Anne-Sophie Alsif, cheffe économiste de BDO France, et Olivier Dauvers, journaliste spécialiste de la grande distribution, sont les invités de Marion L'Hour à 8h20.
Retrouvez tous les entretiens de 8h20 sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien
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00:00 La vie est-elle devenue si chère qu'on mange moins ? Apparemment si on regarde les
00:03 chiffres de l'INSEE, inflation autour de 5% sur un an.
00:06 Conséquence, depuis la fin 2021, nous avons diminué nos dépenses en volume d'alimentation
00:11 d'11,5% ! Du jamais vu depuis les années 80 ! Consommation en berne, ceinture serrée
00:18 dans d'autres domaines aussi.
00:19 On en parle toute cette semaine avec notre série « Très chères vacances sur France
00:22 Inter » et ce matin, on en parle avec Anne-Sophie Alsif, chef économiste au cabinet de Conseil
00:27 BDO France.
00:28 Bonjour.
00:29 Bonjour.
00:30 Anne-Sophie Alsif, les prix de l'alimentaire ont augmenté de 18%, c'est plus que l'inflation
00:39 générale dans l'économie.
00:40 Les Français ont augmenté leurs dépenses de 4% seulement dans l'alimentaire.
00:44 On mange moins donc ?
00:45 On mange moins et on mange surtout différemment.
00:48 Donc on mange moins en effet avec cette augmentation des prix qui est supérieure à l'inflation
00:52 globale qui est de 6%.
00:53 Les Français font des arbitrages et réduisent en volume la quantité de nourriture et puis
00:59 on mange différemment, c'est-à-dire qu'on va aller sur des produits avec un niveau de
01:02 gamme inférieur.
01:03 Donc on a vraiment des changements de consommation avec cette inflation alimentaire.
01:08 Olivier Devers, « différemment », précisément, ça veut dire quoi ?
01:10 Ça veut dire qu'on est en train de descendre d'étage en étage dans le niveau de gamme
01:15 des produits que l'on met dans notre chariot.
01:17 Ceux qui achetaient du bio, ils en achètent toujours un peu mais moins.
01:20 Ceux qui achetaient des grandes marques, ils en achètent toujours un peu mais moins.
01:22 Et à chaque fois, c'est au profit de l'étage.
01:25 Juste en dessous, quand vous achetiez des marques, des grandes marques, pour une part,
01:29 désormais, vous achetez des marques de distributeurs.
01:31 Ceux qui achetaient des marques de distributeurs, pour une part, ils achètent des premiers
01:35 prix.
01:36 C'est ce qu'on appelle la descente en gamme.
01:37 C'est une stratégie que les consommateurs ont pour préserver la quantité de ce qu'ils
01:42 achètent dans le même budget.
01:43 Mais il y a un moment donné où ça ne suffit pas et on est obligé d'enlever un produit
01:47 du chariot et c'est là où on a une baisse de la consommation en volume.
01:51 Et ça explique la crise actuelle du bio, notamment.
01:53 Oui, bien sûr, le bio est un produit qui est objectivement plus cher que les produits
01:58 non bio.
01:59 Pour une très très grande part, c'est totalement justifié.
02:01 Donc, il n'y a pas de remise en cause du surcoût du bio.
02:04 Il y a juste le fait qu'une partie des consommateurs ne sont plus capables, ne peuvent
02:08 plus, ne veulent plus payer ce premium de prix tout simplement parce qu'il est devenu
02:13 trop important.
02:14 Sophie Alsif, on a une idée précisément de qui consomme moins ou moins bien ?
02:18 C'est vrai qu'économiquement, plus votre revenu est bas, plus vous allez allouer à
02:22 l'alimentaire ou à l'énergie est important.
02:24 Donc forcément, ce sont les revenus ayant les déciles de revenus les plus faibles qui
02:29 sont les plus touchés.
02:30 Ce que l'on voit, c'est que c'est un petit peu la double peine et qu'on voit derrière
02:34 qu'il y a vraiment une augmentation des inégalités.
02:35 Depuis le Covid, vous avez ce groupe, à peu près 20% des Français qui avaient souvent
02:40 des emplois plus précaires, qui n'étaient pas en CDI.
02:43 Les étudiants qui ont déjà perdu du pouvoir d'achat avec la crise Covid parce qu'ils
02:47 n'étaient pas, on va dire, dans les cibles des différentes aides et du quoi qu'il en
02:50 coûte.
02:51 Et la même population se retrouve aussi fragilisée par la hausse de l'inflation alimentaire,
02:56 déjà énergétique parce que souvent, ils vivent loin des centres-villes, donc sont
02:58 plus dépendants de la voiture.
03:00 Donc, ils ont déjà subi cette hausse du pouvoir d'achat, cette perte de pouvoir d'achat.
03:04 Et puis, de l'autre côté, sur l'alimentaire, ce sont les groupes, notamment les jeunes,
03:08 les étudiants, on en a beaucoup parlé, qui se trouvent privés ou en tout cas, qui n'ont
03:12 plus les moyens de faire face à cette inflation alimentaire.
03:14 Donc, c'est un peu la double peine pour ces 20% de la population.
03:18 Pour le reste, c'est assez différent.
03:19 C'est pour ça qu'il ne faut pas parler forcément des Français, mais c'est vraiment différent
03:23 en fonction des catégories.
03:24 Parce qu'il faut quand même le rappeler, on a un taux d'épargne de 16%, l'un des
03:27 plus élevés au monde.
03:29 On a les livrées à l'assurance vie qui n'a jamais été aussi important en termes
03:33 d'épargne.
03:34 Avec la hausse des taux d'intérêt qui incite aussi à cela.
03:39 Donc, on a vraiment cette augmentation des inégalités, un peu avec les gagnants et
03:43 les perdants de la crise, avec cette autre partie qui a pu bénéficier d'une épargne
03:47 de contrainte et qui a pu augmenter son taux d'épargne et qui a moins de problèmes.
03:54 Olivier Devers, ce que dit le cabinet Nielsen, c'est un tiers des ménages se serrent la
03:57 ceinture.
03:58 Alors, se serrer la ceinture, ça veut dire quoi ?
04:00 Se serrer la ceinture, ça veut dire tout simplement faire ses courses sous contrainte.
04:03 Voilà, chacun a son niveau de contrainte, mais il y a une partie de la population qui
04:07 a un très haut niveau de contrainte et qui est obligée par exemple de mettre un produit
04:11 de viande en moins dans son chariot.
04:13 Celui qui faisait ses courses avec 3 ou 4 morceaux de viande, désormais il en met un
04:16 de moins.
04:17 Celui qui achetait, je vous le redis encore une fois, des grandes marques, là où il
04:20 pense que c'est moins important, il va baisser en gamme.
04:24 Donc, c'est ça, se serrer la ceinture, c'est être sous la contrainte.
04:27 Il y a une image qui est assez frappante.
04:29 Moi qui passe ma vie en magasin, le nombre de gens qui font leurs courses avec des calculettes
04:34 n'a jamais été aussi important qu'aujourd'hui.
04:36 Ce n'est pas une image qu'on se répète entre gens qui n'auraient jamais vu ça.
04:39 Ce n'est pas le loup.
04:40 Non, non, c'est la réalité.
04:41 On voit beaucoup plus de gens qu'avant faire les courses en comptant ce qu'ils mettent
04:45 dans le chariot.
04:46 Ça, c'est être sous contrainte.
04:48 Marie est au Standard de France Inter.
04:50 Bonjour Marie.
04:51 Pardon ?
04:52 Marie, vous êtes au Standard, vous êtes en direct en fait sur France Inter.
04:55 Oui, bonjour.
04:56 On m'avait dit que j'intervenais dans 10 minutes.
04:58 Et bien voilà, c'est tout de suite.
04:59 Vous faites vos courses avec des calculettes vous aussi, Marie ?
05:03 Alors, pas tellement.
05:05 Mais par contre, ça fait longtemps que j'ai décidé de baisser ma consommation de viande
05:08 parce que je ne trouvais pas très cher.
05:10 Et en plus, on sait que ce n'est pas très bon pour tout ce qui est changement climatique,
05:14 etc.
05:15 Et moi, du coup, ça fait deux ans, je l'ai fait avant, mais je l'ai refait là.
05:20 J'achète mes légumes à des agriculteurs en amap, dans des associations pour le maintien
05:26 d'agriculture paysanne.
05:27 Donc en vente directe du producteur au consommateur.
05:30 C'est plutôt qu'on s'engage pour un an au début de l'année et on s'engage sur des
05:35 prix fixes de part et d'autre.
05:37 Donc du coup, l'agriculteur, lui, il a une vision sur ses revenus.
05:40 Moi, j'ai une vision sur ce que je vais recevoir.
05:43 Et ça permet d'avoir une alimentation plus diversifiée, plus équilibrée, plus porteuse
05:49 de sens puisque c'est aussi de l'agriculture biologique.
05:51 Et au final, je pense que ça revient moins cher dans ce contexte d'inflation assez élevé.
05:57 Merci pour votre témoignage Marie.
06:00 Anne-Sophie Alsif, effectivement, la viande et les légumes, les produits frais, c'est
06:05 des choses sur lesquelles on peut faire des économies.
06:06 C'est des choses qui sont chères ?
06:07 Alors, c'est des choses chères puisque c'est vrai que c'est ce qui a beaucoup augmenté.
06:10 Donc pour beaucoup de ménages, les revenus les plus faibles, ce sont souvent les postes
06:14 qui sont sacrifiés.
06:15 Après, là aussi, il faut nuancer puisque c'est vrai que les produits transformés,
06:20 vous avez beaucoup d'emballages, donc beaucoup de matières plastiques, de cartons, de papiers
06:24 ont aussi énormément augmenté.
06:26 Donc on n'est plus sur du 15, 18% qu'un produit, on va dire, basique avec un petit
06:33 peu rien, nu.
06:34 Là, vous avez des augmentations qui sont plus faibles puisque justement, dans la composition
06:37 du prix final, vous avez vraiment la matière première.
06:39 Et il faut le rappeler, beaucoup de matières premières ont baissé.
06:41 Et vous avez les céréales, le maïs, le blé, on en avait beaucoup parlé, ça a quand même
06:47 baissé.
06:48 Donc ça, c'est plutôt une bonne nouvelle.
06:49 Par contre, c'est vrai que le consommateur ne va pas voir forcément la même baisse
06:51 lorsqu'il va acheter ses pâtes ou son pain.
06:54 Pourquoi ? Parce que vous avez d'autres composantes dans le prix, notamment des distributeurs,
06:57 des matières premières, de l'acheminement.
06:58 Et c'est vrai que ces parties-là ont beaucoup augmenté.
07:02 Donc comme votre auditrice, c'est vrai que quand vous êtes dans des circuits courts,
07:05 vous pouvez aussi minorer cette augmentation.
07:08 Et puis là aussi, en termes de plastique, de transition écologique, c'est aussi plus
07:12 simple puisque vous avez moins de prix distributeurs ou d'emballages qui sont rajoutés au prix
07:17 final.
07:18 Il y a aussi la marge que peuvent se faire les grandes surfaces.
07:20 Olivier Devers, on avait un ministre de l'économie qui nous avait promis des baisses de prix
07:24 en rayon dès l'été.
07:25 En fait, l'inflation continue même si elle a ralenti.
07:28 Bruno Le Maire, il a convoqué plusieurs fois les responsables des grandes surfaces.
07:32 Est-ce que c'est efficace ? Ça porte ses fruits ? Pas encore peut-être ?
07:34 Alors on est sur le plateau de l'inflation.
07:36 Je parle de l'inflation alimentaire en grande surface.
07:39 On est sur le plateau, ça veut dire que ça ne progresse plus.
07:42 C'est comme quand vous êtes au sommet d'un col dans le Tour de France.
07:44 Vous avez monté longtemps, longtemps, longtemps.
07:46 Vous êtes épuisé.
07:47 Donc les consommateurs sont épuisés par l'intensité de la montée.
07:50 On sait qu'il y a la vallée de l'autre côté, mais avant que ça descende, il se
07:54 passe un petit temps.
07:55 Donc on est dans cet entre-deux.
07:56 Et cet entre-deux, il s'explique parce que les distributeurs, eux, sont très pressés
08:00 de renégocier parce que c'est leur intérêt.
08:02 Et les industriels sont très pressés de ne pas renégocier.
08:06 Et ce qui est intéressant, c'est de constater qu'on est dans un jeu de dupe entre eux,
08:09 où en gros, ils reprochent à l'autre ce qu'ils faisaient les autres années.
08:12 C'est-à-dire que quand c'était les industriels qui voulaient vite renégocier pour passer
08:15 des hausses, les distributeurs freinaient.
08:17 Aujourd'hui, c'est l'inverse.
08:19 Et le pauvre ministre de l'Économie, il est entre les deux.
08:22 C'est-à-dire qu'aujourd'hui, c'est plutôt vers les industriels qu'il faut
08:24 se tourner parce qu'eux, ils n'ont pas franchement envie de renégocier parce qu'ils
08:27 se font des marges.
08:28 Et ce qu'il a fait démontrer, c'est documenter le niveau de rentabilité de l'industrie
08:32 agroalimentaire aujourd'hui est supérieur à ce qu'il était il y a un an.
08:36 Donc oui, ils ont reconstitué leurs marges qui avaient été très affaiblies.
08:39 Mais malgré tout, c'est eux aujourd'hui qui ont la clé de la baisse des prix et notamment
08:44 des grandes marques.
08:45 Mais Bruno Le Maire s'est adressé aussi à eux, d'ailleurs en menaçant de les
08:49 nommer directement.
08:50 Oui, mais dans les faits, il n'a encore rien obtenu.
08:53 Puisqu'on devait avoir des baisses dès le mois de juillet.
08:56 On est toujours sur le plateau de l'inflation.
08:57 Ça veut dire qu'il y a au moins plus d'eux.
08:59 Et puis quand il y a des baisses, le problème, c'est quelques centimes sur quelques produits.
09:03 Il y a une grande marque française qui s'appelle Panzani qui a promis des baisses en juillet
09:06 sur les pâtes.
09:07 Effectivement, on voit des baisses de centimes sur un paquet de coquillettes de 500 grammes.
09:12 Est-ce que vous pensez que le consommateur va enregistrer cette information-là, sachant
09:17 qu'on est évidemment tous plutôt capable de détecter les hausses que les baisses ? Non,
09:21 ça va passer totalement sous les radars.
09:23 Il faudrait qu'il y ait beaucoup de marques.
09:25 Il faudrait qu'il y ait quasiment tous les produits de notre panier qui baissent pour
09:28 qu'on s'en rende compte.
09:29 Quelques centimes sur quelques produits ne font pas une tendance perceptible.
09:33 Anne-Sophie Elsif, effectivement, est-ce qu'on est au plateau de l'inflation ? En tout cas,
09:37 de manière générale, elle ralentit.
09:39 Est-ce qu'on peut espérer quelque chose de ces négociations commerciales que demande
09:43 Bruno Le Maire ?
09:44 Alors oui, sûrement.
09:45 Comme on l'a dit, on le voit au niveau de la croissance.
09:47 En France, le premier moteur de la croissance, c'est la consommation des ménages.
09:52 Là, on a un ralentissement.
09:53 On a une croissance plus faible cette année, on attend 0,7%.
09:56 Et donc, à un moment, la hausse notamment sur l'alimentaire, on l'a dit, a été si
10:00 forte que les consommateurs, maintenant, en sont à moins achetés.
10:03 Donc là aussi, pour tous les acteurs du secteur, il va falloir reconquérir ces consommateurs.
10:09 Et donc, ça veut dire entamer des baisses, surtout qu'on a été dans un phénomène
10:12 de reconstitution des taux de marge.
10:15 On l'a dit, donc, on est arrivé à un moment où on va pouvoir rebaisser pour reconquérir
10:19 des consommateurs et relancer cette consommation qui est indispensable pour le secteur, mais
10:23 aussi pour la France en général et pour retrouver une croissance plus robuste.
10:27 C'est ça, parce qu'il y a d'autres domaines où l'inflation fait ralentir la consommation.
10:31 Il y en a plein, l'immobilier par exemple.
10:32 Alors, d'autres domaines.
10:34 Dans notre taux d'inflation en France, la première contribution à cette inflation,
10:38 c'est l'énergie, 65%.
10:39 C'est pour ça que c'est vrai que souvent, on entend l'inflation baisse, les prix augmentent
10:44 mais moins vite et les consommateurs se disent "ben voilà, on fait nos courses, etc."
10:47 On ne voit pas.
10:48 Le premier facteur, c'est l'énergie.
10:50 Le baril du pétrole baisse en tendance, même s'il y a eu des hausses récentes, mais en
10:54 tout cas, il baisse.
10:55 Pourquoi ? Parce qu'il y a un ralentissement de la croissance mondiale, notamment de la
10:58 Chine qu'on attend.
10:59 Et donc forcément, comme il y a moins de demande d'énergie fossile, le pétrole baisse.
11:04 Et comme c'est la première contribution au poste inflationniste, on a une baisse de
11:08 l'inflation.
11:09 Donc ça, c'est vraiment pour le poste énergie.
11:10 Par contre, l'alimentaire, on l'a vu, là, c'est plus diffus.
11:13 Et puis très justement, le premier panier ou secteur pour le pouvoir d'achat des Français,
11:20 ça reste le logement qui est très cher, qui est beaucoup plus cher que ce que paient
11:24 nos partenaires européens.
11:25 Et là, en effet, avec la hausse des taux, c'est plutôt une bonne nouvelle pour les
11:29 personnes qui sont déjà propriétaires et qui ont pu avoir un crédit à taux très
11:32 bas, 1% à 20 ans, là, ce sont des gens qui s'enrichissent.
11:35 Par contre, pour les personnes qui veulent acheter un logement, aujourd'hui, en effet,
11:38 les conditions sont plus difficiles.
11:40 Donc là aussi, ça a un impact.
11:42 Olivier Devers, on en parlait tout à l'heure, quelques centimes sur un paquet de pâtes.
11:46 Est-ce que vous croyez que ça va aller plus loin que ça, la baisse au niveau des industriels
11:49 et des supermarchés ?
11:50 Si on raisonne de manière très froide, oui, ça doit aller plus loin.
11:54 Quand on voit le prix de la tonne de blé qui a été divisé en gros par deux en un
11:56 an, pour faire très simple, même si évidemment, il n'y a pas que du blé dans les biscuits,
12:00 il n'y a pas que des...
12:01 Oui, sauf que dans un paquet de pâtes, le blé, pour des produits de marque de distributeurs,
12:06 ça pèse la moitié quand même.
12:07 Donc il va falloir quand même être très fort en septembre pour nous expliquer qu'avec
12:10 une tonne de blé qui est deux fois moins élevée qu'il y a un an, les prix des pâtes,
12:14 les prix des biscuits, les prix de la farine ne soient pas plus bas.
12:16 Donc là, manifestement, aujourd'hui, il y a un effet d'aubaine de reconstitution des
12:21 marges à la rentrée.
12:23 Et c'est pour ça que depuis quelques mois, je pronostique ce que j'appelle un septembre
12:27 vert après le fameux mars rouge du début d'année, parce que de toute façon, les industriels
12:32 n'ont pas le choix.
12:33 Sinon, leur volume va tellement baisser.
12:34 Les grandes marques qui sont aujourd'hui à des prix jugés stratosphériques par
12:38 les consommateurs, c'est ce que les consommateurs voient.
12:41 Et bien, ils ne seront plus achetés.
12:42 Et si vous avez un taux de marge très fort sur un produit qui ne se vend pas, vous mettez
12:47 la clé sous la porte.
12:48 Il vaut mieux avoir un peu moins de marge et faire tourner l'usine parce que là, au
12:50 moins, vous continuez.
12:51 Et ça, les industriels, tôt ou tard, vont devoir en prendre acte et donc baisser leur
12:56 prix.
12:57 Aujourd'hui, dans une situation un peu d'aubaine, on en profite tant que ça tient.
12:59 Non, il faut qu'ils le sachent.
13:01 Ça ne tiendra pas.
13:02 On le voit.
13:03 La consommation alimentaire dévisse alors que pas grand monde pensait ça possible en
13:07 se disant "mais on mangera toujours".
13:09 Oui, mais on va descendre en gamme.
13:10 On va oublier les grandes marques et on va acheter des marques de distributeurs.
13:14 Ce mouvement, il est bien lancé et les grandes marques feraient bien de s'en méfier.
13:18 Anne-Sophie Alcif, si ensuite, ça baisse comme vous semblez un peu l'anticiper tous
13:23 les deux, est-ce que le risque, ce n'est pas la déflation comme en Chine ? Et là,
13:26 qu'est-ce que font les consommateurs ? Ils attendent que ça baisse encore et ça crée
13:29 une spirale un petit peu négative aussi pour l'ensemble de l'économie.
13:31 Alors pour l'instant, on n'en est pas là puisque on est encore à 5,5% d'inflation.
13:35 On rappelle la cible, c'est 2%.
13:38 Il faut aussi rappeler qu'il faut avoir une inflation.
13:40 La cible des autorités européennes.
13:41 De la Banque Centrale Européenne, c'est 2%.
13:43 Donc là déjà, l'objectif, c'est de raugmenter les taux.
13:46 Vous l'avez vu, des taux d'hausses importantes depuis trois ans pour revenir à cette hausse
13:49 des 2%.
13:50 Donc on n'est pas encore dans la situation chinoise.
13:53 Ça va prendre du temps pour revenir à cette situation, surtout qu'en Europe, c'est
13:56 de l'inflation importée de l'énergie.
13:58 Donc on est totalement dépendant de ce qui se passe au niveau géopolitique par rapport
14:02 aux cours.
14:03 On est dans les Etats-Unis où c'est une inflation plus structurelle de pénurie sur
14:06 le marché du travail.
14:07 Donc non, l'idée, c'est de revenir à un taux d'inflation de 2,5%.
14:11 Et ensuite aussi de garder un minimum de croissance économique parce qu'il faut le
14:15 rappeler, on est à 0,7% pour la France.
14:17 C'est mieux que nos partenaires européens, mais ça reste assez faible.
14:20 Donc l'idée, c'est de revenir dès l'année prochaine à 1,2, 1,3 comme on le voit au
14:24 niveau de nos prévisions.
14:25 Là, on serait sur une tendance plus de normalisation.
14:29 Donc on n'est pas dans la situation chinoise.
14:30 Par contre, le risque pour la Chine, comme c'est un des moteurs de la croissance mondiale,
14:35 c'est que s'il y a un ralentissement important, c'est un impact global.
14:38 Alors ça aura un impact positif parce qu'il y aura un ralentissement de la croissance
14:42 mondiale, donc moins de demandes de pétrole, donc le poste énergétique risque encore de
14:46 baisser.
14:47 Donc ça, c'est bien.
14:48 Mais par contre, moins de croissance mondiale, ça veut dire moins de création de valeur.
14:51 Et là, ce n'est pas forcément positif également pour les Etats-Unis, mais également pour
14:54 l'Europe.
14:55 Donc voilà, on va voir à la rentrée ce qui se passe et ce qui va se passer en Chine.
14:59 Ce que vous disiez, c'est que la Chine est un moteur avec la consommation, mais un de
15:03 nos moteurs de notre croissance à nous, c'est aussi la consommation.
15:06 Oui, tout à fait.
15:07 Bruno Le Maire dit "performance remarquable de l'économie française" à la fin juillet.
15:12 Il a raison ?
15:13 Alors, il a raison, notamment par rapport à nos partenaires européens, parce qu'on
15:16 arrive à tenir.
15:17 Comme je l'ai dit, on a quand même un taux d'épargne des ménages qui est important,
15:21 16%.
15:22 Et ce qui est compliqué avec l'inflation, c'est ce que j'appelle un petit peu un impôt
15:25 sur l'avenir.
15:26 Et comme on ne sait pas comment vont évoluer les prix, et bien surtout en France, on va
15:31 conserver de l'épargne.
15:32 Ce n'est pas du tout le cas dans les pays anglo-saxons.
15:34 On est 5% de taux d'épargne, on dépense tout, on vient à crédit.
15:37 Nous, on n'est pas du tout dans ce cas-là.
15:39 On garde notre bas de laine au cas où ça ne maille pas bien.
15:42 Là, il y a l'hiver, on se dit que le prix de l'énergie peut augmenter.
15:44 Donc voilà, on conserve.
15:46 Alors, la consommation, c'est toujours le premier vecteur de la croissance, mais elle
15:50 est moins importante que ce qu'on a pu connaître les dernières années.
15:53 Après, la consommation ralentit, mais on voit qu'au niveau de l'investissement, ça
15:57 se maintient.
15:58 Donc là aussi, c'est notre contribution à la croissance qui explique pourquoi on n'est
16:01 pas en récession.
16:02 Et au niveau de notre commerce international, même si en effet, on n'est pas une puissance
16:06 exportatrice comme l'Allemagne, et bien là aussi, avec la baisse des prix de l'énergie,
16:09 on a vu les derniers chiffres de la balance commerciale, et bien on a un déficit qui
16:12 est moins important que prévu.
16:13 Donc si vous voulez, on arrive à se maintenir globalement par rapport au contexte international.
16:20 C'est souvent ce qu'on dit pour la France.
16:22 On chute moins bas que les autres quand il y a une crise, et on remonte moins haut que
16:26 les autres quand ça va mieux.
16:27 Julien a appelé le standard de France Inter.
16:30 Bonjour Julien !
16:31 Bonjour !
16:32 Vous avez un témoignage ?
16:33 Oui, parce que je dirais que j'ai une association qui vient en aide aux étudiants depuis le
16:37 confinement.
16:38 En fait, on aide des étudiants en distribuant des colis alimentaires composés de produits
16:44 frais, assez équilibrés, avec des plats préparés, des fruits, des légumes, évidemment
16:50 des pâtes.
16:51 C'est ce que Renan faisait référence.
16:52 Et tous les prix ont augmenté.
16:53 Et on se rend compte que non seulement les étudiants qui venaient avant continuent de
16:59 venir, c'est-à-dire que le confinement s'est fini, mais en fait ils continuent à venir,
17:03 et on se rend compte que la moitié d'entre eux viennent du fait de l'inflation, parce
17:08 qu'ils ne sont pas en mesure d'acheter à manger chaque jour et de pouvoir se nourrir.
17:11 Et d'autre part, on se rend compte qu'il y a de plus en plus de monde.
17:15 C'est-à-dire que ça ne fait plus la lune de l'actualité, mais nous on fait des distributions
17:18 tous les jours.
17:19 Hier soir, j'étais en distribution avec 400 étudiants dans le 20e arrondissement
17:24 de Paris qui attendaient ce colis alimentaire, et c'est leur seule manière en quelque sorte
17:29 de se nourrir.
17:30 Donc il y a une situation qui est dramatique en France pour les étudiants, et on s'en
17:34 rend bien compte, puisque aujourd'hui on a distribué quasiment plus de 1,5 million
17:38 de repas dans l'année qui précède.
17:41 Et d'autre part, on se rend compte aussi qu'il y a une faible attention aujourd'hui par rapport
17:47 à ce problème, alors qu'elle était importante en 2020, au début on a commencé nos activités.
17:53 C'est un problème assez structurel, et l'inflation vient renforcer ça et pose problème à cette
17:59 jeunesse qui est totalement précarisée.
18:01 Merci beaucoup pour votre témoignage Julien.
18:03 Olivier Dauvert, il y a plusieurs solutions possibles à ce problème qu'évoque Julien.
18:08 Le gouvernement avait promis plusieurs fois un chèque alimentaire pour les plus modestes,
18:13 il a renoncé plusieurs fois, pourquoi ?
18:14 C'est difficile à mettre en place un chèque alimentaire, ça coûte très cher, c'est
18:17 pas nécessairement facile à cibler sur ceux qui en ont besoin.
18:20 Le début de votre question était de savoir que faire, moi j'invite les consommateurs
18:24 à savoir mieux consommer.
18:26 J'entendais tout à l'heure votre première auditrice dire qu'elle est allée faire ses
18:30 courses dans les amas pour que ça lui coûte moins cher.
18:32 Si vous savez faire vos courses, en ce moment vous allez acheter des courgettes à 90 centimes
18:36 le kilo, du melon à 1 euro la pièce, c'est le moment d'en acheter, ça ne coûte pas
18:41 cher.
18:42 Vous devez être opportuniste et infidèle quand vous faites vos courses.
18:45 Infidèle, ça veut dire ne pas acheter toujours le même produit, ne pas aller toujours dans
18:48 le même magasin.
18:49 Il y a un niveau de promotion dans les magasins actuels qu'on n'a jamais vu parce que c'est
18:53 la réaction des enseignes face à cette difficulté-là.
18:56 Profitons-en, nous les consommateurs, quand on sait acheter.
18:59 Par exemple, c'est aujourd'hui trop tôt pour acheter du raisin, il faut encore acheter
19:03 des nectarines et des pêches qui sont moins chères sauf exception.
19:06 Si on apprend un tout petit peu à acheter, on fait des économies.
19:10 Anne-Sophie Alsif, il y a ces questions de qu'est-ce qu'on peut faire, il y a aussi
19:16 des applications, les auditeurs nous en parlent, par exemple, tout good to go qui permet de
19:20 récupérer des invendus, par exemple Phénix.
19:22 Et puis, il y a des choses que propose par exemple la SNCF depuis quelques jours, payer
19:25 en plusieurs fois, en l'occurrence c'est des billets de train, ça pourrait être autre
19:29 chose.
19:30 Ça, ça se fait de plus en plus, est-ce que c'est un bon plan ?
19:33 C'est un bon plan, il faut continuer à avoir des moyens, d'étaler les moyens de
19:39 paiement, essayer comme vous l'avez dit d'être stratégique quand vous faites votre course.
19:44 Et puis, il faut le rappeler, en effet, tout ce qui est moins transformé, là vous avez
19:47 beaucoup moins d'emballages, vous avez beaucoup moins d'étapes entre la matière première
19:52 et le consommateur final, fait que vous avez souvent des prix qui sont moins importants.
19:56 Et en plus, c'est bon au niveau de l'écologie.
19:58 Et enfin, pour finir, il faut rappeler le gaspillage.
20:01 Il y a entre 20 et 25% de ce que l'on achète qui n'est pas toujours consommé.
20:04 Alors, bien évidemment, ça dépend.
20:05 Quand vous faites vos courses et que vous êtes contraint, ce n'est pas le cas.
20:09 Mais en tout cas, globalement, vous avez également du gaspillage alimentaire.
20:13 Et là aussi, c'est une opportunité, comme on l'a fait pour l'énergie, de faire aussi
20:17 plus attention par rapport à ce que l'on achète et d'être plus stratège dans les
20:22 dépenses.
20:23 Merci beaucoup Anne-Sophie Elsif, chef économiste à BDO France et Olivier Dauvert, journaliste
20:27 spécialisé dans la grande distribution et la consommation.
20:30 Merci à tous les deux de nous avoir répandus sur France Inter.