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Alain Gauthier, cofondateur du Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR) est l'invité de 6h20. Un ancien gendarme rwandais, Philippe Hategekimana, va comparaître devant les assises de Paris du 10 mai au 30 juin. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-6h20/l-invite-de-6h20-du-mercredi-10-mai-2023-6252543

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00:00 Il est 6h20, un homme poursuivi pour génocide et crime contre l'humanité.
00:04 À partir d'aujourd'hui, devant les assises de Paris, il est accusé d'avoir participé
00:07 au massacre des Tutsis, plus de 800 000 morts en 1994.
00:11 Il vit depuis plus de 25 ans en France.
00:14 Bonjour Alain Gauthier.
00:15 Bonjour.
00:16 Vous serez sur le banc des partis civils avec votre collectif des partis civils pour le
00:20 Rwanda.
00:21 Ça fait plus de 20 ans que vous et votre femme, qui est Rwanda, traquez les responsables
00:25 de ce génocide.
00:26 À quelques heures de l'ouverture de ce procès, que ressentez-vous ? Je vous pose la question
00:30 parce qu'il n'y en a pas eu beaucoup des procès, c'est seulement le cinquième en France.
00:34 Oui, effectivement.
00:35 Pour nous, si vous voulez, c'est l'aboutissement d'une longue démarche parce que M. Attege
00:41 Kimana, que nous poursuivons en justice, nous avait été signalé il y a quelques années
00:45 ici dans la région de Rennes.
00:47 Et nous avons dû, comme nous le faisons dans chaque cas de génocide, nous avons dû nous
00:53 rendre à plusieurs reprises au Rwanda pour aller enquêter, recueillir des témoignages,
00:57 les donner à nos avocats et pouvoir déposer plainte.
01:00 Que lui a-t-il reproché exactement ?
01:02 Alors, M. Attege Kimana, qui s'appelle Manier puisqu'il a été naturalisé français, était
01:08 un gendarme de la brigade de Nyanza dans le sud du Rwanda.
01:12 Et il lui est reproché un nombre important de crimes, puisqu'on lui reproche d'avoir
01:18 installé les barrières pour contrôler l'identité, l'ethnie des gens, des Tutsis en particulier,
01:28 bien sûr.
01:29 Il a participé à des tueries très importantes sur certaines collines, en faisant même intervenir
01:37 donc ces gendarmes puisqu'il était adjugant-chef, en faisant même installer des mortiers à
01:41 certains endroits qui ont tiré sur les Tutsis qui étaient réfugiés au sommet des collines.
01:46 Donc donneur d'ordre, mais aussi meurtrier lui-même ?
01:48 Alors ça c'est compliqué de dire, je pense qu'il n'y a pas de témoignage véritablement.
01:55 Il y a un cas ou l'autre où effectivement certains témoins l'accusent d'avoir tué
01:59 lui-même, en particulier un bourgmestre, M. Nyagasaza, mais tout ça sera révélé au
02:06 moment du procès.
02:07 Et que dit-il aujourd'hui ? Quelle est sa défense ?
02:09 Comme toutes les personnes qu'on a jusqu'à maintenant déférées devant la Cour d'Assise,
02:16 il nie absolument tout ce qui lui est reproché.
02:19 Il nie et pourtant il a fui son pays et s'est installé incognito en France.
02:23 Oui, ben écoutez, on a l'habitude de ce genre de personnages.
02:29 Dès qu'ils arrivent en France, ils se refont une virginité, ce sont de bons parents, de
02:35 bons voisins, voire de bons chrétiens et ça trompe le monde.
02:41 Si bien que lorsque nous on révèle leur présence en France, c'est nous un petit peu qui passons
02:44 pour des dénonciateurs un peu trop légers.
02:47 Et il y a combien de plaintes qui ont été déposées en France contre des potentiels
02:51 génocidaires ?
02:52 Alors nous, depuis 2001, nous avons déposé une bonne trentaine de plaintes qui sont toutes
02:58 à l'instruction.
02:59 Les juges ont déjà décrété des non-lieux, 4 ou 5 non-lieux, mais maintenant beaucoup
03:05 de plaintes sont toujours à l'instruction.
03:08 Et d'après vous, il y a combien potentiellement de génocidaires cachés en France ?
03:11 Alors c'est difficile à dire parce qu'on n'a pas de chiffres exacts, mais souvent,
03:18 moi j'évoque une centaine de personnes, peut-être plus.
03:20 Beaucoup échapperont à la justice, bien évidemment, puisque le temps passe et ça
03:26 devient compliqué.
03:27 C'est quand même compliqué d'avoir des témoignages, c'est ça ?
03:29 Bien sûr, ça devient compliqué d'avoir des témoignages.
03:31 Un nombre important de témoins sont décédés.
03:35 D'autres ne veulent plus parler.
03:39 Ceux qui sont décédés, je vais donner l'exemple tout de suite et je voudrais rendre
03:42 hommage à un ami, Damien Rueggera, qui devait témoigner vendredi matin aux Assises et qui
03:48 est décédé brutalement hier soir.
03:50 Donc je voudrais m'associer à la douleur de sa famille et de ses amis.
03:54 Est-ce que la France est le pays qui a accueilli le plus de génocidaires potentiels ?
04:03 Alors je pense que la Belgique en a peut-être plus, parce que, vu les raisons historiques
04:11 de la présence des Belges au Rwanda, mais je pense qu'en France, oui, la France a accueilli
04:16 un nombre important.
04:17 Pourquoi ?
04:18 Alors je pense qu'un certain nombre d'entre eux avaient déjà pas mal de liens avec la
04:22 France, soit ils y avaient fait des études, soit ils y avaient des amis.
04:24 Et puis peut-être qu'ils ont pensé que, comme ils le disent souvent, ils sont dans
04:30 un pays des droits de l'homme et donc ils pensent vivre ici, continuer à vivre ici
04:36 en toute impunité.
04:37 Et bien justement, l'homme qui va être jugé à partir d'aujourd'hui, Philippe
04:40 Atege Kimana, qui aujourd'hui s'appelle Philippe Magnier, il a vécu une vie totalement
04:45 normale pendant 20 ans avant que vous retrouviez sa trace ?
04:47 Oui, absolument.
04:48 Nous, on nous a signalé sa présence dans la région de Rennes il y a quelques années.
04:53 Il avait refait sa vie ?
04:54 Il avait refait sa vie, il travaillait à l'université, il assurait la sécurité
04:58 à l'université de Rennes 2.
05:00 Et effectivement, personne ne soupçonnait, si ce n'est les étudiants rwandais tout-ci
05:05 qui l'ont côtoyé et qu'ils continuaient à harceler un petit peu à l'université.
05:13 Vous dites que vous faites ce travail depuis 20 ans maintenant, plus de 20 ans, dans une
05:18 optique de réconciliation, de justice, évidemment, pour lutter contre l'impunité, qu'il n'y
05:22 a pas de haine ni de vengeance.
05:24 Et vous dites aussi, j'ai vu ça dans une interview, et ça m'intéresse d'avoir
05:27 cette explication, que c'est pour empêcher le négationnisme.
05:30 Aujourd'hui, il y a des gens qui disent que ça n'a pas existé ?
05:31 Oui, il y a des gens, soit qui disent que ça n'a pas existé, soit qu'il y a eu
05:37 un double génocide pendant longtemps, cette notion, en disant oui, il y a eu un génocide
05:42 des Tutsis, mais en revanche, il y a eu d'un autre côté un génocide des Hutus de la
05:48 part des Tutsis.
05:49 Voilà, c'est cette idéologie-là que nous combattons.
05:52 Et je pense que la justice ne permet pas de donner toute la vérité sur ce qui s'est
06:00 passé, mais à la fin d'un procès, il va y avoir un verdict et va émerger ce qu'on
06:06 appelle une vérité judiciaire.
06:07 Et cette vérité judiciaire, elle est décrétée, si vous voulez, à partir du témoignage de
06:13 beaucoup de gens.
06:14 Ça permet aussi d'écrire l'histoire du génocide à Nianza et en plus grand, l'histoire
06:20 du génocide au Rwanda.
06:21 Et c'est une façon effectivement de lutter.
06:24 Le génocide des Tutsis a bien eu lieu.
06:25 Et à part vous qui enquêtez, est-ce que vous avez du soutien ?
06:28 Alors, depuis 2001, nous sommes la seule association à avoir déposé des plaintes.
06:34 Ceci dit, nous avons à nos côtés, il y a d'autres associations qui, lorsque les
06:37 plaintes sont déposées, s'engagent à nos côtés.
06:40 Mais la justice ?
06:41 La justice en France ?
06:43 Non, la justice en France ne nous a jamais véritablement soutenu.
06:46 Nous n'avons cessé, nous, de dénoncer ces lenteurs de la justice.
06:50 Le premier procès n'a eu lieu qu'en 2014.
06:53 Donc, pendant 20 ans, pratiquement rien ne s'est fait.
06:57 Cette lenteur est préjudiciable à la vérité.
07:03 Non seulement la lenteur, mais également le manque de moyens.
07:07 Vous savez, il y a très peu de juges d'instruction qui travaillent sur ces dossiers.
07:10 Je pense qu'il faudra encore plus de 20 ans pour arriver à juger tous les gens contre
07:17 lesquels nous avons déposé plainte.
07:18 Mais beaucoup, d'ici là, ne seront plus en vie.
07:20 Et d'où l'importance de ce procès qui s'ouvre aujourd'hui et qui va durer jusqu'à la fin
07:24 du mois de juin.
07:25 Procès auquel vous allez participer tous les jours en tant que Parti Civil.
07:28 Merci beaucoup Alain Gauthier d'être venu ce matin sur France Inter.

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