🗣️ « Au téléphone, j’entends ma soeur me dire : “C’est Sulivan. C’est la police. Il est mort. Je ne comprends rien”. »
Assis au milieu de son canapé blanc, les yeux rougis, Mehdi Sauvey se remémore comment il a appris le décès de son petit frère de 17 ans son cadet.
Le 9 juin 2024, le soir de la dissolution de l’Assemblée Nationale, Sulivan Sauvey, 19 ans, est tué d’une balle dans le thorax à bout portant par une policière alors qu’il tente de fuir un contrôle.
Dans cette nouvelle vidéo de notre format Témoignages, Medhi raconte à StreetPress les circonstances de la mort de son frère et les explications de Valérie B., la policière, qui dit avoir cru que le téléphone de Sulivan était une arme.
Assis au milieu de son canapé blanc, les yeux rougis, Mehdi Sauvey se remémore comment il a appris le décès de son petit frère de 17 ans son cadet.
Le 9 juin 2024, le soir de la dissolution de l’Assemblée Nationale, Sulivan Sauvey, 19 ans, est tué d’une balle dans le thorax à bout portant par une policière alors qu’il tente de fuir un contrôle.
Dans cette nouvelle vidéo de notre format Témoignages, Medhi raconte à StreetPress les circonstances de la mort de son frère et les explications de Valérie B., la policière, qui dit avoir cru que le téléphone de Sulivan était une arme.
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00:00L'actualité, c'est aussi cette question.
00:01Que s'est-il passé à Cherbourg dans la nuit de dimanche à lundi ?
00:05Un jeune homme de 19 ans est mort alors qu'il tentait de se soustraire à un contrôle.
00:09Je ne comprends pas trop ce qu'elle me dit.
00:10Elle me dit, c'est Sullivan, c'est la police, il est mort.
00:15Je n'y crois pas.
00:16Sur le coup, je n'y crois pas.
00:17On a représenté un cœur, justement parce qu'elle a pris la balle à bout portant.
00:22La policière pense avoir vu une arme à la place de son téléphone.
00:26C'est une excuse bidon pour moi.
00:28Tout ce que je sais, c'est que si moi j'avais fait ça, je serais derrière les barreaux tout de suite.
00:41Sullivan, c'est mon petit frère.
00:43Il avait 19 ans.
00:45C'était le petit frère d'une fratrie de cinq frères et sœurs.
00:49Quand Sullivan est arrivé, j'avais 16 ans.
00:51La dernière de mes sœurs Floriane avait 12 ans, il me semble.
00:54C'était vraiment le petit bébé, le petit dernier.
00:57Il était comme notre fils.
01:00On l'a élevé avec notre mère, parce que notre mère a élevé cinq enfants toute seule.
01:05On n'avait pas le même père que Sullivan.
01:07Son père l'a abandonné à la naissance, donc on a dû faire ce rôle aussi avec ma mère.
01:14Il était chauffagiste lombier.
01:16Il a passé son bac, il a eu son bac, il a fait ses vacances d'été.
01:19À la rentrée, il a été embauché directement en CDI à 18 ans, avec un bon salaire quand même.
01:25Donc on était assez fiers de lui.
01:27Le 9 juin déjà est une date marquante quand même,
01:30parce que c'est la dissolution de l'Assemblée nationale.
01:33Du coup, le RN remporte les élections.
01:35J'ai décidé de vous redonner le choix de notre avenir parlementaire, par le vote.
01:41Mon frère part avec ses amis à Cherbourg.
01:45Ils vont se promener à la plage.
01:47On n'a pas trop l'heure exacte, mais on sait qu'au retour de leur promenade,
01:52il est 23h30, 23h40.
01:54Ils arrivent vers le quartier où ils habitaient,
01:58et le conducteur s'aperçoit que la police est derrière eux.
02:02Il décide d'accélérer, parce qu'il y a eu un défaut de permis, de papier, on ne sait pas trop.
02:08Apparemment, la voiture aurait été volée, mais bon, ça ne justifie en rien.
02:12Donc le conducteur commence à accélérer, ce qui met la puce à l'oreille aux policiers.
02:16Donc à partir de là, il y a une course-poursuite.
02:19Ensuite, ce qui se passe, c'est qu'au bout d'un moment, le conducteur s'arrête.
02:22Il prend la fuite d'un côté, mon frère de l'autre.
02:28Le troisième, qui est à l'arrière, se fait arrêter directement, se fait plaquer.
02:34Il entend le coup de feu, mais jamais de la vie il n'aurait pensé
02:37une seule seconde à ce qui aurait pu arriver à mon frère.
02:41Et ce qui est arrivé, c'est que mon frère est parti du côté gauche du carrefour.
02:48Il tombe sur une équipe de trois policiers.
02:51Et à partir de là, d'après les éléments qu'on a, c'est qu'il se prend un coup de taser.
02:57Et à bout portant, il se prend une balle dans le thorax.
03:03On a comme ici, on a représenté un cœur, justement parce qu'il a pris ici la balle.
03:08À bout portant, pourquoi ? On ne sait pas trop, vraiment.
03:22Si ça se passe devant un bâtiment, du coup, les résidents entendent le coup de feu.
03:28Donc ils se mettent à la fenêtre et il fait nuit, ils ne voient pas le visage,
03:32mais ils voient qu'un jeune est au sol et des policiers autour.
03:37Ils entendent mon frère dire « j'ai mal, j'ai mal ».
03:42Et le policier lui dit « ferme ta gueule, ferme ta gueule ».
03:46À deux reprises, il lui met les menottes.
03:49Et quand ils s'aperçoivent qu'il agonise, s'ils l'entendent agoniser,
03:53ils lui enlèvent les menottes, appellent les secours.
03:56Mais c'est trop tard.
03:58C'est trop tard, mon frère succombe à cette blessure.
04:03J'apprends la mort de mon frère le lendemain matin, à 5h du matin.
04:07J'ai le sommeil assez lourd.
04:10À bout d'un moment, j'entends mon téléphone vibrer avec plusieurs appels en absence.
04:15Je regarde l'heure, je me dis « il se passe quelque chose ».
04:18J'entends ma soeur en pleurs, je ne l'avais jamais entendue comme ça.
04:24Ça restera toujours dans ma tête, c'est ça, c'est marquant.
04:26Quand on t'annonce le décès de ton frère,
04:29elle me dit, je l'entends pleurer, je lui dis « qu'est-ce qui se passe ? »
04:32Elle me dit « c'est Sullivan ».
04:35Je ne comprends pas, je lui dis « mais explique-moi ».
04:39Je lui dis « passe-moi ton mari », donc son mari prend le relais.
04:43Elle me dit « mon frère, Sullivan, il est mort.
04:47Il a pris une balle par la police. »
04:51Je n'y crois pas, sur le coup, je n'y crois pas.
04:54Pendant plusieurs jours, c'était flou, c'était…
05:01je ne sais pas comment expliquer, on a l'impression de vivre un cauchemar.
05:05Sur le coup, je me dis…
05:07je pense à l'affaire Nael qui avait fait beaucoup de bruit un an avant.
05:12La seule chose qu'on apprend, c'est dans la presse,
05:14c'est que la policière pense avoir vu une arme à la place de son téléphone.
05:32Quand on apprend ça, on se dit « on se fout de nous, on ne nous respecte pas ».
05:38C'est déconcertant, c'est écœurant, c'est écœurant de se dire que…
05:43comment on peut inventer une excuse aussi minable de dire ça alors que derrière il y a une famille qui pleure.
05:53Moi, personnellement, je suis très remonté sur le coup, même encore.
05:58Par la suite, on apprend aussi que cette femme n'était pas très stable.
06:02En fait, c'était une policière qui avait fait déjà deux tentatives de suicide.
06:08Ce n'est pas très rassurant pour tout le monde, pour la population,
06:11même pour elle, même pour ses collègues.
06:13Tu te dis, une policière qui veut suicider, soit un jour elle va passer à l'action,
06:19soit un jour elle va tuer quelqu'un, et c'est ce qui s'est passé.
06:22Hier soir, la policière qui a ouvert le feu sur l'adolescente,
06:26a été mise en examen pour meurtre.
06:28C'est déjà bien, déjà, je trouve ça correct d'avoir reconnu cet homicide volontaire.
06:35Elle est passée devant le parquet, devant le procureur de la République
06:39qui a demandé l'incarcération de cette femme,
06:41le juge d'instruction qui a demandé l'incarcération aussi,
06:44et le juge d'application des peines qui a décrété qu'elle avait les conditions nécessaires
06:52pour être placée sous contrôle judiciaire.
06:55Elle s'en sort bien, parce que c'est une femme qui est mère de famille,
06:59qui peut avoir ses enfants, sa famille, pendant que nous, on est privés de notre frère.
07:05Tout ce que je sais, c'est que si moi j'avais fait ça,
07:08je serais derrière les barreaux, tout de suite.
07:13Il s'appelle Sullivan, mais c'est un gamin qui a grandi dans une cité,
07:17dans un quartier populaire, dans une ZUP.
07:19Tous les jours, on se faisait contrôler, même avec une manette de PlayStation.
07:24On nous demandait qu'est-ce qu'on fait avec.
07:27Il réagissait toujours bien, parce que c'était quelqu'un de posé,
07:33qui n'aimait pas se prendre la tête, il obtempérait toujours.
07:38On en discutait par rapport aux violences policières, il était très réceptif.
07:42Il savait qu'il fallait faire attention.
07:45Il savait qu'il fallait faire attention.
07:47Moi, à sa place, à 19 ans, je tombe devant une équipe de police.
07:51Peut-être que je prends la fuite aussi, parce que maintenant,
07:54quand on voit d'autres victimes, même si tu t'arrêtes,
07:58tu peux finir au sol, asphyxié, le thorax écrasé.
08:02Ce rapport avec la police, il est très compliqué pour les jeunes.
08:06Ça fait 10 mois qu'il n'est plus là, ça fait 10 mois qu'il est parti.
08:10Ça fait 10 mois qu'on nous l'a enlevé.
08:12C'est un traumatisme aussi pour les enfants.
08:15Moi, ma fille, au début, je ne lui ai pas dit, j'avais peur de Sullivan.
08:19C'était tonton Sullivan pour tous les enfants.
08:22Donc, au bout d'un moment, à chaque fois qu'on lui a demandé où il était,
08:25à force de lui dire qu'il est en vacances, mais quand est-ce qu'il revient de vacances,
08:29on est obligé de lui dire, tonton, il est parti au paradis.
08:31Pour les plus grands, je pense, par exemple, au premier,
08:35qui a 9 ans, il est traumatisé.
08:38Sa petite sœur aussi, qui a 8 ans, les deux sont traumatisés.
08:41Quand je vois ma nièce qui dessine, qui fait des dessins de mon frère et d'elle,
08:47et qui raye après les dessins.
08:50Récemment, le 12 mars, mon frère aurait eu 20 ans.
08:56J'ai un autre neveu de 4 ans qui dit à sa mère,
09:00c'est bon, tonton Sullivan, il peut revenir, c'est son anniversaire, on va faire un gâteau.
09:06Non, mon petit, désolé, tonton Sullivan ne reviendra jamais.
09:11C'est un double effort dans l'éducation de nos enfants qu'on doit faire,
09:16parce qu'on pourra leur donner toute l'éducation qu'on veut,
09:20ils vont vivre avec ce traumatisme.
09:22Je ne veux pas faire une minute de silence, on ne fera pas ça,
09:25parce qu'on ne va pas se taire.
09:27Comme on veut tout gagner, on va tout déchirer.
09:30On va faire une minute d'applaudissements.
09:32Allez, tonton Sullivan !
09:37Deux jours après le décès de mon frère, on organise une marche blanche,
09:41une marche qui reste encore dans nos mémoires,
09:44parce qu'on était plus d'un millier de personnes.
09:46Il y avait toute notre famille, tous nos amis, tous les voisins,
09:49tout le quartier, toute la ville.
09:51On a vraiment eu un soutien, on a senti une solidarité derrière nous incroyable,
09:55et c'est ce qui nous maintient aussi.
09:58Et nous, on a fait un hommage à mon frère lors d'un match de foot,
10:03pendant un concert de rap, il y aura d'autres événements à venir.
10:07Juste à côté de moi, il y a le frère de Sullivan,
10:11donc on va tous dire justice pour Sullivan !
10:16Avec Assa, c'est là qu'on apprend qu'on n'est pas tout seul,
10:20qu'il y a beaucoup d'autres familles dans le même cas que nous,
10:23qu'on se sent compris, qu'on les comprend aussi.
10:26Quand je vois des familles, il y a juste à se regarder dans les yeux,
10:30il n'y a même pas besoin de parler, juste dans le regard,
10:33ça veut dire beaucoup de choses.
10:35On est toujours sur l'enquête, on n'a pas de date de fin d'enquête,
10:38on ne sait pas trop.
10:40Cette policière doit être jugée comme tout le monde.
10:42On ne peut pas faire de deuil tant que le combat n'est pas fini,
10:45tant qu'elle ne sera pas là où elle doit être, en prison.
10:49C'est le combat d'une vie en fait.