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Art et designTranscription
00:00 On se souvient tous des voix qu'on a écoutées dans l'enfance,
00:03 des voix très connues qui doublaient toujours les mêmes acteurs.
00:06 C'est vraiment incroyable !
00:07 Je m'en fiche Rachel !
00:08 Eh bordel, qu'est-ce qui se passe Philippe ?
00:10 Il y avait un côté chaleureux à retrouver ces voix-là.
00:14 Oh merde, tu fumes du hashish ?
00:16 Bien fait ! C'est bête.
00:18 Pourquoi s'attache-t-on autant aux voix des versions françaises ?
00:21 Je vole, Jack !
00:24 D'autres pays diffusent plutôt les versions originales sous-titrées au cinéma ou à la télé.
00:29 Alors pourquoi la France préfère-t-elle les versions doublées ?
00:32 Oh merde ! J'ai gagné !
00:35 Vous l'avez sans doute déjà vécu au moment de lancer un film ou une série en groupe ou en couple.
00:40 C'est la querelle version originale versus version française.
00:43 Pour les films étrangers projetés dans les salles françaises en 2021,
00:46 les versions sous-titrées représentent environ 29% des entrées seulement.
00:50 Et c'est comme ça au moins sur les 10 dernières années.
00:52 Pour les plateformes, Netflix France nous indique que la majorité des spectateurs français
00:57 regardent les programmes en version doublée, sans préciser de données exactes.
01:00 Même tendance à la télé, où les contenus sont diffusés par défaut en VF.
01:04 Dans d'autres pays d'Europe, comme en Suède ou aux Pays-Bas,
01:07 ils le sont en VOST, à l'exception des programmes familiaux ou pour enfants, qui eux, sont doublés.
01:12 Vendard, mâcle des idées, nous et nous, on est un peu plus en retard.
01:16 Alors pourquoi ?
01:18 La réponse la plus intuitive tiendrait en une phrase.
01:20 Because French people are bad in English.
01:23 Sauf que c'est plus compliqué que ça.
01:24 Effectivement, la France se classe seulement 34ème en termes de maîtrise de l'anglais,
01:28 juste derrière l'Espagne et l'Italie, loin derrière les Pays-Bas ou la Suède.
01:32 Mais le niveau de langue n'est pas la seule explication.
01:34 Pour comprendre ce duel VOST-VF, il faut remonter presque un siècle en arrière.
01:38 1929, et le son fut.
01:42 Le Chanteur de jazz, premier film parlant, sorti deux ans plus tôt Outre-Atlantique,
01:46 atteint les salles françaises.
01:48 Le début de la fin pour le cinéma muet.
01:51 Comme par magie, des acteurs se mettent à parler dans le grand écran.
01:55 Le problème, c'est qu'ils parlent en américain.
01:57 Ça a complètement changé l'histoire du cinéma.
01:59 Alors que le cinéma muet était un langage universel,
02:02 le cinéma s'est ouvert à la babilisation des cinémas nationaux.
02:06 C'est posé la question pour les majors de savoir comment mon film américain
02:09 allait pouvoir être diffusé en France.
02:12 Pour ne pas perdre leur part de marché, les major companies,
02:15 les gros studios américains, planchent sur plusieurs options.
02:18 Il y a celles où des acteurs de cabaret ou des maîtres de cérémonie
02:21 viennent sur scène pour expliquer ce qui se passe dans le film.
02:24 Il y a l'option des intertitres musicaux entre deux scènes,
02:27 ce qu'on appelle la sonorisation.
02:28 Ces cartons, d'abord en anglais, sont mal reçus dans les salles, pour deux raisons.
02:32 Face à la méconnaissance de la langue étrangère,
02:34 mais presque aussi dans une ambiance nationaliste à l'époque, de tension.
02:38 Donc il y a des cris dans certaines salles qui disent "en français, en français".
02:42 Arrive alors une alternative, la version multiple.
02:44 On prend des acteurs de différents pays,
02:47 on les amène sur le même plateau, dans le même décor,
02:50 et ils vont faire le même scénario.
02:52 En version anglaise, italienne, française, allemande.
02:56 On dit qu'on est allé jusqu'à 11 versions de certains films.
02:59 C'est aux versions multiples qu'on voit le fameux accent de Laurel et Hardy.
03:02 "Well, never you imagine it."
03:05 On leur écrivait sur des panneaux qui étaient tenus hors champs
03:08 les paroles en français, en espagnol, en italien,
03:12 et ils massacraient allègrement le français, l'espagnol, l'italien,
03:15 avec leur accent très fort.
03:16 "Pero no podemos beber 15 galones, es mucho."
03:20 Des studios s'installent autour de Paris,
03:22 pratiques pour centraliser les productions en langues européennes.
03:25 La Paramount, en provenance des Etats-Unis,
03:27 pose ses bagages à Joinville-le-Pont.
03:29 C'est là qu'on tourne par exemple le film "Marius", écrit par Marcel Pagnol,
03:35 qui est donc produit par des américains et tourné en France,
03:38 réalisé par un hongrois, le tout en trois versions.
03:41 "Eh bien, désolé, il n'y a que trois tiers."
03:43 "Mais imbécile, ça dépend de la grosseur des tiers."
03:46 Mais crise économique oblige, la parenthèse des versions multiples se referme.
03:49 Les techniques de doublage se perfectionnent au début des années 30,
03:52 et c'est plus rentable de faire doubler des films après le tournage
03:55 que d'y faire venir des comédiens pour retourner des scènes.
03:58 Les premiers doublages faits à Hollywood sont plutôt catastrophiques dans certains films,
04:02 du point de vue de la langue et de l'accent.
04:03 Alors les comédiens français se mobilisent pour que les VF soient faites en France,
04:07 par des acteurs français.
04:08 Le sujet devient politique.
04:10 On veut aussi se prémunir de l'hégémonie culturelle américaine
04:13 et éviter qu'Hollywood ne déverse ses films en Europe sans contrepartie.
04:16 "Tous les gouvernements en Europe et dans plein de pays du monde aussi
04:19 vont essayer de limiter les exportations américaines
04:22 en faisant des sortes de barrages à l'entrée."
04:26 Le doublage devient d'ailleurs un instrument de propagande en Italie ou en Allemagne,
04:29 où des lois interdisent carrément toute langue étrangère dans des films.
04:32 Sans en arriver là, la France règlemente dès 1928 l'autorisation des films étrangers.
04:37 Une politique interventionniste qui s'inscrit complètement
04:40 dans la tradition de l'exception culturelle française.
04:42 "Pas mal non, c'est français."
04:44 En 1932, un autre décret dispose que les doublages seront faits sur le sol français.
04:48 C'est sur cette base légale que va se construire la domination des versions françaises sur les VOST.
04:53 Car le décret règlemente aussi la projection des films parlant ou chantant de langue étrangère.
04:58 "La diffusion des films sous-titrés, des versions sous-titrées,
05:01 est limitée à 5 salles à Paris et 5 salles dans le reste de la France,
05:06 ce qui est ridiculement minime."
05:08 Cette répartition des films sous-titrés évolue par dérogation
05:11 pour atteindre 2 ans plus tard, 30 salles à Paris et 10 dans le reste de la France.
05:15 Et d'ailleurs, cette répartition est la base du clivage géographique VOVF
05:19 qui existe encore aujourd'hui.
05:20 Les grandes métropoles préfèrent la première,
05:22 les petites villes et les zones rurales préfèrent la deuxième,
05:24 selon des sources du milieu du cinéma.
05:26 "Il y a toujours un petit peu aussi cette dichotomie entre version française,
05:30 version doublée associée au cinéma dit populaire ou de grand public
05:35 ou qui fait beaucoup d'entrées, et le sous-titrage,
05:38 souvent associé à des séries soit qui sortaient de l'ordinaire
05:41 ou pour le cinéma, au cinéma d'auteur ou d'arrêt-essai."
05:45 Après la guerre, le cinéma américain prend le pas sur son homologue français,
05:48 et de nouveau.
05:49 "Il y a des manifestations avec des acteurs célèbres
05:51 comme Jean Marais ou Madeleine Solongne qui disent
05:54 il faut protéger le cinéma français, on a laissé entrer trop de films américains."
05:58 L'obligation de doubler en France est donc réaffirmée dans la loi en 1949.
06:02 Au-delà de la loi, il se crée en France une culture du doublage à partir des années 50.
06:07 Les acteurs de ce métier ont les moyens de faire les choses bien
06:09 et vont jusqu'à se rendre sur les tournages à l'étranger.
06:12 Cet intérêt se double d'un savoir-faire technique,
06:15 notamment parce que les doubleurs français s'appuient sur ceci,
06:18 la bande ritmo, une bande horizontale qui défile en bas de l'écran
06:21 avec les dialogues et des indications,
06:23 écrites à l'époque au crayon à papier, aujourd'hui en version numérique.
06:27 "Le comédien enregistre environ plus ou moins une minute de scène,
06:31 il est plongé comme ça dans l'énergie et le ton de la scène,
06:35 on peut obtenir un résultat extrêmement précis.
06:37 Ce qu'on ne fait pas en Allemagne, en Italie, en Espagne,
06:40 ce sont des procédés très différents,
06:41 où le comédien a une feuille de papier et puis découvre le texte phrase par phrase,
06:47 c'est pas du tout la même chose."
06:49 Tandis que certains pays plus petits se spécialisent dans le sous-titrage,
06:52 la France et son industrie cinématographique deviennent un champion du doublage.
06:56 "James Bond."
06:57 Dans le métier, certains se spécialisent
06:59 et c'est ce qui fait qu'on a tous et toutes ces voix connues en tête.
07:02 "Il est pécale, pauvre con !"
07:05 "Je suis la baronne Blixen."
07:07 "J'en vous emmerde, je rentre à ma maison."
07:10 "Tu couches avec un type et tu t'en souviens plus."
07:12 "Au service des animaux, laissez passer le détective."
07:14 Ajoutez à cela l'arrivée dans les années 80 de nombreuses séries télé-américaines
07:18 diffusées en VF par automatisme.
07:20 Et par intérêt aussi, si un contenu n'était diffusé qu'en VO à la télé,
07:24 l'audience pourrait baisser de 30%.
07:26 C'est ce qu'évoquait un directeur de chaîne dans un article de Sleight en 2018,
07:29 incriminant le niveau d'anglais général.
07:31 "Mais c'est un peu un cercle vicieux.
07:33 Si on ne propose que ou majoritairement une version française
07:37 par rapport à une version sous-titrée,
07:39 évidemment le public va s'y habituer."
07:41 On arrive alors dans une logique de l'œuf et de la poule,
07:44 qui se retrouve aussi dans la question de la langue.
07:46 Est-ce qu'on ne diffuse pas de programme en VO
07:48 parce que les gens sont mauvais en anglais ?
07:50 Ou est-ce que les gens ne parlent pas bien anglais
07:52 parce qu'ils ne sont pas en contact avec des programmes en VO au quotidien ?
07:54 Vous avez 4 heures.
07:56 En attendant de résoudre cette équation,
07:58 les choses évoluent ces dernières années
08:00 et la VO gagne du terrain.
08:02 Là où l'audience était captive d'un écran, celui de la télévision,
08:04 avant l'arrivée des plateformes,
08:06 elle a maintenant le choix.
08:08 Les salles de ciné aussi s'ajustent,
08:10 et pas seulement les salles labellisées R et C.
08:12 Le Grand Rex à Paris précise que dans leur salle,
08:14 chaque sortie américaine est désormais en VF et en VOST.
08:17 Mais la version doublée a encore de beaux jours devant elle,
08:19 si on en croit les nouvelles techniques qui apparaissent.
08:21 L'intelligence artificielle permet désormais deux choses.
08:24 Elle corrige le mouvement des lèvres d'une langue à l'autre.
08:26 "C'est tout mon faute.
08:28 Je suis en colère, c'est tout mon faute."
08:33 Et elle reproduit le grain original de la voix d'un acteur sur les voix traduites.
08:37 "De la même façon, nous allons prendre la voix d'un comédien
08:40 et nous allons la teinter du timbre du comédien original.
08:43 C'est ainsi que je pense que nous aurons en français
08:45 le timbre d'un De Niro, le timbre d'un Travolta,
08:48 ou le timbre d'une Meryl Streep."
08:50 Des techniques qui inquiètent pour l'instant le milieu des métiers de la voix.
08:53 Mais qui, utilisées à bon escient,
08:55 c'est-à-dire en complément de ces métiers et non à leur place,
08:57 pourraient améliorer ces décalages si fréquents et inévitables dans les doublages.
09:01 "Je suis sincèrement désolée.
09:03 Je vous jure que je ne savais plus ce que je faisais."
09:05 Mais de toute façon, mieux vaut ne pas comparer VO et VF.
09:08 "VO et VF, même combat, c'est vraiment chacun y trouve son compte.
09:12 Du moment que tout le monde va au cinéma, c'est ce qui compte."
09:15 "Now get this. Blue sky, smiling at me, me, me, me."