Anne Lauvergeon, ancienne patronne d'Areva, était l'invitée de France Inter mercredi 23 avril, à l'occasion de la publication de son livre "Un secret si bien gardé" aux éditions Grasset.
Retrouvez « L'invité de 7h50 » sur France Inter et sur : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50
Retrouvez « L'invité de 7h50 » sur France Inter et sur : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50
Catégorie
🗞
NewsTranscription
00:00Votre invitée Hélène Philly est l'ancienne patronne du géant du nucléaire, Areva,
00:04aujourd'hui présidente de la Société de Conseil et d'Investissement, ALP.
00:10Elle publie « Un secret si bien gardé » aux éditions Grasset.
00:13Et vous n'épargnez pas grand monde dans ce livre.
00:16Bonjour Anne Lovergeon.
00:17Bonjour.
00:18Surtout pas EDF.
00:19Ce secret si bien gardé, ce serait celui de l'énergéticien.
00:23Loin de produire, dites-vous, ce qu'il pourrait.
00:26Nous avons tous aimé EDF, né du Conseil National de la Résistance,
00:32et qui nous a délivré pendant plus de 30 ans une électricité très bon marché,
00:38une des moins chères d'Europe, décarbonée grâce aux réacteurs nucléaires et à l'hydroélectricité, les grands barrages.
00:47Or depuis 10 ans, nous avons changé de monde.
00:50Nous avons une électricité qui a pris 120%, 3-4 fois l'inflation tous les ans.
00:58Et nous sommes dans une situation où, effectivement, nous n'avons plus cet avantage compétitif sur l'électricité.
01:05Alors, ces factures d'électricité, tout le monde en souffre.
01:09Les particuliers, les artisans, les PME, mais aussi les grandes entreprises.
01:14Vous prenez une entreprise, alors je dirais moyenne, Vancorex, qui vient de fermer, 450 employés, le couloir de la chimie à Lyon.
01:25A cause d'une électricité trop chère ?
01:27A cause d'une électricité trop chère.
01:28Et EDF est responsable ?
01:30Arrêtons sur les responsabilités d'EDF.
01:33Je dirais tout simplement, ça c'est un état de fait.
01:35Alors, quand on regarde et qu'on connaît un tout petit peu, vous avez vu, 2024, les résultats annoncés d'EDF, donc 11,4 milliards d'euros de bénéfices nets et la satisfaction d'être revenu à une production de 361,4 TWh.
01:52Après des années très difficiles qu'on peut rappeler, des problèmes de corrosion il y a trois ans.
01:56Qui a été une anus horribilis, absolument.
02:00Mais 360 TWh, si je vous dis ça, ça ne vous dit rien, parce que le TWh est une unité inconnue.
02:07Alors, la vraie comparaison dans le monde nucléaire, elle est produite par l'AIEA, l'Agence Internationale de l'Énergie Atomique,
02:18qui publie très régulièrement les performances de chaque réacteur à travers le facteur de charge.
02:24C'est-à-dire, combien ce réacteur a produit, combien cet opérateur a produit versus sa base installée.
02:29La performance ?
02:30La performance.
02:31Alors, la performance d'EDF, les meilleurs du monde font plus de 95%.
02:36La moyenne européenne est largement au-dessus de 85% hors EDF.
02:41EDF, avec 360 TWh, est à 67%.
02:46Ça veut dire qu'en fait, et c'est pour ça que j'ai fait ce livre,
02:50on peut produire beaucoup plus sur la base installée.
02:55Alors, quand on voit ce qui est en train de se préparer,
02:57la PPE, Programmation Pluriannelle de l'Énergie,
03:01d'énormes investissements pour des nouveaux réacteurs,
03:07pour du renouvelable, pour des connexions du renouvelable, etc.
03:12Il y en a pour entre 300 et 400 milliards pour les 10 années qui viennent.
03:16On sait la situation de la France.
03:20On sait qu'effectivement, un euro est un euro.
03:23Produire plus, ça permettrait de dégager de l'argent pour investir.
03:28C'est ce que vous dites.
03:28Sur ce que nous avons déjà.
03:30Produire plus, ça permettrait, dites-vous, de baisser les prix de l'électricité.
03:35La facture des Français.
03:36Est-ce que vous êtes sûr de ça ?
03:37Ah ben ça, c'est mathématique.
03:39C'est-à-dire que d'ailleurs, on peut penser que si on produit moins,
03:44ça fait augmenter les factures d'électricité.
03:47Et tous les investissements qui sont dans le pipe,
03:51le pipe de la PPE,
03:55vont encore augmenter les factures d'électricité.
03:58Or, on sait que pour décarboner l'économie,
04:01pour faire cette transition énergétique,
04:04il faut électrifier les usages.
04:05Oui, mais on sait que, pardonnez-moi Anne Loverge,
04:07je reviens au prix de l'électricité.
04:08Si vous produisez plus, si vous mettez plus d'électricité sur le marché,
04:12le prix va baisser.
04:14Est-ce qu'il va baisser pour les ménages ?
04:16Moins pour les ménages que pour les industriels.
04:18En l'occurrence, la facture d'électricité des ménages,
04:21elle est aux deux tiers sur des réseaux et des taxes.
04:25Un tiers restant sur le prix de l'électricité.
04:26Ça vaut surtout pour les industriels.
04:28Et par ailleurs, quand on met beaucoup d'énergie sur le marché,
04:31on en arrive à devoir, à arriver à des prix négatifs.
04:34À arriver à devoir écouler ces stocks d'électricité,
04:37parce qu'on n'a pas les débouchés pour les vendre.
04:38Alors, nous avons d'ores et déjà des prix négatifs une partie du temps.
04:42Mais, vous savez, si on produisait beaucoup plus,
04:44qu'est-ce qu'on ferait ?
04:44On exporterait plus.
04:46On aurait des factures moins importantes,
04:48donc on serait beaucoup plus compétitif et beaucoup plus attractif.
04:51Et enfin, s'il y a de l'électricité en plus,
04:54c'est quand même formidable,
04:55on empêcherait l'électrification des usages.
04:58On pourrait très bien fabriquer, par exemple,
05:01des fiouls synthétiques et les faire en France.
05:03Il y a encore plus de 2 millions de chaudières au fioul, par exemple.
05:06Mais il est faux, c'est des bouchées.
05:08Est-ce qu'ils existent aujourd'hui ?
05:09Ça, c'est pour, je dirais, nous tous.
05:12Mais pour les entreprises industrielles,
05:14c'est un eldorado.
05:16On retrouve la situation qu'on avait eue pendant 30 ans en France,
05:20c'est-à-dire être très attractif,
05:22parce que nous avons une électricité pas chère.
05:24Et j'insiste beaucoup, décarbonée.
05:27On a une électricité à 90% décarbonée en France,
05:30grâce à l'hydraulique et grâce au nucléaire.
05:33Pourquoi est-ce qu'on n'utiliserait pas à fond ce que nous avons ?
05:37Dans un monde où c'est un avantage compétitif extraordinaire,
05:41c'est du masochisme.
05:42Alors pourquoi est-ce que l'EDF se prive de produire plus ?
05:45Ah ben c'est très intéressant,
05:46c'est-à-dire que quand vous analysez
05:49les différentes commissions d'enquête parlementaires,
05:52il y en a eu beaucoup au Sénat, à l'Assemblée nationale,
05:54au Sénat la dernière, en avril 2024,
05:57qui a rendu son rapport en juin,
05:59analyse les prix futurs de l'électricité.
06:01Et ils disent, mais est-ce qu'on ne pourrait pas faire un MIPS là,
06:0470% nucléaire, 10% hydraulique,
06:10et puis le reste en éolien ou solaire ?
06:12On lui dit, ben non, ce n'est pas possible.
06:14Ça, ça n'est possible qu'en 2040,
06:16quand les nouveaux réacteurs arriveront.
06:18Et c'est RTE qui répond ça.
06:19Donc c'est-à-dire qu'on ment.
06:21La vérité, c'est qu'on peut faire beaucoup plus.
06:23Pour produire de nouveaux réacteurs.
06:25Exactement.
06:25C'est surprenant qu'en position de bonne part,
06:26elle le verra, je ne sais pas du tout ce qu'on voudrait me faire passer.
06:30C'est-à-dire que je ne suis pas une nucléariste folle.
06:33Non, je pense qu'il faut faire des nouveaux réacteurs,
06:36mais il faut y prendre le temps.
06:37On n'a pas les moyens financiers de tout faire tout de suite.
06:40Et puis, quand on dit, formidable,
06:42on va faire plein de solaire partout,
06:44je rappelle que le solaire, il est 100% chinois.
06:47Donc là aussi, il y a un petit sujet.
06:48L'industrialisation en Europe n'a pas eu lieu.
06:51Alors, je parle beaucoup, effectivement,
06:52de la politique énergétique européenne.
06:54Mais c'est quand même dans le sens,
06:55c'est quand même le sens vers lequel il faut aller.
06:56Le renouvelable, la transition climatique,
06:59et que la spécificité du modèle français,
07:02le mix électrique français,
07:03et c'est ce qui permet aussi d'avoir des factures contenues,
07:07c'est ce mix électrique entre la part du renouvelable
07:11et le nucléaire qui s'adapte,
07:13qui adapte sa production à l'intermittence du renouvelable.
07:17Non, justement, le nucléaire n'est pas fait
07:19pour s'adapter à l'intermittence.
07:20Et regardez ce qui s'est passé en Allemagne.
07:22En Allemagne, vous aviez les renouvelables en vitrine.
07:25Bon, ce que les Allemands disaient un peu moins,
07:27le charbon, l'inite et gaz russe.
07:29Le gaz russe n'est pas arrêté,
07:31mais il a beaucoup diminué.
07:33Qu'est-ce qui se passe en Allemagne aujourd'hui ?
07:34C'est un séisme économique.
07:38C'est-à-dire que l'intermittence,
07:41on ne sait pas la gérer dans le domaine de l'électricité,
07:43parce qu'on ne peut pas stocker l'électricité
07:46en grande quantité de manière économique.
07:49Et je vous dirais, il faut aussi qu'on développe
07:50ce qu'on appelle les STEP,
07:52c'est-à-dire des moyens de stockage
07:55de l'électricité par les barrages.
07:57Hydraulique.
07:58Donc on ne s'en sert pas assez.
07:59Oui.
07:59Pour quelles raisons ?
08:01Ah ben ça, c'est parce que depuis 20 ans,
08:03presque 20 ans,
08:05il y a une bataille entre la Commission européenne
08:07et le gouvernement français.
08:08La Commission européenne voudrait que la France
08:11remette en question ses concessions pour EDF
08:14et la France refuse.
08:15Le résultat, c'est qu'on n'investit pas.
08:16Anne Lauvergeon, j'ai l'impression que ce livre
08:19est un règlement de compte avec EDF.
08:21Oh, pas du tout.
08:22Alors là, d'abord...
08:23On connaît votre ancienne rivalité
08:26avec l'ancien PDG, par exemple Henri Proglio.
08:28Oui, il y a eu quelques problèmes avec lui.
08:30Il m'a beaucoup attaqué,
08:33mais le problème n'est pas là.
08:34D'abord, Henri Proglio, c'est un PDG d'EDF
08:36parmi tant d'autres.
08:37Moi, j'ai une grande admiration pour EDF.
08:39Mais pourquoi est-ce qu'on ramènerait tout
08:41à des questions de personnes ?
08:42Le sujet, il est majeur pour la France.
08:45Majeur.
08:46Nous avons terriblement besoin
08:47de décarboner notre économie.
08:49Et nous avons les moyens.
08:51Nous avons investi.
08:52Alors, vous pourriez dire,
08:53oui, il y a 30 ans, il y a 40 ans,
08:55on a trop investi dans le nucléaire.
08:56On a trop de réacteurs nucléaires.
08:58Peut-être on les a.
08:59Faut-il donc, effectivement,
09:01les faire fonctionner à 67% ?
09:03Ce qui est prévu dans la PPE.
09:04production nucléaire plate
09:06est cachée aux Français
09:09qu'on pourrait produire plus
09:10et diminuer, pour la première fois
09:13depuis 10 ans, les factures d'électricité.
09:15Merci beaucoup, Anne Lovergeon,
09:16d'avoir été avec nous pour ce livre
09:18« Un secret si bien gardé »
09:21publié aux éditions Grasset.
09:22Merci, Hélène Phyllis.
09:23Merci, Hélène Phyllis.