Passer au playerPasser au contenu principalPasser au pied de page
  • hier

Visitez notre site :
http://www.france24.com

Rejoignez nous sur Facebook
https://www.facebook.com/FRANCE24

Suivez nous sur Twitter
https://twitter.com/France24_fr#

Catégorie

🗞
News
Transcription
00:00Grâce à notre invité au cœur de l'info, nous avons souhaité ce soir revenir sur cette escalade rapide des tensions entre le Pakistan et l'Inde.
00:06Quelles sont ses racines ? Qui sert-elle ? Peut-on craindre un dérapage militaire alors que les deux pays possèdent l'arme nucléaire ?
00:13Avec nous pourra parler le grand spécialiste de la région, Jean-Luc Racine.
00:17Bonsoir monsieur. Vous êtes directeur de recherche et mérite au CNRS, chercheur senior à Asia Centre
00:22et vous êtes l'auteur de nombreux ouvrages sur le sous-continent indien.
00:26Enfin, les deux pays sont-ils à nouveau en train de plonger dans les heures les plus sombres de leur histoire ?
00:34C'est la question qu'on se pose depuis le début de semaine.
00:37Oui, en réalité, c'est une répétition de ce qu'on a déjà vu.
00:42Puisque la question du Cachemire qui est au cœur du problème, que ce soit en interne avec les mouvements terroristes qui peuvent y agir
00:51ou sur un plan géopolitique régional, en territoire contesté entre l'Inde et le Pakistan, ça dure depuis 75 ans.
01:00Les mouvements terroristes, c'est plus récent, c'est on va dire les années, fin des années 80-90.
01:07Mais là, ce qui est frappant, c'est que d'une part, le mode d'opération des terroristes,
01:13en choisissant, en interviewant les gens pour demander quel était leur nom et leur religion.
01:20Pour cibler vraiment une communauté étrangère.
01:22Voilà, en laissant de côté les femmes, en n'abattant que les hommes.
01:26C'est quelque chose qu'on a vu ailleurs, dans un autre contexte au Pakistan d'ailleurs.
01:30Mais évidemment, là, on revient aux heures sombres de 2016 ou de 2019,
01:38quand il y a eu, au sein du Cachemire, sous administration indienne, des massacres de ce type,
01:46soit de civils, soit de militaires, avec dans les deux cas, une réplique indienne militaire, mais mesurée.
01:55Donc là, on est apparemment, mais il faut être très prudent, parce qu'on ne sait pas comment tout cela va évoluer, bien entendu.
02:03Mais apparemment, on est sur un autre type de rétorsion.
02:07C'est quand même la première fois que l'Inde dit, puisque c'est comme ça,
02:10vous n'écoutez pas, en s'adressant au Pakistan, accusé d'être derrière les terroristes,
02:18ou au moins d'accueillir sur son sol des groupes liés à ces meurtriers.
02:25La décision indienne de suspendre le traité de l'Indus...
02:33Qui est la première décision en plus qui a été prise.
02:35Donc, c'est qu'on parle d'une escalade, notamment de punitive.
02:36C'est la première, et surtout, depuis des décennies de tensions entre les deux pays,
02:42c'est la première fois que cette question est mise sur la table.
02:46On va avoir une carte, pour comprendre effectivement ce fleuve de l'Indus.
02:48Elle est absolument vitale pour l'agriculture pakistanaise,
02:52et donc pour des dizaines de millions de paysans.
02:57En fait, ce qu'il faut comprendre, c'est qu'il y a plusieurs affluents
02:58qui viennent nourrir ce fleuve Indus,
03:00et ces affluents débutent en Inde, et notamment dans ce Cachemire disputé.
03:04Et c'est vrai que là, les choses ne sont pas claires,
03:07puisqu'on ne sait pas ce qui appartient,
03:08ce qui est sous la responsabilité du Pakistan ou de l'Inde.
03:11Il y a ce que dit le traité, et ce qui se passe vraiment.
03:15Donc, d'un côté, il y a le fleuve Indus,
03:17qui prend certes sa source, même en Chine,
03:19qui traverse le Cachemire, mais là, c'est vraiment l'amont.
03:23Donc, le Pakistan a construit, par exemple, un grand barrage nouveau ici.
03:29En principe, ces fleuves qui viennent directement du territoire indien,
03:34non contesté, c'est-à-dire qui est en blanc sur la carte,
03:37l'Arabie baisse, ce clèche, etc.
03:42Ça, c'est supposé être sous contrôle indien de par le traité,
03:46alors que ces deux-là sont supposés être sous le contrôle pakistanais.
03:49Mais en réalité, ce qui est en rose claire,
03:52c'est le Cachemire sous l'administration indienne.
03:54Et les Indiens ont construit des barrages.
03:59Donc, évidemment, le Pakistan proteste,
04:02et les Indiens disent, bon, le traité a été signé en 1960,
04:05on est maintenant en 2020, 2022, 2025,
04:09il faut peut-être le revoir.
04:11Les Pakistanais disent non, non, non.
04:13C'est d'ailleurs pour ça que vous vouliez voir cette photo du barrage,
04:15puisqu'en fait, ils se servent des barrages du contrôle du fleuve
04:18pour mettre pression sur le Pakistan.
04:19Oui, parce que c'est vital, c'est vital pour le Pakistan.
04:23Qui a d'ailleurs déclaré que si l'eau ne venait pas,
04:26ce serait un acte de guerre, entre guillemets.
04:29Bon, après, on est aussi dans une bataille rhétorique, bien entendu.
04:32Oui, mais c'est vrai que les mots, quand ils viennent de deux pays
04:35qui possèdent l'arme nucléaire, ont du poids, en principe.
04:40On n'utilise pas l'arme nucléaire, elle est faite pour ne pas être utilisé,
04:42c'est ce que vous dites.
04:44Mais malgré tout, c'est vrai qu'on ne sait pas jusqu'où vont aller les provocations.
04:47Voilà.
04:48C'est toute l'incertitude.
04:51Mais en principe, et ça joue surtout pour le Pakistan,
04:55l'arme nucléaire permet la dissuasion du faible au fort.
05:00Parce qu'il y a quand même une asymétrie entre les deux pays, bien sûr.
05:03Pas tellement sur le plan nucléaire, ils ont à peu près le même nombre d'ogives, etc.
05:07Mais il reste, bien sûr, qu'en principe, le nucléaire est fait pour ne pas être utilisé,
05:14mais pour être dissuasif.
05:16Donc, tout le monde s'interroge, quelle va être la prochaine étape ?
05:21Pour l'instant, il y a des tirs de part et d'autre de cette ligne du contrôle.
05:25Oui, ça, c'est assez banal.
05:26Mais c'est vrai qu'on évoque peut-être des armes tactiques nucléaires
05:30qui pourraient être employées par le Pakistan.
05:32Est-ce que ça vous semble crédible ?
05:34Moi, ça ne me semble pas plus crédible que des nucléaires non tactiques.
05:39Parce qu'il faut bien voir qu'en principe, le Pakistan parlait de nucléaire tactique.
05:46S'il y avait eu une invasion indienne, il n'y a plus la carte,
05:50entre le Punjab indien et le Punjab pakistanais.
05:54Pas vraiment pour le Cachemire.
05:55Or, là, on est dans des terres où il y a 800 habitants au kilomètre carré
05:58ou 1 000 habitants au kilomètre carré, ça n'a aucun sens.
06:00C'est une densité très très forte, on revoit la carte.
06:02Voilà.
06:04L'idée était...
06:07Là encore, le nucléaire, ça se prête aussi à la rhétorique.
06:12Là, il y a eu des appels de l'ONU à une résolution pacifique.
06:15C'est vrai que concrètement, il n'y a pas de travail en coulisses de la part de l'ONU.
06:20Est-ce qu'eux sont dans cette perspective-là ?
06:22On a l'impression qu'ils répondent beaucoup aussi à leurs opinions publiques.
06:25– Ah, tout à fait.
06:25– Ils font monter le nationalisme de Paris.
06:26– Tout à fait.
06:27Et quand on lit des commentaires sur des réseaux sociaux indiens,
06:32il y a un ancien militaire qui disait
06:34que l'Inde ne va pas se lancer dans la guerre, entre autres parce qu'un bon nombre de troupes qui étaient au Cachemire sont partis plus à l'est pour contrer les ambitions chinoises sur l'autre frontière, pas avec le Pakistan mais avec la Chine.
06:51– Ce monsieur s'est fait vertement critiquer comme étant « mais vous êtes devenu un agent du Pakistan », etc.
07:00– On n'a pas le droit d'être modéré en Inde actuellement.
07:02– Les opinions publiques, ça compte et ça compte aussi bien sûr pour l'Inde où le gouvernement disait « le Cachemire est maintenant normalisé » et pour le Pakistan qui vit une crise et politique et économique.
07:16Et dans ces cas-là, évidemment, un des ciments de l'unité nationale, c'est donner la parole au Cachemire en fonction des vieilles résolutions de l'ONU des années 40-50
07:26pour savoir où ils veulent aller véritablement par un référendum qui est en vérité lettre morte maintenant.
07:34– Alors actuellement, pour parler du Cachemire qui est au cœur évidemment de ces tensions, il y a là une résistance armée qui est assez forte depuis plusieurs dizaines d'années.
07:44Donc l'Inde accuse concernant cette attaque l'Ashkari Taïba d'être responsable.
07:49C'est un groupe armé qui serait supporté, soutenu par le Pakistan mais ils ne sont pas les seuls.
07:54Il y a le Front de la Résistance.
07:56En fait, la volonté c'est de ne pas laisser l'Inde bouleverser la démocratie de la région pour se l'approprier en somme.
08:03Alors en réalité, le Front de la Résistance, c'est une nouvelle instance que un certain nombre de gens découvrent
08:11qui est apparue après 2019 quand New Delhi a changé le statut du Cachemire,
08:18qui est maintenant sous le contrôle... Il y a un gouvernement élu mais qui est quand même sous l'emprise du gouverneur
08:24qui représente le pouvoir central.
08:27Et on dit que ça a des liens avec l'Ashkari Taïba qui eux-mêmes ont quand même été très affaiblis.
08:34Donc ce qui est intéressant, c'est de voir que le Pakistan...
08:39Bon, évidemment, on nie toute implication de près ou de loin,
08:43mais propose une enquête internationale neutre sur les causes véritablement de ce carnage.
08:50Pour le reste, et l'Arabie Saoudite et l'Iran se sont dit prêts à...
08:57À agir en tant que médiation.
08:59En ayant contacté les deux parties, mais bon, il est urgent d'attendre.
09:03Rappelons d'ailleurs que le Premier ministre indien se trouvait justement en Arabie Saoudite au moment de l'attaque.
09:08Or l'Arabie Saoudite est plutôt un allié du Pakistan.
09:10Alors, le Pakistan doit beaucoup.
09:15Les finances sont exsangues.
09:17L'Arabie Saoudite lui consent des prêts, voire des dons considérables,
09:22de plusieurs milliards de dollars au total.
09:26Mais l'Arabie Saoudite est aussi ouverte à l'Inde,
09:29parce que l'Inde, ça représente une puissance montante.
09:34Et les Indiens cherchent des investissements,
09:37pas des dons ou des prêts,
09:38mais des investissements industriels ou autres.
09:41Donc, ce n'est pas la première fois que Narendra Modi est au Moyen-Orient
09:46et dans les pays du Golfe et même en Arabie Saoudite.
09:50Mais évidemment, il est rentré immédiatement.
09:52Mais on voit qu'il y a encore une lutte d'influence qui s'opère entre l'Iran et l'Arabie Saoudite
09:56dans ces territoires-là.
09:57Voilà.
09:57On les retrouve partout.
09:58Ce n'est pas très étonnant.
10:00Non.
10:00Ce qui m'a interpellé aussi aujourd'hui, c'est cette annonce du Pakistan
10:04qui a tué 54, 53, 54 djihadistes, pour reprendre ces termes,
10:09qui s'infiltraient apparemment de l'Afghanistan,
10:11qui auraient été payés par l'Inde pour perpétrer des attentats en Pakistan.
10:16C'est vrai que ce sont des accusations graves.
10:19Et c'est aussi importer ou exporter le terrorisme chez son voisin.
10:24Alors, ça, ça fait partie des accusations pakistanaises.
10:29En réalité, le cœur du problème, c'est que quand les talibans afghans sont revenus au pouvoir,
10:37ça a donné du boost, si j'ose dire, aux talibans pakistanais.
10:43Et donc, en même temps que le Pakistan accuse l'Inde de soutenir ses groupes,
10:52il accuse le régime des talibans de les héberger.
10:56Donc, on est là encore dans des rhétoriques.
10:59Alors, il est vrai que le Pakistan a arrêté il y a quelques années un espion indien au Balochistan,
11:04qui est une zone extrêmement sensible.
11:09Mais vu d'une plateforme internationale, on dirait,
11:13l'accusation indienne vis-à-vis du Pakistan d'avoir hébergé des réseaux terroristes
11:20pèse plus lourd que les accusations pakistanaises de l'Inde,
11:24même si le Pakistan, aujourd'hui, s'appuie sur le fait, par exemple,
11:27que le Canada accuse l'Inde d'être derrière l'assassinat d'un indien,
11:35mais de nationalité canadienne, qui était séparatiste pour le Punjab.
11:39Donc, on est vraiment dans des luttes d'influence permanente.
11:43Vous pensez que la normalisation des relations entre les deux pays est possible ?
11:48Il y a eu des petites tentatives.
11:49On a l'impression qu'à chaque fois, on refait six pas en arrière.
11:52Alors, il est vrai qu'à chaque fois qu'il y a un début de commencement
11:59vers une normalisation éventuelle...
12:02Encore récemment, avec le Premier ministre pakistanais...
12:05Ça arrive qu'il y ait un attentat qui, évidemment, met tout par terre.
12:11Bon, après, il y a l'autre paramètre qu'on voit parfois dans les médias indiens, entre autres.
12:17C'est une personnalité étrangère de poids visite l'Inde.
12:21Attentat.
12:22Bon, ça, ça se réfère à un attentat important qui avait eu lieu lors d'une visite de Bill Clinton.
12:27Là, ça coïncide avec la visite de Vance, le vice-président américain.
12:31Qui n'a pas intérêt à ce qu'il y ait une tentative de normalisation, de stabilisation de cette région ?
12:39Je n'ai pas de réponse, en réalité, parce que...
12:42Il y a des intérêts dans des terres.
12:43Est-ce qu'on peut parler de terres rares ?
12:44Est-ce qu'on peut parler de...
12:46Donc, il y a encore quelques jours, dans la presse pakistanaise,
12:49il y avait un article disant que ça serait quand même bien qu'on puisse reprendre du commerce bilatéral.
12:56Ça nous profiterait aussi, etc.
12:57Mais la construction de l'opposition dans les deux pays sur cette question du Cachemire,
13:06d'autant plus que l'Inde continue à revendiquer la totalité du Cachemire,
13:11alors que la position pakistanaise, c'est-à-dire qu'il faut remettre sur la table les résolutions de l'ONU,
13:17qui, en réalité, sont lettres mortes, puisque la dernière était en 1957.
13:21Donc, c'est à peu près...
13:25Et comment vous expliquez que l'ONU appelle à la paix à désescalade ?
13:28Comment vous expliquez que les Nations Unies ne s'emparent pas davantage de ce dossier-là ?
13:32Malheureusement, vous voyez ce que sont les embûches au pouvoir des Nations Unies.
13:39Donc, ça se vérifie là aussi.
13:41Les vieilles résolutions, bon, sont de facto caduques, sauf pour les Pakistanais.
13:50Mais on a toutes les raisons de craindre que la normalisation n'est pas pour bientôt.
13:58Je remercie en tous les cas, Jean-Luc Racine, d'être venu sur ce plateau pour nous livrer votre analyse,
14:03pour qu'on comprenne mieux ce qui est en train de se jouer dans ces territoires très lointains,
14:06mais qui ont quand même une résonance en Europe.
14:09Merci à vous, vous restez avec nous.