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Isabelle Sorente consacre sa chronique au livre de Kaouther Adimi : Au vent mauvais, paru aux Editions Seuil.

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Transcription
00:00 On va pouvoir tout de suite se plonger dans le corps du roman avec Isabelle Sorente.
00:04 "Je pourrais vivre dans cet endroit sans jamais en sortir", se dit Tarek.
00:08 "Le temps n'est pas seulement suspendu, toutes les émotions le sont aussi.
00:12 Leila, les enfants, la maison d'Al-Sara, leur éclat a pâli.
00:16 Il me manque, mais leurs souvenirs restent en bordure de la villa du cardinal,
00:20 comme s'ils ne pouvaient pas y pénétrer, comme si, ici, j'étais à l'abri de tout, même des gens que j'aime."
00:26 C'est l'un des monologues intérieurs de Tarek, le héros de votre roman, "Kautar Adhimi".
00:32 Ce passage se déroule à Rome, dans la somptueuse et inquiétante villa du cardinal,
00:37 où Tarek, qui a déjà connu deux guerres, se réfugie pour un temps comme suspendu hors du monde.
00:43 Son travail est de garder la maison du cardinal et ses statues.
00:46 Et ce lieu, empli d'art et de murmures, a bien des ressemblances avec la littérature.
00:52 A la fois hors du monde et permettant à ceux qui l'habitent de porter sur le monde un regard poétique et décalé.
00:58 Le palais du cardinal est un lieu où il ne faut pas rester trop longtemps,
01:02 de peur de perdre l'habitude de parler, de communiquer avec ses semblables.
01:06 Il est ce lieu de silence somptueux, pétrifiant, à l'écart du monde,
01:10 ce silence qui est peut-être à l'origine de toute œuvre d'art et de tout livre.
01:14 Je crois que ce n'est pas un hasard si Tarek s'y arrête, justement, au milieu du roman.
01:19 C'est le moment où le vent mauvais cesse un instant de souffler,
01:22 et où Tarek, le berger, dévoile son âme de poète dans de somptueux monologues intérieurs,
01:28 dont rien ne transparait pourtant dans les télégrammes lapidaires qu'il envoie à sa famille.
01:31 Vébien, mandat, suit.
01:34 Le roman, on l'a dit, s'ouvre sur l'enfance de Tarek et celle de Saïd, son frère de lait,
01:38 quelques années avant la Deuxième Guerre mondiale.
01:40 Les deux garçons grandissent dans le même village et tous deux sont secrètement amoureux de leur voisine, Leïla.
01:46 Saïd, il est issu d'une famille aisée, il va partir étudier à Tunis, il deviendra écrivain,
01:51 tandis que Tarek épousera Leïla et deviendra berger,
01:54 avant de combattre contre l'armée allemande, puis de mener une vie aventureuse par nécessité.
01:59 Il est complètement fascinant, Tarek, le héros silencieux dont la vie intérieure est aussi vaste
02:04 que les territoires qu'il parcourt, balotté par le vent de l'histoire.
02:07 Tarek, participant au tournage de la bataille d'Alger pour nourrir sa famille,
02:11 se liant d'amitié avec le réalisateur Ponte Corvo, rencontrant les Black Panthers,
02:16 faisant l'expérience éprouvante des foyers Sonacotra en France avant de trouver, grâce à Ponte Corvo,
02:20 ce travail de gardien d'un palais romain.
02:23 Mais cette pause dans la vie de Tarek ne dure qu'un temps.
02:25 Bientôt, des télégrammes pressants venus de sa famille le rappellent en Algérie.
02:29 Que s'est-il passé ? Un roman a été publié, signé par Saïd,
02:33 décrivant Tarek comme un berger un peu rustre, décrivant Leïla et le corps de Leïla,
02:38 avec un tel luxe de détails que ça commence à jaser.
02:41 Ça jase même méchamment au village.
02:44 Pour Leïla et ses filles, la situation devient intenable.
02:47 La famille va donc quitter Elzara pour Alger, dans la dernière partie du roman qui, elle, est racontée par Leïla.
02:53 Leïla dit la douleur d'avoir été transformée en personnage, d'avoir été dépouillée de son identité,
02:58 de ne plus pouvoir même supporter son propre prénom.
03:01 C'est toute l'ambivalence de la littérature, refluche contre la tempête du monde,
03:05 mais aussi acte de pétrification, transformant les êtres vivants en personnages.
03:10 C'est toute sa puissance et ses dangers que vous chantez dans ce roman, Kauter Alimi,
03:14 à travers sept décennies de l'histoire algérienne. Et que c'est beau !
03:18 Isabelle Sorrente, merci beaucoup Isabelle.
03:22 Je rappelle qu'on peut podcaster aussi vos fiches de lecture.
03:27 « Au vent mauvais » est paru au Seuil, il est paru à la rentrée littéraire en septembre,
03:31 donc il continue sa vie, soit bonhomme de chemin, c'est signe de qualité, mais bien sûr.

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