux et sentimental,
00:44:03 ce qui est vraiment le cas de "Don Juan".
00:44:05 Le "Don Juanisme", c'est l'abus symbolique par excellence.
00:44:08 Et donc, Alexis appartient à cette périphérie-là,
00:44:13 pas immédiatement à la catégorie balancée par "Me Too".
00:44:17 Alors, au roman post-"Me Too",
00:44:20 du coup, le roman post-"Me Too",
00:44:23 ça m'a toujours paru un peu réducteur
00:44:26 et un peu marketing comme étiquetage à cause de ça,
00:44:29 mais je sais bien que...
00:44:34 Je n'aurais pas eu...
00:44:35 Là, je m'intéresse à travers Alexis,
00:44:37 qui joue "Don Juan" et qui en est un,
00:44:40 à la dégradation du mythe.
00:44:43 Pourquoi "Don Juan", dans cette micro-société qu'il a d'autre,
00:44:49 parce que "Me Too", c'est malheureusement pas planétaire,
00:44:51 pourquoi "Don Juan" ne peut pas survivre ?
00:44:53 Pourquoi il est à ce point atteint dans l'imaginaire collectif ?
00:44:56 Pourquoi il est passé d'une figure quand même assez sympathique ?
00:45:00 Quand on disait "Don Juan", c'était juste qu'il y a 10 ans,
00:45:03 c'était plutôt sympa.
00:45:06 En tout cas, c'était pas...
00:45:08 Là, plus personne ne veut se regarder là-dedans.
00:45:10 Donc je n'aurais pas eu à observer ça
00:45:15 s'il n'y avait pas eu "Me Too" pour renverser "Don Juan".
00:45:19 - C'est...
00:45:23 Donc oui, il incarne...
00:45:24 Ce qu'on va lui reprocher finalement à cette Alexis,
00:45:27 puisque vous le dites, c'est ça qui fait tout l'intérêt,
00:45:30 outre la langue, le style dont on a déjà parlé,
00:45:34 mais ce qui va faire de lui un coupable, Alexis, c'est sa parole.
00:45:39 On va lui reprocher les mots qu'il a eus,
00:45:41 notamment le torrent de mots amoureux.
00:45:43 C'est son discours amoureux, finalement, qui est mis en cause.
00:45:46 Je ne vais pas tout raconter,
00:45:47 parce que je ne voudrais pas gâcher la lecture
00:45:49 des personnes qui n'auraient pas lu encore le "Western".
00:45:51 Donc là, on se retrouve dans ce que vous appeliez le droit mou,
00:45:54 finalement, où on va le condamner
00:45:56 pour quelque chose qui n'est pas pénalement répréhensible.
00:45:59 Est-ce que c'était ça qui vous...
00:46:02 Cette question-là que vous aviez en tête ?
00:46:04 -Ça, c'est le "Western".
00:46:05 Je veux dire, dans...
00:46:07 Oui, c'était vraiment ça.
00:46:09 C'était...
00:46:10 J'étais même dans un moment d'anticipation.
00:46:14 Au départ, je me disais...
00:46:16 Tiens, j'avais envie d'imaginer une société
00:46:18 où les gens pouvaient être jugés et incarcérés
00:46:22 pour leurs pratiques sexuelles, comme les gays au Chili, quoi.
00:46:25 Mais dans nos sociétés, à nous.
00:46:28 Et finalement, j'en ai pas eu besoin,
00:46:31 puisqu'à d'autres endroits de la société,
00:46:35 il y a des formes de violence comme ça.
00:46:38 Et donc, dans le "Western",
00:46:41 c'est toujours le droit mou qui opère.
00:46:44 Ce que j'appelle le droit mou, c'est pas moi qui l'appelle comme ça,
00:46:47 je sais plus d'où vient cette expression,
00:46:48 mais c'est une justice émotionnelle, une justice publique
00:46:52 qui réagit vite, qui condamne vite
00:46:54 et qui n'attend pas l'arrivée du juge en ville.
00:46:56 Parce que s'il y a un invariant dans les "Western",
00:46:58 c'est qu'on promet toujours l'arrivée du juge en ville
00:47:00 et il ne vient jamais.
00:47:01 Et c'est pas la peine qu'il vienne,
00:47:02 puisque de toute façon, la loi, cette loi-là a été...
00:47:06 Ces lois personnelles ont opéré avant.
00:47:10 Ce phénomène-là... Enfin, moi, j'adore le "Western",
00:47:11 mais ce phénomène-là m'intéresse beaucoup
00:47:13 parce qu'aujourd'hui, il est potentialisé par les réseaux.
00:47:17 C'est le justice-là et il opère tous les jours
00:47:20 avec une violence et une efficacité
00:47:23 alors parfois justes, mais parfois complètement à côté.
00:47:26 -D'ailleurs, Alexis est d'abord propulsé
00:47:27 comme une espèce d'icône féministe
00:47:29 parce que pour expliquer sa disparition,
00:47:30 il dit "Je veux laisser le rôle de Don Juan,
00:47:32 le premier rôle, à une femme
00:47:33 parce que j'ai vu que j'étais beaucoup plus payée qu'elle
00:47:35 et c'est plus admissible."
00:47:36 Donc là, il y a des hashtags.
00:47:38 Je ne sais plus quels sont les hashtags,
00:47:39 mais "Donne ton rôle", etc.
00:47:41 Enfin, il devient un héros.
00:47:42 Et puis, ça se retourne extrêmement vite.
00:47:43 -Puisqu'on se dit qu'il a fait ça
00:47:45 pour préserver son capital social,
00:47:50 penser à... C'est pas la même expression, maintenant,
00:47:52 d'une empreinte sociale,
00:47:53 pour penser à son empreinte sociale
00:47:55 parce qu'en fait, il savait
00:47:57 que quelque chose d'autre allait le salir.
00:48:00 Alors c'est vrai ou pas, il faut lire le livre,
00:48:02 mais effectivement, cette justice-là,
00:48:05 comme elle est ce qui la guide, est émotionnelle,
00:48:07 d'une heure à l'autre, elle change.
00:48:09 C'est-à-dire qu'elle tue, elle ressuscite,
00:48:11 elle vitalise, c'est ce que ne fait pas du tout la justice,
00:48:15 qui n'a jamais le temps d'arriver
00:48:16 parce que le temps de la justice est long
00:48:18 et on n'a plus le temps de l'attendre,
00:48:20 on n'a plus la patience de la justice,
00:48:23 parfois pour de bonnes raisons, parfois non.
00:48:25 Et du coup, c'était... Pardon, je m'éloigne de la question.
00:48:28 -Non, mais il y avait ce rôle des réseaux, justement,
00:48:30 et parce qu'il y a ça aussi, je pense, qui peut justifier,
00:48:34 c'est pas pour défendre la chapelle de journalistes
00:48:36 qui ont mis l'étiquette "Roman post-MeToo",
00:48:38 mais ce qui peut justifier, c'est la façon dont vous décortiquez
00:48:41 l'émergence de ces scandales, ces affaires,
00:48:44 par les réseaux sociaux, ensuite par les médias.
00:48:46 Comment un journaliste, dans cette histoire, va s'emparer...
00:48:49 Je ne sais pas quel rôle joue ce journaliste dans un western,
00:48:52 à quoi on pourrait l'apparenter, je crois qu'on en avait parlé.
00:48:54 -Le journaliste, ça dépend, il imprime la légende.
00:48:56 -C'est ça.
00:48:57 -Et puis souvent, c'est celui qui est...
00:49:00 Enfin, dans le western, mais on a changé d'âge,
00:49:03 c'est le premier, avec le télégraphe, à se faire descendre.
00:49:06 En général, il y a toujours l'imprimerie qui crame,
00:49:08 parce que le journaliste, à l'ouest, il fait tout.
00:49:10 Il enquête, en général, c'est un des rares
00:49:12 qui sait lire et écrire avec le curé.
00:49:14 Donc il fait tout le boulot de construction de la légende.
00:49:19 Il peut...
00:49:20 C'est aussi lui qui, dans certaines versions
00:49:23 de la fabuleuse histoire de Jesse James,
00:49:25 c'est aussi lui qui dit où il est.
00:49:29 Et ça peut être aussi lui qui le protège.
00:49:32 Et donc il a partie prenante avec le public.
00:49:36 Alors, même si c'est sa déontologie qui le mène
00:49:40 ou parfois c'est sa sous-information...
00:49:42 Donc là, je voulais voir,
00:49:44 parce que cette grammaire-là du western,
00:49:46 elle était très utile pour faire apparaître
00:49:48 tous les rouages de la fabrication d'un scandale.
00:49:53 Fabrication, parce qu'il y a un fait,
00:49:55 mais de l'orchestration d'un scandale.
00:49:57 Et comme je voulais pas...
00:50:01 Quand je parle d'une pratique professionnelle,
00:50:02 j'ai toujours peur de reconduire des représentations sur...
00:50:06 Donc je me suis vraiment intéressée à la façon
00:50:09 dont les journalistes d'une part et les avocats d'autre part
00:50:12 travaillaient, et la justice d'autre part, les procureurs et tout,
00:50:14 comment ils travaillaient face à un cas comme ça.
00:50:18 Donc le cas, c'est une jeune fille
00:50:21 qui vient se plaindre de violence morale
00:50:23 parce qu'elle est détruite par une rupture.
00:50:26 -La jeune fille qui a eu une relation avec Alexis.
00:50:28 -Voilà, qui a eu une relation assimilée à l'emprise avec Alexis,
00:50:32 qui est une postulante au conservatoire.
00:50:36 Et...
00:50:38 Et en fait, je suis allée voir des journalistes pour savoir...
00:50:40 Quelqu'un vient vous voir en disant,
00:50:44 "J'ai envie de témoigner quant à quelqu'un de connu
00:50:48 "sur ses abus, sur sa violence morale,
00:50:53 "atteinte à l'intégrité morale de la personne,
00:50:55 "atteinte à la psychologie de la personne.
00:50:57 "Comment...
00:50:59 "Voilà, à quel endroit ça vous intéresse ?
00:51:03 "A quel endroit on publie quelque chose sur quelqu'un ?"
00:51:06 C'est des enquêtes qui m'ont beaucoup rassurée
00:51:08 puisqu'on a parfois l'impression qu'il y a un dossier qui sort
00:51:12 parce que quelqu'un est connu,
00:51:13 parce que quelqu'un arrive au fait de quelque chose
00:51:16 et qu'il s'agit finalement d'interdire son succès.
00:51:21 Et en fait, on m'a raconté les protocoles.
00:51:24 C'est très mathématique, le nombre d'alertes qu'il faut,
00:51:28 le nombre de témoignages.
00:51:30 Il faut qu'il y ait une plainte,
00:51:32 qu'elle soit ensuite saisie par le procureur
00:51:35 pour que certains éléments puissent être dévoilés,
00:51:39 type correspondance, etc.
00:51:42 Donc finalement, le rôle de la presse, il est sain.
00:51:48 - Oui, c'est pas un tribunal médiatique comme certains le...
00:51:51 - Non, c'est un autre truc qu'on a dit sur mon livre,
00:51:53 que je racontais, l'histoire d'un tribunal médiatique.
00:51:55 Non, la statue du commandeur, dans ce livre-là,
00:51:58 c'est pas la presse, c'est le public.
00:52:00 C'est cette forme qui s'incarne par un public virtuel
00:52:03 dans les réseaux et l'extension du public du théâtre
00:52:07 qui suivait Alexis.
00:52:10 C'est cette forme anonyme, sans visage,
00:52:13 nébuleuse, insaisissable, et qui est puissante pour ça,
00:52:16 et qui peut changer.
00:52:18 Et donc qui a ce côté monstrueux aussi,
00:52:19 parce qu'elle est insaisissable, elle n'a pas de nom,
00:52:22 et elle change tout le temps.
00:52:24 Mais ce n'est pas...
00:52:25 Et finalement, ce que je décris, c'est que la presse,
00:52:28 avec toutes ces méthodes d'enquête
00:52:32 aussi objectives qu'elles veulent être,
00:52:36 finalement, on peut pas grand-chose contre ça, d'une part.
00:52:39 Et d'autre part, ça reste des hommes.
00:52:42 Et je raconte un personnage,
00:52:46 parce que la presse, finalement, ça veut rien dire,
00:52:47 et donc je raconte un personnage, un jeune journaliste
00:52:51 qui a été terriblement ému par Chloé.
00:52:57 Donc Chloé, c'est la jeune fille en question.
00:53:01 Et puis quand elle disparaît tragiquement,
00:53:05 qui regrette ce qu'il n'avait pas pu faire
00:53:08 au nom de la déontologie.
00:53:10 Donc il va utiliser tout ce qu'il peut,
00:53:12 c'est-à-dire qu'il va la transgresser tardivement,
00:53:17 sa déontologie, mais quelque part,
00:53:20 pour faire droit à quelqu'un, comme il dit,
00:53:23 pour répondre aux cris d'effroi qui se sont eus.
00:53:26 Parce que finalement, il a le droit aussi de sortir,
00:53:29 pour des raisons...
00:53:31 Et les romans, ça sert à ça.
00:53:33 C'est des personnages en proie à leurs émotions,
00:53:37 et tout le monde n'est pas que guidé par sa carte de presse.
00:53:41 -Et Aurore, dans ce dispositif du western,
00:53:45 quel rôle elle joue ?
00:53:46 Aurore, c'est cette jeune femme qui s'est retirée à la campagne
00:53:50 après avoir vécu à Paris,
00:53:52 épuisée, revenue de tout, revenue de l'amour,
00:53:54 revenue de la vie en entreprise,
00:53:56 et qui accueille, un peu malgré elle, à son corps défendant, Alexis.
00:54:01 -Elle joue plein de rôles et plein de fonctions,
00:54:03 mais dans le western, pour ceux qui le connaissent,
00:54:07 parmi les invariants,
00:54:10 Ford, Peckinpah, Walsh, Clint Eastwood,
00:54:13 alors moins Clint Eastwood,
00:54:15 mais le western classique, la figure de la femme,
00:54:20 en général, c'est une femme puissante.
00:54:22 C'est une puissance qui se crée
00:54:26 parce qu'elle, finalement, elle a dû s'échapper...
00:54:29 Elle est puissante parce que, on parlait de transgression,
00:54:32 parce qu'elle a transgressé ce qu'on réservait à son genre.
00:54:35 Ce que l'époque, alors qu'on parle de la guerre de sécession...
00:54:38 Si elle est là, c'est qu'elle a quitté une ville,
00:54:42 c'est qu'elle a quitté un état...
00:54:43 Comme tous héros de western, ils sont là
00:54:45 parce qu'ils ont quitté un certain état de la civilisation,
00:54:47 un certain établi, un "establishment".
00:54:50 Et donc, elle est là parce qu'elle est courageuse,
00:54:52 parce qu'elle l'a transgressée, parce qu'elles sont souvent seules.
00:54:55 Joan Crawford est souvent dans des rôles de femme seule à l'ouest
00:54:58 qui sait servir d'une arme,
00:55:00 qui sait, dans "Le brigand bien-aimé",
00:55:03 dans "Johnny Guitar",
00:55:05 elle désarme un homme jusque dans ses bottes.
00:55:10 -D'ailleurs, vous comparez "Aurore" à Joan Crawford.
00:55:12 -A Joan Crawford, mais sauf que là,
00:55:13 ça s'incarne dans une pratique sexuelle,
00:55:14 mais en fait, c'est ça, elle le désarme.
00:55:16 Et ces personnages-là,
00:55:18 moi, quand je regardais le western enfant,
00:55:20 ils me donnaient beaucoup d'espoir
00:55:21 parce que c'est une fenêtre sur un féminin
00:55:24 que je ne voyais pas trop s'incarner dans mon milieu à moi.
00:55:27 Donc j'adorais ces femmes-là.
00:55:29 Et finalement, elles triomphent toujours, elles ne meurent jamais.
00:55:31 Les femmes dans les westerns,
00:55:33 ça fait peut-être partie de la misogynie larvée du genre,
00:55:37 mais elles ne sont pas soumises aux mêmes lois,
00:55:41 aux lois de la gravité comme les cow-boys.
00:55:45 Elles ne meurent pas et elles s'en sortent.
00:55:47 Elles s'en sortent souvent
00:55:49 par la grâce de la collaboration d'un homme,
00:55:52 et elles incarnent ça, cette puissance-là,
00:55:54 cette femme qui...
00:55:56 On sait pas ce qu'elle a fait avant, or on sait,
00:55:59 qui essaye de mener son désir quelque part,
00:56:01 qui cherche une réparation, ça déjà, c'est héroïque.
00:56:05 Donc elle incarne ça,
00:56:08 et elle incarne pour moi un certain état du féminin
00:56:14 dans la société qui, pour moi, c'est ma génération,
00:56:20 où on nous a dit, voilà, maintenant c'est bon,
00:56:24 les femmes peuvent, tu peux vivre ton indépendance,
00:56:29 pratiquer l'autonomie, il y a liberté,
00:56:31 faire tes propres choix, la parité.
00:56:34 On me racontait pas encore que la parité salariale,
00:56:36 ça existerait jamais, mais en tout cas, tout était possible.
00:56:40 Et ça, c'était nouveau.
00:56:42 Et c'est vrai, donc on l'a pratiqué,
00:56:45 mais dans un environnement professionnel, social, familial,
00:56:49 qui n'était pas encore prévu pour que ce soit facile.
00:56:53 Et donc, Aurore est de ces femmes-là qui a tout fait,
00:56:58 voilà, autonomie, indépendance, liberté,
00:57:02 mais qui en ressort absolument épuisée.
00:57:04 Elle se décrit elle-même comme une somme de carence,
00:57:07 donc elle se décrit par le négatif.
00:57:09 Elle dit qu'elle ressemble à son époque.
00:57:11 La dette et la carence, c'est elle, elle est en moins,
00:57:13 elle est une réduction de fatigue, de désillusion,
00:57:18 mais elle est libre,
00:57:20 mais elle a pratiqué son autonomie jusqu'à ce qu'il ne reste plus rien d'elle-même.
00:57:23 Et on l'apprend à ce moment-là de sa vie,
00:57:28 où elle a tellement forcé la machine,
00:57:29 elle a tellement forcé son corps, parce qu'elle est libre,
00:57:31 donc elle pouvait tout faire, et elle a tout réussi.
00:57:35 Et bien, elle-même réussit son confinement,
00:57:38 on peut même supposer qu'elle a réussi son cancer,
00:57:40 qu'elle a même tous les...
00:57:42 Et là, elle réussit son déclassement social,
00:57:48 parce qu'on lui trouve un autre job,
00:57:50 parce qu'elle n'est pas à la hauteur de l'évolution digitale de son entreprise,
00:57:54 et elle cherche à se réparer de tout ça.
00:57:58 Et c'est en ça que ça poursuit "Feu",
00:58:01 parce que le personnage féminin de "Feu",
00:58:04 on le prenait au moment de "La Passion",
00:58:05 donc il était incendié par ça,
00:58:08 elle avait la liberté, effectivement, de la vivre.
00:58:10 Et puis je me suis dit, ce "Horror", ça pourrait être l'or un peu plus tard.
00:58:15 -D'ailleurs, il y a presque dans la sonorité des prénoms,
00:58:17 on retrouve quelque chose.
00:58:19 Je vois que le temps file, malheureusement,
00:58:21 et puis je voudrais vous laisser le temps de poser quelques questions.
00:58:23 Je voulais juste aborder un dernier point avec vous
00:58:26 qui me paraît très intéressant dans votre écriture aussi,
00:58:29 c'est la dimension presque métaromanesque,
00:58:32 c'est-à-dire que vous montrez...
00:58:33 Ça m'intéressait que vous disiez que vous étiez souvent dans les répétitions,
00:58:36 dans les coulisses au théâtre avec votre mère.
00:58:38 Je trouve que dans vos romans,
00:58:39 en tout cas, c'est très présent dans "Western",
00:58:41 c'est comme si vous nous montriez aussi les coulisses de l'écriture.
00:58:44 Il y a toute une forme d'ironie par rapport à la forme romanesque elle-même.
00:58:47 À un moment, je sais pas, il y a un train qui arrive en gare
00:58:49 et vous dites "Oui, là, on attend, on attend les gens qui vont descendre du train,
00:58:52 "puis en fait, non, on s'en fiche
00:58:53 "parce qu'il n'y a aucun personnage intéressant pour le récit."
00:58:55 Donc c'est des petits jeux comme ça, presque "echnoziens",
00:58:58 vous parliez d'echnozes, et c'est vrai qu'il y a beaucoup de choses d'echnozes
00:59:01 chez vous, notamment, il y a des personnages qui louchent,
00:59:03 comme chez Jean Echnoz, ah oui !
00:59:05 Et donc ça, c'est une dimension qui m'intéresse beaucoup
00:59:09 et ça donne un côté très ludique à vos livres,
00:59:11 même s'ils abordent des questions parfois de violence,
00:59:15 des questions complexes.
00:59:17 Il y a cette dimension ludique. Est-ce que vous, vous vous amusez en écrivant ?
00:59:19 -Alors oui.
00:59:21 Pas dans tous les livres.
00:59:23 "Feu", pas du tout. "Feu", je me suis fait très mal.
00:59:26 Mais par exemple, "Champion" et ce livre-là,
00:59:30 oui, je me suis amusée.
00:59:31 Et...
00:59:34 Et je veux aussi, parce que finalement, je parle des passions tristes,
00:59:39 je parle, pas que, mais quand même beaucoup,
00:59:42 je parle des violences qu'on se fait subir au nom de l'amour,
00:59:47 je parle du drame, de l'incommunicabilité entre les êtres.
00:59:52 Donc le minimum, c'est de...
00:59:56 Parallèlement, pour faire passer ça, peut-être que...
00:59:59 Je pense qu'il y a une part de moi, quand j'écris,
01:00:01 qui veut faire vivre une expérience dans le même temps, un peu.
01:00:06 Alors je ne dirais pas jusqu'à du reforisante,
01:00:07 mais amusante, parfois, pour le lecteur.
01:00:10 Donc ça passe par des effets de connivence,
01:00:12 ça passe par de l'humour, ça passe par...
01:00:15 Mais pour moi, cet appareil-là dont vous parlez,
01:00:17 c'est vraiment l'adresse au lecteur.
01:00:19 Je pense beaucoup au lecteur quand j'écris.
01:00:22 Je suis pas enfermée dans mon truc...
01:00:26 "Je sais pas si ce livre sera lu, ce sera peut-être pour moi."
01:00:29 Non. Dès la première phrase, je me dis "T'es où ?"
01:00:34 Et ça lui fait signe, oui.
01:00:37 Sinon, on est trop serein, en plus.
01:00:40 J'ai besoin de le figurer.
01:00:42 - Merci beaucoup, Maria Pourcher.
01:00:44 Je sais pas s'il y en a parmi vous qui souhaite poser des questions à Maria Pourcher,
01:00:49 des gens qui auraient lu "Western" ou "Feu" ou d'autres,
01:00:52 ou qui souhaitent en savoir plus.
01:00:55 Non ?
01:00:59 Si vous n'avez pas de questions,
01:01:02 dans ce cas-là je peux en poser encore une dernière,
01:01:04 mais ça m'embête parce que j'en ai posé beaucoup, donc...
01:01:08 - Allez.
01:01:09 - On sait pas, peut-être que ça vous libérera si j'en pose une dernière.
01:01:13 On n'a pas parlé de Cosma, qui est le fils d'Aurore.
01:01:15 Je me demandais quel rôle y jouait aussi lui dans le livre.
01:01:18 Je parle de film parce qu'il m'a beaucoup fait penser au petit garçon
01:01:20 dans "Anatomie d'une chute", "La palme d'or", je sais pas si vous l'avez vu.
01:01:24 Mais Cosma, il a quelque chose de très particulier,
01:01:27 il voit un peu l'avenir, il est un peu voyant, comme ça.
01:01:30 Et le petit garçon d'"Anatomie d'une chute",
01:01:32 c'est aussi lui qui détient un peu la vérité.
01:01:35 - Oui, quand j'ai vu le film de Justine Trier,
01:01:37 je me suis dit que ça aurait pu être un de mes personnages,
01:01:39 ce type d'enfance-là.
01:01:41 L'enfant, alors là, je pourrais dire aussi
01:01:47 ce qu'est l'enfant dans le western, mais on va peut-être arrêter avec ça.
01:01:51 J'en avais besoin déjà par contraste,
01:01:55 pour dire la complexité et tout ce par quoi sont encombrés
01:02:02 mes personnages, notamment Alexis et Aurore,
01:02:04 quand il s'agit d'aller l'un vers l'autre.
01:02:06 Ils sont à 5 cm, ils vont passer des journées bouclées ensemble,
01:02:11 il est très probable qu'ils se ratent.
01:02:13 Parce qu'il y a toute leur histoire, il y a justement leur conditionnement,
01:02:17 il y a toutes les couches identitaires et tout,
01:02:19 mais un enfant, il y a pas ça.
01:02:21 Un enfant particulièrement comme Cosma,
01:02:23 c'est-à-dire qui est encore un peu sauvage, encore un peu préservé,
01:02:26 ça s'arrête d'une année à l'autre,
01:02:28 mais c'est un truc, une des choses qui me fascinent dans l'enfance,
01:02:32 c'est le moment où ils ne sont pas encombrés, où ils vont vers,
01:02:36 où tous les instincts sont au maximum.
01:02:39 Il faut faire très attention à leur rejet ou à leur adhésion
01:02:42 parce que ça va pas durer,
01:02:45 et c'est parfois fantastique de justesse.
01:02:49 Et pour ce qui est...
01:02:50 Donc c'est ça qui traduit, lui, cet espoir-là.
01:02:55 - Est-ce que c'est pas un peu votre état d'esprit d'écrivain,
01:02:57 pardon, je vous arrête, mais justement, ce côté d'instinct
01:03:00 et d'être un peu débarrassée de préjugés,
01:03:02 parce que j'ai l'impression que c'est quand même quelque chose
01:03:03 qui est fondamental aussi.
01:03:04 - Tous les personnages d'un roman, c'est une part de nous.
01:03:06 Oui, bien sûr, mon enfant intérieur, il ressemble toujours un petit peu à ça.
01:03:10 Et pour ce qui est du côté Babyn Yobic, ça va avec,
01:03:14 c'est le sérieux avec lequel il prend ça.
01:03:16 Il est dans la maison de sa grand-mère qui tirait les tarots pour vivre,
01:03:19 et il trouve une boîte d'un jeu qui s'appelle "Les runes",
01:03:24 et il sait que c'est un outil qui prédit rien moins que l'avenir.
01:03:29 Ah bon ? Super.
01:03:30 Et donc il apprend à s'en servir, parce que si ça prédit l'avenir,
01:03:34 c'est premier degré, c'est des fois comme ça.
01:03:36 Et pour lui, tout parle en fait.
01:03:40 Son mysticisme est là, tout a un langage.
01:03:43 C'est un peu comme chez les poètes post-romantiques,
01:03:47 les pierres ont un langage, le vent a un langage,
01:03:50 les arbres ont un langage.
01:03:51 Alors moi, j'ai été comme ça dans mon enfance,
01:03:55 j'ai vraiment tout écouté, tout était sonore,
01:04:00 tout était bavard en fait.
01:04:04 Donc il y a ça chez lui, et j'ai bien vu à quel moment
01:04:08 ce rapport au monde m'a quittée.
01:04:10 Il y a un deuil de ça, peut-être que j'en ai la nostalgie,
01:04:14 et c'est aussi, voilà, cet enfant-là traduit aussi la part de moi-même
01:04:20 que j'ai abandonné la civilisation.
01:04:23 - Merci beaucoup Maria Pourchet. Toujours pas de questions ?
01:04:26 - Si, merci monsieur. - Bravo, monsieur.
01:04:29 ...
01:04:51 - Ah, ça m'intéresse beaucoup.
01:04:53 Alors, les Westerns...
01:04:55 - Les Westerns, c'est un genre de... - Oui, ça ne parle pas du jazz.
01:04:59 - Merci beaucoup, c'est une analogie que je n'avais jamais entendue.
01:05:01 Alors pour la première partie de votre question,
01:05:05 je connais le Western depuis ses origines.
01:05:07 Il y a des...
01:05:09 Les Westerns classiques que j'aime bien, c'est vraiment pas les plus...
01:05:14 C'est pas les mieux faits, mais c'est parce que c'est ceux que j'ai vus enfant,
01:05:17 donc c'est "Le brigand bien-aimé" et "Johnny Guitar".
01:05:20 Comme aujourd'hui adulte, j'aime le Western contemporain,
01:05:24 c'est-à-dire le Western des frères Cohen, j'adore,
01:05:26 parce que c'est celui qui reprend les mêmes codes et qui...
01:05:31 Oui ?
01:05:32 C'est violent, Tarantino.
01:05:36 Il y a des...
01:05:38 Voilà, et il y a une poésie du Western
01:05:41 que je retrouve plus chez les frères Cohen,
01:05:45 c'est le genre qui se regarde lui-même,
01:05:47 c'est le genre qui voit que tous ces codes,
01:05:50 le bon, les méchants, le drapeau américain, le shérif, le prêtre,
01:05:55 tout ça, ça ne veut plus rien dire, on nage tous dans la même zone grise,
01:05:58 et les Westerns des frères Cohen et de Clint Eastwood,
01:06:02 dans un autre genre, parce qu'ils sont très bons, les Westerns de Clint Eastwood.
01:06:07 Je crois que c'est vraiment ce que je regarde aujourd'hui avec le plus de joie.
01:06:11 Mes écrivains préférés, je l'ai souvent dit,
01:06:14 pour des raisons totalement différentes, c'est Romain Garry,
01:06:17 Romain Garry et particulièrement sa part, Émile Hajard.
01:06:21 C'est...
01:06:22 Il m'a...
01:06:25 Il m'a vraiment aidée, Romain Garry, il m'a éduquée au réel.
01:06:29 Avant ça, il y a Victor Hugo, le Victor Hugo poète a beaucoup compté,
01:06:34 parce qu'il a peuplé quelque chose...
01:06:38 Dans le moment de l'adolescence, un peu nos futurs,
01:06:42 j'avais une éducation catholique,
01:06:44 mais je ne savais pas ce qu'il s'agissait de prier,
01:06:47 je me rendais bien compte qu'il y avait quelque chose de supérieur,
01:06:49 mais finalement, le dieu qu'on me donnait,
01:06:52 vraiment quotidiennement, communion, confirmation, retraite, messe et tout,
01:06:57 je cachais que je ne le voyais pas, en fait.
01:07:02 Et j'avais quand même besoin de quelque chose de cet ordre,
01:07:04 donc c'était très ennuyeux.
01:07:06 Et c'est Victor Hugo qui est venu prendre cette place-là
01:07:10 avec le type de religion qui était la sienne,
01:07:13 notamment dans les contemplations.
01:07:15 Donc ça m'a beaucoup apaisée.
01:07:18 Donc ça reste un auteur que j'emmènerai sur l'île déserte.
01:07:23 Et donc Romain Garif, Flaubert a beaucoup compté.
01:07:26 Et les romances et minuits qui m'ont appris
01:07:31 une certaine liberté aussi avec la langue jeu, justement,
01:07:33 dont on parlait.
01:07:35 Donc Eschnoze, Oster, tous ces gens-là, beaucoup Eschnoze.
01:07:41 Et puis après, chez les femmes, Yasmina Reza, Sylvia Plass, Annie Arnaud.
01:07:51 Annie Arnaud, vraiment.
01:07:52 Je sais qu'aujourd'hui, Annie Arnaud est contestée
01:07:55 sur certaines prises de position,
01:07:57 mais c'est vraiment quelqu'un avec qui je pratique
01:07:59 la séparation de l'artiste et de l'oeuvre à la hache.
01:08:03 Annie Arnaud, c'est vraiment quelqu'un qui a beaucoup, beaucoup compté.
01:08:06 Et puis... Et Jean Giono.
01:08:09 Celui que je relirai toute ma vie,
01:08:12 mais vraiment, si...
01:08:14 Les livres que j'habite comme un pays, c'est Giono.
01:08:18 Je pourrais... Pas tous, mais...
01:08:21 S'il ne devait m'en rester qu'un, qu'un rapport au français,
01:08:25 ce serait Giono.
01:08:28 Et pour la musique, j'aime beaucoup que vous disiez ça,
01:08:30 parce que quand j'écris, j'écoute une certaine musique,
01:08:34 j'ai besoin d'un rythme, il y a un rythme dans ma tête.
01:08:37 Je connais pas la musique, je connais pas trop le solfège,
01:08:41 un petit peu, j'ai pas spécialement d'oreilles,
01:08:43 mais quand j'écris, je cherche effectivement une partition
01:08:48 selon mes personnages.
01:08:50 C'est paradoxal, parce qu'encore une fois, je ne connais pas la musique.
01:08:52 Le jazz, je connais pas ça, mais ça m'intéresse beaucoup
01:08:56 si vous avez trouvé un rythme qui peut faire référence au jazz,
01:09:02 parce que pour moi, oui, je cherchais une musique.
01:09:05 Je vais écouter.
01:09:06 Pour moi, il y a peut-être plus la country, mais parce que c'était...
01:09:10 D'accord.
01:09:11 Merci beaucoup, je vais écouter dès ce soir.
01:09:14 On va l'appeler... Il est vivant, Daniel Day-Lewis ?
01:09:21 Parce que moi, j'ai une tendance à enterrer tout le monde.
01:09:25 - Oui, totalement.
01:09:26 - Je pense toujours que...
01:09:28 Merci beaucoup, je vais travailler ces deux aspects
01:09:31 de la suite de "Western".
01:09:33 - Plus d'autres questions ?
01:09:35 Si, monsieur.
01:09:36 - Alors ça, ça a été assez...
01:09:47 Alors vous l'avez publié, imprimé ou paru ?
01:09:50 Alors, ça a été assez rapide,
01:09:55 puisque j'ai retravaillé ce livre jusqu'au mois de mars
01:09:58 et il est paru fin août.
01:10:00 Alors là, c'était une période un peu particulière,
01:10:03 parce que j'ai changé de maison d'édition,
01:10:06 pas d'éditrice, mais j'ai changé de maison,
01:10:08 et qu'il y avait une pratique que je connaissais pas,
01:10:11 que j'avais pas éprouvée, c'est-à-dire que dès que le livre était fini,
01:10:15 Elisabeth a même les épreuves du livre,
01:10:18 ça s'est même pas corrigé, c'est bourré de fautes,
01:10:21 et donc ça, ça a été envoyé très vite aux libraires et aux journalistes,
01:10:25 et on a fait, avec les autres auteurs stock,
01:10:28 une tournée des libraires en France.
01:10:30 Je connaissais pas, on m'avait jamais fait faire ça avant.
01:10:34 Le livre a vécu tout de suite, je l'ai accompagné tout de suite,
01:10:38 c'était très sportif, et à la fin, finalement,
01:10:42 j'ai passé plus de temps à accompagner ce livre,
01:10:44 à le promouvoir, que à l'écrire.
01:10:46 Donc pour vous répondre à votre question,
01:10:49 la période, j'ai même pas eu le temps de me poser,
01:10:51 j'ai pas eu le temps d'y réfléchir ou de le mettre à distance,
01:10:54 j'ai dû le porter comme un...
01:10:57 Le porter en écharpe, et le présenter à...
01:11:00 Et ça, c'est pas...
01:11:03 C'était chouette parce que c'était vivant,
01:11:05 parce que les éditeurs stock, c'est vraiment des gens super,
01:11:12 mais assez éprouvant, donc fatigant, pour répondre à votre question,
01:11:18 qu'on ne m'avait jamais posée, mais c'est vrai que ça...
01:11:22 - On a peut-être le temps pour une dernière question, si... Oui.
01:11:26 Bonjour.
01:11:27 Alors, pour écrire, j'ai besoin de bouger.
01:11:36 Enfin, pour sortir la première version d'un livre,
01:11:41 le matériau brut, j'ai besoin du mouvement.
01:11:44 Généralement, je commence à écrire dans un train,
01:11:46 et puis je vais toujours écrire mes livres dans le lot,
01:11:52 parce que, vraiment, il y a des trucs énergétiques,
01:11:56 ou parce que c'est une région mal desservie,
01:11:58 et que j'ai l'impression que personne n'ira m'ennuyer là,
01:12:00 parce que je l'aime, parce que je la connais bien,
01:12:02 et j'y organise un isolement complet jusqu'à ne pas...
01:12:08 Cet été, j'avais pas de 4G, j'avais pas de ligne téléphonique,
01:12:12 donc il fallait que j'aille sur la départementale
01:12:13 pour capter une barre SFR ou du Edge, même, c'était...
01:12:18 Et ça, c'est...
01:12:21 Comme j'ai pas beaucoup de temps,
01:12:23 du coup, je radicalise les conditions de ce temps-là.
01:12:28 Donc j'étais dans une bergerie,
01:12:29 et je fais toujours un truc plus ou moins comme ça,
01:12:32 trois semaines, un mois,
01:12:34 où j'écris et je marche.
01:12:39 Je suis pas capable d'écrire 8h par jour,
01:12:41 mais en tout cas, je suis 12h par jour dans le livre.
01:12:45 Je lis aussi un petit peu,
01:12:47 mais je lis qu'en correspondance avec mon propre sujet,
01:12:50 parce que je dors pas très bien,
01:12:52 parce que quand on fait qu'un truc obsessionnel,
01:12:56 en général, ça déglingue le sommeil,
01:12:57 mais je sais que ça va pas durer longtemps.
01:13:01 Et ensuite, je rentre avec ce matériau-là,
01:13:03 qui serait absolument illisible, mais au moins, il y a un plan.
01:13:06 Il y a une masse de...
01:13:08 Je sais pas, en général, ça fait 70 pages.
01:13:11 J'ai le plan avec des entrées, c'est-à-dire un plan actif,
01:13:14 ou si j'ai donné un titre de chapitre à...
01:13:17 Mais tous les chapitres ne sont pas écrits.
01:13:19 Et à partir de là, je vais sculpter et mettre de la matière
01:13:25 là où il y a des vides.
01:13:27 Je vais poncer, là, il y en a trop.
01:13:30 Pour le coup, l'analogie, c'est presque un peu la poterie
01:13:33 qui fonctionnerait.
01:13:35 Et à partir de là, quand je fais une semaine par-ci,
01:13:38 une semaine par-là,
01:13:40 et puis quand vraiment je suis à la fin,
01:13:42 je peux rentrer dans une discipline
01:13:45 de l'ordre de 2h par jour ou 4h par jour,
01:13:50 quand je sais exactement ce qu'il faut faire,
01:13:52 quand c'est stylistique,
01:13:54 pousser un peu une situation, un chapitre,
01:13:56 corriger un personnage, vraiment des touches.
01:13:59 Là, on est plus dans l'analogie de la peinture,
01:14:01 où j'ai des petits trucs comme ça.
01:14:04 Mais j'ai toujours rêvé d'avoir une discipline.
01:14:08 Quand je lis dans certains magazines
01:14:10 des écrivains qui livrent leur discipline
01:14:13 avec une rigueur dingue,
01:14:14 ils emmènent les gosses à l'école,
01:14:16 et puis ils travaillent jusqu'au déjeuner,
01:14:18 ils vont déjeuner avec leur éditeur,
01:14:19 ou vont au cinéma entre midi et deux,
01:14:21 ils s'y remettent jusqu'à 18h.
01:14:22 Je dis "Ah, ça me fait rêver."
01:14:25 Après, je me dis qu'ils mentent,
01:14:27 que tout ça, c'est pour m'humilier personnellement.
01:14:30 Mais moi, c'est très brouillon,
01:14:33 c'est très désorganisé, peut-être que...
01:14:35 Et ensuite, c'est peut-être pour ça
01:14:37 que j'ai un souci d'organisation de la matière
01:14:39 pour compenser la sauvagerie dont elle est née.
01:14:45 -Merci beaucoup.
01:14:46 -Merci.
01:14:48 -Merci à toutes et à tous. Bonne soirée.
01:14:49 (Applaudissements)

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