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00:00Merci d'être avec nous pour la suite de Culture Média. Dans un instant, nous recevrons donc Pascal de Bollon et Philippe Duquen
00:05pour le film de Mauvaise Foi qui sort demain au cinéma.
00:09Mais on est toujours avec Cécile Olivier qui vient pour le livre Enquête,
00:12Anatomie d'une prédation, publié aux éditions Robert Laffont.
00:17Et alors, on s'interroge aussi, et vous y répondez dans ce livre, sur cette technique utilisée par Gérard Miller, l'hypnose.
00:24Et selon les spécialistes que vous avez consultés, on ne peut pas en fait soumettre vraiment une personne en l'hypnotisant.
00:31On est plutôt en fait sur des ressorts de domination, d'emprise psychologique. C'était ça sa technique ?
00:37Oui, alors l'hypnose, nous disent les spécialistes, c'est quelque chose de sérieux, qui est utilisé pour soigner ou lors des accouchements par exemple.
00:45Et ils expliquent qu'on ne peut pas soumettre quelqu'un, voler le consentement de quelqu'un sous hypnose.
00:50C'est vrai que dans les spectacles, un peu de magie, en fait, c'est du spectacle.
00:54Souvent, il y a des complices dans la salle, etc. Ce n'est pas possible.
00:57Donc, on explore d'autres possibilités.
01:00Nous, ce qu'on pense, c'est que l'hypnose était plutôt un moyen, un mode opératoire,
01:05de dire aux jeunes femmes de s'allonger, de se mettre à l'aise, d'enlever un t-shirt, pantalon, etc.
01:12pour être complètement détendu.
01:14Et puis, il y a autre chose aussi.
01:16Il y a ce qu'on explore également, c'est des phénomènes de dissociation ou de sidération.
01:22Ce que nous expliquent des psys, notamment, c'est que quand il y a une scène trop violente,
01:26comme une scène de viol ou d'agression, le cerveau se met en pause.
01:31Il disjoncte, en fait, pour ne pas voir cette scène.
01:35Et alors, malgré tous ces témoignages qui s'amoncèlent,
01:37parce qu'encore une fois, on parle de plus de 80 témoignages,
01:40Gérard Miller nie totalement ses accusations.
01:43Pour lui, il n'a jamais abusé sexuellement de qui que ce soit.
01:47Il salue même la libération de la parole et le mouvement MeToo.
01:51Oui, alors ça, ça a été quelque chose d'assez troublant.
01:55Il y a d'ailleurs un chapitre du livre qui s'appelle Janus.
01:57Vous savez, ce dieu aux deux visages, c'est qu'au moment où on rédigeait cette enquête,
02:03on le voyait en plateau dans des émissions, notamment sur France 5,
02:09où il loue MeToo en disant « Mais la fierté de la France, c'est la parole des femmes ».
02:14Et c'est d'ailleurs à partir de ce moment-là que des femmes ont commencé à nous appeler
02:17parce qu'elles se disaient victimes d'agression par le passé
02:21et elles se sont dit « Mais c'est insupportable de l'entendre prêcher comme ça la bonne parole féministe ».
02:28Et c'est vrai qu'on est assez troublé quand on regarde encore ces extraits qu'on a visionnés des dizaines de fois.
02:33On se dit « Est-ce que lui, il croit à ce qu'il dit ? »
02:36Oui, c'est ça.
02:36Est-ce que c'est du déni ?
02:38Ou est-ce qu'il est dans le déni ?
02:39Ou est-ce que c'est une couverture ?
02:42Et à ce jour, on ne sait pas encore répondre à cette question.
02:45Et on le rappelle qu'à ce jour aussi, Gérard Miller est toujours présumé innocent des faits qui lui sont reprochés.
02:52Et alors, l'une des questions néanmoins qu'on se pose tout au long de ce livre,
02:55c'est pourquoi aucune de ces femmes n'a osé porter plainte à l'époque.
02:58Les raisons sont nombreuses.
03:00Vous évoquez la peur de s'en prendre à une personne très connue,
03:03la honte aussi d'être allée volontairement chez lui.
03:07Mais surtout, vous révélez que l'une des victimes présumées de Gérard Miller a bien porté plainte.
03:13C'était en 2003.
03:15En 2003.
03:16Alors, c'est une jeune femme qu'on a appelée Vanessa,
03:18qui raconte la même histoire que les autres.
03:21Elle le rencontre sur le plateau d'une émission de télévision.
03:24Elle est avec une copine.
03:25Il leur propose de devenir testeuse de spectacles,
03:28de regarder des spectacles gratuits pour l'émission.
03:30Et donc, il dit, venez chez moi, il y aura ma secrétaire, on va arranger ça.
03:33Et puis, elles arrivent chez lui.
03:34Elles se rendent compte qu'il n'y a pas de secrétaire.
03:37Et elles disent qu'on leur a fait des propositions d'hypnose
03:40et qu'elles ont subi des attouchements.
03:43Et selon leur récit, en sortant de chez lui, elles font dans l'arme.
03:47Et Vanessa dit, mais moi, je ne vais pas en rester là.
03:49Sa copine lui dit, non, non, on n'en parle plus.
03:52On a déjà de la chance de ne pas avoir été violée, dit-elle.
03:55Et Vanessa dit, moi, je vais aller déposer plainte.
03:57Et donc, elle va dans une gendarmerie des Yvelines.
04:00Et la femme gendarme lui dit, la reçoit gentiment,
04:04lui dit, vous avez été victime d'une agression sexuelle.
04:06Elle raconte tout.
04:07Elle donne des textos qu'elle a échangés avec lui,
04:10des mails, etc., qui prouvent le rendez-vous.
04:12Et puis, rien ne se passe.
04:15Et un an plus tard, elle est en cours à la fac.
04:17Et c'est un policier qui l'appelle,
04:18parce que le dossier a dû être transmis à un commissariat,
04:21peut-être à Paris, et qui dit,
04:23écoutez, votre affaire, elle va être classée.
04:25Mais, ne vous inquiétez pas, on l'a reçue.
04:27On lui a fait la leçon.
04:29Il ne recommencera pas.
04:31Et Vanessa dit, à ce moment-là,
04:33il n'y a même pas eu de confrontation avec lui.
04:36Elle n'a même pas été reçue une deuxième fois,
04:38selon son récit, encore une fois,
04:39pour raconter plus longuement.
04:41Et elle se dit, moi, je vais rester avec ça.
04:43Et lui, on lui a, en gros, tiré les oreilles.
04:47Alors, on pense qu'il a été reçu, quand même,
04:49parce qu'on voit, quand on refait la chronologie,
04:51qu'après 2003, ça se calme.
04:53Même s'il y a encore des faits en 2014, en 2008, en 2020.
04:57Qu'il a reçu une alerte.
04:58Mais ça, ça se calme.
05:00Et Vanessa, d'ailleurs, a redéposé plainte.
05:03Et elle a été entendue pendant six heures par l'APJ.
05:06Et ce que ça montre, encore une fois,
05:08notre enquête, parce qu'on a tiré plein de fils,
05:10c'est que ça montre que c'était une époque
05:13où peut-être que la justice était moins attentive
05:15à une affaire où la jeune fille est allée
05:17de son plein gré chez un homme célèbre.
05:20Donc, peut-être que la justice s'est dit,
05:22c'était peut-être une fan.
05:23Et puis, pour une agression, c'est un huis clos.
05:25Il n'y a pas de témoin.
05:26Donc, ça ne donnera rien.
05:27On ne va pas aller plus loin.
05:29Ça montre peut-être aussi qu'à l'époque,
05:31déjà, la justice était submergée de dossiers
05:34et que, donc, elle devait faire des choix.
05:36Vous avez quitté Cécile Olivier, BFM TV,
05:39après 14 ans sur cette chaîne,
05:41pour rejoindre le magazine Elle
05:42et pour sortir des enquêtes comme celle-ci,
05:45enquêter sur ces affaires de violences sexuelles, sexistes.
05:48Mais vous expliquez dans ce livre aussi
05:50qu'il y a une sorte de contre-feu médiatique
05:53qui tente de discréditer le travail des journalistes
05:55qui enquêtent sur cette affaire.
05:58On parle parfois de chasse aux sorcières
05:59ou de fin de la présomption d'innocence.
06:03Ça vous embête, tout ça ?
06:05Alors, ce n'est pas tellement médiatique.
06:09Ce n'est pas tellement les médias.
06:10Mais on pense, oui, à certains livres
06:12qui ont été publiés
06:13et à des gens qui parlent de tribunal médiatique
06:16et qui disent que les journalistes
06:18n'ont pas à enquêter sur ces faits.
06:20Il faut laisser faire la justice, etc.
06:22Bon, on l'entend,
06:23mais nous, on n'est évidemment pas d'accord avec ça.
06:26Ce n'est pas qu'on se substitue aux juges.
06:28Simplement, le travail des journalistes,
06:30c'est de révéler des faits
06:32et des faits qui nous paraissent d'intérêt public.
06:36Et là, c'est vrai que quand on a sorti l'affaire,
06:37il n'y avait pas d'enquête judiciaire,
06:39mais ça nous a paru suffisamment grave.
06:42Et nous, notre seul souci,
06:43c'est est-ce qu'il y avait une base factuelle
06:45qui était vérifiée ?
06:47Vous pensez que la justice ne s'en serait pas saisie
06:50si vous n'aviez pas sorti cette enquête ?
06:53Si, mais le tout, c'est
06:55est-ce que si on n'avait pas sorti cette enquête,
06:56est-ce que 80 femmes se seraient manifestées ?
07:00Je ne pense pas.
07:01En fait, chacune, après notre première enquête,
07:03on est assaillis de coups de fil par, au départ,
07:06ces 41 femmes qui nous appellent
07:07et qui disent
07:08« mais j'ai gardé ça en moi pendant 20 ans,
07:10je pensais être seule. »
07:12Je pensais être seule
07:12et elles en ont conçu de la culpabilité,
07:14de la honte en disant
07:15« mais je suis allée de mon plein gré
07:17chez cet homme que j'avais rencontré
07:19sur une émission,
07:21j'ai été dans son hôtel particulier. »
07:22Donc, elles se sont senties bêtes,
07:25elles se sont senties coupables,
07:26elles en ont conçu de la honte
07:27et c'est le fait qu'il y ait une première enquête
07:29avec des premiers témoignages
07:31qui leur donne le courage
07:32de sortir du bois.
07:34Mais alors, juste une dernière question,
07:35est-ce qu'il n'y a pas un risque
07:37néanmoins que toutes ces affaires
07:38et tous ces hommes dont on parle,
07:40parce qu'il y a beaucoup d'affaires
07:41dont on parle en ce moment,
07:42qu'ils soient tous placés
07:43un peu dans le même sac ?
07:45C'est ce dont parle notamment
07:46le réalisateur Nicolas Bedos
07:47qui a été condamné
07:48pour des faits qui n'ont pas du tout
07:50la même ampleur
07:51que ceux qui sont reprochés
07:52et là, à Gérard Miller.
07:54Qu'est-ce que vous répondez, vous, à ça ?
07:56Est-ce que vous ne pensez pas
07:57qu'il y a un risque de confusion
07:58dans les yeux du public
07:59et que finalement,
08:00tous ces hommes soient placés
08:02sur le banc des accusés
08:03et n'aient plus le droit de répondre ?
08:05Alors déjà, on peut dire
08:06que Nicolas Bedos a été condamné
08:08pour agression sexuelle.
08:10Ce n'est pas les médias,
08:11c'est la justice qui a estimé
08:12qu'il y avait une condamnation.
08:13Il a été condamné, je crois,
08:15à six mois de prison.
08:17Alors, tous dans le même sac,
08:21je ne sais pas, en tout cas,
08:22je peux répondre pour mon magazine.
08:24Elle, vous voyez bien
08:25qu'on ne sort pas des enquêtes
08:27tous les jours,
08:28toutes les semaines,
08:29ni même tous les mois.
08:30On en sort une ou deux par an
08:32parce qu'on choisit nos enquêtes
08:35et nos critères,
08:36c'est qu'il y ait des faits graves.
08:38On a donc sorti cette enquête
08:40sur Gérard Miller
08:40avec des femmes qui dénonçaient
08:41des agressions sexuelles,
08:43des viols.
08:43On en a sorti une sur Alain Sard,
08:47un réalisateur,
08:48un producteur, pardon,
08:50qui était accusé de viol
08:51et d'agression.
08:52On en a sorti une récemment
08:53sur Jean-Himbert
08:54avec des femmes
08:55qui dénonçaient
08:55des violences conjugales.
08:56Donc, on choisit nos affaires
08:58avec des faits graves,
08:59une sérialité,
09:00c'est-à-dire toujours
09:01avec plusieurs femmes
09:02qui dénoncent
09:03et avec, c'est important pour nous,
09:05certaines qui ne soient pas anonymes,
09:07qui témoignent en leur nom propre.
09:09Qui ont des résonances,
09:10ces enquêtes-là,
09:10puisqu'on vient d'apprendre
09:12il y a quelques heures
09:13que Jean-Himbert
09:13ne ferait pas
09:14le fameux dîner
09:15du Festival de Cannes
09:16qu'il faisait depuis des années,
09:17suite à cette enquête
09:18qui est sortie
09:19dans le magazine L.
09:20Merci beaucoup,
09:21Cécile Olysier,
09:22d'être venue ce matin
09:23sur Europe 1,
09:24Anatomie d'une prédation.
09:25C'est une enquête
09:25très fouillée,
09:26passionnante,
09:27signée avec Alice Augustin
09:30et c'est un livre
09:31qui est publié
09:31aux éditions Robert Laffont.
09:34Merci beaucoup d'être venue.
09:34Merci à vous.
09:35Merci à vous.