Hugo Roellinger, chef triplement étoilé Michelin 2025 pour son restaurant Le coquillage à Saint-Méloir-des-Ondes, en Ille-et-Vilaine, était l'invité de France Inter jeudi 17 avril.
Retrouvez « L'invité de 7h50 » de Sonia Devillers sur France Inter et sur : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50
Retrouvez « L'invité de 7h50 » de Sonia Devillers sur France Inter et sur : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50
Catégorie
🗞
NewsTranscription
00:00Hugo Rollinger, bonjour. Bonjour. Et bravo. Vous l'avez reçu, cette étoile tant convoitée, sans veste blanche, sans toque, qui sont les attributs du chef. Pourquoi ?
00:12Je suis plus t-shirt en fait. Je suis plus t-shirt effectivement. Et puis c'est vrai que sur cette veste, il y a des sponsors avec qui je ne travaille pas et qui ont un lien avec l'agroalimentaire.
00:29Et c'est des gens avec qui je ne travaille pas tout simplement.
00:32Avec l'agroalimentaire, c'est-à-dire avec l'industrie agroalimentaire ?
00:35Oui, c'est ça. Et voilà, c'est pour ça que quand j'ai pris la parole...
00:40De revendiquer votre indépendance ?
00:41Bien sûr. Et puis j'ai aussi pris le temps de remercier à la fois les hommes et les femmes qui travaillent avec nous, les pêcheurs, les maraîchers, les ostréoculteurs.
00:52Et c'est eux, c'est avec ces personnes-là qui participent à mon quotidien de cuisinier.
01:00Et effectivement, en fait, il y a le guide Michelin et ses inspecteurs et les partenaires, c'est autre chose.
01:09Oui. Alors, le restaurant regarde la baie du Mont-Saint-Michel. Je cite votre père, Olivier Rollinger, il y a quelques années, il y a longtemps déjà même.
01:20Il avait dit la chose suivante, il avait dit « La baie du Mont-Saint-Michel est un monde de sortilèges.
01:26Les fées y naissent. Tous les jours, la mer y accomplit le prodige de disparaître.
01:30L'endroit allie la magie des flots à celle du désert.
01:33Le dialogue y est si intime entre la lune et le soleil et qu'il engendre le battement de cœur des marées. »
01:40Il parle bien, papa.
01:40Il parle bien, papa. Il était dans la salle d'ailleurs quand vous avez eu cette troisième étoile.
01:45Oui, oui, mes parents étaient dans la salle.
01:48Parce que c'était les 125 ans du Michelin, donc il y avait toutes les grandes familles de la cuisine.
01:51Oui, c'est ça, beaucoup.
01:52Vous avez vu naître des fées en face du restaurant ?
01:55Moi, j'ai été baigné par tout cet imaginaire-là, effectivement, des sortilèges de la baie du Mont-Saint-Michel,
02:02de Brosséliande, des fées, des druides.
02:05Toute la culture celte.
02:06Toute la culture celte.
02:08Et c'est pour ça que papa a ce cadre créatif-là dans sa cuisine.
02:14Et moi, je cuisine au même endroit, donc j'ai ce même cadre créatif.
02:19Et on a les mêmes crayons, sauf qu'on dessine différemment.
02:23Et il dit aussi quelque chose de très beau.
02:25Il dit qu'en réalité, quand on marche dans la baie du Mont-Saint-Michel, c'est comme si on marchait au fond de la mer.
02:31Puisque la mer s'est retirée, donc l'homme peut marcher au fond de la mer.
02:35Oui, c'est ça, en fait.
02:35C'est cet estrant, en fait, ce territoire à la fois terrestre et aquatique, et qui change, effectivement.
02:43Et il se dialogue avec les astres, avec la lune, avec le soleil.
02:46Et souvent, quand on n'a pas ce visuel des marées, on ne se rend pas compte de l'impact et de la force que ça peut avoir.
02:54Qu'est-ce que c'est qu'une eau de vie, chez Relanger ?
02:57Eau de vie, c'est un mot que j'utilise et que c'est les premières bouchées que vous allez ingérer.
03:06Et c'est souvent un reflet, finalement, d'une micro-saison, d'un moment, une photographie de l'instant.
03:11Et par exemple, en ce moment, on fait une infusion très légère uniquement de légumes nouveaux.
03:16Et on va infuser aussi du cerfeuil dedans.
03:20Et on va perler une huile de capucine.
03:22Et c'est le début, c'est les premières notes.
03:26C'est comme si, quand il y a un picot...
03:27Ça se boit ?
03:28Ça se boit, on joue sur des températures aussi différentes en fonction de la saison.
03:32Et puis, c'est comme quand un pianiste arrive sur scène et il va poser juste deux ou trois premières notes sur son piano.
03:39C'est les premières notes d'une partition et d'une narration qui va commencer.
03:43Alors, c'est de l'eau, c'est du liquide.
03:46Vous êtes face à la mer.
03:47Vous, avant de cuisiner, vous avez traversé les mers, les océans.
03:52Vous avez été marin dans la marine marchande.
03:55Vous surfez toute l'année.
03:58C'est ce que je disais à l'équipe de la matinale de France Inter.
04:00Tous les chefs de France et de Navarre postent sur Instagram des plats extrêmement léchés.
04:06Vous, vous postez des photos de surf.
04:07Mais cette confrontation avec la mer, avec les éléments, avec l'océan, c'est une école d'humilité ?
04:17Oui, c'est une école d'humilité.
04:19Et puis, en fait, effectivement, la mer, l'élément liquide, fait vraiment partie à la fois de mon quotidien et de ma cuisine.
04:26Parce que ma cuisine, j'essaye que ce soit un peu une ode aux vivants, une ode à vivre ici, en l'occurrence à Cancale, dans la baie du Mont-Saint-Michel.
04:35Donc, il y a cet élément maritime et liquide qui me parle, qui me porte et qui m'anime, en fait.
04:43Et vous avez épousé une femme qui s'appelle Marine.
04:46Ça ne s'invente pas.
04:47Oui, c'est quand même une belle coïncidence.
04:49Et vous travaillez tous les deux.
04:51Et vous ne servez que du poisson.
04:53Il y a 12 plats dans ce menu qui vous vaut cette troisième étoile.
04:58Il y a 12 plats.
04:59Vous ne servez que du poisson, que des choses venues de la mer et de la terre.
05:02Mais en tout cas, il n'y a plus de viande.
05:04Et c'est intéressant parce que dans la culture bretonne, en réalité, on ne mangeait pas de poisson.
05:10Les bretons mangeaient du porc, de l'agneau, du lard, des légumes, mais pas tellement du poisson, pas tellement des coquillages.
05:18Dans la culture celte, on ne mangeait pas de produits de la mer parce qu'on avait toujours une pensée pour les personnes disparues en mer.
05:26Et ces personnes-là étaient mangées finalement par les poissons, les crustacés, les crabes et tout ça.
05:34C'est pour ça qu'on avait un peu un rejet.
05:36On se retournait vers la terre.
05:37Et moi, je cuisine uniquement, et même pas uniquement du poisson parce que l'hiver, par exemple, on a peu de pêcheurs de ligne.
05:48Donc, je vais cuisiner uniquement des crustacés, des algues, des légumes et des coquillages, bien sûr.
05:56Et on peut faire un menu profondément marin, d'hiver, même sans poisson, en fait.
06:01C'est la fin de la saison des coquilles Saint-Jacques.
06:04Vous nous donneriez une recette ?
06:05On peut encore en cuisiner jusqu'à la mi-mai.
06:09Oui, jusqu'à la mi-mai.
06:10Les pêcheurs de plongée, on le voit jusqu'à la mi-mai.
06:12Et moi, j'aime bien une recette que l'on fait actuellement.
06:16Et c'est une Saint-Jacques que l'on sert vivante, déjà, qu'on en reçoit tous les matins.
06:20Et on va l'ouvrir deux ou trois minutes avant de la servir sur table.
06:24Parce qu'il y a ce côté, cette énergie du vivant, même cette réponse nerveuse de la chair.
06:33Et ce côté sucré de la Saint-Jacques que vous avez vraiment lorsqu'elle est consommée vivante.
06:38Et on va la servir juste avec une infusion d'algues, d'hibiscus et de cardamome noire.
06:43Et on vient faire perler une huile de rose et de sureau.
06:48Bien. Et à force de travailler les algues, ce que vous faites depuis plusieurs années,
06:53qu'est-ce que vous avez découvert ?
06:55Qu'est-ce que vous avez appris de ces végétaux marins ?
06:58Et qu'est-ce qu'on peut faire avec ?
07:00Est-ce que vous ne saviez pas au départ ?
07:01Non, on a appris un peu aussi de...
07:04Déjà, on s'est quand même inspiré.
07:06Je n'ai pas du tout une cuisine qui est japonisante,
07:08mais ils ont une connaissance dans les algues.
07:09Ça fait 8000 ans qu'ils les cuisinent.
07:11Et j'ai fait des voyages là-bas.
07:13Et j'ai beaucoup appris avec certains amis cuisiniers.
07:16Et après, on a fait beaucoup d'essais.
07:20Et on s'est rendu compte que c'est quelque chose qui est très délicat à travailler,
07:23notamment dans les températures.
07:24Ça ne supporte pas vraiment la température.
07:26Au-delà de 60 degrés, on perd vraiment toutes les propriétés gustatives.
07:29Mais c'est une trame de goût.
07:36Et finalement, un exhausteur.
07:40L'algue porte beaucoup de goût, que ce soit des goûts végétals, florals.
07:46Et c'est pour ça que c'est devenu vraiment la colonne vertébrale de ma cuisine.
07:51Ce ne sont pas les épices, la colonne vertébrale de votre cuisine chez les Relingés ?
07:56En fait, les épices, je suis né avec.
07:57Donc, je les ai déjà finalement un peu digérées.
08:01Je les ai déjà digérées.
08:03Il faut qu'on raconte.
08:03Mais bien sûr, elles sont présentes.
08:04En fait, elles sont omniprésentes dans ma cuisine.
08:07Mais c'est vrai que je n'en parle pas tout le temps.
08:08Et c'est une réflexion des fois de mon père.
08:10Tellement pour vous, elle est naturelle.
08:11Oui, c'est naturel.
08:12Alors, il faut qu'on raconte.
08:13Parce que les auditeurs ne savent pas forcément qu'il y a les épices relingés
08:16qui sont vendus aujourd'hui dans le monde entier.
08:19Que c'est une passion de votre père, à l'origine.
08:22Que votre père est un érudit sur l'histoire de Saint-Malo,
08:25qui est votre port d'attache tout près de chez vous.
08:27Vous vous y êtes né, à Saint-Malo.
08:30Et que de Saint-Malo sont partis tous les grands explorateurs
08:33qui ont sillonné les mers et les océans,
08:35qui sont revenus avec des épices.
08:37Et que lui, il en a fait son métier.
08:38Exactement, oui.
08:39On est un pays d'aventuriers.
08:42Et c'est pour ça que la cuisine de mon père racontait toute cette aventure maritime
08:45de ce petit pays-là.
08:47Aujourd'hui, c'est ma sœur qui s'occupe, Mathilde,
08:49qui s'occupe vraiment de toute la partie épices relingés.
08:51Et qui se charge de dénicher les plus belles épices
08:54dans les plus beaux jardins du monde entier.
08:56Et c'est vrai que sans elle, ma cuisine n'aurait pas la même saveur.
08:59Sauf que votre père disait, à une époque,
09:01que pendant très longtemps, il n'a pas été compris.
09:03On l'a même accusé de polluer la cuisine française.
09:06C'est-à-dire que cette utilisation des épices venus des quatre coins du monde,
09:10en réalité, elle paraissait exotique,
09:14elle paraissait barbare,
09:15pour ceux qui étaient les défenseurs du terroir.
09:17Oui, je pense que ça en a perturbé certains à une époque.
09:22Mais en fait, la cuisine est métissage.
09:25Sinon, on n'aurait pas la pomme de terre,
09:28on n'aurait pas la tomate,
09:29et on n'aurait pas tous ces produits-là.
09:32On n'aurait pas le chocolat.
09:32On n'aurait pas le chocolat.
09:33La cuisine est une histoire de voyage,
09:38une histoire de métissage.
09:40Et elle est belle pour ça, en fait.
09:42Et lui, il dit qu'il a eu sa troisième étoile presque trop tard,
09:47contrairement à vous.
09:48Vous diriez que...
09:49Qu'est-ce qui a changé entre ces deux générations-là ?
09:52Difficile à dire.
09:55Je pense qu'il avait sûrement peut-être raison trop tôt.
10:00Tout simplement.
10:04Et vous, quand vous êtes revenu de votre grand périple
10:06à travers la marine marchande,
10:08et que vous avez décidé de reprendre le restaurant familial,
10:12en tout cas, vous avez décidé de vous mettre à la cuisine,
10:14à la surprise générale,
10:15parce que vous n'étiez pas du tout destiné à ça.
10:19Vous avez multiplié les stages dans des maisons prestigieuses.
10:22Vous avez travaillé avec Michel Bras,
10:24avec Michel Troigros,
10:25avec Michel Guérard,
10:26avec Pierre Gagnère.
10:27C'est vraiment la génération de votre père.
10:30Alors, qu'est-ce que vous avez appris dans ces grands restaurants
10:32que vous ne faites pas
10:34ou que vous ne faites plus aujourd'hui ?
10:37Typiquement.
10:39Déjà, j'ai eu une chance
10:42énorme de côtoyer ces maisons-là.
10:45Et puis, il y avait des relations,
10:47c'est vrai,
10:48pas privilégiées en cuisine,
10:49mais privilégiées avec ces chefs
10:50que je connaissais depuis tout petit aussi.
10:53Donc, j'ai eu beaucoup de discussions,
10:55même des discussions sur la transmission,
10:57que ce soit avec Michel et Sébastien,
11:00que ce soit avec Michel Troigros et César.
11:04Et ces discussions-là...
11:06Oui, parce que c'est aussi des familles.
11:06C'est des histoires de transmission.
11:09C'est aussi des transmissions de père en fils.
11:09Oui.
11:10Et de père en fille, parfois.
11:12Et au-delà des recettes,
11:15après, il y a tout un côté technique, bien sûr,
11:17d'une gestuelle à apprendre.
11:20Mais c'est plus une vision
11:21et avoir une cuisine singulière
11:24et une cuisine identitaire.
11:27Parce que c'est vraiment des chefs et des cuisiniers
11:31qui ont vraiment une singularité dans leur approche.
11:33Et même au-delà de la cuisine,
11:34une singularité dans l'hospitalité,
11:36une singularité dans l'architecture.
11:39Et c'est là où j'ai appris.
11:42C'est ce qui me porte.
11:43Devenir un grand, c'est précisément
11:45ne pas faire comme ses aînés.
11:47Exactement.
11:47De toute façon.
11:48Ne pas faire comme son père
11:50et ne pas faire comme ses aînés en général.
11:53Oui, le faire un peu différemment.
11:54Et surtout, trouver ça...
11:57Il y a un moment où...
11:58C'est pour ça que j'ai fait des stages relativement courts.
12:01Et après, je me suis un peu coupé de ce qui se faisait
12:04pour trouver mon identité et ma voix
12:08et ce qui faisait sens de cuisiner dans cet endroit-là.
12:14C'est un endroit donné, en fait.
12:15C'est pour ça que j'ai même du mal
12:16à exporter ma cuisine ailleurs
12:18et aller faire des dîners à l'étranger
12:20ou quoi que ce soit
12:21parce qu'en fait, je ne me retrouve pas.
12:23Ma cuisine, elle est ancrée dans cet endroit-là, en fait.
12:25Ils étaient tous dans la salle
12:26pour cette troisième étoile.
12:29Beaucoup d'entre eux.
12:29Beaucoup d'entre eux, oui.
12:30Beaucoup d'entre eux, oui.
12:31Et vous vous y attendiez
12:33à ce que votre nom soit prononcé haut et fort ?
12:36Ça a été une surprise jusqu'au dernier moment.
12:39C'était une journée assez compliquée émotionnellement pour moi.
12:43Lundi.
12:44Mais qui s'est bien terminée.
12:46C'était merveilleux.
12:47Et j'ai pensé directement à mes équipes.
12:51Ils ont tous regardé la vidéo
12:53dans un bar à Cancale
12:56comme si c'était un match de la Coupe du Monde.
12:59Et leur explosion de joie, leur ferveur,
13:02en fait, c'était...
13:03Ils ont fait des vidéos,
13:04mais je les regarde.
13:05À chaque fois, j'ai les larmes aux yeux.
13:08Oui, vous l'êtes encore un peu.
13:09Merci beaucoup, Hugo Rollinger.
13:12Merci à vous.
13:13Merci d'être venu nous voir.
13:14Et donc, votre restaurant s'appelle Le Coquillage
13:16et il est à Saint-Méloir-des-Ondes.
13:18Quel joli mot, quel joli nom.
13:20Merci.
13:21Merci.
13:21Merci.
13:22Merci.