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00:00 7h09, les matins de France Culture, Quentin Laffey.
00:05 7h15, la question du jour, liberté d'expression, de mouvement, droit à l'éducation.
00:10 Depuis le retour des talibans au pouvoir en Afghanistan en août 2021, les libertés
00:14 fondamentales des femmes sont restreintes d'une manière draconienne.
00:18 En décembre, il leur était désormais interdit de travailler pour les organisations non-gouvernementales
00:23 et vendredi dernier, Amnesty International et la Commission internationale des juristes
00:27 ont publié un rapport appelant la Cour pénale internationale à qualifier ces exactions
00:32 de crimes contre l'humanité de persécutions sexistes.
00:35 En quoi alors ces persécutions systématiques des femmes afghanes par les talibans peuvent-elles
00:40 répondre à cette qualification du droit international ? Quelle chance cette procédure
00:45 a-t-elle d'aboutir ? Pour en parler, je reçois ce matin Nathalie Godard.
00:48 Bonjour madame.
00:49 Bonjour.
00:50 Vous êtes directrice de l'action Amnesty International et pour commencer, est-ce que
00:53 vous pouvez nous expliquer quelles libertés fondamentales, quels droits ont été restreints
00:58 depuis août 2021 pour les femmes afghanes ?
01:02 Depuis août 2021 et le retour au pouvoir des talibans, ils ont mis en place une véritable
01:07 campagne de persécution sexiste contre les femmes qui se concrétise dans la vie de tous
01:13 les jours des femmes afghanes.
01:15 Vous l'avez dit, par une restriction, liberté de mouvement, liberté de travailler, de s'éduquer,
01:19 etc.
01:20 Je vais vous donner quelques exemples très concrets.
01:22 Les femmes afghanes ne peuvent pas sortir de chez elles sans un accompagnement masculin,
01:28 un homme comme un chaperon, pour toute sortie qui va au-delà de 70 km de chez elles, pour
01:35 prendre l'avion ou pour traverser une frontière.
01:37 Et en fait, très concrètement, cette interdiction s'étend de manière pratique dans tous les
01:42 actes de la société.
01:44 Depuis l'année dernière aussi, il y a eu un décret qui leur recommande de rester
01:47 chez elles sauf nécessité absolue et qui leur demande de sortir avec le visage couvert.
01:52 Donc leur liberté de mouvement concrètement n'existe plus.
01:55 Ensuite, elles ont été totalement bannies de la vie publique par l'interdiction de
02:00 travailler dans des organisations non gouvernementales, de travailler au contact du public, par le
02:04 fait qu'elles ne peuvent plus aller à l'université.
02:06 Depuis décembre, cette interdiction d'accès à l'éducation s'étend aux universités.
02:12 Et la liberté d'expression et le droit de manifester ont été réduits à zéro.
02:17 Ce sont des femmes qui aujourd'hui sont bannies de la vie publique en Afghanistan.
02:22 Et cette restriction extrêmement drastique, elle impacte sur leur vie quotidienne et
02:27 ça représente une violation de leurs droits fondamentaux très clairement.
02:31 Alors ce que tente de montrer le rapport d'Amnesty International, c'est que les agissements
02:36 des talibans remplissent des critères relatifs aux crimes contre l'humanité.
02:41 Quels sont ces critères, Nathalie Godard ?
02:43 En fait, quand on parle de persécution basée sur le genre, il faut remplir cet ordre de
02:47 critères que nous avons vérifié dans ce rapport.
02:49 Il faut que ce soit une persécution, et donc ce sont des privations de droits fondamentaux
02:54 comme ce que je viens de décrire, qui doivent être très graves et qui doivent viser une
02:58 population pour son identité ou en commun groupe.
03:01 Et donc là, en l'occurrence, ce sont les femmes basées sur le genre.
03:04 Ça doit être accompagné et corrélé avec d'autres actes inhumains.
03:07 Et ici, nous avons démontré qu'il y avait un système répressif qui utilisait notamment
03:12 l'emprisonnement, les disparitions forcées et la torture, qui sont d'autres actes inhumains
03:17 qui sont réprimés par la Cour pénale internationale.
03:21 Il faut nécessairement que cette corrélation existe ?
03:23 Oui, dans la définition telle qu'établie par la Cour pénale internationale dans le
03:28 statut de Rome, il faut à la fois la privation de droits et que ce soit corrélé avec d'autres
03:34 actes inhumains.
03:35 Et il faut également que d'autres critères, qui sont précisément ceux du crime contre
03:38 l'humanité, soient retrouvés.
03:40 Donc, le fait que ce soit dans le cadre d'une politique généralisée et systématique,
03:46 et là c'est le cas puisque ça s'étend à l'ensemble du pays et ça touche toutes
03:49 les femmes, que ce soit dans le cadre d'un acte dirigé contre une population civile
03:55 par les autorités, en l'occurrence les femmes, que ce soit dans le cadre d'une politique
03:59 organisée par les autorités et en connaissance de cause.
04:02 Et donc les autorités doivent savoir, ceux qui réalisent ces actes doivent savoir que
04:06 c'est une situation générale.
04:08 Et donc tous ces critères, nous les avons vérifiés avec la Commission internationale
04:12 des juristes, ce qui nous amène à conclure que les critères de la persécution sur le
04:17 genre comme crime contre l'humanité sont tout à fait remplis ici.
04:20 Et c'est pour ça qu'on appelle la justice internationale à se saisir de cette situation.
04:24 Est-ce que lorsque les talibans étaient déjà au pouvoir en Afghanistan entre 1996 et 2001,
04:31 de telles procédures avaient été engagées ou un tel rapport avait été établi, un
04:35 tel constat ?
04:36 Alors la différence qu'il y a aujourd'hui, c'est que cette notion de persécution basée
04:38 sur le genre, elle existe dans le statut de Rome.
04:40 Le statut de Rome, il date de 1998, il est rentré en vigueur en 2002.
04:46 On rappelle que c'est le statut qui permet la création de la Cour pénale internationale.
04:49 Exactement.
04:50 Donc c'est celui qui va définir les crimes internationaux, ceux dont a à connaître
04:54 la Cour pénale internationale.
04:55 Pendant que les talibans étaient au pouvoir, cette persécution basée sur le genre, elle
04:58 n'était pas définie dans le droit.
05:01 Donc la situation était absolument comparable en termes de violation des droits, mais cette
05:05 qualification n'était à ce moment-là pas possible.
05:07 C'est une qualification récente en fait, qui date du statut de Rome et qui pour le
05:11 moment a été définie, continue à être définie par le droit, mais n'a pas encore
05:17 été autant utilisée.
05:19 Elle commence à être utilisée dans les affaires devant la CPI.
05:21 C'est ce que j'avais vous demandé, Dany Goddard, c'est récent, mais est-ce qu'il
05:24 y a des précédents ?
05:25 En fait, c'est récent.
05:27 La Cour pénale internationale vient juste de définir son document de politique générale
05:32 sur le sujet.
05:33 Ça a été publié l'année dernière et ça commence à être utilisé dans des affaires.
05:37 Il y a une affaire qui est actuellement délibérée devant la Cour pénale internationale qui
05:41 concerne un Malien qui aurait opéré avec Ansar Eddin à Tombouctou au Mali.
05:49 Et parmi les crimes qui lui sont reprochés, il y a la persécution basée sur le genre.
05:54 Donc ça commence à être utilisé par la CPI.
05:56 Mais ce qui se passe en Afghanistan a été quand même aussi souligné par les Nations
06:01 Unies comme étant une situation exceptionnelle par l'ampleur, la gravité.
06:05 Et ce sont des experts de l'ONU qui, l'année dernière, disaient que nulle part dans le
06:09 monde, les femmes ne connaissaient une telle ampleur de violations de leurs droits.
06:14 Amnesty International demande également à ce que les femmes et les filles fuyant les
06:17 persécutions soient automatiquement considérées comme réfugiées.
06:20 Ce n'est pas le cas du tout, du tout aujourd'hui en Europe occidentale ?
06:24 Alors, ce que nous demandent, effectivement, c'est que ce soit un automatisme, ce qu'on
06:30 appelle la reconnaissance prima facie.
06:32 Aujourd'hui, il y a trois pays en Europe occidentale qui ont décidé de faire ce pas-là,
06:38 qui sont la Suède, le Danemark et récemment la Finlande.
06:42 Et le HCR a également changé récemment aussi sa...
06:46 Le Haut commissariat pour les réfugiés.
06:47 Le Haut commissariat pour les réfugiés, merci, qui a récemment aussi, dans ses guidelines
06:51 sur les réfugiés afghans, demandé que les femmes puissent avoir automatiquement cette
06:57 reconnaissance.
06:58 Mais ce n'est pas le cas.
06:59 Les femmes sont dehors de ces trois pays.
07:00 Ce n'est pas le cas ni en Europe, ni aux Etats-Unis, ni nulle part dans le monde.
07:03 Et il reste énormément à faire pour que justement les femmes afghanes puissent avoir
07:08 accès à une réelle protection et sortir de cette situation de violation des droits.
07:12 En quelques mots, quelles sont les chances, Nathalie Godard, que les conclusions du rapport
07:15 d'Amnesty International aboutissent effectivement ?
07:18 Aujourd'hui, on voit que les pays, par exemple, se saisissent de cette question de persécution
07:23 basée sur le genre, qu'elles communiquent dessus et en tout cas, qu'elles envoient des
07:29 signaux pour dire qu'ils veulent être sérieux là-dessus.
07:32 Donc, nous, on pense que la CPI, elle peut s'en saisir.
07:34 Et par ailleurs, on ne demande pas seulement que la CPI s'en saisisse, on demande aussi
07:37 que les Etats, comme la France ou n'importe quel Etat, se puissent aussi traduire en justice,
07:45 si des responsables talibans passent sur leur sol, traduire en justice ces responsables talibans
07:48 par le biais de la compétence universelle, c'est-à-dire de la possibilité pour n'importe
07:52 quel pays de pouvoir juger les crimes les plus graves, même si ni l'auteur, ni la victime,
07:59 ni le lieu de la commission de l'acte ne sont en France, en fait, ne sont français.
08:03 Et donc, nous, on demande vraiment que ça puisse se faire.
08:07 Et en fait, je ne sais pas si ça aura un résultat rapide, mais en tout cas, il y a quand même
08:13 une prise de conscience collective du fait que les femmes, aujourd'hui en Afghanistan,
08:18 subissent des crimes qui sont du niveau de crimes contre l'humanité.
08:23 Et donc, on a des espoirs qu'au moins la CPI et certains pays puissent s'en saisir sérieusement.
08:28 Merci beaucoup Nathalie Godard.
08:30 Je rappelle que vous êtes directrice de l'action Amnesty International et on suivra évidemment
08:35 la suite, les suites de ce rapport France Culture, il est 7h23.

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