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Transcription
00:00 Pourquoi est-ce mal vu de rester célibataire ?
00:02 Ils sont seuls, ils font tout le temps la fête,
00:05 ils sont à la disposition des autres, ils n'ont pas de projet.
00:08 Si ces préjugés se sont imposés envers celles et ceux qui préfèrent ne pas être en couple,
00:12 c'est en partie à cause de Napoléon et des philosophes du siècle des Lumières.
00:16 Ce qu'on observe, c'est qu'il y a quand même un tournant
00:19 constitué au milieu du 18e siècle, où le célibat devient un problème.
00:25 Si vous faites partie du tiers d'adultes célibataires en France aujourd'hui,
00:29 vous savez que cette situation est encore perçue comme une quête,
00:32 celle du grand amour, et un état temporaire qui n'a pas vocation à perdurer.
00:36 Dans l'imaginaire, le célibataire est donc soit papillonneur,
00:40 vieux garçon, un peu simplet, timide et en détresse affective,
00:46 tandis que la célibataire est la trentenaire mal dans sa peau et incapable d'être seule,
00:51 la sorcière, gentille ou méchante, voire la folle au chat.
00:55 Certes, ces clichés tendent aujourd'hui à perdre du terrain, un peu.
00:59 Mais il y a quand même cette idée qu'il faut se mettre en couple.
01:01 Et donc le célibat devient problématique à partir du moment où il devient un peu tardif.
01:06 Tous ces préjugés n'étaient pas aussi ancrés avant le 18e siècle.
01:09 Moi j'ai travaillé surtout sur le 17e siècle,
01:11 et ce que j'observe c'est que déjà il y a beaucoup de célibataires dans la noblesse.
01:15 Il y a par exemple la philosophe Gabrielle Souchon,
01:17 qui expose sa propre situation dans un essai en 1700,
01:20 du célibat volontaire ou la vie sans engagement.
01:23 Ou encore Marie de Gournay, une femme de lettre qui travaille avec Montaigne sur ses essais,
01:28 et vit seule par esprit d'indépendance.
01:30 Être célibataire c'est un état de fait comme un autre,
01:33 c'est une façon de mener sa vie comme une autre.
01:35 Et en fait ça devient davantage un problème à partir de la fin du 18e siècle,
01:40 dans les moments où on se pose la question d'un risque de dépopulation.
01:44 On valorise la procréation et donc le mariage.
01:49 En 1700, la France est un géant démographique.
01:52 On estime qu'un Européen sur quatre est un Français.
01:55 Mais certains grands esprits de ce siècle s'inquiètent au contraire de la dépopulation.
01:59 Les sociétés sont encore vulnérables aux crises démographiques,
02:02 comme les vagues de peste, les guerres, les famines.
02:05 Montesquieu par exemple met en garde au sujet du lien entre le célibat des prêtres et la baisse de la natalité.
02:10 La Baumelle, un autre savant, va même jusqu'à calculer le manque à gagner à cause du célibat ecclésiastique.
02:16 En 1750, la France, qui compte plus de 20 millions d'habitants, en aurait 10 de plus.
02:21 C'est aussi à cette époque que le mot célibataire intègre les dictionnaires, précisément dans les années 1760.
02:26 Jusque-là, il renvoyait plutôt au célibat des prêtres et en utilisait d'autres termes pour son versant civil.
02:31 On trouve les termes sans alliance, sans postérité, mort garçon ou morte fille.
02:37 L'exhortation à se marier est concrétisée dans le droit lorsque Napoléon institue en 1804 le Code civil,
02:43 qui prévoit que le chef de famille est le mari.
02:45 Les femmes sont sous la responsabilité de leur mari qui doit pourvoir à leurs besoins.
02:51 Donc une femme qui ne se marie pas, c'est forcément une femme qui doit pouvoir à ses propres besoins.
02:55 Donc soit elle est à la charge de sa famille, soit elle travaille.
02:58 Et si elle travaille, c'est là une ligne de démarcation entre la bourgeoisie et les classes populaires.
03:03 Et le travail féminin est à l'époque considéré comme une anomalie.
03:06 C'est durant le XIXe qu'émerge la figure péjorative du vieux garçon, dans la littérature et au théâtre,
03:12 et surtout celle de la vieille fille, encore plus fréquente.
03:15 Et même si certaines femmes de lettres choisissent le célibat comme un acte militant,
03:19 elles restent des exceptions.
03:21 La première guerre mondiale tue environ 10 millions de soldats, autant d'hommes qui ne reviennent pas chez eux.
03:26 Et ce déséquilibre démographique affaiblit les a priori envers les femmes seules.
03:30 Parce qu'on pense qu'à ce célibat féminin de masse, les femmes ne peuvent pas être tenues pour responsables du fait de ne pas se marier.
03:35 Et donc le célibat féminin perd un peu de sa stigmatisation à ce moment là.
03:39 A l'inverse, les hommes qui refuseraient de se marier dans l'entre-deux-guerres sont fustigés pour leur égoïsme.
03:47 Parce qu'on est quand même dans une période où on craint une crise de la natalité,
03:52 et donc les hommes qui se soustrairaient à leur devoir de se marier sont davantage critiqués.
03:58 Aujourd'hui, les célibataires ont désormais des modèles dans les fictions, et même un podcast et une newsletter spécialisée.
04:04 De quoi effacer, lentement mais sûrement, le façonnage de nos esprits par des décennies de dessins animés et de comédies romantiques,
04:10 où ils vécurent heureux, et eurent beaucoup d'enfants.
04:13 Les romans et les films d'amour, on les arrête toujours au moment où le couple se retrouve et enfin l'amour naît.
04:20 Peut-être qu'ils se sont laissés traîner un peu plus tard, ou qu'on s'arrêtait un peu avant, ça pourrait être intéressant peut-être.
04:25 [Musique]

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