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00:00 Bonjour et bienvenue dans le grand format de la rédaction de France Bleu Isère.
00:04 Un grand format qui nous emmène cette semaine au cœur de la presqu'île scientifique
00:08 et du CEA de Grenoble.
00:09 Un cœur qui n'est plus du tout nucléaire après 22 ans de transformation et de démantèlement.
00:18 Bonjour Laurent Galien.
00:20 Bonjour Cédric Hermel.
00:21 Le point de départ de ce grand format, c'est un 13 administratif arrêté gouvernemental
00:25 publié le 27 mars 2023.
00:28 Sur cet arrêté du ministère de la Transition énergétique, il est écrit « Vu la décision
00:33 de l'Autorité de Sûreté nucléaire, vu une série de décrets, d'arrêtés, de
00:37 textes et d'avis des communes environnantes, les installations nucléaires de base dénommées
00:41 « stations de traitement déchets radioactifs et stockage provisoire de décroissance de
00:46 déchets radioactifs » sur le site du CEA de Grenoble sont déclassées.
00:50 Voilà ce qui est écrit.
00:51 Derrière ce mot « déclassées », une réalité, il n'y a plus aucune installation
00:56 nucléaire. Sur le site du CEA de Grenoble, il en reste une à côté, à l'ILL, l'Institut
01:01 L'eau et l'ange vin.
01:02 Mais pour le CEA, c'est la fin d'une histoire, débutée dans les années 50 avec
01:07 le Centre d'études nucléaires de Grenoble, le CENG.
01:10 Elle commande en 56 avec le professeur Lwinel qui recherche un site pour faire ses études
01:17 sur le magnétisme et sur la matière.
01:20 Donc il cherchait un site et il a trouvé ce qui était le polygone d'artillerie à
01:25 Grenoble et il s'est entendu avec le ministère des armées pour récupérer ce site.
01:29 Et il est devenu le premier directeur du site du CEA de Grenoble.
01:32 Lwinel qui sera pris Nobel de physique en 1970 grâce notamment à ses travaux à Grenoble.
01:38 Celui qui parle et avec qui nous allons revenir sur cette histoire nucléaire, histoire terminée
01:43 du CEA de Grenoble, c'est Frédéric Tournebise.
01:45 À la retraite aujourd'hui, c'est ex-directeur adjoint du site de Grenoble et celui qui a
01:50 conduit et piloté pendant 22 ans le programme Passage du CEA.
01:55 Et on mesure mieux l'ampleur de la question quand on sait ce qui a été construit à
01:58 partir de 1957 sur le site.
02:01 Frédéric Tournebise.
02:02 Alors donc c'est les premières installations qui sont créées.
02:05 La première installation c'est le réacteur Mélusine.
02:07 Le réacteur est créé pour étudier les matériaux qui seront dans la filière électronucléaire.
02:14 Donc on irradie du combustible, des matériaux de gainage et on voit comment ils réagissent
02:19 sous irradiation.
02:20 Ensuite, il y avait d'autres activités aussi.
02:23 C'est l'étude de la matière par les faisceaux de neutrons à Mélusine et c'est développé
02:27 d'autres activités par la suite qui sont l'irradiation de radio-éléments pour la
02:31 médecine.
02:32 Il y a eu jusqu'à 3 réacteurs et un laboratoire.
02:35 C'est ça si on parle d'installation active sur le plan nucléaire.
02:38 Alors sur Grenoble, on a eu 3 réacteurs.
02:40 Le réacteur Mélusine, le premier.
02:42 Le deuxième c'était Silhouette et le troisième Silhouette qui était la maquette de Silhouette.
02:47 Associé à ces 3 réacteurs, il y avait ce qu'on appelle un labo chaud.
02:51 Le labo chaud c'est une installation dans laquelle on étudie les produits qui ont été
02:55 irradiés en réacteur pour amener d'autres informations sur comment ils ont réagi à
03:00 l'irradiation.
03:01 Et tout ça, ça génère des déchets.
03:03 Ça génère des déchets qui sont regroupés dans une station de traitement des effluents
03:08 et déchets dont la finalité est de transformer les déchets pour les rendre exportables vers
03:12 l'endroit.
03:13 C'est ce dispositif de traitement des déchets qui est le dernier déclassé.
03:18 Quant au laboratoire labo chaud nommé LAMA, c'est l'endroit où nous avons fait cette
03:22 interview.
03:23 C'est un bâtiment déclassé mais non détruit, celui-là, sur lequel nous allons revenir
03:27 plus tard.
03:28 En attendant, vous l'aurez compris, Frédéric Tournebise et les équipes du CEA ont d'abord
03:33 dû digérer la nouvelle de l'arrêt du nucléaire.
03:36 Alors, il y a eu plusieurs temps.
03:39 D'abord, je travaillais dans les réacteurs autour de Siloé et en 1994, le CEA nous a
03:45 annoncé qu'on allait arrêter Siloé en fin 1997.
03:48 Ça a été un choc.
03:50 Ça a été un choc énorme pour toutes les équipes.
03:52 Siloé, c'était le plus important des réacteurs.
03:56 C'était le réacteur emblématique de nos trois installations nucléaires.
03:59 Donc, ça a été un choc très important pour tous les salariés des installations,
04:04 pour tous les chercheurs, les ingénieurs, les techniciens.
04:06 Et il a fallu digérer ça.
04:09 Même moi, ça n'a pas été facile.
04:11 Et la solution qu'on a eue, ça a été de s'orienter vers un processus de démantèlement
04:16 et de le réussir.
04:18 Alors là, je vous parle de Siloé.
04:19 Il s'est arrêté en 1997.
04:21 Et en 2001, le CEA a décidé de réorienter ses différents sites de recherche.
04:30 Et sur le site de Grenoble, il a décidé d'arrêter totalement les autres installations
04:35 nucléaires.
04:36 Il y avait encore en fonctionnement le LAMA, le réacteur Siloé et les installations de
04:39 traitement de déchets.
04:40 Donc en 2001, le CEA décide d'arrêter toutes ces installations.
04:44 Pourquoi ? Parce que le programme électronucléaire, il est mature.
04:47 Il y a besoin de moins d'outils de recherche.
04:50 Et on décide de déplacer les recherches qui étaient faites à Grenoble sur le site de
04:55 Saclay, de Cadarache ou de Marcoule.
04:57 Parce que le CEA reste ailleurs axé sur le nucléaire.
05:00 Démantèlement, il y a une mue plus stratégique que politique dans un bassin grenoblois qui
05:05 même à la fin des années 70 ou au début des années 80, alors que pro et anti-nucléaire
05:10 s'affrontent autour de Superphénix à Crémalville en Orisère, même à ce moment-là, la population
05:15 ou les élus ne se sont jamais vraiment montré réticents au voisinage tout de même de pas
05:20 moins de trois réacteurs nucléaires, quatre avec celui de l'Institut Loé-Langevin.
05:24 Vincent Compara, scientifique, universitaire et écologiste grenoblois, est arrivé dans
05:28 ces années-là à Grenoble.
05:30 Disons que ça ne faisait pas peur au sens parce qu'elles étaient des activités de
05:35 recherche, souvent des recherches soit fondamentales, soit sur les matériaux, etc.
05:39 Et avec des INB, des installations nucléaires de base, des réacteurs, la Mélusine, Silhouette,
05:48 Siloé, etc., qui étaient à des puissances thermiques assez faibles et donc qui ne créaient
05:55 pas des inquiétudes fortes.
05:57 Et d'ailleurs, on n'a jamais milité très fortement contre l'ILL qui était encore
06:01 plus puissant parce que, comme ce sont des laboratoires de recherche, il n'y a pas l'aspect
06:08 un peu, disons, qu'il faut la concurrence, il faut que ça soit rentable, etc.
06:15 Donc, au moindre problème, il y avait une réaction saine.
06:20 Les gens n'étaient pas là à faire tourner ses machines, à fonder la caisse pour que
06:24 ça donne, ça donne, ça donne.
06:26 Mais en même temps, on faisait un peu attention, notamment sur les rejets dans le drac.
06:32 Il y avait toujours des petits problèmes là-dessus.
06:35 Et des incidents, il y en a eu de sérieux même parfois dans les années 70 qui ont
06:39 entraîné des fuites qui laissent encore aujourd'hui une trace résiduelle dans le
06:43 sous-sol profond d'un petit périmètre de l'ancien stockage de déchets.
06:48 Passé le choc du début de l'annonce de la fermeture des activités nucléaires,
06:52 les salariés du CEA ont décidé au début des années 2000 qu'ils feraient du démontage
06:56 des trois réacteurs quelque chose de bien, d'exemplaire, dont ils puissent être fiers.
07:00 Sous la responsabilité de Jean Terme, emblématique directeur du site de Grenoble ces années-là,
07:05 on retrouve celui qui a géré ce démantèlement et cette transformation au CEA de Grenoble,
07:09 Frédéric Tournobis.
07:10 Il y avait deux objectifs.
07:11 Donc déclasser les installations, les déclasser proprement et que ce soit une réussite par
07:16 rapport au monde du nucléaire.
07:18 Donc il n'y a pas beaucoup d'expérience de déclassement d'installations et en tout
07:22 cas il n'y en a pas à l'échelle de tout un site avec toutes les installations du site.
07:27 Donc c'est une grande réussite pour nous et nous en sommes très fiers.
07:30 Et donc nous inscrivons cette réussite dans la suite de toutes les réussites des programmes
07:34 de recherche qui avaient eu lieu dans les installations.
07:36 Une autre de mes satisfactions aussi, c'était le repositionnement de tous mes collaborateurs.
07:42 Donc c'était aussi un des enjeux du projet que tous les salariés qui ont travaillé
07:47 dans les installations nucléaires, dans l'expérimentation, dans l'exploitation, et trouver une nouvelle
07:52 activité qui corresponde à leurs aspirations.
07:54 Et donc c'est réalisé et c'est aussi une de mes grandes satisfactions.
07:58 Finalement, tout s'est passé comme prévu.
07:59 Tout s'est pas exactement passé comme prévu.
08:01 Ça, c'est pas possible.
08:02 Le monde du démantèlement, c'est un monde où justement il y a beaucoup d'imprévus.
08:07 Et je dirais régulièrement que mener un projet de démantèlement, c'est faire comme
08:12 n'importe quel projet, s'organiser pour faire ce qui est prévu.
08:15 Mais c'est surtout être prêt à gérer tous les changements qui vont apparaître
08:20 parce qu'il y en aura tout le temps.
08:22 Donc il faut beaucoup de réactivité, beaucoup de capacité de rebond et de créativité
08:26 pour répondre aux imprévus.
08:28 Un chantier qui, malgré tout, a tenu à peu près ses objectifs de durée et de coût,
08:33 22 ans donc jusqu'au déclassement de la dernière installation et 350 millions d'euros
08:38 pour un travail technique colossal, mené tour à tour par machine interposée, sous
08:43 confinement, avec des mesures constantes.
08:45 Mais la réussite de ce démantèlement est aussi reconnue par l'écologiste Vincent Compara.
08:49 Bon, on peut dire que oui, parce que disons que les choses ont été faites correctement
08:52 puisque les dernières INB viennent d'être arrêtées.
08:55 Donc effectivement, il n'y a plus de nucléaire.
08:57 Et donc oui, c'est une réussite.
08:59 Ce qui est un peu dommage, c'est que le solaire soit parti au bourget.
09:02 Parce que je pense que le solaire, effectivement, a été plus intéressant pour nous au niveau
09:08 alternative que les nanotechnologies.
09:10 Mais c'est vrai que le CEA de Grenoble est devenu aux alternatives.
09:15 Aux énergies alternatives.
09:18 C'est assez amusant de voir les évolutions du vocabulaire.
09:23 Cette mue n'a été possible.
09:25 Les énergies alternatives n'existent ici à Grenoble que parce qu'il y a d'abord
09:29 eu l'énergie atomique, explique Frédéric Tornobis.
09:32 Oui, au début des activités nucléaires du site, il y a eu des études en parallèle
09:38 qui ont été développées.
09:39 Par exemple, en électronique pour assurer le contrôle commande, faire des études sur
09:43 le contrôle commande des réacteurs.
09:44 Et ça, c'est l'émanation, la naissance du laitier.
09:47 Ensuite, dans les domaines de la thermo hydraulique et de l'étude des matériaux, qui était
09:53 indispensable pour les réacteurs de recherche.
09:56 Tout ça, c'est ce qui est à l'origine maintenant de ce qu'on appelle le Liten sur Grenoble,
10:01 qui travaille sur toutes les nouvelles énergies.
10:03 Et accessoirement aussi, il y a les activités autour de l'impact des radio-éléments sur
10:09 la matière vivante.
10:10 Et donc tout ça, ça a généré les activités d'un institut de biologie qui s'est développé
10:15 sur Grenoble.
10:16 Est-ce que ce qui a été fait ici peut servir au démantèlement des centrales quand elles
10:21 seront trop vieilles et à des installations beaucoup plus importantes, beaucoup plus volumineuses,
10:25 beaucoup plus radioactives aussi ?
10:26 Alors oui, sur les notions de base, sur les techniques d'assainissement qui seront les
10:31 mêmes, les techniques de démolition des bâtiments seront les mêmes.
10:34 La conduite de projet aussi peut très bien s'en aspirer.
10:38 D'ailleurs, on a eu pendant toute la durée du projet un certain nombre de salariés d'EDF,
10:43 d'EDF démantèlement, qui ont travaillé avec nous, qui ont regardé ce qu'on faisait,
10:48 qui ont exploité toutes nos informations et qui les ont ramenées à leur maison mère
10:51 pour essayer d'en tirer quelque chose.
10:52 Mais d'autre part, ce qui a été fait sur Grenoble aussi est tout capitalisé au CEA,
10:58 dans une unité qui collecte toutes les archives du projet et qui les met à disposition de
11:03 tous les autres projets d'assainissement, démantèlement du CEA.
11:05 Et en plus, vous avez voulu en faire de l'information au grand public et vous avez voulu conserver
11:11 ce bâtiment dans lequel on est pour y faire un espace d'exposition, pour expliquer ce
11:16 passage.
11:17 À la base, vous aviez déjà l'idée de ça ou c'est venu après en vous disant "mais
11:21 on doit garder, on doit raconter cette histoire" ?
11:23 Dès le début du projet d'assainissement, on avait créé un espace communication.
11:29 Et puis petit à petit, on s'est dit sur la fin, on pourrait faire quelque chose de
11:34 beaucoup plus grand, destiné à être plus facilement accessible au grand public.
11:41 C'est l'idée qu'on a eue et dans les années 2018, on a lancé l'idée de créer cet espace
11:48 communication passage dans un des bâtiments qui a été une installation nucléaire et
11:52 qui est maintenant un bâtiment classique.
11:53 L'objectif était effectivement de rappeler toute l'histoire du CEA Grenoble, l'histoire
11:58 nucléaire du CEA Grenoble, l'histoire du démantèlement et de montrer comment tout
12:02 cet ensemble s'enchaîne vers le CEA Grenoble d'aujourd'hui avec toutes les nouvelles activités
12:07 qui florissent sur le site.
12:09 Ouvert au public ce lieu d'exposition ?
12:11 Alors pour le moment, la cible prioritaire, c'est l'organisation pour les salariés
12:16 du CEA qui veulent le visiter.
12:18 C'est le temps qu'on mette la logistique qui va bien pour l'ouvrir au public un peu
12:23 plus tard, je pense dans le courant de l'année prochaine, où sur inscription, sur réservation,
12:28 il y aura normalement des séances de visite de cette installation.
12:32 Un grand public qui se divise en deux camps, celui qui serait minoritaire selon les enquêtes
12:37 du CEA, qui sait que le CEA Grenoble a tourné la page du nucléaire et puis celui, le public
12:43 pour qui le CEA reste synonyme de nucléaire, or donc, il ne l'est désormais plus du tout.
12:49 Du nucléaire aux nouvelles technologies, la mue du CEA à Grenoble, un grand format
12:55 France Bleu Isère de Laurent Galien, réalisation Frédéric Cabri, un grand format à retrouver
13:00 sur francebleu.fr et les plateformes de podcast.
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