Caroline Brémaud, urgentiste, et Rémi Salomon, pédiatre à l’hôpital Necker, étaient les invités de France Inter vendredi 2 mai, pour évoquer la situation de l'hôpital public et du système de santé en France.
Retrouvez tous les entretiens de 8h20 sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-du-week-end
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00:00Et un grand entretien ce matin pour braquer le projecteur sur la situation de l'hôpital public
00:05et notamment des services d'urgence en France.
00:08Et pour en parler avec Marion Lourdes, nous recevons deux invités,
00:12une ancienne chef de service aux urgences de Laval, notamment pendant le Covid-19.
00:18Elle raconte le quotidien d'une médecin en lutte pour l'hôpital public.
00:22Bonjour Caroline Brémeau.
00:24Bonjour Ali, bonjour Marion.
00:25Bonjour.
00:25Et bienvenue, c'est publié aux éditions du Seuil.
00:28Le titre, état d'urgence au pluriel.
00:30Et vous allez nous expliquer pourquoi.
00:32Avec nous également Rémi Salomon.
00:34Bonjour.
00:34Bonjour.
00:35Pédiatre à l'hôpital Necker à Paris, président de la commission médicale de la PHP
00:39et représentant des médecins des CHU.
00:42Vous êtes à un poste d'observation privilégié pour prendre la mesure de ce qui se joue
00:47ou de ce qui se délite à l'hôpital public.
00:50Vos questions, vos témoignages chers auditeurs au 01 45 24 7000
00:54ou sur l'application Radio France.
00:56J'aimerais plutôt qu'on parte d'une radiographie générale, qu'on parte de votre témoignage, Caroline Brémeau,
01:02parce qu'il est extrêmement fort.
01:04Il raconte votre travail, vous racontez également vos journées, vos gardes, les relations avec les patients
01:12dans un service d'urgence à Laval.
01:15Ce n'est pas anodin.
01:17C'est un endroit qui est frappé par la désertification médicale.
01:20où il y a comme une sorte de révélateur au sens quasiment chimique des difficultés que rencontre l'hôpital public.
01:29Vous écrivez que les patients nous suivent, eux ou leurs fantômes, parfois leurs familles.
01:34Ils font de nous ce que nous sommes.
01:36Est-ce que vous pouvez, en quelques mots, nous dire à quoi ressemblaient vos journées de type ?
01:41On est un 2 mai, donc il y a la question des gardes évidemment qui se posent,
01:46la question des effectifs qui sera là, qui ne sera pas là.
01:48Est-ce que vous pouvez nous dire à quoi vous avez, comment vous avez vécu ces dernières années ?
01:56Ces dernières années, elles ont été marquées par une dégradation de l'accès aux soins.
02:00Avant, on allait prendre sa garde plutôt sereinement, disons qu'on allait avoir des collègues.
02:05Là, si je n'ai pas le temps de regarder mon planning avant de venir,
02:08je ne suis pas sûre d'avoir un collègue pour faire la journée avec moi.
02:11Et je ne suis pas sûre non plus d'avoir d'autres équipes médicales de SMUR sur le département.
02:17Donc c'est un peu la surprise quand on arrive et ce n'est pas toujours des bonnes surprises.
02:21Alors il y a la question des pénuries, il y a évidemment ce dont on va parler,
02:25ce mot de dégradation qui cache énormément de choses.
02:27Je vous cite, je ne comprends plus grand chose au système de santé tel qu'il est.
02:31Alors que vous êtes une grande professionnelle, vous ne comprenez plus ce système tel qu'il est en train de devenir.
02:37Tout est fait pour valoriser la transaction financière au détriment de la relation humaine.
02:42Et au bout du compte, malgré les intentions louables, cette politique mène à une déshumanisation des soins.
02:48J'en suis persuadé.
02:50C'est extrêmement fort.
02:52Est-ce que vous imaginez ça une seconde lorsque vous étiez toute jeune étudiante en médecine,
02:57vous racontez ce jour où vous faisiez partie, ce jour béni où vous faisiez partie des quelques étudiants admis en deuxième année de médecine
03:06et on sait que c'est le parcours du combattant ?
03:08Non, jamais j'avais pensé ça comme jamais j'avais pensé connaître les pénuries de médicaments.
03:13J'étais plutôt enthousiaste, naïve et confiante sur les autorités de tutelle.
03:20Et c'est vraiment pendant la crise Covid que j'ai réalisé que finalement les décisions qui étaient prises,
03:25elles n'étaient pas toujours dans l'intérêt du patient à l'instant T, mais elles étaient dans un intérêt plutôt économique.
03:31Et je le dis dans le livre, je suis devenue adulte ce jour-là parce que pour moi, le meilleur médicament, c'est l'humain.
03:38Et pendant longtemps, j'ai cru qu'on pensait tous la même chose.
03:41Le médicament, le meilleur des médicaments, c'est l'humain, Rémi Salomon ?
03:45Oui, bien sûr.
03:46Et c'est intéressant parce que vous êtes le représentant des médecins des CHU, donc des centres hospitaliers universitaires.
03:53Elle a été universitaire tout comme vous, vous avez parcouru absolument tout le chemin, ce long chemin pour devenir médecin et exercer ses responsabilités.
04:02Le mot d'état d'urgence, ça fait des années qu'on l'utilise, cette expression, ces mots pour décrire un système en crise.
04:10Comment expliquer qu'on en soit toujours là ?
04:13Alors, les choses ont quand même évolué.
04:16Il y a eu le Covid et pendant le Covid, l'hôpital a fait face à cette crise sanitaire sans précédent.
04:23Et les Français ont bien vu l'importance de l'hôpital public qui a permis de protéger la nation finalement quand même.
04:31Donc, moi, je voudrais à la fois être, on est conscient des difficultés, des difficultés d'accès aux soins, comme vient de le dire Caroline Brémeau,
04:38que les Français vivent au quotidien. Et ça, c'est une vraie difficulté et qui se traduit par ce qu'on voit dans les services d'urgence.
04:45On va y revenir.
04:46Je voudrais quand même dire aux jeunes qui sont encore nombreux à vouloir devenir médecin ou être d'autres professions de santé, infirmiers, kinésithérapeutes et autres.
04:56J'ai encore autour de moi plein de jeunes qui sont enthousiastes.
05:01Et donc, je voudrais quand même un tout petit peu les rassurer puisque le CHU, c'est l'endroit, comme vous l'avez dit, où on forme.
05:06Donc, on forme tous les médecins, les professions de santé.
05:09Et donc, on a un enjeu majeur, c'est qu'il va falloir former plus de médecins notamment dans les années qui viennent car on en manque.
05:15Et donc, je voudrais quand même les rassurer un tout petit peu parce que j'entends une inquiétude forte de leur part.
05:21Ils ont des raisons d'être inquiets.
05:23Mais je voudrais quand même les rassurer en leur disant que ça reste quand même un métier formidable.
05:27Et tous les jeunes qui viennent dans le service le matin viennent avec plein de l'enthousiasme.
05:33Ils sont heureux d'être là.
05:34Et je pense qu'il faut simplement qu'on leur donne un cadre probablement où ils aient le sentiment que l'exercice de la médecine sera peut-être plus adapté à l'idée qu'ils s'en font au départ.
05:48Et que ce qu'ils font a du sens.
05:50Et effectivement, il peut y avoir certaines dérives aujourd'hui dont il faut se prémunir.
05:54Et il y a quand même, alors évidemment, on entend votre message positif, il y a quand même des moments très durs, en tout cas que vous racontez dans votre livre, Caroline Brémeau.
06:00Vous racontez que quand vous étiez au poste de régulation aux urgences, il y a une mère qui vous a appelée en larmes parce que son fils de 13 ans s'était suicidé.
06:08Parce qu'on lui avait, alors pas parce qu'on lui avait, mais on lui avait auparavant refusé une hospitalisation en pédopsychiatrie.
06:14Parce que, je cite, son cas n'était pas suffisamment grave.
06:17Là, on sent vraiment votre colère.
06:19Vous demandez, c'est quoi ce pays de merde ?
06:21Oui, enfin c'était extrêmement douloureux.
06:24C'était les dernières minutes de ma garde.
06:26L'assistant de régulation médicale, l'ARM, me dit, je te passe la maman, j'engage le SMUR.
06:33L'enfant vient du service d'urgence.
06:36L'équipe mobile d'urgence et de réanimation, donc le médecin qui se déplace à domicile.
06:40Et l'enfant s'est pendu, donc je prends en ligne la maman, je lui demande de décrocher son enfant.
06:48Et je lui dis, est-ce que vous pouvez faire le massage cardiaque ?
06:50Elle me dit, non, il est froid et je ne veux pas rester dans la même pièce.
06:53Et donc, je reste en ligne avec elle jusqu'à ce que l'équipe médicale arrive.
06:57Et pendant 13 minutes, je l'écoute me raconter tout ce qu'elle a envie de me dire.
07:02Et heureusement pour moi, elle est bavarde parce que moi, j'ai juste envie de pleurer.
07:06Je n'ai pas les mots.
07:07Et elle me raconte sa culpabilité, sa colère, sa souffrance, son chagrin éternel de maman.
07:14Et je m'y retrouve dans tellement de situations parce que les enfants, on voit vraiment qu'il y a un pic de passage à l'acte qui est énorme.
07:24De suicide, donc en l'occurrence, il s'agissait bien de ça.
07:26Rémi Salomon, vous, vous êtes pédiatre à Necker.
07:29Quand vous entendez qu'effectivement, cet enfant n'a pas été admis en pédopsychiatrie, vous comprenez la colère de Caroline Brémont ?
07:35Oui, absolument. Je pense que ce problème de la santé mentale des jeunes, des très jeunes parfois, jusqu'à 10 ans, jusqu'à le jeune âge adulte,
07:44c'est un problème, je pense, le problème de santé aujourd'hui le plus important en France.
07:48Anne-Cécile Maïfer en parlait tout à l'heure, la présidente de la Fondation des Femmes, en dressant un tableau absolument accablant de la situation de la prise en charge de l'adolescence.
07:56Donc je pense qu'il y a effectivement, les pédopsychiatres me disent, avant que les jeunes n'en arrivent à cette dernière extrémité,
08:01ou arrivent aux urgences, ou pour des troubles du comportement alimentaire majeur,
08:06et de devoir être hospitalisés dans des structures qui ne sont pas forcément toujours adaptées,
08:09parce qu'on n'a pas tout le personnel pour les prendre en charge.
08:12C'est des jeunes qui n'ont pas été repérés à l'école, qu'on n'a pas pu prendre en charge.
08:17Les délais pour avoir une consultation dans un centre médico-psychologique sont parfois au-delà de 6 mois, 1 an, voire plus.
08:24Donc il y a effectivement, ce n'est pas que l'hôpital, est-ce qu'on voit effectivement l'hôpital, c'est le dernier recours,
08:30mais il y a tout le tissu et le système de santé dans son ensemble qui doit être effectivement repensé.
08:36Il y a de nombreuses questions au standard et des témoignages.
08:39Bonjour Marie et bienvenue sur France Inter.
08:43Oui, bonjour.
08:45Vous avez une expérience justement qui a eu lieu ou qui s'est jouée à l'hôpital Necker ?
08:50Oui, il y a deux ans et demi, en fait, ma nièce Victoire, qui avait 14 ans à l'époque, 15 ans, pardon,
08:57elle a déclaré une appendicite et en fait, le temps qu'elle soit prise en charge, ça a viré en péritonite.
09:03Et au point qu'elle s'est vue mourir, quoi, travailler sa famille avec.
09:07Elle a dû attendre 24 heures avant d'être traitée, transfert d'hôpital, manque de personnel.
09:13Elle a passé une semaine dans vos services à Necker.
09:17Exactement. Plus une semaine d'arrêt, pour une appendicite, c'est un truc qui, moi, quand j'avais 10 ans, c'était du tout venant.
09:26Merci Marie pour votre témoignage.
09:27C'est l'hôpital de Paris, quoi.
09:30Oui, l'un des meilleurs hôpitaux de Paris et l'hôpital par excellence de la prise en charge des enfants malades, Rémi Salomon.
09:36Alors, je ne connais pas le détail de l'histoire du fils de Marie et de savoir quels ont été les points qui ont posé problème.
09:43Ce que je sais, par exemple, c'est que les chirurgiens pédiatres...
09:47Sa nièce.
09:48Sa nièce, pardon.
09:49Les chirurgiens pédiatres ne sont pas assez nombreux aujourd'hui.
09:52Donc, il y a effectivement des régions de France où on manque de personnel pour endormir les anesthésistes,
09:58pour endormir les enfants, pour les opérer.
09:59C'est une expertise qui s'acquiert au fil des années.
10:04Et donc, il faut, au-delà du fait que l'on manque globalement de médecins,
10:07il faut aussi essayer de voir de quels médecins on a besoin.
10:11Et donc, très clairement, on a besoin de psychiatres, de pédopsychiatres, on en a parlé avant.
10:15On a besoin de chirurgiens pédiatres, même s'ils ne sont pas très nombreux.
10:18Il faut qu'il y en ait partout en France pour éviter les drames.
10:21Et Caroline Brémeau, vous disiez justement que, bon, vous, vous avez exercé dans ce qu'on appelle un désert médical,
10:27le manque d'effectifs, c'est un département, celui où vous exerciez, où vous étiez à la tête du service des urgences,
10:34qui est le cinquième désert médical de France.
10:36Il y a 6,3 médecins, bon, disons 6 médecins, pour 10 000 habitants.
10:4310% des plus de 16 ans n'ont pas de médecins traitants.
10:46Ces chiffres, ils sont absolument ahurissants.
10:49Et vous racontez que cette situation, elle a des conséquences dramatiques.
10:52Et votre témoignage, il est extrêmement fort dans votre livre.
10:55Quand on parlait justement de l'attente aux urgences, vous dites, voilà, quel sens donner à une nuit passée,
11:02votre nuit, passée à encaisser le regard accusateur des patients auxquels j'ai dit que j'allais trouver un lit,
11:08mais qui, alors que le jour se lève, sont toujours dans le couloir à attendre.
11:12À attendre quoi ? Arrive un moment où on ne sait plus quoi leur dire.
11:17Ce que vous décrivez, c'est tragique, mais on se sent vraiment seul dans ces moments-là ?
11:22Comment est-ce qu'on réagit ?
11:23Il y a plusieurs façons de réagir.
11:26J'ai beaucoup de collègues, en fait, qui mettent une carapace et qui ne laissent passer aucune émotion.
11:32Et moi, j'essaie toujours d'affronter les choses.
11:35Je m'excuse.
11:36Et puis, quand je rentre chez moi, ça m'arrive très souvent de pleurer.
11:39Enfin, dans le livre, je pleure souvent.
11:41Je le raconte.
11:41J'ai besoin, en fait, de pleurer pour rester humaine, pour rester vivante.
11:45Il faut garder ses émotions.
11:46Pour moi, il faut les assumer, les sortir, parce que si on met une carapace, on risque de se déshumaniser et on risque de moins bien prendre en charge les patients.
11:55Parce que les patients, le meilleur médicament, c'est l'humain.
11:58Ils ont besoin de nous, de notre chaleur humaine et de notre bienveillance.
12:01Rémi Salomon, une question ?
12:02Non, pour les urgences, puisqu'on en parle aujourd'hui, les urgences, en fait, c'est juste la cristallisation du défaut de l'ensemble du système.
12:12C'est des patients qui viennent là parce qu'ils n'ont pas trouvé de médecin.
12:15Ils n'ont plus de médecin en ville pour répondre à leurs besoins.
12:19Donc, ils viennent aux urgences alors qu'ils ne devraient pas y être.
12:22Et puis, c'est ce qu'on vient de dire.
12:23On attend parce qu'on n'a pas de lits d'aval.
12:26C'est-à-dire, le patient a besoin d'être hospitalisé, mais il n'y a pas de place dans l'hôpital.
12:32Et donc, il attend sur un brancard, aux urgences, parfois longtemps.
12:36Et on sait que quand on est, pour les sujets âgés, ça a été démontré, il y a une perte de chance.
12:40Si on attend une nuit sur un brancard.
12:41Mais pardon de parler des émotions, de revenir sur les émotions, parce que c'est ce qui est très fort dans le livre de Caroline.
12:46En l'occurrence, cette chose, vous enseignez la gestion des émotions aux urgences, Caroline Brémeau.
12:52Est-ce que ça existe aussi à Necker ?
12:54Bien sûr. Quand on fait ce métier-là, on est forcément exposé.
13:00C'est un métier qui est fait d'émotions.
13:03La relation avec les patients, avec la souffrance, parfois avec la mort, est chargée émotionnellement.
13:09Et donc, il est important.
13:09Alors, vous me posez la question, est-ce qu'on apprend ça à l'école de médecine ?
13:14Plus ou moins.
13:14Plus ou moins, je pense qu'il faut qu'on soit très attentif.
13:18Caroline Brémeau a l'air de douter.
13:18Et notamment très attentif aux jeunes qui viennent.
13:21Je reviens toujours aux jeunes qui viennent pour apprendre la médecine.
13:25Il faut de la bienveillance aussi, puisque c'est assez violent, finalement, de se retrouver, quand on est jeune, confronté à cette souffrance.
13:33Et donc, oui, il faut qu'on soit, que les anciens, dont je fais partie, encadrent ces jeunes.
13:38On va avoir besoin de plus de médecins, donc il va falloir en former plus.
13:41Il va falloir aussi plus de gens pour les former, pour les encadrer.
13:44Alors, Caroline Brémeau, justement, à propos des déserts médicaux, puisque vous, vous habitez dans le cinquième désert médical français.
13:51Et cette question de manque de bras à l'hôpital, c'est un sujet récurrent pour la plupart des gouvernements.
13:57Là, récemment, il y a eu une annonce du gouvernement qui veut obliger les médecins à exercer deux jours par mois dans un désert médical.
14:07Est-ce que ça, vous qui êtes médecin, c'est une bonne réponse, d'après vous ?
14:11Parce qu'on entend beaucoup de médecins qui dénoncent ça aussi, qui disent « je ne peux pas aller m'installer là-bas pour deux jours »,
14:16qui disent « ça va décourager les vocations », il y en a qui vont aller travailler à l'étranger.
14:20Comment vous vous positionnez ?
14:21Alors, sur l'organisation en deux jours, je trouve que ce n'est pas forcément favorable dans l'intérêt du patient,
14:28parce que les patients qui sont en ville, ils ont besoin d'être suivis.
14:32En ville, donc c'est chez un libéral.
14:33En libéral, voilà.
14:34Ils ont besoin d'être suivis, ils ont besoin qu'on les connaisse, qu'on les reconnaisse et qu'on détecte aussi.
14:39Parce qu'on les connaît bien, tiens, il n'est pas comme d'habitude.
14:42Et avec quelqu'un qui vient juste deux jours par mois, et puis les jours d'après, c'est quelqu'un d'autre,
14:46on n'a pas en fait ce petit truc en plus qu'il y a le médecin traitant qui voit depuis dix ans son patient
14:52et qui va dire « tiens là, ça me met la puce à l'oreille ».
14:55Et vous avez des solutions à proposer, Rémi Salomon, avant de retourner au standard ?
14:58Oui, alors il y a beaucoup de choses en quelques minutes, mais je pense qu'à l'endroit où il y a encore des gens,
15:03encore des acteurs en ville, je pense qu'il faut qu'on crée plus de liens entre les acteurs de la ville et de l'hôpital.
15:10Les jeunes aujourd'hui demandent beaucoup à travailler en équipe pluriprofessionnelle.
15:14Mais est-ce qu'il faut de la...
15:14Qu'est-ce qu'on fait à l'hôpital ?
15:15Est-ce qu'il faut forcer ?
15:16Alors, le travail en équipe pluriprofessionnelle, il faut le favoriser également en ville,
15:21et il faut favoriser le lien entre les équipes de l'hôpital et les équipes de la ville.
15:24Est-ce qu'il faut forcer ?
15:25Moi je pense, je voudrais là aussi rassurer un peu, parce que j'entends beaucoup de choses aujourd'hui dans la rue et dans les médias.
15:30Les manifestations de syndicats de médecins.
15:31Oui, alors les propositions de loi dont j'ai entendu parler, j'ai pas légitimité à vous répondre s'il faut ou pas forcer.
15:37Mais je pense qu'il faut juste la régulation de l'installation dont on parle, de ce que j'ai entendu, ne concerne que 13% du territoire.
15:45Donc il faut rassurer les jeunes, ils vont pouvoir s'installer à l'endroit où ils souhaitent exercer, dans la très grande majorité des cas.
15:53Après, c'est vrai qu'il y a des endroits où il n'y a plus personne, il n'y a plus de médecins, il n'y a plus d'écoles, il n'y a plus rien.
15:57Donc là, moi je pense qu'il faudrait qu'on aille dans les lycées, dans ces zones rurales ou dans les zones périurbaines où il n'y a plus personne,
16:04pour encourager les jeunes, leur montrer ce que sont les métiers de la santé et leur proposer de les accompagner.
16:10C'est-à-dire de leur payer les études de médecine.
16:12Parce que beaucoup de jeunes renoncent, surtout dans des milieux sociaux moins favorisés, renoncent parce que c'est très long.
16:18On leur paye les études, on les accompagne et à mon avis, un certain nombre d'entre eux, moyennant finances, resteront à l'endroit où ils ont grandi pour exercer la médecine.
16:26Alors ceux qui renoncent, ils sont jeunes, ils sont parfois moins jeunes. Bonjour Bertrand et bienvenue sur Inter.
16:32Vous nous appelez de l'Hérault, vous-même êtes médecin urgentiste, vous l'avez été pendant 25 ans.
16:38Tout à fait, oui, j'ai été médecin pendant 25 ans aux urgences et à l'Association des médecins d'Assemblée de France, le syndicat des urgentistes.
16:47Effectivement, on a essayé de travailler sur plusieurs points. On réfléchit depuis longtemps, comme professeur Salomon, à l'amont.
16:56Donc l'amont des urgences, c'est très important et pour moi, c'est assez mal traité.
16:59La professeure Salomon l'a dit. Aujourd'hui, par exemple, dans les EHPAD, il n'y a plus de soignants à la nuit.
17:06Et donc il se trouve que les malades qui sont dans les EHPAD la nuit, ils sont transférés systématiquement aux urgences.
17:13Donc ça embolise les urgences. Il y a le problème de la qualité, de l'amélioration de la qualité de travail des médecins,
17:24mais pas que, des médecins, des soignants en général, qui vraiment travaillent dur, dur, dur.
17:29Oui, il faut aussi parler des aides-soignants, évidemment, puisqu'ils sont un maillon essentiel du dispositif.
17:36Mais pourquoi avez-vous, Bertrand, pourquoi est-ce que vous avez choisi de quitter l'hôpital public ?
17:41Alors, j'ai quitté l'hôpital public parce que j'étais responsable d'un service d'urgence, un petit service d'urgence.
17:46Et la manne administrative qui nous tombait dessus devenait insupportable.
17:50C'est-à-dire qu'en fait, le service marchait très bien.
17:54Et on nous a mis le pied sur la tête en disant, on va fermer le service puisqu'il faut mutualiser.
18:00Et tout le monde dans le grand service.
18:02Donc, là, pour moi, c'était la fin, quoi.
18:06Et actuellement, je travaille dans une structure publique territoriale.
18:11Voilà.
18:11Donc, pour moi, c'était un peu un constat d'échec, parce que pendant 25 ans, on s'est battus, battus, battus.
18:17Bien sûr.
18:17Aujourd'hui, je voudrais quand même souligner aussi un truc qui est, pour moi, inadmissible.
18:23C'est le système des mercenaires qui viennent faire des gardes urgences qui, pour certains, et je l'ai vu, je l'ai constaté, peuvent être payés 3 000 euros la garde de 24 heures.
18:33Donc, ça, c'est indécent.
18:34Alors, merci Bertrand.
18:36Merci Bertrand pour votre témoignage.
18:37Avant d'arriver à cette question de l'indécence et de ces mercenaires, comme les appelle Bertrand, vous, vous parlez d'un effet domino, Caroline Brémont, justement, dans le monde des urgences.
18:49Quand je suis allée au Sénat, j'ai exprimé ça comme ça, oui.
18:51Pourquoi est-ce que les urgences sont le réceptacle de tous les dysfonctionnements du système de santé ?
18:57Parce qu'en fait, on en a déjà parlé, il y a l'amont, avant les urgences, et il y a l'après, ce qu'on appelle l'aval.
19:04Et donc, quand tout dysfonctionne, en fait, ça se centralise sur les urgences.
19:07Si avant les urgences, ça ne fonctionne pas parce qu'on n'a pas accès aux soins, au lieu de passer par des filières organisées, on va directement aux urgences.
19:14Et si après les urgences, ça ne fonctionne pas, les patients ne peuvent pas monter dans les services.
19:18Il y a aussi des cas qui ne devraient pas se retrouver aux urgences.
19:21Oui, il y a beaucoup, enfin, beaucoup de personnes âgées ne devraient pas, ça devrait passer par des filières.
19:26Ça avait été un projet de l'État, zéro personne âgée en 2024, je crois, dans les services d'urgence.
19:32On est en 2025.
19:33Et oui, je ne les ai pas constatés.
19:34Rémi Salomon.
19:35Oui, juste un mot pour dire que ce qu'on appelle l'aval, la capacité d'hospitaliser les patients, il faut bien voir que ça dépend du personnel dont on dispose.
19:44Et on a été obligé de fermer des lits à l'issue du Covid parce que des gens étaient partis, notamment des infirmiers.
19:50On a pu réouvrir des lits. Il faut encore qu'on en ouvre à nouveau car on a pu améliorer les conditions de travail.
19:55Et j'entendais tout à l'heure parler de la dépense publique, de la nécessité de contrôler cette dépense.
20:01Il faut juste faire attention.
20:02Si on réduit à nouveau la dépense sur l'hôpital, c'est ce qui s'est passé avant le Covid.
20:07Et on a réduit notamment la masse salariale, c'est-à-dire qu'on a augmenté ce qu'on appelle la productivité.
20:12Une infirmière s'occupait de 14 patients.
20:15Aujourd'hui, ce n'est plus possible.
20:16Si on revenait à cette manière de financer l'hôpital, avec ces contraintes budgétaires, on risque de voir partir.
20:24Et responsabilité des citoyens, des patients, de nous tous qui allons à l'hôpital pour une angine, une otite, un malaise vagal, une entorse par exemple ?
20:31Et on est extrêmement attachés, les Français sont très attachés, à l'hôpital public,
20:35qui permet d'avoir normalement un accès aux soins pour tous, avec la même qualité et sécurité des soins.
20:40Mais si on joue à nouveau, si on restreint à nouveau la masse salariale, je le mets juste en garde parce que c'est une petite musique qu'on entend un tout petit peu en ce moment,
20:48on risque d'avoir des départs à nouveau.
20:50Là où on a réussi à réouvrir des lits, on risque de devoir les refermer et d'avoir plus de patients qui seront sur des brancards aux urgences, avec toutes les conséquences que l'on a évoquées.
21:00Et il y a les conséquences pour les patients et pour les soignants aussi.
21:02Vous confiez dans votre livre, Caroline Brémeau, avoir le sentiment de mal faire votre travail, de participer à une maltraitance collective.
21:08Vous racontez aussi les suicides de plusieurs soignants, vous racontez que vous pleurez souvent après vos gardes.
21:15Ça vous a déjà traversé l'esprit de passer à l'acte ?
21:19Pas à l'âge adulte.
21:21Non.
21:22Pas depuis que je suis une femme.
21:23Pas lié à ça, en tout cas.
21:24Pas lié à ça, non.
21:25Est-ce que, Rémi Salomon, il y a eu une épidémie de suicides chez les soignants, comme le dénonçait il y a 15 jours une vingtaine de soignants,
21:32qui ont attaqué le ministre de la Santé et de l'Éducation devant la Cour de Justice de la République ?
21:36Non, heureusement, ces cas dramatiques restent exceptionnels.
21:41Il y en a.
21:42Il y en a.
21:43Vous dire s'il y en a plus aujourd'hui, je ne sais pas.
21:45Mais il faut effectivement, quand les conditions de travail des soignants se dégradent, quand le métier perd le sens pour lequel on avait effectivement choisi de s'y engager,
21:57c'est vrai qu'on peut se retrouver dans ce qu'on appelle une souffrance éthique, qui peut aller jusqu'à, effectivement, soit des départs, comme on a entendu tout à l'heure, du système,
22:06soit parfois, quand la souffrance est trop forte, aller jusqu'au drame absolu.
22:10Mais heureusement, ça reste quand même des cas isolés.
22:14Et il faut qu'on soit à chaque fois extrêmement attentif de comprendre quand les choses se tendent et qu'on ait cette oreille attentive et pouvoir essayer de trouver des solutions.
22:24C'était intéressant de croiser vos regards parce que vous exercez dans des univers qui sont complètement différents.
22:29On a l'impression que c'est quasiment pas le même monde.
22:31Vous avez de la chance d'être dans un lieu d'excellence pour accueillir les enfants en plein Paris, à l'hôpital Necker.
22:37Comment est-ce que vous regardez, justement, ce qui peut se passer dans un service d'urgence ou dans un CHU comme celui de Laval ?
22:45Alors, je suis effectivement dans cet hôpital qui est célèbre, mais je représente aussi l'ensemble des médecins des CHU.
22:51Mais dans tous les CHU, le CHU a été l'endroit où on a pu faire le progrès médical, avancer la science.
22:58Parce que les étudiants sont là ?
22:59Parce que les étudiants sont là, parce qu'on fait de la recherche.
23:01Moi, dans mon service, on s'occupe d'enfants qui ont des insuffisances rénales, on a pu sauver des enfants, faire des greffes rénales qu'on ne faisait pas avant.
23:09On a des médicaments qui permettent même d'éviter l'insuffisance rénale.
23:11Ça, c'est grâce à toute la recherche que l'on fait dans les CHU.
23:16Mais je suis conscient, bien entendu, qu'il y a d'autres endroits où c'est plus difficile.
23:20Et quand les centres hospitaliers périphériques n'y arrivent plus, ils viennent au CHU et le CHU prend toujours.
23:26Mais il peut, à un moment donné, si la pression est trop forte, avoir aussi du mal à passer du temps pour faire de la recherche, de l'innovation.
23:33Donc, c'est l'ensemble du système.
23:34Et n'oublions jamais, en tout cas, les applaudissements pendant la période du Covid.
23:38C'est des bruits qui resteront dans nos têtes et pour longtemps encore.
23:43Merci infiniment à tous les deux, Rémi Salomon.
23:45Merci, Caroline Brémot.
23:46Je rappelle, ce livre est à l'urgence.
23:48C'est au pluriel le quotidien d'une médecin en lutte pour l'hôpital public.
23:51C'est de l'édition du Seuil.
23:53Bonne journée.
23:54Merci.
23:54Merci.