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00:00On a créé un monde incroyable.
00:02Je pense que j'ai 87 ans et je pense que j'ai jamais vécu une époque aussi folle.
00:07On a tous les outils pour fabriquer un monde nouveau ou précipiter la fin du monde.
00:12Jamais la roulette n'a été aussi incertaine.
00:16Moi, si on m'avait dit quand j'ai commencé ce métier qu'un jour il y aurait l'intelligence artificielle,
00:21vous savez, on dit en général, il y avait avant et après Jésus-Christ,
00:24maintenant on dira il y a avant et après l'intelligence artificielle.
00:27Le monde est en train de changer d'une façon absolument incroyable.
00:30Mais tel que je vous connais, ça vous intéresse et vous allez en faire quelque chose ?
00:33Oui, parce que l'intelligence artificielle, c'est le savoir.
00:38Le talent, c'est l'imagination.
00:39Pour l'instant, il n'y a pas encore de machine qui ait de l'imagination.
00:42C'est Augustin, je suis avec Claude Lelouch, à qui l'on doit la double affiche du Festival de Cannes cette année.
00:47Jean-Louis Trintignant et Anouk Aimé, un homme et une femme, palme d'or, il y a presque 60 ans.
00:52Qu'est-ce que vous avez ressenti quand vous avez appris que ces deux images avaient été choisies pour être l'affiche officielle du Festival de Cannes cette année ?
00:59Je me suis dit que c'était une palme d'or qui avait bien vieilli.
01:02Elle avait 60 ans d'âge, le seul critique qui compte vraiment, c'est le temps qui passe.
01:06Il est sympa avec moi.
01:07C'est du cinéma, parce qu'il y a un champ contre champ.
01:11Et c'est extrait du tournage du film.
01:14Moi, quand j'ai tourné cette scène, je ne savais pas que j'allais tourner autour d'eux.
01:18Et quand Jean-Louis court vers Anouk, et qu'Anouk court vers Jean-Louis, les enfants ont suivi.
01:26Ce n'était pas prévu.
01:27Moi, j'ai suivi tout le monde avec ma caméra.
01:29Et quand Jean-Louis la prend dans ses bras et qu'il a fait tourner et tout ça, moi, je tourne avec eux autour.
01:36Et donc, ces deux images viennent de cette spontanéité, de ce moment merveilleux.
01:43Vous dites un homme et une femme. Pourquoi pas une femme et un homme ?
01:46Écoutez, ce sera le titre de mon prochain film.
01:49Ce n'est pas vrai ?
01:49Oui, ça va s'appeler « Il était une fois des femmes et quelques hommes ».
01:54Parce qu'en voyant ces deux affiches, comme ça, c'est une question qu'on se pose.
01:59Ce n'est plus un homme et une femme, c'est aussi une femme et un homme.
02:01Aujourd'hui.
02:02Je pense que si le film sortait aujourd'hui, j'appellerais « Une femme et un homme ».
02:06C'est une palme d'or, effectivement, en 1966.
02:09Vous vous souvenez de tout ? Vous vous souvenez de ce moment-là ?
02:12Oui, on ne peut pas l'oublier.
02:13Qu'est-ce qui s'est passé ?
02:14Écoutez, il s'est passé qu'en cinq minutes, tout est arrivé.
02:21Votre vie a changé ?
02:21Voilà.
02:22En cinq minutes, les choses sont devenues plus simples et plus compliquées.
02:30Ça vous fait quoi de le revoir, ce film, de revoir ces images, vous ?
02:33Écoutez, il y a quinze jours, trois semaines, j'ai été aux États-Unis,
02:36parce que le film ressort en ce moment.
02:37J'ai revu le film avec une salle pleine.
02:40Il y avait la moitié de la salle qui avait des cheveux blancs et l'autre moitié qui avait des visages de poupons.
02:46Et c'était formidable de voir qu'à soixante ans d'intervalle, ces générations recevaient le film de la même façon.
02:54J'ai vu les mômes sortir en larmes, venir m'embrasser.
02:58C'était incroyable.
03:01Et puis, il y avait les anciens, qui l'avaient déjà vus vingt fois, qui pleuraient aussi.
03:05Joe Biden a rencontré sa femme en allant voir un homme et une femme.
03:09Et en sortant de la salle, il a eu le courage de lui dire des choses que sa timidité lui empêchait de dire.
03:14C'est lui qui vous l'a dit ?
03:15Oui, c'est lui qui me l'a dit.
03:16C'est intéressant de vous entendre sur cette jeune génération, justement, qui utilise, qui a un tout autre rapport à l'image qu'à notre époque,
03:23qui utilise son téléphone portable sans cesse pour filmer et qui diffuse aussi, qui produit quelque part ces images.
03:29Oui, mais aujourd'hui, il y a huit milliards de gens qui filment.
03:32On est tous devenus les cinéastes, tous.
03:34Je sais que ça vous passionne.
03:35Ça me fascine.
03:36Et aujourd'hui, les grands événements de ce monde sont filmés par des gens dans la rue qui ne savent pas filmer.
03:41Voilà, donc il faut leur apprendre à filmer.
03:42Quand vous faites des films, Claude Lelouch, avec un téléphone portable, est-ce que vous l'avez fait déjà ?
03:46Qu'est-ce que vous essayez de montrer ? Sur quoi est-ce que vous essayez de réfléchir ?
03:50Eh bien, je suis encore plus près de la vérité.
03:53Parce que ce téléphone portable, c'est la plus belle caméra du monde.
03:58On n'a plus besoin de lumière.
03:59On peut dégainer en deux secondes.
04:01On n'est pas obligé de sortir d'un camion du matériel.
04:04On n'est pas obligé de créer toute la folie cinématographique.
04:07Le jour de la projection, en 1966, peu de personnes le savent.
04:11Mais il y a eu une panne.
04:12Terrible.
04:14C'est-à-dire que le film s'est arrêté.
04:16J'ai cru que le ciel allait me tomber sur la tête.
04:18C'est la projection de presse le matin.
04:21Et au moment où Jean-Louis retrouve à Nouc, cette fameuse scène, le moment le plus important, il y a une panne de courant.
04:28Il y avait un orage sur le mont Faroum, une panne de courant et la salle plongée dans le noir.
04:35Et les gens ont cru que c'était la fin du film.
04:38J'ai cru que j'allais mourir.
04:39Et en fait, cinq minutes après, ils sont revenus.
04:41Voilà.
04:42Et après, donc, un haut-parleur...
04:43Et les gens étaient déjà sortis.
04:45J'étais désespéré.
04:47Avec Jean-Louis Trintignant, on s'est dit, putain, putain, mais...
04:49Qu'est-ce qu'on a fait au bon Dieu ?
04:54Et au moment où le haut-parleur a dit, mesdames et messieurs, le film n'est pas terminé,
04:59on a su que ça allait être un succès parce que tout le monde est rentré là.
05:03S'ils n'étaient pas revenus dans la salle, je me disais...
05:06Et là, j'ai vu les gens se précipiter et rentrer à nouveau dans la salle.
05:10J'ai regardé des images de ce jour-là, en 1966, et on voit votre mère vous dire,
05:16c'est magnifique, c'est formidable, mon fils, c'est formidable.
05:19Oui, elle était folle de joie parce que mon père n'a pas eu la chance d'assister à ce petit événement, voilà.
05:26Et non, non, c'est vrai que ma mère, ce jour-là, elle était fière.
05:32Elle était fière, mon fils.
05:34Non, non, c'est...
05:35Écoutez, alors, c'est vrai que les plus belles années d'une vie sont celles qu'on n'a pas encore vécues.
05:44J'ai envie de croire ça, vous voyez ce que je veux dire ?
05:46Mais c'est vrai que ça va être difficile de trouver des moments aussi fous.
05:49C'est la question que je voulais vous poser, quelle place il a ce film, au fond, dans votre filmographie, dans votre parcours ?
05:54Une deuxième naissance. Je suis né en 1937 à Paris, rue des Martyrs, et puis je suis revenu au monde en 1966, à Cannes.
06:03C'est ma deuxième naissance et cette naissance m'a ouvert les portes de la liberté.
06:09Grâce à cette deuxième naissance, j'ai pu faire les films que j'avais envie de faire.
06:13Mes films, c'est quoi ? C'est le résultat de mes observations. Rien d'autre. Je suis un reporter de la vie.
06:17D'ailleurs, c'est exactement ce que vous mettez sur votre compte Instagram, Claude, reporter de mes propres images.
06:23Oui, oui. Non, non, mais j'ai rien inventé. Tous les personnages de mes films, je les ai croisés.
06:29Les super-héros, ça n'existe pas. Les super-salots, ça n'existe pas. Ça ne marche que dans les films américains.
06:35Les personnages de mes films, ils ont les qualités de leurs défauts.
06:39J'ai essayé de filmer des hommes et des femmes qui étaient un peu moins dégueulasses que les autres. Voilà, c'est tout.
06:43Vous avez l'impression parfois de ne pas être regardé à votre juste valeur ?
06:49Non, non, parce que je prends tellement de plaisir. Je fais les films pour moi. Je fais les films que j'ai envie de voir.
06:57Non, mais je vais vous dire. Moi, je recevais Quentin Tarantino il y a deux ans au Festival de Cannes qui ne jurait que par vous.
07:02Qui me disait « Je pense à Claude Lelouch ».
07:04Oui, oui, mais j'ai un peu honte de le dire. Mais c'est vrai que Kubrick, son film préféré, c'est « La bonne année ».
07:12J'ai, je pourrais vous citer, plein de metteurs en scène qui m'ont dit, Woody Allen m'a dit, quand j'ai vu un homme et une femme, pendant 4 ans, j'ai essayé de faire du Lelouch.
07:24Ça fait quoi ?
07:26Non, rien. Forman aussi m'a dit qu'il n'aurait jamais fait Amadeus s'il n'avait pas vu certains de mes films.
07:32Voilà, donc, oui, ça me fait très très plaisir de voir que j'ai ouvert des petites portes avec cette caméra sur l'épaule.
07:42J'ai essayé de, oui, de me rapprocher de la vie. Je veux dire, je pense que la vie n'a plus d'imagination.
07:49C'est le plus grand scénariste du monde, la vie. C'est le plus grand scénariste du monde. Et je travaille avec ce scénariste.
07:54Mais c'est les jeunes cinéastes, justement. Qui est-ce qui vous intéresse ? Qui est-ce que vous regardez ?
07:58Est-ce que vous êtes plutôt, par exemple, Titane, de Julia Ducourneau, ou Anatomie d'une chute, de Justine Trier ?
08:04Anatomie d'une chute. Pourquoi ?
08:07Tout simplement parce que c'est l'autopsie d'une situation. Je veux dire qu'on aime bien connaître le pourquoi et le comment des choses.
08:15On voit très bien, faites entrer l'accusé, ça passionne la terre entière. Anatomie d'une chute, c'est faites entrer l'accusé avec encore plus de talent.
08:24Non, mais c'est pareil. Je pense qu'aujourd'hui, les jeunes cinéastes, et il y a beaucoup de femmes parmi les jeunes cinéastes, vous venez de les citer.
08:33De Palme d'Or, c'est pour ça que je les ai citées.
08:34Oui, non, non. Aujourd'hui, il se passe des choses. On voit bien que les jeunes cinéastes ont vu les films du passé, qu'ils en ont tenu compte.
08:45Mais avant d'inventer, on vole.
08:50Savoie optimiste quant à l'avenir du cinéma, justement ?
08:54Oui. Oui, parce qu'avec tous les moyens qu'on a à notre disposition aujourd'hui, un jour, quelqu'un va faire un film tellement beau, tellement réussi,
09:04qu'en deux heures, ça pourra peut-être changer beaucoup de choses.
09:06Merci infiniment.
09:07Merci.
09:07Merci.