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Dans une tribune au Monde, quatorze présidents d'université appellent à la création d'une allocation pour tous les étudiants. Parmi les signataires, Christine Neau-Leduc, la présidente de l'université Paris I-Panthéon-Sorbonne et professeure de droit.

Retrouvez les entretiens de 7h50 sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50

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Transcription
00:00 - Dès 7h49, Sonia De Villere, votre invitée, est présidente de l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.
00:06 - Montpellier, Nantes, Lyon, Toulouse, Saint-Etienne, Bordeaux, Orléans, ex-Marseille, Paris donc,
00:12 et Strasbourg, autant de villes dont les universités réclament haut et fort une allocation d'études
00:18 pour tous les étudiants.
00:19 Bonjour madame la présidente, bonjour Christine Noleduc.
00:23 - Bonjour Sonia De Villere.
00:24 - Pourquoi une allocation ?
00:25 - Pourquoi une allocation ? Tout simplement parce qu'il était impératif lors de cette rentrée
00:31 de s'interroger sur la responsabilité de la société vis-à-vis de la jeunesse,
00:34 et en particulier des étudiants et des étudiantes, savoir quels investissements on était capable de faire
00:38 collectivement pour permettre à cette jeunesse d'étudier dans la dignité,
00:43 d'être en situation non seulement d'apprendre et se former, mais de créer et d'inventer.
00:47 L'enjeu est un enjeu de société et c'est l'avenir de notre pays qui est en cause,
00:52 parce que nous parlons là des chercheurs, des jeunes professionnels, des citoyens de demain.
00:58 Et donc pour nous, présidents d'universités, il nous paraissait au moment où la ministre a annoncé
01:04 une réforme d'ampleur, de faire une proposition qui soit à la hauteur des enjeux que nous remarquons au quotidien.
01:10 - On va peut-être dire un mot sur ces chiffres qui ont été énormément commentés,
01:15 à savoir que 27% des étudiants vivraient sous le seuil de pauvreté,
01:20 que 38% des étudiants peinent à payer leur loyer,
01:24 que la moitié d'entre eux restreignent les dépenses qui concernent l'alimentation
01:29 et qu'un quart sont frappés par la précarité.
01:32 C'est-à-dire que jamais dans toute l'histoire de la vie étudiante française,
01:35 le coût de la rentrée étudiante n'a été aussi difficile à avaler d'un point de vue économique.
01:40 - Oui mais ça ce sont des chiffres.
01:41 Nous pour nos présidents d'universités, ce sont des réalités humaines au quotidien.
01:46 Vous me parlez de ces chiffres mais c'est pour moi un marqueur incroyable.
01:51 Nous distribuons des aides d'urgence à nos étudiants.
01:54 Dans les années précédentes, le montant maximal par demande par étudiant c'était 400, 500, voire 600 euros.
01:59 Cette année c'est 1000, 1200, 1400 euros.
02:02 - Alors il faut expliquer, l'aide d'urgence ce sont pour des étudiants qui sont non boursiers.
02:06 L'aide d'urgence c'est pour pouvoir payer son loyer.
02:07 - Non ça peut être aussi des boursiers.
02:09 C'est vraiment des aides qui dépendent des universités.
02:12 C'est le seul levier que les universités ont pour accompagner en plus des aides du CRUSS,
02:16 en plus des appels à plus de tous, ces aides-là.
02:19 - Donc ça veut dire que vous en débloquez plus que jamais et sur des montants plus élevés.
02:21 - Ça explose en nombre et en montant.
02:24 Et c'est une réalité.
02:25 Au quotidien on voit la difficulté de nos étudiants, vous venez de le dire, à se nourrir,
02:29 à aller chez le médecin, à avoir une hygiène minimale au quotidien.
02:34 Et ça c'est quelque chose pour des présidents d'universités, c'est quelque chose qui fait mal.
02:39 - Christine Nolleduc, le gouvernement a mis quand même 500 millions d'euros sur la table,
02:43 ce n'est pas rien.
02:44 L'augmentation de la bourse pour les étudiants, elle est plus élevée que ces dix dernières années.
02:49 Plus 37 euros, ce n'est pas rien.
02:52 Plus 35 000 bénéficiaires de cette bourse, ce n'est pas rien non plus.
02:57 - Bien entendu, et la ministre a pris une décision forte au printemps dernier,
03:01 c'est un budget, l'impact budgétaire est important, c'est 500 millions d'euros.
03:04 Et nous le reconnaissons tous, il n'y a aucune difficulté.
03:07 Et c'est justement parce qu'elle souhaite une réforme et qu'une réforme va s'engager,
03:11 une réforme qui doit être systémique, que nous souhaitons être au soutien aussi de la démarche,
03:16 en disant qu'il faut aller plus loin, il faut prévoir une allocation.
03:19 C'est une proposition bien entendu.
03:21 Et il faut aussi se dire que les présidents, on est responsables,
03:24 on est comptable des données publiques, on n'est pas des utopistes.
03:27 On assume nos responsabilités et nous pensons qu'une allocation universelle
03:33 de revenus minimums permettrait à la fois de réduire les inégalités économiques,
03:38 peut-être aussi et même certainement de se prémunir contre les ruptures familiales,
03:42 parce que c'est quelque chose que l'on n'évoque pas suffisamment.
03:44 Mais les étudiants, on imagine que tout étudiant est accompagné par sa famille,
03:47 ils le sont assez souvent, mais souvent ce n'est pas le cas.
03:50 - Alors justement, c'est la question que j'allais vous poser.
03:52 Pourquoi une allocation pour tous ?
03:54 Pourquoi est-ce qu'on aiderait de la même manière un enfant de cadre
03:58 ou un enfant d'une famille à haut revenu qu'un enfant d'une famille
04:03 dont les parents sont semi-cars ? Pourquoi pour tous ?
04:06 - Bien entendu, parce que je pense qu'il faut qu'il y ait d'abord la garantie
04:08 d'un revenu décent pour nos étudiants.
04:10 C'est l'expression de la confiance qu'on a dans notre jeunesse.
04:13 Alors je comprends ce besoin de distinguer en fonction du revenu de la famille,
04:18 bien entendu, mais quand vous êtes en rupture avec une famille,
04:22 même quand vous n'êtes pas en rupture avec votre famille,
04:23 combien on voit d'étudiants qui sont accompagnés par leurs parents
04:27 dans leur choix même d'orientation ?
04:29 On le voit, ils n'ont pas d'autonomie financière,
04:32 ils ne peuvent pas trop s'affirmer et donc ils vont pendant un an ou deux ans
04:35 faire du droit, faire de l'économie, parce que souvent on estime
04:39 que ce sont les filières qui permettent des débouchés professionnels intéressants.
04:43 Ça ne leur convient pas du tout, ils le savent depuis le début,
04:45 ils auraient préféré faire art plastique, philosophie, ingénierie,
04:49 ils ne le font pas parce qu'ils sont quand même influencés par leurs parents
04:53 et qu'ils n'ont pas cette autonomie.
04:54 - Alors je rappelle que vous présidez l'université Paris 1 Sorbonne,
04:58 que vous êtes donc 14 universités assignées,
05:01 ce texte qui a été publié dans Le Monde hier matin,
05:05 que à vous 14, vous représentez 500 000 étudiants en France,
05:09 répartis sur tout le territoire.
05:12 On a toujours eu des étudiants qui travaillent.
05:16 Est-ce qu'aujourd'hui, travailler c'est compatible avec le fait d'étudier à l'université ?
05:21 - Ça l'est de moins en moins. - Pourquoi ?
05:22 - Ça l'est même presque plus.
05:23 Parce que bien entendu, tous les étudiants ont toujours travaillé,
05:26 mais c'était dans un volume horaire qui était souvent accessoire.
05:29 Ça leur permettait d'avoir un petit revenu de complément.
05:32 Ça peut être aussi une expérience intéressante de pré-professionnalisation,
05:35 de découvert du monde du travail.
05:36 On le fait aussi, bien entendu, avec les stages.
05:38 Mais là, au regard des besoins financiers qu'ont les étudiants,
05:42 ce sont des jobs à temps plein qu'ils prennent.
05:45 Et un temps plein ou quasi temps plein,
05:47 c'est une activité principale qui n'est plus compatible avec le travail.
05:50 On voit des étudiants qui travaillent la nuit sur des horaires d'une amplitude extrême
05:56 et qui s'endorment en cours le matin.
05:59 Et ça a toujours un petit peu existé.
06:01 Mais là, c'est un nombre d'étudiants bien plus important qui est concerné
06:05 et une amplitude horaire de travail qui est bien plus considérable.
06:08 Et c'est pas tenable.
06:09 - Est-ce que derrière la précarité étudiante,
06:11 est-ce que vous n'êtes pas en train de pointer la précarité de l'université elle-même ?
06:18 Le président de la République a choisi Hugo Décrypte.
06:20 C'est une célèbre chaîne YouTube animée par Hugo Travert.
06:24 Pour s'exprimer sur l'université,
06:26 il vous a tiré sincèrement dessus à boulet rouge.
06:30 Arguant que les universités pouvaient faire mieux avec les moyens qu'elles avaient,
06:34 pouvaient faire mieux avec les budgets qu'elles avaient,
06:36 n'avaient qu'à fermer des filières entières qui ne diplôment pas assez,
06:39 qui ne professionnalisent pas du tout.
06:41 Et que c'est pas parce qu'il y a des profs quand il n'y a pas d'étudiants
06:43 qu'il faut les maintenir ouvertes.
06:45 - Oui, ça peut être une interprétation que vous faites.
06:50 - Non, on a bien ressenti le message.
06:53 Vous comprenez, je ne partage pas.
06:55 Il faut quand même rappeler certains chiffres.
06:58 En licence, nous avons plus de 50% en moyenne d'étudiants qui obtiennent leur licence.
07:03 Dans certaines filières, c'est bien au-delà de ces pourcentages.
07:06 Nous diplômons nos étudiants en master à plus de 90%,
07:09 voire à 100% en certaines filières.
07:11 Ce sont des moyennes que je vous donne.
07:12 Donc nous faisons le travail.
07:15 Nous remplissons, comme on peut le dire, le job.
07:17 Et nous participons à la formation de la jeunesse de demain.
07:21 - Sauf que trois jours après, vous avez eu votre ministre de tutelle, Sylvie Retailleau,
07:25 qui emboîte le pas et qui dit "mais vous savez, les universités, elles ont de l'argent.
07:28 Elles dorment dessus, elles n'ont qu'à s'en servir".
07:31 - Oui, j'avoue que je n'ai pas...
07:33 En tout cas, je peux parler pour la bienne, pas rien.
07:35 Je ne peux pas m'endormir sur mon argent.
07:37 Je n'ai pas d'argent.
07:37 Je n'ai rien de caché.
07:39 Je n'ai pas de trésorerie cachée.
07:40 Je n'ai même plus de fonds de roulement pour absorber les mesures dites guérini,
07:44 les mesures de pouvoir d'achat de la fonction publique
07:46 qui ont été décidées à partir du 1er juillet.
07:48 Là, nous sommes à l'os.
07:49 Voilà, si on peut le dire comme ça.
07:51 Donc, je ne sais pas.
07:53 En tout cas, je peux répondre pour mon université.
07:55 Et je pense que c'est le cas de beaucoup d'autres universités.
07:58 Nous n'avons pas...
07:59 Il est clair que nous n'avons pas les moyens qu'il nous faudrait.
08:02 Et je vais vous dire même plus fort, parce que vous savez qu'on est tous présents,
08:05 beaucoup d'entre nous, participons aux universités européennes.
08:07 Ce sont des regroupements d'universités de dimension européenne.
08:10 Et ça nous permet de nous comparer avec nos collègues des universités.
08:14 Nous sommes avec des universités comme Bologne, Calvin,
08:17 la Compte-Huitaine de Madrid, de grandes universités.
08:20 Et quand on compare les moyens,
08:22 je pense qu'il y a un vrai fossé qui est en train de se creuser,
08:25 quelles que soient les universités françaises.
08:27 Et ce fossé va finir par être infranchissable.
08:29 Merci beaucoup, Christine Leduc.

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