Le One Forest Summit se tient aujourd'hui et demain à Libreville au Gabon. Sabrina Krief, professeure au Museum d'Histoire naturelle, vétérinaire, spécialiste des grands singes et Gilles Kleitz, directeur exécutif de l'Agence française du Développement, sont les invités du 7h50 pour en parler. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50/l-invite-de-7h50-du-mercredi-01-mars-2023-3724780
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00:00 deux invités avec nous ce matin pour parler des enjeux du sommet consacré à la protection
00:04 des forêts tropicales qui s'ouvrent aujourd'hui à Libreville, au Gabon, le One Forest Summit.
00:11 Ces forêts qui sont aujourd'hui menacées partout dans le monde, même si des solutions
00:14 existent et qu'il y a aussi de bonnes nouvelles dans la lutte pour leur préservation.
00:19 Bonjour Sabrina Krief.
00:20 Bonjour.
00:21 Vous êtes professeure au Muséum d'Histoire Naturelle, vétérinaire et écologue.
00:25 Vous êtes spécialiste des grands singes que vous étudiez dans ces forêts d'Afrique.
00:30 A vos côtés, et également en direct du Gabon, j'accueille Gilles Kletz.
00:34 Bonjour à vous.
00:35 Bonjour.
00:36 Vous êtes directeur exécutif de l'Agence Française de Développement, l'AFD, institution
00:41 publique qui finance des projets de développement durable, notamment en Afrique.
00:46 Sabrina Krief, ce sommet qui s'ouvre aujourd'hui porte spécifiquement sur les forêts tropicales.
00:51 Pour quelles raisons et pourquoi sont-elles aussi importantes pour l'avenir de la planète?
00:55 Aujourd'hui, en fait, on est face à deux crises.
00:58 La crise climatique et celle de la biodiversité.
01:00 Les forêts représentent un endroit où les sources de biodiversité sont vraiment très
01:05 importantes.
01:06 Un million d'espèces sont menacées aujourd'hui sur la planète et cet écosystème particulier
01:12 qu'est les forêts tropicales compte 50 à 60% des espèces de vertébrés terrestres
01:18 et des espèces d'arbres.
01:20 Donc, protéger les forêts, c'est un enjeu majeur et une solution pour tenter de freiner
01:26 l'érosion de la biodiversité.
01:28 Donc, on est réuni aujourd'hui pour scientifiquement et avec les experts des filières durables
01:33 et les sources de financement, essayer de mettre en œuvre maintenant des solutions
01:39 rapidement.
01:40 Un million d'espèces menacées, c'est gigantesque.
01:43 On a, je pense, du mal à se rendre compte.
01:45 Vous, vous étudiez plus particulièrement les chimpanzés qui vivent dans ces forêts
01:50 du bassin du Congo.
01:51 Quelles conséquences a pour eux cette déforestation et l'apparition notamment de nouvelles cultures ?
01:55 Je pense par exemple à la culture du thé.
01:57 Alors, les conséquences sont énormes.
02:00 On a cohabité, vécu et coévolué avec les grands singes depuis 6 millions d'années
02:06 et en 50 ans, 70% des grands singes ont disparu de notre planète.
02:11 La première cause de déforestation en Afrique tropicale, c'est l'agriculture intensive.
02:19 Et donc aujourd'hui, effectivement, les chimpanzés que j'étudie dans le nord du parc de Kibale
02:24 en Ouganda se trouvent confrontés à des zones de théiculture intensive avec non seulement
02:33 leurs forêts, leur habitat qui disparaît, mais également des sources de pollution
02:36 intenses.
02:37 On a 30% des chimpanzés qu'on suit qui sont mal formés, aussi du braconnage avec des
02:44 membrans moins, à cause des collets qui sont piégés.
02:46 Et l'origine de ces malformations semble vraiment être associée à la pollution environnementale
02:53 intense due au thé, au néonicotinoïde qui enrobe le maïs qu'il vient de consommer,
02:59 etc.
03:00 Gilles Kletz, on sait à quel point ces forêts, et Sabrina Krief nous l'explique, sont importantes
03:04 pour la biodiversité, pour absorber du carbone aussi, pour lutter contre le réchauffement
03:07 climatique.
03:08 Et pourtant, la déforestation se poursuit.
03:10 Pour quelle raison ?
03:11 Vous avez des croissances agricoles, vous avez de l'exploitation non durable, vous
03:17 avez des défaillances réglementaires, vous avez des pays qui importent sans faire attention
03:22 à la préservation des forêts, du commerce non durable.
03:27 Et donc finalement, ce qu'on essaye de faire à Libreville, c'est d'appréhender un petit
03:32 peu tous ces problèmes de façon très concrète, avec une très forte mobilisation politique
03:37 qui a démarré la COP 27, où on s'est dit qu'il faut absolument faire des contrats
03:42 entre les pays forestiers, qui doivent être leaders dans la protection, la prise en main
03:46 de leur patrimoine, et puis les bailleurs.
03:48 Et la France, là-dedans, prend ses responsabilités.
03:51 On est finalement, historiquement, un grand pays forestier aussi, avec plusieurs siècles
03:56 d'histoire forestière, mais également la Guyane française.
04:00 Et puis, par exemple, la France, à travers l'Agence française de développement, investit
04:07 1,5 milliard depuis 10 ans dans les forêts tropicales, avec des parcs nationaux, de la
04:12 certification, du renforcement des ministères et des équivalents nationaux de l'Office
04:17 national des forêts, mais également de l'appui aux exploitations forestières, pour qu'elles
04:23 soient durables et qu'elles ne prélèvent que ce qu'il faut.
04:26 Des forêts communautaires aussi, très importants.
04:31 Donc on finance tous ces aspects très concrets.
04:34 Et à Libreville, ce qu'on va essayer de faire, c'est vraiment d'impulser une vraie
04:40 dynamique politique de ce dialogue entre les pays leaders forestiers, comme le Gabon
04:45 et d'autres, et puis les bailleurs qui sont à leur côté pour construire des politiques
04:49 forestières solides, pour qu'on ait de la forêt dans 50 ans, dans 100 ans, avec les
04:53 chimpanzés, les éléphants, et puis surtout les habitants, puisque c'est des territoires
04:57 qui sont évidemment habités.
04:58 L'argent, justement, de la déforestation, la vente de bois ou les nouvelles cultures
05:02 qui sont mises en place, c'est une clé de cet argent, il va vraiment aux populations
05:05 locales ?
05:06 Non, c'est un problème, effectivement.
05:08 Que ce soit à travers la déforestation pure et simple, illégale, non contrôlée, qui
05:19 profite souvent à des entreprises qui sont soit au niveau national, soit international,
05:25 ou que ce soit au niveau REDD+ donc ce mécanisme de financement de la déforestation,
05:32 pour éviter, on a eu aussi du mal à faire venir l'argent issu de ces espèces de crédits
05:38 carbone jusqu'aux communautés.
05:40 Donc on est là précisément pour regarder cela et examiner non seulement des nouvelles
05:47 sources de financement, mais des sources de financement qui arrivent réellement sur les
05:51 territoires, au profit des communautés, des villageois et aussi des gouvernements locaux,
05:56 qui s'occupent de leurs forêts et qui sont finalement, avec les peuples autochtones aussi,
06:01 les responsables de l'avenir des forêts.
06:02 Sabrina Krief, il y a aussi des succès dans cette lutte engagée contre la déforestation.
06:06 Le Gabon qui accueille ce sommet met en avant son modèle.
06:09 L'Indonésie a réussi à faire tomber son taux de disparition des forêts à son plus
06:13 bas niveau depuis 20 ans.
06:15 Il y a des régions du monde où ça fonctionne.
06:16 Et pourquoi ?
06:17 Il y a deux aspects.
06:20 Certains pays ont déjà tellement déforesté que oui, forcément la déforestation n'a
06:25 plus lieu.
06:26 Si on prend l'exemple de l'Indonésie, il y a quand même une grande partie des forêts
06:30 qui ont été coupées pour être remplacées par de la monoculture de palmiers à huile.
06:33 Donc forcément, aujourd'hui, on a des taux de déforestation qui sont bas.
06:36 Ensuite, effectivement, il y a des modèles qui fonctionnent dans le sens de ce que Gilles
06:41 expliquait tout à l'heure.
06:42 Il y a par exemple des modèles où le cœur des aires protégées est strictement protégée
06:48 et valorisée, avec autour des zones tampons où des activités traditionnelles sont autorisées,
06:54 celles qui ne contribuent pas à la déforestation.
06:56 Ce qui est important aujourd'hui, c'est qu'on est rassemblés entre scientifiques
07:00 aussi, y compris des scientifiques occidentaux, mais surtout des scientifiques africains,
07:07 pour réfléchir à mettre en place des protocoles harmonisés.
07:10 Donc tous ensemble, on se met sur la table et on essaye d'avoir un changement d'échelle.
07:14 C'est-à-dire que chacun des projets de recherche ne fasse pas ses travaux dans son coin, que
07:20 les concessions ne travaillent pas seules à faire des inventaires de biodiversité.
07:24 Et là, notre souhait est qu'on arrive à à la fois, depuis la canopée jusqu'au
07:30 sous-sol et jusqu'au sol des forêts, de faire des inventaires qui soient vraiment
07:37 harmonisés et qui nous donnent une idée de l'état des forêts actuelles et de pouvoir
07:41 faire le suivi.
07:42 Donc le suivi par voie aérienne ou le suivi par méthode non invasive, par exemple avec
07:49 des caméras trap ou de la bio-acoustique, pour avoir l'état des forêts des espèces
07:54 emblématiques comme les grands singes ou les éléphants, mais aussi de la biodiversité
07:58 ordinaire.
07:59 Et donc, nos rôles à nous en tant que chercheurs, c'est vraiment de travailler main dans la
08:05 main et on est à cette étape-là.
08:07 C'est-à-dire que les engagements politiques ont été pris.
08:09 Arrêter la déforestation d'ici 2030, ça c'est l'engagement de Glasgow.
08:14 Mais maintenant, il faut réussir à mettre ça en œuvre.
08:17 On a les constats.
08:18 Donc voilà.
08:19 Et aujourd'hui, c'est une étape importante pour ça.
08:22 Et c'est tout l'enjeu de ce sommet.
08:24 NICOLAS : Merci à vous Sabrina Krièf, professeure au Muséum d'Histoire Naturelle.
08:27 Merci également à Gilles Kletz, directeur exécutif de l'Agence Française de Développement.
08:31 Je remercie également Fabien Gosset à Libreville pour les moyens techniques.