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00:00Nous sommes le 8 février, ce qui signifie que dans environ 160 jours, le président de la République prononcera comme le veut la coutume ses mots devant un parterre de personnes suspendues à ses lèvres.
00:23Je déclare ouvert les Jeux de Paris célébrant la 33ème Olympiade de l'ère moderne.
00:30À ce moment-là, aucun document ne sera ratifié, aucun décret ne sera signé, et pourtant, sans qu'il ne soit besoin d'aucun autre artifice protocolaire, les Jeux de Paris seront bel et bien lancés.
00:42De la même manière, nous l'avons tous connu, certains plus récemment que d'autres, et je m'inclus dedans, quand votre conjoint ou votre conjointe, votre copine ou votre copain, vous dit « entre nous c'est fini ».
00:55Quel que soit votre avis sur la question, et aussi désagréable et douloureux cela puisse-t-il être, la relation s'arrête.
01:04Dans ces deux situations, on remarque que la parole a un effet prophétique, même mieux, autoréalisateur.
01:10On dit, en linguistique, ou en philosophie d'ailleurs, depuis le travail de John Austin, que la parole est performative.
01:19C'est-à-dire qu'elle annonce ce qu'elle réalise, ou mieux, qu'elle réalise ce qu'elle annonce précisément parce qu'elle l'annonce.
01:25C'est parce que l'on dit que les Jeux sont ouverts, que les Jeux sont ouverts.
01:29C'est parce que l'on dit la rupture, que la rupture advient.
01:33La parole crée une réalité dans le monde des faits, à partir de ce qu'elle tire du monde des mots.
01:43Je m'appelle Pierre Faury, j'ai 22 ans, et si je vous parle de la parole aujourd'hui, c'est parce qu'elle a bouleversé beaucoup de choses dans ma vie récemment,
01:49à mesure que je suis devenu ce que certains appellent, je déteste l'expression, un champion de concours d'éloquence.
01:54Désolé pour l'arrogance.
01:59Et ce soir, je ne vais pas vous faire une démonstration ni de rhétorique ni d'éloquence,
02:02mais plutôt essayer de vous livrer les quelques enseignements que ces expériences m'ont transmises sur la parole.
02:09Et ces enseignements pourraient se résumer en une seule phrase, très simple, peut-être trop simple d'ailleurs,
02:15mais que je vais essayer d'expliciter. Cette phrase, la voici.
02:18Vous la voyez.
02:20Vous serez ce que vous dites.
02:22Et pour commencer à explorer la densité de cette phrase,
02:27je vais commencer par une métaphore qui d'ailleurs n'en est pas une,
02:30qui est une expérience pseudo-scientifique, et j'insiste sur le pseudo, vous allez voir pourquoi,
02:34qui a été réalisée par un médecin japonais il y a quelques années.
02:37Un médecin japonais qui envisait la question de la mémoire de l'eau.
02:42Vous voyez déjà venir le côté pseudo-scientifique.
02:45La mémoire de l'eau, et pour cette expérience,
02:47ce médecin a pris plusieurs sources d'eau auxquelles il a parlé.
02:53Il leur disait des mots.
02:55Il leur chantait des mots, parce qu'il estimait que les vibrations ressenties à travers ces mots
02:58pouvaient avoir des conséquences sur l'eau elle-même.
03:01Et puis il a congelé les différentes sources d'eau,
03:03certaines après leur avoir dit des mots amélioratifs, des compliments, des gentillesses,
03:08presque comme s'il leur faisait des câlins.
03:10Et puis des sources d'eau qu'il allait à l'inverse critiquer, maltraiter, mépriser.
03:16Et puis il a congelé ces eaux-là, et il a observé les cristaux qui se formaient.
03:22Et la démonstration était des plus éloquentes.
03:25L'eau que l'on avait complimentée formait des cristaux bien plus beaux que l'eau qu'on avait méprisée.
03:31J'avais prévenu ces pseudo-scientifiques.
03:35Mais vous allez voir où je veux en venir avec la métaphore qu'il y a derrière.
03:38Prenons l'exemple des enfants.
03:41Quand on dit à un enfant toute son enfance durant,
03:44qu'il est mauvais en maths, en français, en littérature, en histoire,
03:48qu'il est un enfant turbulent, calme, intrépide,
03:52quel que soit l'adjectif que vous vouliez mettre sur lui,
03:56est-ce que vous pensez qu'il saura s'en défaire ?
03:58Est-ce que vous ne pensez pas que lui-même cristallisera comme cette eau-là
04:01les mots que l'on aura portés sur lui ?
04:03Parce que quand on dit à un enfant en permanence que les mots ont un sens
04:06et que c'est pour cette raison-là même
04:09qu'il ne faut pas dire de jurons, de gros mots, d'insultes,
04:14comment lui-même ne pourra pas ne pas intérioriser
04:17les mots que l'on aura portés sur lui ?
04:19Comment, à un âge où l'on cherche encore à se construire,
04:22parfois jusqu'à l'adolescence et pour certains bien après,
04:25comment se défaire des mots que l'on pose sur nous ?
04:29Je vais prendre un exemple très simple qui est personnel,
04:31qui n'est sûrement pas le plus intéressant,
04:32mais moi je suis le petit dernier d'une fatrie de trois.
04:36J'ai un frère et une sœur plus grands.
04:38Et comme dans beaucoup de foyers,
04:40le petit dernier, c'est celui qui ne fait absolument rien.
04:43Ni la vaisselle, ni la cuisine, il ne range pas beaucoup.
04:46Pourquoi ? Parce qu'on apprend les choses aux autres.
04:49Lui, il est petit, il n'a pas encore le temps d'apprendre,
04:51pas encore l'âge pour apprendre.
04:53Et puis on s'est rendu compte,
04:54quand mon frère et ma sœur ont quitté le logis,
04:57que je ne savais pas faire grand-chose.
05:00Qu'on m'a envoyé acheter de la mascarpone
05:01et que j'ai acheté de la mozzarella.
05:04Ça arrive.
05:06Et on m'a dit en ces termes-là,
05:07quand j'avais 9 ou 10 ans,
05:09que j'étais décidément pas très débrouillard,
05:11pas très manuel,
05:12et que dans la maison, je ne savais pas faire grand-chose.
05:14C'est-à-dire que ce n'est pas très grave.
05:16C'est vrai.
05:17Mais le simple fait de dire ces mots-là
05:19m'a aussi conditionné à devenir ça.
05:22Et voilà que 10 ans plus tard,
05:24ouvrir une bouteille de vin,
05:25c'est une horreur pour moi.
05:27Et voilà que 10 ans plus tard,
05:28changer une ampoule relève de l'angoisse quasi-existentielle.
05:32Preuve que je n'ai peut-être pas la lumière à tous les étages.
05:36Vous allez me dire à raison
05:37que je trouve là une excuse bien facile
05:39pour ma maladresse chronique.
05:41C'est vrai.
05:43Mais vous voyez la logique sous-jacente.
05:45On ne peut pas se défaire des mots qu'on pose sur nous.
05:48D'autant plus à l'enfance,
05:49parce qu'on se construit par les mots qu'on entend,
05:51que l'on nous répète,
05:52et plus qu'à terme,
05:54que l'on se répète.
05:55Heureusement, ces choses la changent.
05:58On apprend le français,
06:00les maths,
06:01on apprend l'histoire,
06:02on apprend à ne pas être turbulent,
06:03on apprend pour certains à changer les ampoules.
06:07Ces choses la changent,
06:07mais la logique de la parole,
06:09elle,
06:10reste toujours identique.
06:11Aujourd'hui,
06:13on a vu émerger,
06:13notamment sur les réseaux sociaux,
06:15tous ces gourous du développement personnel
06:17qui nous parlent d'aller prendre des douches froides
06:20à 5 heures du matin
06:20et qui bientôt nous diront
06:22que pour avoir confiance en soi,
06:24il faudra aller faire des incantations
06:25à cloche-pieds au coucher du soleil.
06:29Et parmi ces nouvelles apparitions
06:31dans le monde du développement personnel,
06:33on a vu le retour à la mode
06:34de la question des affirmations positives.
06:38On nous dit que pour avoir confiance en soi,
06:39il faudrait se placer le matin
06:41face à son miroir,
06:43se regarder droit dans les yeux
06:44et dire
06:44« J'ai confiance en moi,
06:47j'ai confiance en moi,
06:49j'ai confiance en moi,
06:51j'ai confiance en moi. »
06:53Et moi, je vous dis,
06:54j'ai peu confiance en cette méthode
06:55parce qu'elle a un côté,
06:57d'abord, disons-le, risible
06:58et puis surtout,
07:00elle n'a rien de très novateur.
07:02C'est somme toute
07:02une application moderne
07:04de la fameuse méthode Coué.
07:06Coué qui était ce médecin
07:07qui voulait, en tout cas cherchait,
07:09à soigner certaines pathologies
07:10en faisant répéter à ses patients
07:12une vingtaine de fois par jour
07:13sur tous les points de vue,
07:16je vais de mieux en mieux.
07:18Vous doutez comme moi
07:19qu'on ne soignera pas ainsi
07:20un cancer du pancréas.
07:22On est bien d'accord.
07:22Mais pour autant,
07:24malgré le côté risible
07:25que je mentionnais à l'instant,
07:27il y a un fond de vérité
07:28et d'intelligence réelle
07:29dans cette méthode-là.
07:32Si je dis,
07:34j'ai confiance en moi,
07:35j'ai confiance en moi,
07:36j'ai confiance en moi,
07:37j'ai confiance en moi,
07:39je n'aurai pas confiance en moi.
07:41Pour autant,
07:43je me mets déjà sur le chemin
07:44d'avoir confiance en moi.
07:44Je fais de moi une personne
07:45qui activement a la volonté
07:46d'avoir confiance en elle.
07:48Ce qui me différencie déjà radicalement
07:50de celle qui n'a pas même
07:51cette volonté-là.
07:53Si je dis,
07:53en commençant une conférence TEDx,
07:56je suis un champion d'éloquence,
07:58pardonner pour l'arrogance,
08:00je me mets immédiatement
08:00dans la position
08:01de celui qui a confiance.
08:03Alors que,
08:04certains le voient peut-être
08:04au premier rang,
08:06mes mains sont un peu moites,
08:07mes jambes un peu chancelantes,
08:09je ne connais pas par cœur
08:10mon texte
08:10et ça m'inquiète un peu.
08:12Et tout ça,
08:14ce sont des choses
08:14qu'on peut éliminer
08:15juste avec un mot.
08:17Je suis un champion d'éloquence,
08:18je n'ai pas le droit de rater,
08:19je n'ai pas le droit de ne pas savoir.
08:21Je suis obligé de performer.
08:23Alors ça met une pression, certes,
08:25mais ça libère aussi
08:26d'un poids qui est immense.
08:29Alors attention,
08:31est-ce que toute parole
08:31est performative ?
08:34Non.
08:35Si je vous dis
08:36que je vais demain gagner au loto,
08:38à moins d'avoir beaucoup de chance,
08:39je ne gagnerai pas au loto.
08:40Si je vous dis
08:41que je fais 1m90,
08:44ceux qui sont observateurs
08:45sauront que c'est faux.
08:46Mais le simple fait
08:50de dire cela,
08:51je fais 1m90,
08:53est-ce que ça ne dit pas
08:54quelque chose de moi ?
08:56La vérité de la parole
08:57ne se porte pas sur son contenu
08:58mais sur sa matière.
09:00Quand je dis
09:00je fais 1m90,
09:02vous vous dites de moi
09:02soit il est un affrementeur,
09:05soit un fin blagueur,
09:07soit quelqu'un qui dissimule
09:07quelque complexe
09:08par l'humour.
09:09Je vous laisse deviner
09:10lequel c'est.
09:12Mais le simple fait
09:13de dire ça
09:13dit quelque chose de moi.
09:16Et donc sur le fond
09:16et sur la forme aussi,
09:18toute parole parle de vous.
09:20Parler,
09:21c'est toujours parler de soi.
09:23Et c'est pour ça
09:24que c'est si fondamental
09:24de parler bien de soi.
09:27C'est pour ça
09:28que c'est si fondamental
09:28de parler bien des autres,
09:29notamment des enfants,
09:30on l'expliquait à l'instant.
09:33Parce que tout ce que vous dites
09:34sera l'analyse,
09:36le regard que les gens
09:37porteront sur vous
09:37et parce que nous sommes
09:39des êtres sociaux,
09:41ce sera souvent
09:41le propre regard
09:42que vous porterez sur vous-même.
09:44Sur la forme,
09:45même chose.
09:47Votre accent,
09:48votre rythme
09:48un peu rapide
09:50ou un peu lent,
09:51votre grammaire,
09:52votre vocabulaire,
09:53tout cela conditionnera
09:54le regard
09:55que les gens auront sur vous,
09:57le regard
09:58que vous aurez sur vous-même
09:59et la personne
10:00que vous allez devenir
10:02dans dix ans.
10:05Voilà
10:05pour l'aspect individuel.
10:09Mais il y a aussi
10:09un aspect collectif
10:10à ça,
10:11à la parole
10:11et à son importance.
10:13On a vu
10:14le versant positif
10:14aussi à l'instant,
10:15comment on peut
10:16construire de la confiance
10:17par la parole.
10:19Voyons aussi
10:19des versants
10:19plus négatifs
10:20avec une approche
10:21un peu plus contextuelle,
10:22plus actuelle,
10:23plus politique aussi.
10:25La question,
10:25c'est aussi
10:26qui a la parole.
10:27La parole,
10:27elle est toujours
10:28constructrice du réel.
10:30Dire quelque chose,
10:31c'est toujours inventer un monde.
10:33Encore une fois,
10:33on l'a dit,
10:34ce n'est pas parce que
10:34ce que vous dites
10:34est faux
10:36que pour autant,
10:37il n'y a pas d'informations
10:37derrière.
10:38Et réciproquement,
10:39dire quelque chose,
10:40ce n'est pas créer
10:41la réalité que vous désignez,
10:42mais c'est créer une réalité,
10:44une perception
10:44que les autres rendent vous
10:45ou votre propre perception
10:46de vous-même
10:46ou du monde.
10:48Mais le problème derrière ça,
10:49c'est que
10:49quand on laisse la parole
10:51à des personnes
10:52qui ont une perception
10:53du monde
10:53qui est biaisée,
10:55biaisée,
10:57c'était pas un jeu de mots,
10:59il n'y a pas fait exprès.
11:02Qu'est-ce qui se passe ?
11:04Qu'est-ce qui se passe ?
11:06Et c'est là
11:06où on voit l'importance
11:07d'opposer toujours
11:08la parole à la parole
11:09parce qu'en fait,
11:10opposer la parole à la parole,
11:11c'est opposer le réel
11:12au réel.
11:15Parce que
11:15vous êtes aux yeux des gens
11:17ce que vous dites,
11:18mais les gens sont aussi
11:19à vos yeux
11:19ce qu'ils disent.
11:21S'il suffit de dire
11:22je suis un opposant
11:23pour s'opposer.
11:26S'il suffit de dire
11:26nous avançons sur ce projet
11:28pour avancer sur un projet.
11:31La parole est vidée
11:33de son sens
11:33et donc le monde
11:35est vidé de sa substance.
11:38Alors on oppose
11:39la parole à la parole,
11:40le débat au débat,
11:42le réel au réel.
11:45Alors quand on nous est posé
11:46la question de notre devenir
11:48dans dix ans,
11:50la question de la parole
11:50elle est fondamentale.
11:52Et la question qui se pose
11:53c'est
11:53quelle parole
11:55allons-nous poser ?
11:58Et la réponse
11:59elle est
11:59simple,
12:00trop simple
12:01comme la question sur non.
12:03Mais si nous voulons
12:05un monde plus poétique,
12:07il suffit de parler de poésie,
12:09il suffit de parler
12:10des mots doux
12:11pour m'aider
12:11même s'ils sont
12:12parfois démodés,
12:14il suffit de penser
12:14à ces mots courts,
12:16de dire pardon parfois,
12:17merci souvent,
12:18je t'aime toujours.
12:20Les mots que nous pesons
12:21et que nous posons aussi d'ailleurs
12:23construisent le monde
12:24de demain.
12:26Songez alors
12:26dans dix ans
12:27quand vous aurez des enfants
12:27pour les plus jeunes
12:29et je m'inclus dedans.
12:30Songez alors
12:31aux étiquettes
12:31que vous allez leur accoler.
12:35Songez
12:35aux adjectifs
12:36par lesquels
12:37vous allez les désigner.
12:40Songez
12:40aussi
12:41à tous ces mots
12:42que vous allez prononcer.
12:43Songez que
12:43si la parole
12:45crée du réel,
12:47c'est que le silence
12:48lui ne crée que du néant.
12:51Que
12:51si le silence
12:52est d'or,
12:54comme dit le proverbe,
12:54c'est parce qu'il nous coûte
12:57tellement.
12:59Songez enfin
12:59que vous pourrez dire
13:01à vos enfants
13:01comme Kipling,
13:03non pas
13:03t'es mauvais en maths,
13:04t'es mauvais en français,
13:05vous pourrez leur dire
13:05tu seras un homme,
13:07mon fils,
13:08tu seras une femme,
13:09ma fille.
13:11Songez enfin que
13:12si la parole
13:13est d'argent,
13:15c'est sûrement
13:15parce que le silence
13:16en dort.
13:19Merci.
13:24Sous-titrage ST' 501