Nouvelle journée décisive pour la mobilisation contre la réforme des retraites. Une étape de plus dans le bras de fer entre les syndicats et le gouvernement. Que dit ce conflit social de l’état de notre démocratie ? Débat avec Pierre Rosanvallon, historien, professeur émérite au Collège de France. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-grand-face-a-face/le-grand-face-a-face-du-samedi-11-fevrier-2023-7650339
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00:00 Le Grand Face à Face, toujours en direct ce samedi jusqu'à 13h, nouvelle journée
00:03 décisive pour la mobilisation contre la réforme des retraites.
00:07 Une étape de plus dans le bras de fer entre les syndicats et le gouvernement.
00:11 A Paris, dans de nombreuses villes, les cortèges doivent partir maintenant dans moins d'une
00:16 demi-heure.
00:17 Dépasser le million de manifestants, ça serait un beau succès, estimait le secrétaire
00:23 général de la CFDT, Laurent Berger, ce matin.
00:26 L'intersyndical annonçait aujourd'hui que les syndicats étaient prêts, je cite,
00:30 à mettre la France à l'arrêt le 7 mars prochain.
00:33 Une nouvelle journée d'action est également prévue pour le 16 février.
00:37 Le pouvoir est face à la rue.
00:40 Bonjour Pierre-Rose Envallon.
00:41 Bonjour.
00:42 Et bienvenue historien, sociologue, ancien professeur au Collège de France.
00:45 On vous donne des ouvrages majeurs sur la vie démocratique et sur l'état de notre
00:51 société.
00:52 On va ouvrir le dialogue avec Gilles et Natacha.
00:54 Quatrième journée de mobilisation, moment important pour vous ou pas ?
00:58 Je pense que nous sommes à un double tournant dans notre société.
01:03 Nous sommes à la fois à un tournant démocratique, parce qu'on voit que les questions de la
01:08 représentation, de la légitimité, de ce que veulent dire des formes de démocratie
01:12 directe par rapport à des formes de démocratie représentative sont posées de façon insistante
01:18 et urgente.
01:19 Et on va en parler.
01:20 Et on va en parler, bien sûr.
01:21 Et de l'autre côté, nous vivons aussi, je pense, un tournant de la question sociale.
01:26 Un tournant de la question sociale qu'il faut interroger du double point de vue, peut-être
01:31 de ce qu'on pourrait appeler un retour des syndicats.
01:33 Et aussi des termes dans lesquels se pose et peut se gérer cette question sociale.
01:40 Donc, indépendamment même de l'événement immédiat, celui des manifestations d'aujourd'hui
01:45 et de l'an...
01:46 Mais qu'on va essayer d'analyser à chaud.
01:47 Qu'on va essayer d'analyser, il faut bien les resituer dans ce double moment.
01:52 Et ce double moment, je pense qu'il a une dimension historique, profonde, qui va rester
01:59 un point marquant de notre histoire politique et sociale.
02:02 C'est le retour du conflit social classique, j'allais dire le conflit social à la française,
02:08 organisé par des syndicats depuis 2019.
02:10 Ça ne s'était pas produit, en tout cas pas avec cette ampleur.
02:14 Ce gilet jaune et ce mouvement que personne n'avait vu venir, avait bousculé tous les
02:19 repères, toutes les certitudes.
02:21 Là, on retrouve les fondamentaux ?
02:23 Alors, on retrouve les fondamentaux classiques.
02:25 Si on regarde par exemple à Paris, les défilés qui vont de la République à la Bastille.
02:30 A la Nation.
02:31 De la République à la Nation.
02:32 C'est des grands classiques.
02:33 Mais derrière ce retour, je dirais, classique des défilés dans la rue, il y a des grands
02:38 changements.
02:39 Le premier grand changement, c'est que dans la rue, il n'y a plus simplement une majorité
02:44 d'employés des services publics, ce qui a longtemps été le cas.
02:47 Regardez, dans ce grand moment, il y a 30 ans pratiquement maintenant, des grandes manifestations
02:53 de l'hiver 1995, il y a eu 5 millions de journées de grève.
02:59 Et sur ces 5 millions...
03:00 5 millions de non, 5 millions de manifestants.
03:02 De jours, non.
03:03 5 millions de journées de grève.
03:05 On appelle de jours perdus.
03:06 Enfin, on peut dire que c'est gagné du point de vue des syndicats.
03:09 De jours pas travaillés.
03:10 Voilà, de jours non travaillés.
03:11 5 millions, mais il y en avait 4 millions qui venaient du public.
03:15 Donc ça, c'est un changement majeur parce qu'aujourd'hui, on voit que ce sont beaucoup
03:20 de syndiqués ou de non-syndiqués, mais qui sont du secteur privé.
03:25 Et ce qui fait le succès des manifestations justement dans les petites et moyennes villes,
03:30 c'est que ce ne sont pas les bataillons du service public.
03:32 Donc ça, c'est un premier grand changement.
03:34 Et le deuxième grand changement, c'est que derrière les mots d'ordre généraux, on
03:39 voit affleurer dans ces manifestations la volonté d'exprimer tout un ensemble de situations
03:46 plus particulières.
03:47 Qui a commencé à travailler tôt ? Qui a eu un travail pénible ? Une carrière hachée ?
03:52 Donc on voit que la question du travail ne peut pas simplement être appréhendée à
03:57 travers un chiffre magique.
03:58 Et c'est un petit peu ça la contestation radicale qu'il y a, je dirais, des 65 ans.
04:03 Ce n'est pas simplement un débat économique de la question de coût, mais c'est que ça
04:08 néglige la vie de travail réelle, pourrait-on dire, d'une certaine façon.
04:12 Et donc là, il y a une volonté de parler du monde réellement vécu par ceux qui vivent
04:19 et qui travaillent.
04:20 Il faut prendre en compte également ce que vous avez appelé les épreuves de la vie
04:24 dans un livre important.
04:26 On ouvre le débat, Pierre Rosenvallon, Gilles Finkelstein, puis Natacha Polony.
04:29 Bonjour Pierre Rosenvallon.
04:30 Vous disiez qu'il y a un double tournant et le premier que vous évoquez est celui,
04:34 le tournant démocratique.
04:35 Quand on analyse à la fois les discours publics et l'opinion, on a d'un côté Emmanuel
04:43 Macron et le gouvernement qui disent qu'il y a eu une élection présidentielle.
04:47 Il y a peu, la légitimité est fraîche.
04:50 Pendant cette campagne présidentielle, le candidat a affiché clairement quelle était
04:55 son intention.
04:56 65 ans comme âge de départ à la retraite.
04:59 Il a été élu, il a un mandat.
05:01 Ça, c'est ce qu'on entend d'un côté.
05:03 Et puis, d'un autre côté, sans doute peut-on dire qu'il a été élu en dépit
05:09 de l'opposition d'une majorité de l'opinion à cette proposition.
05:12 Mais surtout, on voit qu'on a une opposition continue et même croissante de l'opinion
05:18 à cette réforme.
05:19 C'est ce qu'attestent à la fois les sondages et les manifestations.
05:22 Et donc, ma question en fait est très simple.
05:24 Quelles sont les conditions et les critères pour qu'un mandat existe au terme d'une
05:32 élection ?
05:33 On peut répondre très simplement à cette question essentielle.
05:36 C'est que la légitimité a d'abord une définition juridique.
05:41 C'est qu'est légitime le gouvernant qui a été élu.
05:44 Et quelle que soit la faiblesse de sa marge, s'il est élu avec quelques voix, eh bien
05:50 oui, 51 et supérieur à 49 et donc il a légitimement un permis de gouverner.
05:57 Mais il n'y a pas simplement cette définition juridique de la légitimité.
06:01 Il y a aussi ce qu'on pourrait appeler une définition morale et une définition qui
06:06 est aussi une définition sociale.
06:08 Et celui qui en a donné la meilleure définition, c'est Charles de Gaulle.
06:13 Quand de Gaulle s'opposait au gouvernant de la quatrième république, il disait bien
06:19 sûr vous êtes les gouvernants qui sont habilités à gouverner, mais vous n'avez pas la légitimité,
06:26 il appelait profonde.
06:27 Et que voulait dire la légitimité pour lui ? Et pourquoi il parlait toujours de légitimité
06:32 profonde ? Parce que la légitimité, expliquait de Gaulle, c'est en quelque sorte le rapport
06:37 de résonance entre une personnalité et la société.
06:42 C'est un rapport d'interaction, c'est un lien profond.
06:45 Et donc la démocratie, elle vit de ces deux choses.
06:49 Elle vit d'une définition juridique, parce qu'il y a besoin que les choses soient fixées
06:53 juridiquement et elle vit de l'autre côté de cette dimension d'interaction.
06:59 On pourrait presque dire, pour reprendre un mot du sociologue Durkheim, de reconnaissance.
07:05 Durkheim le sociologue disait même il faut qu'il y ait une forme de communion entre
07:10 les gouvernants et la société.
07:12 Et vous savez, au temps de De Gaulle, la grande opposition était De Gaulle et Mitterrand.
07:16 Quand Mitterrand, en 1965, a publié son livre qui avait pour titre "Le coup d'État permanent",
07:22 qu'est-ce qu'il reprochait à De Gaulle ? De trop utiliser le terme de légitimité.
07:26 Et de dire que vous vous dites que vous avez la légitimité morale, mais nous, les cadors
07:32 de la 4ème République, nous avions la légitimité juridique.
07:37 Et je crois que la démocratie, elle doit toujours se situer sur ses deux pieds.
07:44 Et que celui qui est élu ne doit jamais oublier qu'il faut aussi qu'au-delà de son permis
07:51 de gouverner, pour gouverner efficacement, il faut qu'il trouve ses moyens d'interaction
07:56 avec le pays et il ne peut pas gouverner contre le pays, pour le dire d'un mot.
08:00 Natacha Polony.
08:01 Bonjour Pierre-Rosan Vallon.
08:03 Est-ce que finalement, on n'est pas dans la continuité de ce grand mouvement de 1995,
08:10 de même que les Gilets jaunes étaient finalement la queue de comète de ce constat d'une
08:15 fracture sociale qu'avait faite le chef Chirac en 1995 ?
08:18 Quand je dis continuité de 1995, il y avait eu deux pétitions à l'époque.
08:22 Vous aviez signé celle qui adhérait à l'idée du plan Juppé, pas sur tout, mais au moins
08:28 sur la dimension qui concernait la sécurité sociale.
08:30 En face, il y avait la pétition Pierre Bourdieu contre ce plan Juppé.
08:36 Et moi, j'ai en tête une interview de Cornelius Castoriadis dans l'événement du jeudi
08:40 en 1997.
08:41 Lui n'avait signé aucune des deux pétitions et il expliquait pourquoi.
08:45 Il disait parce qu'en fait, la donne a changé et elle a changé avec Maastricht et
08:50 avec cette idée d'une politique commune de monnaie forte.
08:54 Il expliquait que cette politique déflationniste faisait que si le capitalisme peut marcher
09:00 avec une inflation zéro, il ne peut le faire qu'en produisant du chômage.
09:03 Et il disait un peu partout, le système s'attaque aux réformes partielles qu'il
09:07 avait dû concéder pendant le siècle précédent.
09:09 L'immensité, la complexité, l'interdépendance des questions qui en résultent font que les
09:13 demandes partielles apparaissent comme irréalistes, qu'elles sont le plus souvent trouvées
09:17 à l'échec, le découragement s'en trouve augmenté et la privatisation renforcée.
09:21 Est-ce que les travailleurs qui sont là dans la rue ne se heurtent pas à cette mécanique
09:29 implacable qu'on voit depuis 30 ans ?
09:31 Pierre Rosenvallon.
09:32 La mécanique implacable à laquelle vous faites référence, c'est l'appartenance
09:39 à l'Union européenne.
09:40 Et cette appartenance à l'Union européenne, c'est l'appartenance à une économie
09:44 de marché.
09:45 L'Union européenne ne dicte aucunement une forme d'exercice de la démocratie.
09:51 On voit bien qu'hélas, aujourd'hui, il y a au sein de l'Europe des démocraties
09:57 qui deviennent presque des régimes fortement autoritaires, qui ne font plus confiance
10:03 à l'État de droit.
10:04 Regardez la Pologne et surtout la Hongrie.
10:07 Alors que ce qu'il faut, c'est réinventer aujourd'hui une démocratie sociale.
10:13 Parce qu'en 1995, on était encore à l'âge du fonctionnement classique.
10:19 Les syndicats représentaient bien toute la société et les partis politiques eux-mêmes
10:23 représentaient à leur façon la société.
10:25 Il y avait des partis de classe moyenne, des partis ouvriers, des partis de profession
10:29 libérale.
10:30 Et je crois que c'est ça qui est en train de changer aujourd'hui.
10:34 C'est que la définition de la question sociale, elle n'est plus simplement de choisir
10:39 des grandes mesures.
10:40 Bien sûr qu'il faut toujours discuter du niveau du SMIC, il faut toujours discuter
10:44 de politique générale.
10:45 Mais de plus en plus, si les citoyens se sentent loin du monde politique, c'est parce
10:50 qu'ils pensent que le monde politique a une façon de parler et d'étouffer leur réalité
10:56 sous des généralités.
10:58 Et la langue de bois, c'est ça d'un certain point de vue.
11:00 La langue de bois, c'est quand votre langage est tellement général qu'il ne parle plus,
11:05 qu'il semble glisser sur les réalités que vous vivez.
11:09 Et c'était ce qu'exprimaient en revanche tout à fait les gilets jaunes.
11:12 Les gilets jaunes, ils disaient "mais vous ne voyez pas que nous, nous faisons des dizaines
11:17 ou 100 kilomètres par jour en voiture ? Vous ne voyez pas que vos 80 kilomètres heure,
11:21 il nous ennuie beaucoup ?" Et ils reprochaient de ne pas être pris en considération dans
11:26 leur réalité.
11:27 Et je crois qu'à travers la retraite, on voit bien qu'au-delà de la contestation
11:31 des 64 ans, il y a toute la contestation en disant "vous ne voyez pas les réalités
11:34 du travail, vous ne les comprenez pas".
11:37 Et cette façon de poser la question sociale comme une adhésion aux réalités dans leur
11:44 chair, dans leur spécificité, dans leur ancrage, elle est aujourd'hui essentielle.
11:50 Natacha, vous vouliez ajouter quelque chose ?
11:52 Oui, Pierre-Rosan Vallon, vous ne répondez pas à ma question.
11:57 Quand vous dites "l'Union européenne ne dicte pas une forme de démocratie", non,
12:00 mais elle dicte un système économique.
12:02 D'ailleurs, ce n'est pas un hasard si tous les ans, les grandes orientations de
12:06 politique économique de l'Union européenne évoquent comme quelque chose d'essentiel
12:11 une réforme des retraites, notamment en France.
12:14 Et ce que disait Cornelius Castoriadis, c'est ça.
12:17 Le système économique de libre-échange et de dérégulation, qui est soutenu par la
12:23 construction de cette Union européenne, pas de toute Union européenne, mais de celle-là,
12:27 empêche évidemment les travailleurs de défendre leurs intérêts.
12:31 Ce n'est pas juste parce qu'ils ont besoin de reconnaissance, c'est parce qu'il y a
12:34 un système qui a contourné les protections sociales construites depuis la Libération.
12:39 Laissez Pierre-Rosan Vallon vous répondre.
12:41 Vous n'avez raison que très partiellement.
12:45 Parce que ce à quoi l'Europe fait attention, c'est aux déficits publics.
12:50 Et les déficits publics, ils ont de multiples origines.
12:52 Ce n'est pas simplement la question des retraites.
12:54 Donc, il faut faire attention à ne pas faire de déficits.
12:56 Parce que qui dit des déficits veut dire qu'à terme dans le système, il va falloir
13:01 que quelqu'un le comble.
13:03 Et donc, le principe de solidarité demande à ce que les déficits soient contrôlés.
13:07 Mais cette question des déficits pour la retraite, aujourd'hui en France, elle est
13:11 secondaire puisque vous voyez bien qu'il y a presque une bataille de principes autour
13:16 de cette retraite.
13:17 Une bataille de principes sur le coup près des 64 ans et de l'autre côté, un changement
13:23 de la vie de travail.
13:24 Parce que tous les débats sur la retraite aujourd'hui, j'ai l'impression que c'est
13:29 comme si on regardait dans un rétroviseur.
13:31 Chacun, quand on parle de retraite, regarde dans le rétroviseur ce qu'a été sa vie,
13:35 ce qu'est son travail, ce qu'est son activité.
13:38 Et c'est en fait vers cela qu'il faut se tourner aujourd'hui.
13:42 Et ce qu'appelle, paradoxalement, ce grand mouvement social sur les retraites, c'est
13:49 à une nouvelle considération du travail et de l'activité après le travail.
13:53 Parce que justement, la vie ne s'arrête pas à la retraite.
13:56 Note de bas de page, Cornelius Castoriadis, c'est un philosophe, fondateur notamment
14:02 avec Claude Lefort du groupe Socialisme ou Barbarie et qui est décédé en 1997.
14:06 J'aimerais qu'on revienne en 2023 et à ce qu'il se passe aujourd'hui, en ce moment
14:11 même dans ce mouvement, Gilles.
14:13 Alors précisément, Pierre Rosanvalon disait au début, il y a un double tournant à la
14:17 fois démocratique et social.
14:19 Et sur la partie sociale, vous évoquez notamment la question syndicale.
14:23 Je suis remonté encore plus loin que Natacha puisque je suis venu avec un livre que vous
14:27 aviez écrit, ce qui vous rajeunit ni vous ni moi, en 1988, qui était dans ma bibliothèque
14:32 qui s'appelle « La question syndicale ». Dans lequel vous écriviez à l'époque que
14:37 le rôle d'agence sociale, je vous cite, c'est-à-dire la fonction institutionnelle
14:42 des syndicats, avait peu à peu pris toute la place par rapport à sa dimension de mouvement
14:48 social, c'est-à-dire de force de représentation, de revendication et de mobilisation.
14:53 Est-ce que là, on voit le rôle des syndicats, à la fois pour rééquilibrer le projet de
14:58 loi mais surtout pour organiser le mouvement social ? On voit que ce sont beaucoup les
15:03 syndicats qui dictent le rythme, la forme, l'encadrement de ces manifestations.
15:09 Est-ce que pour vous, on assiste, c'est un moment où ça peut être un tournant ?
15:15 Je pense qu'effectivement, cela peut être un tournant pour le syndicalisme.
15:21 Parce que le syndicalisme a cette fonction d'agence sociale, effectivement.
15:25 Explication, agence sociale ?
15:26 Agence sociale, c'est-à-dire il est celui qui est présent dans beaucoup d'institutions.
15:30 N'oublions pas que le syndicalisme, il est dans les conseils de prud'hommes, le syndicalisme,
15:36 il est dans les organismes de sécurité sociale, il est dans la gestion du chômage.
15:40 Le syndicalisme est institutionnellement présent dans beaucoup d'organisations et d'administrations
15:46 de la vie économique.
15:47 Mais le syndicalisme est faible en France, le taux de syndicalisation est extrêmement
15:51 bas en France.
15:52 Le syndicalisme est faible par son nombre d'adhérents mais son rôle institutionnel
15:57 n'a pas tellement changé par rapport au temps où il avait beaucoup d'adhérents.
16:02 Mais là, ça ne vous surprend pas de voir Laurent Berger de la CFDT et Martinez de
16:08 la CGT défiler main dans la main, ce sont des images qui sont extrêmement rares, quasiment
16:13 exceptionnelles.
16:14 Ce qui était rare, mais justement c'est peut-être cela le tournant aussi.
16:17 Le tournant aussi, c'est de reconnaître qu'on entre dans un nouveau moment de la
16:22 vie sociale où il y a un bénéfice tel à l'unité syndicale qu'il ne faut pas passer
16:28 dessus.
16:29 Parce que ce qui est important pour les syndicats, c'est l'efficacité.
16:33 Et alors à quoi on la mesure l'efficacité ?
16:36 L'efficacité, les syndicats, pratiquement voilà, c'est ça, la mesure de l'efficacité
16:42 c'est le nombre.
16:43 Et on voit l'écart qu'il y a entre la façon, on peut dire parlementaire, de penser
16:48 l'efficacité et la façon syndicale.
16:50 Les syndicats, ils pensent l'efficacité, le nombre, l'unité, le fait que les gens
16:56 ne décrochent pas, qu'ils se sentent soutenus, alors que parlementairement...
16:59 Et la grève !
17:00 Et la grève, alors que d'un point de vue parlementaire, on a le sentiment que c'est
17:05 le coup d'éclat.
17:06 Alors que les syndicats, ce qui compte pour eux aujourd'hui, c'est de savoir s'il
17:10 y a un certain nombre de députés renaissance qui vont finir par hésiter, s'il y a un
17:15 nombre plus grand de députés, des républicains qui vont hésiter aussi, alors que d'un point
17:22 de vue politique, ça ne semble pas être l'interrogation principale.
17:25 Donc il y a ce grand changement pour les syndicats.
17:29 Gilles Finkelstein puis Natacha Polony.
17:31 Gilles.
17:32 Je voudrais revenir sur la question que vous avez évoquée de la justice, qui est un des
17:37 autres sujets avec la démocratie sur lequel vous avez beaucoup travaillé.
17:41 Le gouvernement a peut-être de manière hasardeuse placé d'abord cette réforme sous le signe
17:46 de la justice, en tout cas lorsqu'il l'a présentée.
17:49 Quelques semaines après, l'opinion, je crois que c'est fait, son opinion, et de
17:57 manière très majoritaire, considère que cette réforme n'est pas juste.
18:01 Que serait une réforme juste ? Et là, je reprends un autre livre que vous avez écrit
18:06 un peu plus tard qui s'appelle « La nouvelle question sociale » dans lequel vous disiez
18:09 ce qui caractérise les sociétés contemporaines, c'est qu'il y a eu une déchirure de ce
18:14 voile d'ignorance, c'est-à-dire que chacun sait exactement ce qu'il apporte et ce qu'il
18:20 reçoit.
18:21 Dans ce contexte-là, une réforme juste, est-ce que c'est précisément le débat
18:26 autour de l'âge de la retraite, qui est le chiffre magique que vous aviez au pied,
18:31 ou la durée de cotisation ? Est-ce que c'est ça selon que l'on joue plutôt sur l'un
18:36 ou plutôt sur l'autre que l'on peut considérer que la réforme est juste ? Ou est-ce que
18:40 ça va même au-delà, le fait qu'il n'y ait que les salariés qui contribuent à
18:44 la réforme, le fait que les espérances de vie individuelles ou même les espérances
18:49 de vie en bonne santé soient différentes, jusqu'où il faut aller pour qu'une réforme
18:52 soit juste ?
18:54 La définition de la justice depuis l'Antiquité est toujours la même.
18:57 La justice, ce n'est pas simplement donner la même chose à chacun, c'est de distribuer
19:03 en fonction des besoins et en fonction des situations.
19:07 Et tout le monde sent bien spontanément que la justice veut dire que celui qui est usé
19:13 au travail à 50 ans doit partir à la retraite plutôt que celui qui, comme un universitaire,
19:19 est encore en pleine forme à 65 ans.
19:20 Donc le sentiment de justice, il n'est pas objectif, il doit en permanente être discuté.
19:27 Et on peut dire même que la société démocratique…
19:30 Et on a des définitions différentes de la justice selon qu'on est dans telle partie
19:34 de la NUPES, dans tel syndicat…
19:35 Voilà, mais cela veut dire justement que la démocratie, c'est le régime qui doit
19:40 en permanence trouver des réponses, momentanées peut-être à chaque fois, sur ce que veut
19:46 dire un régime de justice donné.
19:49 Un régime de justice pour savoir, dans la rémunération du travail, ce que des différences
19:54 de diplôme peuvent apporter comme rémunération, en termes de fatigue du travail, ce que ça
19:59 doit apporter en termes d'âge de départ à la retraite.
20:03 Et vous voyez, cela veut dire une chose importante concernant le syndicalisme.
20:08 C'est que le syndicalisme n'est pas simplement un défenseur collectif.
20:12 Le syndicalisme, il est un représentant, au sens très précis du terme, qu'il met
20:18 sur la table, qu'il représente les réalités vécues par les personnes.
20:23 Être représentant, ce n'est pas simplement un statut…
20:26 Même avec un aussi faible taux de syndicalisation en France ?
20:28 Oui, mais si je regarde, moi je suis historien tout de même, et si je regarde l'histoire
20:32 du syndicalisme, l'histoire du mouvement ouvrier, c'est que le mouvement ouvrier,
20:36 il est né bien sûr avec des expériences de coopératives, il est né avec des mouvements
20:41 de grève, mais en même temps, il est né avec cette volonté de raconter la vie sociale.
20:47 Le mouvement ouvrier, il est né avec des journaux, qui s'appellent "L'écho de
20:52 la fabrique", qui s'appellent "L'artisan", et dans ces journaux, on parle de ce que vivent
20:57 les gens, on parle de leurs conditions de rémunération, on parle de leurs conditions
21:01 de travail.
21:02 Et ça, c'est peut-être une dimension du syndicalisme qui avait été un petit peu
21:08 oubliée, mais je crois qu'elle a…
21:09 Et qui a largement disparu.
21:10 Elle a en bonne partie disparu, mais j'ai le sentiment que les événements que nous
21:15 vivons aujourd'hui appellent la renaissance, en quelque sorte, de cette dimension du syndicalisme,
21:22 de rendre présentes pour tout le monde les réalités vécues dans leurs difficultés
21:28 et dans leurs différences.
21:29 Parce que être reconnu, c'est déjà exister différemment.
21:33 Natacha ?
21:34 Alors justement, dans l'histoire du syndicalisme, après la libération, le grand mouvement,
21:42 en fait, le caractère novateur de l'organisation de la sécurité sociale, c'était que ça
21:49 s'appuyait sur le paritarisme, c'est-à-dire l'émancipation des travailleurs qui allaient
21:53 pouvoir décider pour eux-mêmes et gérer réellement leur retraite, leur protection
22:00 sociale.
22:01 Ce mouvement-là, il a été attaqué notamment par le plan Juppé, la partie qui est passée
22:06 en 1996 sous forme de loi et qui a ré-étatisé en partie cela à travers les projets de
22:14 loi de finances de la sécurité sociale qui devaient contenir les dépenses pour faire
22:19 rentrer la France dans les critères de la monnaie unique.
22:21 Mais revenons en 2023, j'insiste.
22:23 Je termine.
22:24 Il y a un article excellent de Nicolas Da Silva dans Le Monde Diplomatique, universitaire
22:29 spécialiste de l'histoire de la sécurité sociale.
22:31 Maintenant, en 2023, le gouvernement a voulu, ce sont les députés, les républicains qui
22:38 ont fait échouer ça, réintégrer l'Agir Carco, là aussi ré-étatiser l'Agir Carco,
22:45 c'est-à-dire est-ce qu'on n'est pas en train de voir petit à petit ce mouvement
22:49 paritaire et cette émancipation des travailleurs remise en cause au nom d'un pouvoir gestionnaire.
22:57 L'Agir Carco, c'est le site de référence pour s'informer sur les retraites complémentaires,
23:03 connaître sa caisse de retraite, pour pouvoir faire une simulation retraite et beaucoup
23:07 beaucoup d'entre nous l'ont fait cette simulation ces derniers jours, ces dernières
23:11 semaines.
23:12 Pierre Osoval, on pourrait répondre à l'attachant.
23:13 Je crois que la question posée est intéressante parce qu'effectivement il y a eu un recul
23:16 du paritarisme dans le domaine de la sécurité sociale, c'est très clair.
23:20 Mais ce qu'il faut bien voir c'est que ce recul du paritarisme, il était en quelque
23:25 sorte un peu accepté par les syndicats.
23:28 Pourquoi ? Parce qu'ils avaient constaté que les élections de leurs délégués à
23:32 la sécurité sociale, il y avait un taux d'abstention qui devenait de plus en plus
23:36 fort.
23:37 Et donc ils ont préféré quitter en quelque sorte dans ce domaine-là, ils ont préféré
23:43 quitter le paritarisme sur la pointe des pieds parce qu'ils risquaient justement d'être
23:50 accusés de manque de légitimité à cause de ce faible taux de participation.
23:55 Ce que je regrette particulièrement, personnellement, mais en tout cas c'est ce fait qui a eu
24:00 lieu, c'est cette sortie sur la pointe des pieds du paritarisme dans ce domaine.
24:04 Puisqu'on est en pleine journée de mobilisation, de manifestation, un samedi, le jour n'est
24:10 pas anodin, la mobilisation est efficace à partir d'un million de personnes dans
24:17 la rue.
24:18 Et donc pourquoi est-ce qu'on retient ce chiffre-là ? Ou est-ce qu'en vérité l'efficacité
24:22 ne sera là que si la journée du 7 mars est réussie, si la grève totale et reconductible
24:30 est véritablement suivie et que le pays est bloqué ?
24:32 Je n'ai aucune compétence pour dire s'il y a un million ou un million d'eux, où
24:36 est la toise à mettre.
24:37 Il y a un effet de masse, c'est sûr, et cette manifestation est un point d'ordre
24:43 parce qu'elle est organisée un jour sans grève de transport.
24:47 Donc tout le monde peut s'y rendre.
24:49 Et on verra ce que ça donne.
24:51 Et donc je pose la question de manière volontairement provoquante, à quoi ça sert ?
24:55 À quoi ça sert ?
24:56 À quoi ça sert ?
24:57 Un gouvernement ne recule pas si le pays n'est pas bloqué.
25:00 Des membres du Parlement peuvent reculer.
25:03 Je crois qu'il ne faut pas oublier que nous sommes dans un moment parlementaire.
25:07 Et dans ce moment parlementaire, peut-être qu'un certain nombre de parlementaires,
25:11 ça peut tout de même les faire réfléchir.
25:13 Et on a bien le sentiment que c'est un petit peu ce qui se passe.
25:15 Et c'est pour cela, du point de vue des syndicats, qu'il est très important que leur mouvement
25:21 reste un mouvement qui ne se mette pas à déborder, qui ne s'éloigne pas, qui reste
25:25 concentré sur le fait en disant "nous sommes une grande partie de la société française".
25:30 Et que ça, c'est l'affirmation essentielle.
25:33 Et que la guérilla parlementaire à l'intérieur du Parlement est seconde par rapport à cette
25:39 tâche qui est la tâche fondamentale, c'est de convaincre un certain nombre de députés
25:43 de ne pas voter pour.
25:44 Un des échecs collectifs, et peut-être d'abord un échec du gouvernement dans cette affaire,
25:52 est l'incapacité à ce que nous établissions ne serait-ce qu'un constat partagé sur
25:58 la nécessité ou pas de réformer le système des retraites.
26:02 Et on a aujourd'hui une bonne partie de l'opinion qui pense qu'il n'est pas nécessaire
26:07 de réformer les retraites.
26:08 Ce matin, dans le Figaro, Denis Oliven publiait une tribune dans laquelle il disait "nous
26:14 tirons chaque jour davantage des chèques sur l'avenir et au lieu de consacrer ces
26:19 sommes à préparer le futur par exemple en investissant dans la transition écologique,
26:25 nous finançons à crédit le passé, les retraites, et le présent, le pouvoir d'achat".
26:31 Au-delà de cette réforme elle-même, mais sur la nécessité d'une réforme des retraites,
26:37 quel est votre sentiment ? Est-ce que vous vous inquiétez plutôt d'un risque de régression
26:43 gauchiste, pour le dire de manière brutale, l'idée que tout est possible ? Je voyais
26:47 par exemple qu'une bonne partie de l'opinion approuvait l'idée d'une réforme de la retraite
26:53 à 60 ans après 40 ans de cotisation.
26:56 Ou est-ce que, à l'inverse, vous vous réjouissez d'un retour d'une mobilisation qui est légitime
27:01 face aux duretés de la vie ?
27:02 Pierre Rosenvalo.
27:03 Un réformiste.
27:04 Deux choses.
27:05 La première chose, c'est qu'effectivement, on peut dire qu'il y a eu un échec du corps.
27:09 Le comité d'orientation des retraites n'a pas joué complètement son rôle, puisque
27:14 le message qu'il a donné était simplement un message qui concernait le montant prévisible,
27:20 parce que ça, on le connaît à cause de la situation démographique, le montant prévisible
27:24 des cotisations qui seront inversées, en disant que là, ce montant prévisible, il
27:29 est connu et il ne bougera pas.
27:31 Sans parler, effectivement, de la dimension des recettes à faire.
27:35 Et je crois que là, il y a eu un manque d'informations complètes et le corps n'a pas joué vraiment
27:43 son rôle.
27:44 En montrant notamment deux choses, c'est qu'il y a toujours une incertitude dans le financement
27:50 de l'avenir des retraites.
27:51 Une incertitude, quel que soit le régime.
27:53 Pourquoi il y a une incertitude ?
27:54 Parce que ça va dépendre beaucoup du taux de croissance.
27:57 Si le taux de croissance est très fort, à ce moment-là, les salaires vont être beaucoup
28:01 plus importants et il y aura beaucoup plus d'argent.
28:04 Et ceux-là, personne ne sait ce que va être le taux de croissance dans 5 ans, 10 ans,
28:08 20 ans, 30 ans.
28:09 Et de la même façon, il y a la variable démographique qui est très importante.
28:14 Ces deux variables sont décisives.
28:16 Et je crois qu'il faut bien se rendre compte qu'il y a toujours une forme d'incertitude
28:23 sur l'avenir liée à ces deux variables-là.
28:25 Et que donc, il y aura forcément, par la force des choses, des variations et des réformes
28:30 nécessaires des régimes de retraite, parce que ces régimes de retraite, c'est une forme
28:35 de l'avenir.
28:36 Et j'ajouterais que les partisans de la capitalisation sont dans la même situation.
28:40 Pourquoi ? Parce que si aujourd'hui...
28:42 Ça, on en parle très peu en France.
28:44 Oui, mais pourquoi ? Qu'est-ce que la capitalisation ? C'est de dire je fais de l'épargne en prévision
28:48 de l'avenir.
28:49 Mais vous faites de l'épargne et cette épargne, vous allez la placer.
28:52 Et le rendement de cette épargne, c'est quoi ? C'est la croissance du futur.
28:56 Donc vous aussi, si vous épargnez, votre épargne, elle vaut ce que vaudra l'avenir.
29:02 Donc la règle, c'est qu'il y ait répartition ou qu'il y ait capitalisation.
29:07 Dans tous les cas, votre retraite vaudra ce que sera la situation économique de l'avenir.
29:14 Donc c'est le premier élément de réponse qu'on peut vous donner.
29:17 Il nous reste très peu de temps.
29:19 Rapidement, Natacha.
29:20 Très rapidement.
29:21 Depuis 1980, enfin depuis les années 80, le rapport entre le capital et le travail
29:26 a vu le travail perdre 5 points par rapport au capital.
29:30 Est-ce qu'il peut y avoir une véritable démocratie dans un contexte de ce que Karl
29:36 Polanyi appelait le désencastrement de l'économie par rapport aux politiques, c'est-à-dire
29:39 une dérégulation qui fait que le système économique s'autonomise et n'est plus
29:44 tenu par le politique, c'est-à-dire par les citoyens ?
29:47 Pierre Rosanvalon.
29:48 Je crois qu'en substance, vous avez tout à fait raison.
29:52 Et qu'autant à certains moments, il peut être très important d'avoir des investissements
29:57 supplémentaires, mais il est certain que Warren Buffett disait qu'il y a une lutte
30:03 des classes, mais la lutte des classes a été gagnée.
30:05 Et je crois que ça, c'est un constat.
30:08 Vous avez raison de le faire, il est très important.
30:10 Et que le corriger, c'est d'abord aussi trouver des moyens fiscaux.
30:14 Je crois que c'était un des éléments du débat il y a quelques minutes.
30:18 Des éléments fiscaux pour l'inverser, ça c'est quelque chose de très important.
30:23 Donc un milliardaire, l'un des hommes les plus riches du monde, l'américain Warren
30:27 Buffett, rejoint un économiste du 19ème siècle, austro-hongrois et marxiste en tout
30:33 cas très à gauche.
30:35 Avec une différence très importante, c'est que Warren Buffett fait partie de ceux qui
30:39 ont dit que toute leur fortune serait distribuée à des fondations.
30:41 Donc je crois que ça, c'est quand même la grande différence entre milliardaire français
30:46 et milliardaire américain.
30:47 Gilles, quand Warren Buffett dit « la lutte des classes existe et elle a été gagnée »,
30:51 il veut dire « elle a été gagnée par les plus favorisés ».
30:53 Bien sûr.
30:54 Dernière question peut-être pour moi.
30:57 Comment vous jugez la qualité du débat sur les retraites ? Je ne parle pas de la qualité
31:02 du débat parlementaire, dont on aurait sans doute pu espérer, il n'est pas terminé,
31:06 qu'il soit meilleur.
31:07 Mais la qualité du débat public, la qualité dans les médias, dans les réseaux sociaux,
31:12 on a plutôt le sentiment que pour qui veut s'intéresser réellement au sujet, en fait
31:18 beaucoup, même presque tout, est sur la table et on apprend beaucoup de choses et chacun
31:23 peut se forger son opinion.
31:25 Est-ce que c'est aussi votre sentiment ?
31:26 Oui, si on regarde ces variables économiques, ces variables démographiques, ces différentes
31:33 variables, tous les éléments d'information sont évidemment disponibles.
31:36 Mais ce que l'on voit dans le débat actuel, c'est en quelque sorte les deux sentiers
31:42 qui ne se recoupent pas dans la discussion.
31:44 Il y a le sentier de la discussion économique sur l'équilibre, recettes, dépenses, et
31:50 puis de l'autre côté, le sentier de la discussion sur le juste et l'injuste.
31:54 Et je crois qu'aujourd'hui…
31:56 Et c'est ce qui fait défaut ?
31:58 Non, ce sentier il est discuté mais il ne converge pas avec l'autre.
32:02 Et je crois qu'on découvre aujourd'hui peut-être qu'il faut qu'il y ait un
32:06 ordre lexical entre le débat sur la justice et le débat sur les équilibres.
32:12 Il faut, je pense, la société française est à un moment où il faut d'abord s'assurer
32:18 que quelque chose est juste avant de pouvoir discuter, je dirais, d'aménagements économiques
32:25 éventuels.
32:26 Mais comment faire puisque cette mobilisation, en vérité il faudrait dire les mobilisations
32:30 contre la réforme des retraites, quoi de commun par exemple entre les raisons pour
32:35 lesquelles la CGT s'oppose à la réforme des retraites, la raison pour laquelle un
32:39 député LR peut également s'opposer à cette réforme, ou la CFDT, ou un salarié
32:45 du privé qui n'est pas syndiqué.
32:47 La mobilisation contre la réforme, c'est peut-être une expression beaucoup trop générale,
32:53 non ?
32:54 Oui, mais la vérité aussi c'est que dans nos démocraties, ce qu'on peut appeler
32:59 les visions négatives sont toujours celles qui l'emportent.
33:02 Après tout, le président de la République, il a gagné parce que personne, enfin, une
33:06 majorité de français ne voulait pas de Marine Le Pen.
33:10 Et bien de la même façon, les coalitions négatives sont les plus faciles à organiser.
33:14 Alors c'est pas toujours celles qui dessinent l'avenir.
33:17 Et qu'il faut que derrière des coalitions négatives, et bien il y ait des initiatives
33:21 qui se prennent.
33:22 Et je crois que l'initiative aujourd'hui, c'est une initiative qui devrait mettre
33:27 l'accent sur les conditions d'éléments de justice dans cette répartition, je dirais,
33:35 des retraites.
33:36 Et qui est en position de force ? Philippe Martinez vient de déclarer le leader de la
33:38 CGT.
33:39 Je le cite que la balle était dans le camp du président de la République et du gouvernement
33:43 pour savoir s'il faut que le mouvement s'amplifie, se durcisse ou s'il prenne compte des mobilisations
33:48 actuelles.
33:49 Il est sûr que nous avons commencé cette émission en faisant la distinction entre
33:54 une légitimité juridique, statutaire et une légitimité morale et sociale.
34:00 Et bien je crois qu'aujourd'hui, effectivement, il faut certainement que le pouvoir prenne
34:05 conscience du fait qu'il accorde une importance à cette légitimité morale et sociale et
34:11 qu'il doit en quelque sorte la reconquérir, la regagner.
34:15 Donc effectivement, de ce point de vue-là, il est probable qu'il est juste de dire que
34:19 la balle est dans son camp.
34:20 Vous allez défiler tout à l'heure ? J'irai, oui.
34:22 Vous irez ? Oui.
34:23 J'irai parce que je suis moi très jeune retraité et même je dois dire que l'âge
34:32 légal de la retraite pour les professeurs au Collège de France est de 73 ans.
34:36 Et donc d'avoir pour nous un âge légal très tardif, c'est considéré comme un privilège.
34:42 Mais évidemment, ça n'est pas la situation de beaucoup de personnes.
34:45 Quel slogan allez-vous crier tout à l'heure dans la rue ?
34:48 Je pense que justement, ce ne sont pas des slogans qui vont être criés.
34:52 Ce qui compte, c'est d'être un petit élément dans la masse.
34:55 Vous savez, on peut toujours dire qu'une personne, ça ne compte pas.
34:59 Mais si des millions de personnes disent "moi seule, ça ne compte pas beaucoup", il n'y
35:03 a pas beaucoup de monde dans la rue.
35:04 Donc il faut avoir conscience qu'être petite fourmi, ça compte et ça veut dire quelque
35:10 chose.
35:11 Merci et vive les petites fourmis ! Alors dans ce cas-là, je dois tirer les conclusions
35:16 de ce que vous venez de dire et ce sera peut-être votre slogan.
35:19 Merci Pierre-Rosan Vallon, je rappelle votre dernier livre "Les épreuves de la vie, comprendre
35:23 autrement les français", c'était publié aux éditions du Seuil.
35:26 Merci à Mathilde Klatt qui a préparé cette émission, à la réalisation Claire Destacan,
35:31 à la technique Gilles Gaillard.
35:32 A suivre sur Inter, le journal de 13h et les secrets d'info de Jacques Molin.
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