Il écoute quoi Jean-Michel Jarre ? De Ray Charles à John Lennon en passant par Edith Piaf, le musicien nous fait découvrir sa culture musicale et ces artistes "out of the box" qui l'ont inspiré pendant sa carrière.
Category
🎵
MusiqueTranscription
00:00 Alors ok, vous avez l'habitude de nos musiclub en studio ou chez les gens avec Bob Sinclar,
00:03 Cut Killer, Boomba's ou encore Etienne de Crécy.
00:06 Mais là attention, changement de lieu, la discothèque de Radio France.
00:10 C'est grand, c'est beau, c'est énorme ça de la gueule.
00:13 Et pour ce premier épisode, en collab avec Phippe, on a un invité de choix, la légende
00:17 Jean-Michel Jarre.
00:18 Bonjour bonjour.
00:19 On va pas se mentir, on s'est un peu perdu dans les rayons.
00:22 Là il y a quand même un million d'albums quand même.
00:23 Mais au final, Jean-Michel Jarre nous a choisi des disques importants et incroyables comme
00:27 Edith Piaf, pour moi c'est le Oum Kalsoum western.
00:31 Mais aussi, évidemment Sébastien Tellier.
00:33 Ou encore Who's Next des Who.
00:36 Et même, alors White Noise, c'est mon disque de musique électronique fétiche.
00:40 Bref, c'est un moment fou, complètement hors du temps à la discothèque de Radio
00:44 France avec Phippe et Jean-Michel Jarre.
00:46 Ça fait rêver.
00:47 Bienvenue dans la discothèque de Radio France.
00:50 On a déjà sélectionné trois disques pour toi.
00:53 Pierre Schaeffer, c'est à la fois un maître et un mentor, puisque c'est avec lui que
01:00 j'ai, et grâce à lui et grâce au groupe de recherche musicale, quand je suis rentré
01:05 au GRM, qui était en fait lié à Radio France.
01:08 Et Pierre Schaeffer est, avec Pierre Henry, celui qui, sans le savoir, allait révolutionner
01:15 la manière dont on fait de la musique aujourd'hui.
01:17 C'est-à-dire le premier qui a pensé à intégrer finalement les sons de la vie dans
01:25 la musique.
01:26 Et en même temps, le premier DJ, puisque avec Pierre Henry, les premières oeuvres
01:33 de musique électronique, d'ailleurs, Études aux Objets, Études aux Allures, Suite 14,
01:40 etc., ce sont des oeuvres qui en fait étaient enregistrées sur des 78 tours.
01:47 Et en fait, la première oeuvre que Pierre Schaeffer a faite, avec Pierre Henry d'ailleurs,
01:51 ce qui est paradoxal parce que ça s'appelle Symphonie pour un Homme Seul, ils étaient
01:55 deux.
01:56 Et en fait, le live, c'était en fait 60, 78 tours qui passaient sur cinq platines.
02:02 Et le live était fait d'une performance aux platines.
02:07 C'est-à-dire que c'était les premiers DJ 40 ans avant.
02:09 Et c'est effectivement pour moi vraiment, pas seulement fondateur de ce que j'ai pu
02:14 faire après, mais fondateur de toute la manière dont on fait de la musique aujourd'hui.
02:17 Alors là, il y a deux autres petites surprises que vous m'avez réservées, effectivement,
02:23 qui sont plus personnelles.
02:24 Ça, c'est une des premières musiques de film que j'ai faites, qui s'appelle Les
02:29 Grands Se Brûlés, avec Delon et Signoret.
02:31 Et en fait, c'était un malentendu complet.
02:34 C'est-à-dire que c'était un polar rural avec des sons électro, dont d'ailleurs
02:40 Apex Twin disait que ça lui rappelait ce qu'il ferait 20 ans plus tard.
02:46 Je pense que si la production avait entendu ce que j'étais en train de faire par rapport
02:52 à quelque chose qui se passait vraiment dans les Vosges, de manière ultra classique, un
02:58 film ultra classique, je pense que la bande son n'aurait jamais été acceptée.
03:02 Parce que c'était vraiment totalement, assez barré par rapport au contexte.
03:08 Mais c'est un très bon souvenir.
03:11 Et d'ailleurs, on est en train de retrouver les bandes pour refaire un vinyle avec le
03:19 mastering, avec les possibilités de mastering d'aujourd'hui et de meilleure qualité.
03:23 Et puis, alors celui-là, j'étais en contrat avec un éditeur fameux, légendaire, qui
03:32 s'appelait Francis Dreyfus, qui était en plus la maison de disques avec qui j'ai
03:37 ensuite travaillé une grande partie de ma vie, qui a sorti Oxygen, Echinox, etc.
03:43 Mais qui aussi était le producteur de Christophe, de Bachung aussi, de Bernard Lavillier plus
03:47 tard, et puis grand, grand éditeur et producteur de jazz aussi.
03:50 Et en fait, quand Popcorn est sorti, j'ai fait la version européenne de Popcorn, même
03:54 avant vraiment que ça démarre, et sous un pseudo qui était Popcorn Orchestra.
04:01 Donc c'est assez marrant.
04:03 Et qui a en fait très, très bien marché et qui est sorti à peu près au même moment
04:07 que la version originale.
04:08 Alors, je vois Pierre-Henri.
04:12 Ben oui, en fait, il y a un morceau de Pierre-Henri qui est le plus connu, qui s'appelle
04:18 Psyché Rock, qui est en fait issu d'une musique que Pierre-Henri a faite pour le ballet
04:24 de Maurice Béjar, qui s'appelle Les Messes pour le temps présent, et qui est en fait
04:28 un tube un peu ambigu de Pierre-Henri parce qu'en fait, c'est plutôt un morceau de
04:33 Michel Colombier, grand arrangeur et compositeur, qui a notamment été l'arrangeur de Gainsbourg
04:38 et de plein d'années de Paul Naref aussi, qui est un musicien brillant, et en fait qui
04:45 a intégré des sons de Pierre-Henri dans cette musique.
04:49 Et en fait, de manière un peu injuste, Pierre-Henri est reconnu surtout pour un morceau qui n'est
04:56 pas exactement sa patte, je dirais, mais en même temps qui a marqué énormément l'histoire
05:01 de la musique électronique.
05:02 Et toi, quand t'as entendu ce morceau, ça t'a fait quoi ? Ça t'a évoqué quoi ?
05:07 Ben moi, j'avais déjà le virus, et donc j'ai trouvé que c'était intéressant, le mélange
05:11 justement qui, moi, m'intéressait, m'a toujours beaucoup intéressé, qui était en fait de
05:17 faire un pont entre l'expérimental et la pop.
05:19 Et ce morceau résume tout à fait ça, c'est-à-dire le fait qu'au fond, un musicien de pop
05:26 finalement, intègre aussi des sons qui étaient purement expérimentaux.
05:32 Et c'est un bon exemple de ce pont que moi j'ai toujours voulu faire.
05:36 Et alors celui-là, c'est aussi de toute façon, tous les choix que je peux faire sont des
05:42 choix de sons, en fait, parce que ce qui m'intéresse, même dans la pop ou dans les chansons, c'est
05:48 avant tout, finalement, l'univers sonore.
05:50 Et dans "Imagine" de John Lennon, il y a effectivement les chansons, la chanson qu'on connaît comme
05:56 "Imagine", mais il y a un morceau, moi, qui m'a toujours beaucoup touché, qui s'appelle
06:00 "How Do You Sleep", et au-delà du texte et de l'anecdote entre Paul McCartney et John
06:10 Lennon qui s'engueulaient "How Do You Sleep", c'est un règlement de compte de John à travers
06:15 une chanson.
06:16 C'est pas tellement ça qui m'intéresse dans "How Do You Sleep", c'est surtout la prod
06:20 de Phil Spector, et c'est surtout le son des cordes que j'ai trouvé, moi, quand j'ai
06:25 écouté ça, j'ai trouvé ça formidable, cette espèce d'arrangement de cordes qui
06:29 groove presque comme du jazz et en même temps avec un côté un peu exotique, un peu arabisant
06:36 aussi, et qui, moi, m'a donné le frisson.
06:39 Et à chaque fois que j'entends cette chanson, au-delà du contexte de la mélodie, du texte,
06:44 le son de ce morceau est un morceau qui me donne toujours le frisson, qui n'est pas le
06:49 morceau le plus connu de cet album, qui est un chef-d'oeuvre par ailleurs, comme nous
06:54 savons.
06:55 Qu'est-ce que c'est que ça ? Alors ça, c'est aussi un disque que je trouve, un morceau
07:00 de Gainsbourg, "Réquiem pour un con", qu'il a fait pour le film "Le Pacha", et qui est
07:07 aussi un trip de son total, qui est uniquement une chanson, qui est uniquement faite, l'arrangement
07:13 est uniquement une loupe de batterie, et cette loupe est complètement hypnotique et d'une
07:19 modernité incroyable.
07:21 En même temps, elle raconte une histoire, les loupes souvent racontent des histoires,
07:26 mais là, au-delà du texte, au-delà de sa voix, puisqu'il a quand même inventé le
07:33 slam un peu, Gainsbourg, et tout le talk-over, quoi.
07:36 Et sur ce morceau, il y a cette espèce de côté de son, d'abord le son de la batterie
07:43 qui est super, et puis cette espèce de loupe qui est hyper originale.
07:46 C'est vachement dur, finalement, avec des doubles-croches, des triples-croches, des
07:51 croches, des noirs, des blanches, de faire une loupe uniquement rythmique qui te fait
07:57 rêver à ce point-là, quoi.
07:59 Donc, c'est vraiment un morceau mémorable.
08:02 À Red Charles, il y a effectivement Georgia In My Mind, et j'ai choisi ce morceau, Montrons
08:10 la pochette, et c'est le premier single que j'ai acheté avec Georgia In My Mind d'un
08:15 côté et What I Say de l'autre.
08:16 Et pourquoi, moi, ce sont des morceaux fondateurs, aussi bien Georgia In My Mind que What I Say,
08:22 c'est que Red Charles est pour moi encore quelqu'un qui est fascinant, pas seulement
08:28 sur le plan de la composition, mais sur le plan du son.
08:31 D'ailleurs, j'ai choisi dans cette sélection trois artistes qui expriment bien ce que je
08:36 vais dire, c'est-à-dire que soit Edith Piaf, David Bowie ou Red Charles sont tous des gens
08:42 qui chantent faux et pas dans le tempo.
08:44 Et en fait, c'est ça qui donne le frisson.
08:46 C'est-à-dire quand on ne suit pas les règles, quand on est out of the box, quand on est
08:51 un peu en dehors du tempo et en dehors, au fond, de la règle.
08:57 Et Red Charles, ce qui est incroyable, c'est qu'il vient à la fois du gospel, de la musique
09:04 spirituelle et en même temps du rhythm and blues qui était considéré comme l'inverse,
09:09 sinon une musique satanique.
09:10 Pas loin pour certains intégristes.
09:13 Et en fait, c'est ce mélange-là qui fait qu'il est toujours respectueusement le cul
09:18 entre deux chaises.
09:19 Et moi, j'ai toujours aimé les gens qui sont à cheval sur deux styles.
09:22 Et c'est ce qui fait le côté unique de Red Charles, comme de beaucoup de grands défricheurs
09:28 dans la musique et dans l'art en général.
09:30 Est-ce que toi, personnellement, tu as l'impression d'être aussi respectueusement le cul entre
09:34 deux chaises ?
09:35 Oui, tout à fait.
09:36 Enfin, moi, les artistes qui m'intéressent, c'est justement les gens qui sont entre deux
09:41 styles.
09:42 Ce n'est pas très intéressant, au fond, les gens qui sont au pinacle d'un style.
09:47 La perfection ne m'intéresse pas beaucoup.
09:49 Ce qui est intéressant, c'est justement les erreurs, les accidents, les choses qui
09:52 ne sont pas évidentes.
09:54 Et c'est vrai dans le cinéma, c'est vrai quand on prend le début de la nouvelle vague,
09:59 quand on prend le début de l'électro, la French Touch.
10:02 C'est-à-dire qu'avec une économie de moyens, d'arriver à faire des choses où finalement
10:07 on se transcende par manque de moyens, mais avec en même temps un trou plein d'idées.
10:12 Donc, il y a cette espèce de décalage qui est super, qui souvent donne des résultats
10:17 qui sont inattendus, donc excitants.
10:20 La recette, Jean-Michel Jarre, c'est de créer des erreurs dans la musique ?
10:23 Je ne pense pas que ce soit une recette, bien que ça puisse en être une pour pas mal de
10:30 jeunes artistes à qui je conseillerais ça.
10:32 C'est-à-dire l'apologie de l'accident, c'est-à-dire le fait de ce qui rend toujours
10:37 une création intéressante, c'est l'accident, c'est le truc inattendu, c'est le fait
10:43 justement aussi d'être out of the box.
10:47 Finalement, dans la musique occidentale, en tout cas, on n'a que 12 notes, il y a des
10:51 millions, on voit des millions et des millions de chansons et de morceaux qui sont faites
10:55 avec ces 12 mêmes notes.
10:57 Et au fond, qu'est-ce qui fait la différence ? C'est toi qui fais la différence, c'est-à-dire
11:00 que ton propre style, ta propre cuisine.
11:03 Et c'est ça qui fait qu'un morceau va te donner le frisson, va t'intéresser ou pas,
11:08 parce que ça ne fait pas aussi partie de ton goût.
11:10 Mais en même temps, c'est cet arrangement de notes, c'est aussi pas seulement l'arrangement
11:15 des notes, c'est le son, c'est-à-dire c'est les épices que tu vas y mettre, c'est tout
11:20 ça.
11:21 Alors Edith Piaf, pour moi, c'est le "Um Kalsum" western, c'est-à-dire occidental.
11:31 Pourquoi je dis ça ? C'est qu'en fait, ma mère m'a emmené à un concert d'Um Kalsum
11:35 quand j'avais 11 ans, en fait, c'était à l'Olympia, et le concert durait 3h30, elle
11:40 faisait 3 chansons, qui duraient plus d'une heure chacun.
11:42 Et quand je suis sorti, j'ai dit à ma mère "je vais me marier avec elle".
11:45 J'étais absolument époustouflé par cette espèce de déambulation sonore.
11:50 Et Edith Piaf, elle a ça, elle a ce côté, ce que je disais tout à l'heure par rapport
11:54 à Ray Charles ou Bowie, c'est-à-dire cet espèce de côté où elle chante, elle gueule,
12:01 elle slalome entre les notes, entre les émotions.
12:04 Et en fait, t'as à la fois envie de rire, envie de pleurer, c'est de l'émotion mise
12:10 à nu, et cette émotion, elle vient justement du fait de transcender les règles.
12:13 Et on en est toujours là, on revient toujours à ça, c'est-à-dire le fait finalement
12:16 de désobéir.
12:17 Et Edith Piaf est quelqu'un qui a tout le temps désobéi sur le plan musical et dans
12:24 sa vie.
12:25 Et on s'aperçoit que souvent, les grands artistes sont des gens qui désobéissent
12:29 et qui contournent les règles, quoi.
12:31 Et c'est un super exemple.
12:33 Alors "White Noise", on va le dire tout de suite, c'est mon disque de musique électronique
12:40 fétiche.
12:41 C'est un morceau qui n'est pas...
12:43 C'est un album qui n'est pas très connu et qui est un chef-d'oeuvre, tout simplement
12:46 un chef-d'oeuvre, qui a été composé par les gens qui travaillaient au laboratoire
12:51 de la BBC, c'est-à-dire un peu l'équivalent du groupe de recherche musicale dirigé par
12:55 Schaeffer en France, et avec des gens comme Debbie Derbyshire, qui est une des grandes
13:04 pionnières de l'électro anglaise, mais de grandes compositrices.
13:10 Et puis David Warhouse aussi, qui est aussi un autre grand musicien.
13:13 Et ce qui est extraordinaire, c'est que c'est un disque totalement inattendu, c'est un ovni
13:18 d'intérêt, qui mélange à la fois le trafic électronique, le sample, à la fois le côté
13:26 je dirais totalement surréaliste, alors que c'est plutôt les Français qui sont surréalistes,
13:31 c'est un mouvement français surréaliste, alors que là ils ont capturé quelque chose
13:35 qui pour moi fait partie vraiment des racines de la musique électronique européenne, qui
13:41 n'a rien à voir avec la pop, le jazz ou le rock américain.
13:45 Alors Ray of Light, autre chef d'œuvre, enfin quand il y a un million de vinyles,
13:52 on a du choix.
13:54 Ray of Light, ce que j'aime beaucoup, c'est le fait que d'un seul coup Madonna passe
14:00 au fond de la pop à l'électro, avec la production de William Orbit, qui est un très
14:07 grand musicien, un très grand producteur pour moi d'électro, et qui va d'un seul
14:10 coup faire changer la garde-robe sonore de Madonna.
14:16 Et c'est intéressant parce que finalement, ce qui est intéressant dans la production,
14:21 c'est comment on peut arriver à révéler ce qui existe potentiellement dans un artiste,
14:27 chez un artiste, de manière sonore.
14:29 Je veux dire que c'est toute proportion gardiée, mais c'est pour moi l'approche que j'ai
14:35 essayé d'avoir avec Christophe, quand j'ai travaillé sur les albums de Christophe, comme
14:39 Les Paradis Perdus, Les Mots Bleus, etc.
14:42 Ou avec Juvet aussi, qui était aussi quelqu'un qui venait de la pop, mais qui voulait partir
14:47 ailleurs et qui avait ce côté un peu glam, potentiellement, un peu glam rock, un peu
14:54 à la Bowie ou à la T-Rex.
14:56 Et en fait, pourquoi je parle de ça, c'est qu'en fait, Madonna venant de la pop a eu
15:00 l'instinct.
15:01 Elle, elle l'a eu, c'est pas seulement lui, elle est allée chercher William Orbit, et
15:04 en fait le résultat, Ray of Light, est pour moi sans doute un des meilleurs, sinon pour
15:09 moi le meilleur album de Madonna, encore une fois à cause du son.
15:13 Tu parlais de ton travail sur la musique pop française.
15:16 On sait que tu produisais, mais tu aidais à l'écriture aussi.
15:21 Encore une fois, c'est une histoire de son.
15:24 C'est-à-dire que moi, quand j'ai commencé à travailler dans la pop, avec Christophe,
15:32 avec Juvet, François Zardy, etc.
15:33 En fait, ce qui m'intéressait, c'était, moi j'étais obsédé à l'époque par les
15:39 albums anglais, les concept albums, c'est-à-dire un album qui soit pas une accumulation de
15:44 chansons séparées, mais en même temps où chaque album, plutôt que de raconter, pas
15:53 vraiment nécessairement de raconter une histoire, mais en fait qu'il y ait un univers, qu'il
15:57 y ait un propos global sur l'album.
15:58 Quand on s'est retrouvé enfermé avec Christophe, les musiciens, avec Francis Dreyfus, qui était
16:04 aux commandes en tant que maison de disques et éditeur, et impliqué aussi dans le résultat,
16:09 clairement un parolier, ça ne pouvait pas coller.
16:12 Et donc, je me suis collé moi-même à faire les textes en fonction du yaourt.
16:17 C'est un vrai défi d'arriver à coller des mots justement qui puissent ne pas sonner
16:25 avec la complexité de la langue française, mais qui puissent être un peu fluides et
16:30 justement sortir aussi de l'aspect narratif des chansons de l'époque, où on racontait
16:35 des petites histoires.
16:36 Et en fait, ce n'était pas du tout ça qui m'intéressait.
16:39 Et ce n'était pas ça l'ambition de l'album, que ce soit les Paradis perdus ou les Mots
16:42 bleus, mais plutôt d'essayer de faire sortir la personnalité de quelqu'un comme Christophe.
16:49 C'est une espèce en même temps de mélange entre le côté loser voyou italien et le côté
16:54 rebelle, la James Dean un peu.
16:56 Donc il y avait ce mélange-là.
16:57 Et c'est ça qui m'intéressait, d'exprimer sur le plan du propos et ensuite aussi sur
17:03 le plan sonore, que les syllabes, que la phonétique collent aux ambiances.
17:09 Et donc, c'est ça qui m'a fait que je me suis...
17:12 Et pour Patrick Givet, comme une chanson où sont les femmes, c'était effectivement
17:17 la même chose.
17:18 C'était cette espèce de côté un peu Bee Gees avec les voix hyper hautes.
17:22 Et donc là aussi, trouver des mots qui puissent coller à l'ambiance qu'on voulait en studio.
17:27 Alors justement, puisqu'on parle de ça, Air, qui sont vraiment des gens que j'aime énormément,
17:33 j'ai eu la chance de pouvoir, dans l'album Electronica que j'ai sorti il y a quelques
17:37 temps, de pouvoir collaborer avec eux.
17:40 Et je pense que c'est la dernière fois qu'ils se sont retrouvés en studio en tant que Air.
17:44 Et j'ai choisi Sexy Boy simplement comme une...
17:47 Parce que c'est leur tube, en fait.
17:50 Ils en ont fait plein, mais le premier tube, c'est toujours celui qui vous marque.
17:56 Et en fait, Sexy Boy représente bien aussi ce côté, ce qui définit la French Touch.
18:04 C'est-à-dire quelque chose qui est à la fois lié à une forme de poésie impressionniste,
18:10 qui n'est pas du tout la même chose que ce qui est le style berlinois ou anglais ou
18:16 anglo-saxon, avec cette espèce de côté impressionniste.
18:20 Cette poésie aussi, et en même temps, un côté très groovy, ce qui n'était pas nécessairement
18:26 le cas avant.
18:28 Sexy Boy, c'était leur premier gros tube, donc ça les a un peu caractérisés.
18:31 Tu penses que c'était quoi ton premier gros tube ?
18:34 C'est Oxygen.
18:35 On a toujours, dans une carrière, quand on a la chance de rencontrer le public, d'avoir
18:40 finalement un titre qui est votre premier titre.
18:42 Quoi que vous fassiez, vous serez toujours repéré par rapport à ça.
18:46 On peut faire après des morceaux, des films, des livres qui marchent peut-être même mieux
18:50 commercialement ou qui sont peut-être, de son point de vue ou du point de vue du public,
18:58 meilleur ou en tout cas tout à fait comparable.
19:02 Il y a cette espèce de côté qui est en même temps lié à une Madeleine de Proust par
19:05 rapport au public.
19:06 Donc ça ne se discute pas, ça.
19:08 C'est vrai pour les films, c'est vrai pour les réalisateurs, c'est vrai pour les musiciens,
19:12 pour les auteurs.
19:13 Et comment tu le vis ?
19:14 Il ne faut quand même pas se plaindre de rencontrer le public et en même temps considérer
19:19 aussi que ce soit les succès ou les échecs, c'est finalement des accidents.
19:25 Plus vite on le comprend, mieux on se porte.
19:27 C'est-à-dire que le trajet d'un artiste, c'est au milieu.
19:30 Et en fait, il y a effectivement des moments où il y a des moments de succès, des moments
19:35 d'échecs.
19:36 Et en fait, tout ça, ça fait partie de son trajet au fond.
19:40 Et plus vite on s'en rend compte, je pense que mieux on supporte ça.
19:44 Alors ça, autre pépite, Who's Next des Who.
19:50 Pete Hansen a une importance et j'ai eu la chance d'avoir pu travailler ensemble sur
19:56 l'album Electronica.
19:57 Je suis venu le voir avec trois maquettes et finalement il m'a dit on va faire les
20:03 trois, on va faire une sorte de mini rock électro.
20:06 Et en fait, le résultat faisait 18 minutes, ce qui par rapport à un album avec plein
20:10 de collaborations, ça aurait été un peu hyper trophier notre présence, notre collaboration.
20:15 Et donc j'ai sorti un seul extrait qui s'appelle "Travelator".
20:21 Et en fait, il y a encore deux extraits qu'on n'a jamais sortis, qu'on sortira sans doute
20:25 un jour.
20:26 Pourquoi je dis tout ça ? Et pourquoi je voulais qu'il soit dans cet album qui était lié
20:29 pour moi à tous les gens que j'aime et que je respecte dans la musique électronique
20:36 au fond, c'est que Pete Hansen avec The Who, c'est lui qui a introduit l'électronique
20:44 dans le rock avec des morceaux comme "Baby Riley", avec "Who's Next" où il a vraiment
20:53 défriché, il a travaillé à l'époque sur un modulaire qui était l'ARP 2500 et il
21:02 a trouvé, comme beaucoup de gens qui viennent de manière totalement fraîche avec un outil
21:10 qu'ils ne connaissaient pas, on a fait quelque chose d'inoubliable, notamment l'intro de
21:15 "Baby Riley" qui est un chef d'œuvre de séquence électronique et qui est hyper en
21:22 avance.
21:23 Et en plus, je dirais par rapport au Who, ils sont précurseurs dans plein de domaines.
21:26 C'est à la fois les premiers punks, c'est eux les premiers hard rockers, le hard rock,
21:30 le heavy metal, le mur de son, tout ça c'est The Who.
21:34 Il y a beaucoup de gens de mon époque qui étaient très ou Stones ou Beatles, moi j'étais
21:40 vraiment Who.
21:41 Ce qui était hallucinant, c'était de voir qu'en fait c'était quatre solistes sur scène.
21:48 Quatre solistes sur scène, ça ne marche pas en général.
21:49 Il faut qu'il y ait toujours un leader et les autres qui suivent.
21:52 Et là en fait, Keith Moon faisait des solos de batterie en permanence, il n'accompagnait
21:58 pas un chanteur, il faisait des solos de batterie.
22:01 Un whistle de bassiste faisait des solos de basse.
22:03 Daltrey hurlait dans tous les sens et quand Tapie était en scène, il faisait le rôle
22:06 de la guitare rythmique et lead en même temps.
22:10 Et donc, cette espèce de mur de son qui aurait dû être une cacophonie était quelque chose
22:16 d'extrêmement moderne et extrêmement nouveau.
22:20 Ce côté travail, encore une fois, travail sonore.
22:24 Ce qui m'intéresse, comme vous avez compris, dans la musique.
22:29 Oui, alors très bon client, ce film de Nicolas Wendig-Refn qu'on connaît beaucoup par rapport
22:36 à son premier film Drive, qui va aussi le marquer.
22:40 C'est une musique de Cliff Martinez, qui s'appelle "To All To Die Young".
22:43 Ça, c'est une série télé que je recommande à tout le monde.
22:48 C'est un chef d'œuvre.
22:50 On peut faire un arrêt sur image sur chaque plan et c'est un tableau.
22:55 C'est incroyable.
22:56 Et la musique aussi est au même niveau.
22:59 Cliff Martinez avec, d'une certaine manière, aussi Trench Reznor, dont on parlera peut-être
23:04 après avec Atticus Ross.
23:05 Mais Cliff Martinez a intégré dans la musique de film, moi, ce que j'attendais depuis longtemps.
23:09 C'est-à-dire le fait de l'oxymore, de la contradiction.
23:13 Quand il y a une scène extrêmement violente, c'est qu'on coupe le son, on coupe la rythmique
23:16 et on a une sorte de drone hyper cool qui crée, non pas une illustration, comme on
23:21 le voit tellement dans des tas de grosses prods à la Marvel, où c'est de l'illustration
23:28 sonore où plus on en met et plus on fait de bruit, mieux c'est.
23:31 Là, c'est exactement l'inverse.
23:33 C'est-à-dire, finalement, dans des scènes qui peuvent être extrêmement brutales ou
23:38 violentes, c'est de faire l'inverse.
23:40 Et ça crée un choc et ça crée une distance qui est absolument superbe.
23:45 Est-ce que c'est déjà ce que tu recherchais sur tes bandes son, comme "Les Grands Jeux
23:50 de Broly" à l'époque ?
23:51 Oui, oui.
23:52 Moi, en fait, j'ai refusé beaucoup de musique de film dans ma vie parce que mon père, Maurice
23:57 Jarre, est un très grand compositeur de musique de film.
24:00 Il a eu trois Oscars.
24:01 Et en fait, je l'ai très peu connu parce qu'il est parti quand j'avais cinq ans.
24:06 Et en fait, on s'est très peu vus.
24:08 Mais après, quand j'ai commencé à faire des albums et à faire des concerts, je me
24:12 suis dit finalement, la musique de film, c'est un peu le territoire du père, de ce père
24:15 que je n'ai pas vraiment connu.
24:16 Et donc, j'ai refusé beaucoup de musique de film, ce que je ne regrette pas.
24:22 Mais je pense qu'avant tout, pour moi en tout cas, aujourd'hui toujours, la musique
24:26 de film, ça doit être une rencontre avec un réalisateur.
24:31 C'est une histoire d'amour, de complicité, c'est-à-dire Sergio Leone avec "New Moriconé"
24:37 ou David Fincher avec "13 Nord" avec "Attic Users" aujourd'hui.
24:40 C'est un très bon exemple.
24:41 Ce que mon père a pu faire avec David Lean, qui a fait "Dr.
24:44 Givago", "Laurence d'Arabie", "Passage to India".
24:48 Ce sont vraiment des histoires de complicité avec un réalisateur et je ne l'ai pas encore
24:55 trouvé.
24:56 Alain Bashoum, voilà.
24:57 Alors, pourquoi j'ai choisi cet album ? C'est qu'en fait, il a fait une version des "Mots
25:01 bleus", donc une chanson que j'ai faite avec Christophe.
25:03 Et en fait, je crois que je préfère sa version à la version qu'on a faite.
25:08 Je trouve que la version est incroyable.
25:10 C'est-à-dire qu'il a évacué toute la partie rythmique pour avoir cet espèce de
25:14 côté un peu symphonique.
25:16 Et puis, encore une fois, pourquoi moi, Alain Bashoum me touche, comme Christophe d'ailleurs,
25:21 encore une fois, ce sont des gens qui flirtent avec la mélodie, qui s'échappent en permanence
25:25 du thème.
25:26 Et en fait, dans la version des "Mots bleus" qu'il a faite, on s'aperçoit que c'est
25:31 quelqu'un qui, en fait, comme dans le jazz, prend la mélodie et surtout, il s'en échappe
25:36 le plus vite possible.
25:37 Pour arriver à créer son propre chemin.
25:40 Et c'est ça qui est touchant dans cette version-là en particulier.
25:42 Alors AC/DC, j'ai choisi AC/DC parce que c'est sans doute dans le rock, les gens
25:50 qui, et Angus en particulier, qui maîtrisent le plus la manière d'enregistrer les sons
25:59 de guitare et de drums, de batterie.
26:02 Angus Young, c'est un mec qui, avec sa guitare, il a des câbles en or qui font 60 cm et il
26:10 joue contre la console, en direct, pour essayer de garder le maximum de dynamique de son instrument.
26:16 C'est des fêlés du son et en fait, quand on écoute, dès les premiers albums jusqu'au
26:22 dernier, les derniers, j'encourage vraiment à les écouter ou à les découvrir ou à
26:26 les réécouter en pensant à ça, parce que le son est absolument incroyable.
26:31 Et encore une fois, on voit à quel point dans la musique occidentale, en tout cas de
26:39 ces 50-60 dernières années, le son est au centre du jeu.
26:45 Et c'est pour ça qu'on a commencé toute cette conversation avec Pierre Schaeffer,
26:51 parce que cette intégration des effets sonores, de sound effects dans tous les styles musicaux,
26:56 ça vient d'ici.
26:57 Et c'est pour ça que c'est important.
26:58 Ça vient même de cet endroit, c'est-à-dire le service public Radio France, qui en fait
27:05 a toujours été des fricheurs en matière de son.
27:08 C'est le service public à qui on doit le binaural, le multicanal, au fond, tout ce
27:16 qui a fait les musiques immersives.
27:18 On aura l'occasion d'en reparler, mais les modes d'enregistrement en mono et en stéréo,
27:23 tout ça, ça vient du service public.
27:25 Ça vient beaucoup de la France.
27:27 Encore une fois, toute la musique mondiale, occidentale en tout cas, et au-delà aujourd'hui,
27:34 puisque la musique actuelle, c'est un peu partout, on doit beaucoup au défrichage
27:41 français.
27:42 Et donc, cette espèce de passion du son que beaucoup de gens du rock, comme de Pink Floyd
27:47 à AC/DC, finalement, ce sont des gens qui sont obsédés par la matière sonore.
27:52 Alors, qu'avons-nous ici ? Dans les choix, évidemment, Sébastien Tellier.
27:59 J'ai choisi Sébastien Tellier, le morceau "Rush", qui est dans l'album "Sexuality".
28:07 "Rush", c'est vraiment un petit chef-d'œuvre, même un chef-d'œuvre tout court.
28:12 C'est rare d'avoir dans un morceau de trois minutes, ou trois ou quatre minutes, quelque
28:19 chose qui exprime une idée de manière aussi parfaite.
28:24 "Rush", c'est probablement la chanson, une des chansons les plus sensuelles qui
28:28 ait jamais été faite.
28:29 Ça transpire, cette chanson.
28:30 Et c'est quelqu'un qui a une énorme faculté, Sébastien, à justement transcender une technique,
28:42 transcender un style, pour arriver à produire des sensations.
28:47 Pas des émotions, mais des sensations.
28:49 Et "Rush", c'est vraiment un album, c'est vraiment une chanson de cul.
28:53 Vraiment, c'est ça.
28:54 C'est-à-dire que c'est...
28:55 Bon, Gainsbourg était pas loin, mais je pense qu'avec "Rush", il a fait mieux encore, lui.
29:01 Ah, voilà.
29:03 Alors ça, c'est Laurie Anderson, c'est quelqu'un qui est, encore une fois, une artiste absolument
29:11 unique, qui est d'ailleurs tellement complète que je pense que même son œuvre visuelle,
29:15 graphique, dans l'art contemporain, est presque encore plus importante que ce qu'elle a fait
29:18 dans la musique.
29:19 Les gens le savent, mais elle n'est pas reconnue, parce que finalement, on aime...
29:22 Vous collez des étiquettes, c'est vrai aussi bien des deux côtés de l'océan.
29:26 C'est quelqu'un qui est une très grande artiste, en tant qu'artiste visuel, encore, dans le
29:33 monde de l'art contemporain.
29:34 Et en même temps, dans la musique, c'est une défricheuse complète.
29:40 C'est vraiment, à la fois, metteur en scène, écrivain, violoniste, chercheuse de son.
29:48 Et encore une fois, évidemment, on peut tout prendre chez elle.
29:52 Bon, là, effectivement, "Superman", c'est ce que beaucoup de gens connaissent.
29:56 Donc, ceux qui ne connaissent pas, ils se précipitent, parce que c'est un morceau qui
29:59 est culte.
30:00 C'est un morceau culte qui a tellement, finalement, changé les choses sur le plan de l'électro.
30:07 C'est-à-dire d'avoir une voix au vocodeur, comme ça, avec juste un arrangement très
30:13 minimaliste.
30:14 C'est la mère et le père, je dirais, parce qu'en même temps, elle a toujours adoré
30:20 se mettre des moustaches sur scène et aussi avoir une voix au vocodeur avec ce qu'on appelle
30:26 un octaveur, c'est-à-dire en mettant un octave en dessous.
30:29 C'est-à-dire que, souvent, elle prend une voix d'homme au vocodeur.
30:31 Donc, il y a ce côté, et puis cet humour, ce côté, en même temps, surréaliste.
30:37 Très, très grande artiste, mime aussi sur scène.
30:40 C'est des performances fantastiques.
30:42 J'ai eu la chance, vraiment, de collaborer plusieurs fois avec elle, que ce soit pour
30:46 l'album Zoolook, où je me souviens qu'elle est rentrée avec sa grosse moto dans un studio
30:49 à New York où j'enregistrais.
30:50 Elle arrive, et c'est la première fois que je la voyais, toute petite, avec une moto
30:54 qui était quatre fois plus grosse qu'elle.
30:55 Et comme elle avait peur de se faire piquer, elle a rentré la moto dans le studio.
30:59 Et puis, Zoolook était basé, cet album était basé sur le fait de faire un album vocal,
31:04 mais sans mots, c'est-à-dire uniquement avec des phonèmes, pour le côté phonétique,
31:10 c'est-à-dire d'utiliser la voix comme un instrument, comme une matière sonore, et
31:14 pas pour raconter une histoire.
31:16 Et donc, je lui ai raconté ça, alors c'était tout à fait son, c'était tout à fait sa
31:20 cam.
31:21 Et donc, on a passé comme ça plusieurs nuits à inventer, finalement, un langage.
31:27 Et il y avait un film qui est sorti il y a quelques années qui s'appelle La Guerre
31:32 du Feu.
31:33 Et en fait, j'ai été très frappé sur le fait que le scénariste, c'était Anthony
31:37 Burgess, celui qui a écrit Orange Mécanique, et qu'en fait, on lui avait demandé, c'était
31:42 Jean-Jacques Hannault, le réalisateur français, lui avait demandé de faire les dialogues
31:46 de La Guerre du Feu.
31:47 En fait, il n'y avait pas de mots, à cette époque-là, c'était que des grognements,
31:51 etc.
31:52 Et en fait, il avait travaillé sur le fait d'établir une sorte de langage, mais qui
31:56 soit pas une langue.
31:58 Et donc, on est parti de cette idée-là, et ça a donné une grande partie de l'album,
32:02 Zoulouk.
32:03 Et puis on a retravaillé ensemble après.
32:05 Elle était le MC pour le concert que j'ai donné au Pyramide pour le passage en l'an
32:10 2000, où elle était MC dans une sorte d'écran en forme de miroir.
32:16 Et en fait, c'était elle qui faisait le master of cérémonie.
32:20 Puis on a travaillé une troisième fois ensemble pour l'album Electronica, où on a fait un
32:24 morceau qui s'appelle "Rely on me", qui est l'idée d'une histoire, une relation, une
32:33 sorte d'histoire d'amour avec une intelligence artificielle et un mec ou une fille.
32:38 Donc voilà.
32:39 Donc, Big Science, Big Laurie.
32:44 Alors, autre chef-d'œuvre.
32:50 Alors, David Bowie, il y a quand même très peu de choses à jeter dans son parcours.
32:54 Et pourquoi j'ai pris cet album qui est le "Outside", c'est que là-dedans, il a inventé
33:02 une chose.
33:03 Il a inventé pas mal de choses, une sorte de Picasso du rock, David Bowie.
33:08 Mais il a inventé le mur sonore.
33:11 C'est-à-dire que ce qu'on entend beaucoup dans le métal, dans le heavy metal, c'est
33:16 aujourd'hui, c'est en fait l'idée de cette espèce de mur de son qu'on t'envoie dans
33:25 le live comme ça.
33:26 Et en fait, ça, ça vient aussi du guitariste avec qui il travaille, qui est Riff Gabrels,
33:32 qui est un mec qui a vraiment changé les choses pour moi sur le plan de la guitare.
33:38 C'est-à-dire qu'il arrive avec son instrument à projeter juste une sorte de mur sonore
33:44 qui a été retrouvé, qu'on retrouve beaucoup dans le métal, mais aussi dans certains groupes,
33:47 par exemple, comme Fogbottons, qui a aussi ce côté qui est d'ailleurs peut-être très
33:55 anglais.
33:56 Ils s'y connaissent en mur de briques, donc ils sont capables de le produire sur scène.
34:00 Ça, c'est plutôt bien.
34:01 Et puis, en même temps, il y a tout ce côté "I'm deranged" qui a été énormément
34:08 repris en synchro, notamment dans "Seven", par exemple.
34:10 Et c'est dans beaucoup de films, David Fincher, David Lynch, cette espèce de côté en même
34:20 temps dérangé, sombre et qui préfigurait son dernier album, "Black Star" aussi.
34:26 Il y a beaucoup de liens entre les deux, même si "Black Star" est plus jazz, celui-là
34:31 est en fait un son qui est de la matière, c'est de la matière sonore pure.
34:37 Chef d'œuvre.
34:38 Alors, Billie Eilish, encore un trip sonore qui m'a fait halluciner quand j'ai entendu
34:44 le premier album, c'est-à-dire quelque chose qui est fait dans sa chambre, pratiquement
34:50 avec son frère, avec très, très peu de moyens.
34:52 Et comme on le voit, c'est encore une célébration des limites, de la limite des limitations.
35:00 C'est-à-dire qu'en fait, on s'aperçoit que dans n'importe quelle forme de création,
35:05 ce qui est hyper important, c'est d'avoir des limites.
35:07 Et en fait, le danger, c'est qu'aujourd'hui, la technologie te fait croire qu'il n'y
35:11 a pas de limites parce qu'un logiciel a réponse à tout.
35:14 Et en fait, on devient des archivistes technos et on ne se challenge plus.
35:20 Finalement, qu'est-ce qui fait que ton album ou ta musique va être spécifique ? C'est
35:26 toi.
35:27 La technologie, elle est neutre.
35:29 Comme je le disais tout à l'heure, il y a douze notes dans la musique, la musique
35:32 occidentale, et en fait, il y a des millions de morceaux qui ont été faits.
35:36 Et ce qui fait la différence, c'est le fait que tu pries par tes propres limites et que
35:41 plus tu vas les explorer, plus tu vas être spécial, plus tu vas être différent.
35:45 Et Billie Eilish, ce qui est absolument incroyable, c'est qu'on entend 30 secondes de Billie
35:50 Eilish, on sait que c'est elle et personne d'autre.
35:51 Comme il y a à peu près, je crois, 100 000 morceaux qui sortent par jour dans le monde,
35:55 mais quand on prend Bad Guy, mais tout l'album, en fait, il n'y a rien.
35:59 C'est que de la prod.
36:00 C'est que c'est très, c'est l'apologie du vide, c'est à dire qu'il y a la voix
36:04 et puis quelques sons et c'est complètement habité.
36:07 Il y a très, très peu de gens qui savent gérer l'espace dans la musique.
36:12 Un autre groupe, c'est Massive Attack.
36:14 Moi, j'ai travaillé avec Massive Attack.
36:15 On a collaboré toujours pour Electronica et je lui disais moi, ce que je trouve super,
36:20 que je suis incapable de faire, c'est justement cette espèce d'arriver à créer de l'espace
36:24 entre les entre les éléments musicaux.
36:27 Bon, très gentiment, lui, m'a, Del Nadja, Robert Del Nadja, Robert me dit, non, moi,
36:34 je n'arrive pas non plus à faire ce que tu fais, c'est à dire à remplir, à remplir
36:37 en mettant énormément d'informations.
36:39 Au même moment, c'est quelque chose que je n'arrive pas à faire.
36:41 Donc, en fait, finalement, on est on est tous.
36:43 Pourquoi je dis ça?
36:44 C'est qu'on est tous à la fois prisonniers de son style, mais en même temps, c'est
36:47 ça qui fait qu'il le fait, ce style.
36:50 Et Billie Eilish, c'est ça, c'est à dire qu'en fait, elle est partie de rien, pratiquement
36:56 rien avec son frère pour créer un tout.
36:58 Voilà, alors j'oserais dire que j'ai peut être gardé le meilleur pour la fin.
37:05 C'est de toute façon certainement un des meilleurs albums jamais fait.
37:09 Et pour moi, c'est dans cet album, tout est bon.
37:13 Mais il y a un morceau qui s'appelle Will O' The Wisp qui, pour moi, résume ce que
37:20 pour moi est FIP.
37:21 Will O' The Wisp en français, il faut dire que c'est ça veut dire Feu Follet, c'est
37:25 à dire au fond une présence à la fois vivace, insaisissable.
37:29 Et c'est ce qu'est FIP, c'est à la fois une présence vivace et insaisissable, c'est
37:32 à dire le fait de nettre jamais là où on l'attend.
37:37 C'est l'anti playlist par définition, c'est l'anti Spotify.
37:39 Et en fait, ce morceau, pourquoi il résume bien, indépendamment de son titre, il résume
37:44 bien FIP, c'est que c'est un album et ce morceau en particulier, mais tout l'album
37:52 qui résume cette espèce d'éclectisme qui fait l'ADN de FIP, c'est à la fois un album
37:57 exotique parce que c'est un hommage à toute la culture latine, latino, espagnole.
38:02 En même temps, c'est un album totalement intemporel, c'est à dire que c'est une source
38:08 d'inspiration pour le hip hop d'aujourd'hui, évidemment.
38:10 Et en même temps, c'est un pont avec la musique classique, c'est à dire que par exemple,
38:13 ce Will O' The Wisp, c'est un morceau qui est tiré d'une oeuvre classique, d'un
38:22 manuel d'Ephalla qui s'appelle L'Amour Sorcier.
38:24 Ce morceau et cet album, pour moi, résument ce qu'est FIP, c'est à dire le fait d'être
38:28 out of the box, d'être surprenant, de faire des ponts constants entre classique, actuel
38:34 ou demain matin, hier et le jazz, le rock et finalement de faire la bande son, non pas
38:45 de votre quotidien, mais une sorte de bande son éternelle.
38:48 Je suis ravi que notre ami Rudy soit à la tête de FIP qui peut arriver à la fois à
38:56 conserver son ADN, je ne sais pas comment il fait, et en même temps à le rendre totalement
39:01 pertinent de manière contemporaine aujourd'hui.
39:05 Voilà.
39:06 C'est fini pour aujourd'hui.
39:12 Merci.
39:13 Au revoir.
39:13 [SILENCE]