Des bourses qui dévissent, des droits de douane entrés en vigueur puis réduits à 10% pour tous les pays, sauf pour la Chine, ciblée comme jamais et en escalade... Ce samedi, débat, reportage et analyses : une émission pour débriefer une semaine folle qui a ébranlé toutes les économies de la planète. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/on-n-arrete-pas-l-eco/on-n-arrete-pas-l-eco-du-samedi-12-avril-2025-8134585
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00:00Et l'invité d'On n'arrête pas l'écho ce samedi est le patron de la recherche économique de BlackRock.
00:05Bonjour et bienvenue Jean Boivin.
00:07Bonjour.
00:08Vous dirigez le think tank du premier gestionnaire d'actifs au monde.
00:11Alors ça veut dire que plus de 12 000 milliards de dollars sont placés par BlackRock
00:16pour le compte de banques, d'assureurs, de fonds de pension. On est d'accord sur la photo ?
00:21Donc oui, on gère ces fonds-là pour nos clients, ces actifs-là pour nos clients.
00:24C'est énormément d'actifs à travers le monde, mais c'est de l'argent de nos clients.
00:31Et ces clients-là, c'est comme vous le dites, des entreprises, c'est des fonds de pension,
00:35c'est en bout de ligne à peu près un peu tout le monde globalement.
00:37Et vous êtes le numéro un.
00:39Et on est le numéro un en termes de taille, oui.
00:41Et votre taille à vous Jean Boivin, c'est de voir loin, de dire où il faudrait placer cet argent,
00:46de raconter les forces à l'œuvre sur la planète écho.
00:49Comment est-ce que vous vivez les derniers jours ?
00:51Est-ce que depuis, je ne sais pas, 8-10 jours, là, votre horizon de prévision s'est rétréci, a été bousculé ?
00:59Oui, absolument. On est rendu à...
01:02En tant qu'investisseur, il faut habituellement focusser sur le long terme, avoir des bons points d'ancrage.
01:08Il n'existe pas dans l'environnement actuel.
01:10On n'est pas assez de penser à des horizons de 5 ans typiquement.
01:14Et maintenant, après 12 mois, ça semble être impossible, même à envisager maintenant.
01:18Donc, on est plus ou moins au jour le jour, je dirais presque.
01:21Et ça, c'est inédit ? Vous avez déjà vécu ça ?
01:25Ça ressemble en termes de... Les deux dernières semaines, j'ai eu l'impression d'être retourné en mars 2020,
01:31en termes d'intensité, les discussions avec les clients et tout.
01:36Donc, ça, c'est une intensité similaire à ce genre de crise-là, mais la nature de la situation est complètement sans précédent.
01:43Oui, ce n'est pas la même chose. Là, c'était un virus, là, c'est de la politique.
01:46Oui, absolument.
01:47Quels indicateurs vous regardez en vous réveillant ? Et peut-être que vous ne dormez pas beaucoup, d'ailleurs.
01:53On dort bien lorsqu'on peut, mais effectivement, il y a beaucoup de choses à essayer de comprendre à ce stade-ci.
01:58Et en fait, la question est quel genre d'indicateur doit-on suivre dans un environnement comme celui-ci.
02:07Et une chose, je pense, qui devient de plus en plus claire, c'est qu'essayer de suivre ce qui peut être le cadre d'analyse
02:15ou les objectifs de l'administration américaine n'est peut-être pas le bon focus à ce stade-ci ou à ce stade-ci en termes d'indicateurs.
02:21Donc, la question se pose, mais je pense que c'est vraiment à essayer de comprendre où les balises vont être
02:27sur ce qui va déterminer les contraintes pour arriver à une zone d'atterrissage sur ces négociations-là
02:34qui ne sera pas nécessairement dictée par les intentions ni l'un ni l'autre des partis.
02:38Et donc, on essaie de penser de façon plus claire sur à quel point les marchés peuvent être une balise,
02:45le support populaire des républicains pour l'administration, à quel point ça s'effitre, les sondages.
02:51Donc, c'est le genre d'indicateurs qui sont peut-être plus pertinents maintenant que les indicateurs économiques typiques.
02:56Donc, en fait, quand vous dites « je me crois revenu en mars 2020 », il y a vraiment un parallèle avec cet élément exogène,
03:02le virus qui arrive, la COVID, c'est ça ? Vous le vivez un peu de la même façon ?
03:06Je pense que pour les investisseurs, il faut qu'on arrive à mettre en place un cadre qui nous permet de gérer l'incertitude.
03:14C'est facile de dire que l'incertitude qu'on vit présentement est le plus élevé qu'on n'a jamais vécu
03:18et je pense qu'on pourrait le démontrer à plusieurs niveaux.
03:22Mais au-delà de ça, ça ne nous amène pas à prendre des positions, quoi que ce soit.
03:25Donc, il faut trouver comment on arrive à mettre de la structure sur cette incertitude.
03:31Et je pense qu'effectivement, il y a peut-être un bon parallèle à faire avec la situation de la COVID.
03:37Dans ce contexte-là, comme investisseurs, on n'était pas des experts en médecine, en virus, en épidémiologie.
03:46Même les médecins, en ce moment-là, spécialistes des virus, ne s'entendaient pas sur la trajectoire.
03:53Les modèles de virus qu'on avait à ce moment-là ont tous failli.
03:57Et donc, on a quand même tous collectivement réussi, finalement, à suivre la trajectoire du virus,
04:04voir le changement de comportement, les mesures sanitaires mises en place qui ont réduit l'activité, l'évolution des vaccins.
04:12Et peut-être que c'est un peu ce qu'on doit faire de ce présentement,
04:15c'est de voir quel est l'équivalent des vaccins pour la situation actuelle,
04:17quel est l'équivalent des mesures sanitaires qui, peut-être, sont l'électorat qui commence à se questionner sur la direction des choses.
04:27Donc, effectivement, je pense qu'il y a un certain parallèle.
04:31On ne remettait pas en question l'intention du virus en 2020.
04:35Donc, on essaie juste de voir les implications et de le gérer.
04:38Je pense que c'est un peu la même chose.
04:39Oui, ça veut dire que la stratégie de Donald Trump, vous ne la questionnez pas, vous la prenez,
04:42et on essaie de regarder ce qui se passe autour.
04:44On ne la questionne pas, on essaie, on écoute, mais en même temps, on sait qu'il y a beaucoup de bruit.
04:50Et donc, c'est peut-être plus voir qu'est-ce qui va forcer la main, dans certains cas, comme on a pu voir cette semaine.
04:56Alors, juste, Jean Boivin, ce qui peut forcer la main, vous avez dit, c'est peut-être l'électorat.
05:01J'ai écouté le patron de la plus grande banque des États-Unis, Jamie Dimon, c'est le directeur général de J.P. Morgan.
05:09Il estime que le risque de récession pour les États-Unis, maintenant, c'est du 50-50.
05:13C'est aussi votre avis ?
05:15Récession, on parle d'une économie qui allait très bien.
05:19Oui, avec un point de départ exceptionnel, avec des forces, des mégaforces, peut-être, on en parlera,
05:25dont l'IA, qui est un puissant moteur pour l'économie américaine,
05:29et un consommateur, on dit souvent, il ne faut jamais parier contre le consommateur américain,
05:33donc il y a beaucoup d'atouts.
05:34Mais effectivement, le risque d'une récession, maintenant, ne peut clairement pas être exclu.
05:4050-50 ?
05:41J'hésite à... ça va arriver ou ça n'arrivera pas.
05:45OK. Ça, c'est le directeur de la prévision chez BlackRock.
05:49Donc, il faut clairement mettre ça sur la table.
05:54Je pense que ça dépend vraiment d'une chose.
05:56Ce n'est pas les tarifs, parce que les tarifs eux-mêmes, une fois qu'on a la clarté sur ce qui est en place,
06:01l'économie va s'ajuster, on va prendre une direction, et ce n'est pas nécessairement récessif.
06:05Ce, pendant l'incertitude qui persiste, qui délaie, qui crée des délais dans les décisions,
06:10ça, c'est clairement un problème.
06:12Et la grande question, c'est à quel point cette incertitude persiste.
06:14Si elle persiste jusqu'en juin, je pense que ça va être vraiment difficile à éviter une récession dans la deuxième partie de l'année.
06:21Et alors, Jean Boivin, hier, sur les dépêches, les journalistes, on a vu tomber ces infos.
06:26La BCE, la Banque centrale européenne et la Réserve fédérale, tour à tour, nous ont dit
06:30« On est super prêts pour intervenir s'il y a une instabilité financière. »
06:35Est-ce que cette politique des droits de douane de Donald Trump,
06:38elle nous fait tous courir un grand risque de crise financière, peut-être mondiale ?
06:44Donc, première chose, pour les banques centrales, les commentaires qui ont été faits cette semaine,
06:50il faut distinguer ce qu'ils ont dit d'une réponse plus traditionnelle à des risques d'inflation ou de ralentissement économique.
06:55Je ne vois pas la Fed être en position de baisser les taux d'intérêt cette année
06:59et va être dans une situation très, très difficile s'il y a un ralentissement économique important
07:03parce que l'inflation n'est pas sous contrôle.
07:06Donc, ce conflit va être très présent.
07:08Et donc, ce qu'ils ont dit, ça ne devrait pas suggérer ou être interprété comme étant des baisses sur les baisses de taux.
07:13Cependant, si on voit de la dislocation sur les marchés, comme on a vu, d'une espèce d'étincelle en début de semaine
07:21et qui peuvent créer une hausse rapide des taux d'intérêt, qui créeraient des fissures dans différents endroits du système,
07:28je pense que les banques centrales vont voir dans leur mandat de réagir plus à travers l'achat d'actifs, le QE, que de baisses de taux.
07:35Alors, QE, c'est le quantitative easing, n'est-ce pas ?
07:37Et donc, c'est plus des interventions pour maintenir les fonctionnements du marché, la plomberie.
07:43Mais ce n'est pas un assouplissement monétaire.
07:46Donc, c'est un peu comme la Banque d'Angleterre a fait à l'automne 2022, lorsqu'on a eu la crise du LDI à ce moment-là.
07:54Donc, je pense que c'est le playbook qu'on peut avoir en tête dans une situation comme ça.
07:57Cette semaine, on a vu les investisseurs qui vendaient, on en a parlé en début d'émission, des obligations américaines.
08:02On voit le dollar qui est tombé à son plus bas face à l'euro.
08:05Est-ce que ça marque une rupture sur ce qu'on appelle l'exceptionnalisme américain ?
08:10Normalement, la puissance financière américaine, là, elle est sérieusement ébranlée.
08:17Ça touche, je pense, au cœur des enjeux.
08:20Je pense qu'en bout de ligne, et c'est peut-être notre étoile polaire lorsqu'on pense à naviguer cet environnement-ci,
08:26dans des contraintes qui vont vraiment être « binding », si on peut dire comme ça.
08:31Des contraintes qui vont être « binding », ça veut dire des contraintes qui vont s'imposer.
08:34Ça veut dire des contraintes qui vont s'imposer.
08:36Je pense que c'est Valéry Giscard d'Estaing, je pense, qui disait que les États-Unis avaient un privilège exorbitant
08:43avec le dollar et les obligations américaines qui avaient cette demande naturelle qui venait de l'ensemble du monde.
08:51Si on remet ça en question, et un peu, c'est vraiment ce qu'on a pu voir cette semaine,
08:55si on remet ce statut des actifs américains, mais en particulier des obligations américaines,
09:01tout le système financier, l'architecture du système financier mondial est remet en question.
09:07Donc ça, c'est vraiment très au centre des enjeux.
09:12Et ce qui est aussi important de réaliser, c'est que réduire la balance commerciale,
09:18qui semble être un des objectifs conflictuels de l'administration américaine, à zéro,
09:23ou le réduire de façon très importante, implique, de façon, c'est une loi physique presque équivalente en économie,
09:30implique que les États-Unis devront reposer ou se soustraire au financement procuré par les épargnants mondiaux
09:39qui financent la dette américaine.
09:41Et la dette américaine qu'ils ont présentement ne sera pas soutenable sans cet accès au financement international.
09:48Donc, à la fois, la tentative de se restreindre du monde et de fermer les comptes courants
09:55implique de reposer moins sur le financement des investisseurs étrangers.
10:00Et en plus, si on remet en question le statut particulier de l'obligation américaine,
10:05qui vient réduire cette demande-là en plus,
10:07ça crée un problème qui fait en sorte que la dette américaine va être le plus gros tracas
10:10et en fait peut-être devenir une question de soutenabilité.
10:13Ce qui aurait été impensable il y a quelques semaines.
10:17Donc ça, c'est la question.
10:18On n'est pas rendus là, mais on a vu des étincelles en début de semaine
10:21qui ont démontré ce que ça pourrait envisager.
10:24Alors, Jean Boivin, dans tout ce paysage-là, vous, depuis des mois,
10:27vous parlez des mégaforces qui sous-tendent l'économie mondiale.
10:32C'est aussi bien la démographie que la transition énergétique
10:34et que l'intelligence artificielle.
10:36Est-ce qu'il y a une de ces mégaforces qui peut nous tirer de ce mauvais pas ?
10:40Je pense en particulier à l'intelligence artificielle.
10:42Oui, donc c'est, encore une fois, beaucoup d'incertitudes,
10:45mais en bout de ligne, si on se reporte en début d'année ou à la fin de l'année dernière...
10:50C'était il y a peu de temps.
10:51C'était il y a peu de temps, mais il y avait déjà des gros phénomènes,
10:54des grands phénomènes qui étaient en place.
10:56On les appelle les mégaforces.
10:58Notre opinion, notre lecture de l'environnement actuel était qu'on était dans un nouveau régime,
11:03complètement différent des 40 dernières années,
11:04où on avait vu une grande modération
11:06et qui était dominée par des cycles économiques standards.
11:09Et plus tôt, maintenant, on est dans un environnement de transformation structurelle,
11:14à la fois à cause de l'IA,
11:16la démographie qui fait un changement qu'on n'a jamais vu dans l'histoire des pays avancés,
11:21on a la transition énergétique
11:23et la géopolitique qui est en train de se fragmenter,
11:26déjà même avant les deux derniers mois.
11:28Et cette transformation-là faisait en sorte que, pour les investisseurs,
11:32c'était moins une question de penser à les pays et les classes d'actifs
11:36et de se poser plus la question sur les thématiques telles l'IA.
11:40Et je pense effectivement qu'en bout de ligne, malgré tout le bruit qu'on voit,
11:45on ne le voit pas présentement aussi clairement,
11:47mais il y a clairement une thèse IA qui va créer des sources de revenus
11:52et de profits très très importants dans les années à venir.
11:56Et la construction de l'IA présentement, qui est la première phase,
11:59crée énormément d'opportunités selon nous et ça continue à être le cas.
12:03Jean Boivin, l'économiste qui dirige le think tank de BlackRock,
12:06merci d'avoir accepté l'invitation.
12:08Merci à vous.
12:08C'est cool.
12:08C'est cool.