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  • 03/04/2025
🗣️ « Au téléphone, j’entends ma soeur me dire : “C’est Sulivan. C’est la police. Il est mort. Je ne comprends rien”. »

Assis au milieu de son canapé blanc, les yeux rougis, Mehdi Sauvey se remémore comment il a appris le décès de son petit frère de 17 ans son cadet.

Le 9 juin 2024, le soir de la dissolution de l’Assemblée Nationale, Sulivan Sauvey, 19 ans, est tué d’une balle dans le thorax à bout portant par une policière alors qu’il tente de fuir un contrôle.

Dans cette nouvelle vidéo de notre format Témoignages, Medhi raconte à StreetPress les circonstances de la mort de son frère et les explications de Valérie B., la policière, qui dit avoir cru que le téléphone de Sulivan était une arme.

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Transcription
00:00L'actualité, c'est aussi cette question.
00:01Que s'est-il passé à Cherbourg dans la nuit de dimanche à lundi ?
00:05Un jeune homme de 19 ans est mort alors qu'il tentait de se soustraire à un contrôle.
00:09Je ne comprends pas trop ce qu'elle me dit.
00:10Elle me dit, c'est Sullivan, c'est la police, il est mort.
00:15Je n'y crois pas.
00:16Sur le coup, je n'y crois pas.
00:17On a représenté un cœur, justement parce qu'elle a pris la balle à bout portant.
00:22La policière pense avoir vu une arme à la place de son téléphone.
00:26C'est une excuse bidon pour moi.
00:28Tout ce que je sais, c'est que si moi j'avais fait ça, je serais derrière les barreaux tout de suite.
00:41Sullivan, c'est mon petit frère.
00:43Il avait 19 ans.
00:45C'était le petit frère d'une fratrie de cinq frères et sœurs.
00:49Quand Sullivan est arrivé, j'avais 16 ans.
00:51La dernière de mes sœurs Floriane avait 12 ans, il me semble.
00:54C'était vraiment le petit bébé, le petit dernier.
00:57Il était comme notre fils.
01:00On l'a élevé avec notre mère, parce que notre mère a élevé cinq enfants toute seule.
01:05On n'avait pas le même père que Sullivan.
01:07Son père l'a abandonné à la naissance, donc on a dû faire ce rôle aussi avec ma mère.
01:14Il était chauffagiste lombier.
01:16Il a passé son bac, il a eu son bac, il a fait ses vacances d'été.
01:19À la rentrée, il a été embauché directement en CDI à 18 ans, avec un bon salaire quand même.
01:25Donc on était assez fiers de lui.
01:27Le 9 juin déjà est une date marquante quand même,
01:30parce que c'est la dissolution de l'Assemblée nationale.
01:33Du coup, le RN remporte les élections.
01:35J'ai décidé de vous redonner le choix de notre avenir parlementaire, par le vote.
01:41Mon frère part avec ses amis à Cherbourg.
01:45Ils vont se promener à la plage.
01:47On n'a pas trop l'heure exacte, mais on sait qu'au retour de leur promenade,
01:52il est 23h30, 23h40.
01:54Ils arrivent vers le quartier où ils habitaient,
01:58et le conducteur s'aperçoit que la police est derrière eux.
02:02Il décide d'accélérer, parce qu'il y a eu un défaut de permis, de papier, on ne sait pas trop.
02:08Apparemment, la voiture aurait été volée, mais bon, ça ne justifie en rien.
02:12Donc le conducteur commence à accélérer, ce qui met la puce à l'oreille aux policiers.
02:16Donc à partir de là, il y a une course-poursuite.
02:19Ensuite, ce qui se passe, c'est qu'au bout d'un moment, le conducteur s'arrête.
02:22Il prend la fuite d'un côté, mon frère de l'autre.
02:28Le troisième, qui est à l'arrière, se fait arrêter directement, se fait plaquer.
02:34Il entend le coup de feu, mais jamais de la vie il n'aurait pensé
02:37une seule seconde à ce qui aurait pu arriver à mon frère.
02:41Et ce qui est arrivé, c'est que mon frère est parti du côté gauche du carrefour.
02:48Il tombe sur une équipe de trois policiers.
02:51Et à partir de là, d'après les éléments qu'on a, c'est qu'il se prend un coup de taser.
02:57Et à bout portant, il se prend une balle dans le thorax.
03:03On a comme ici, on a représenté un cœur, justement parce qu'il a pris ici la balle.
03:08À bout portant, pourquoi ? On ne sait pas trop, vraiment.
03:22Si ça se passe devant un bâtiment, du coup, les résidents entendent le coup de feu.
03:28Donc ils se mettent à la fenêtre et il fait nuit, ils ne voient pas le visage,
03:32mais ils voient qu'un jeune est au sol et des policiers autour.
03:37Ils entendent mon frère dire « j'ai mal, j'ai mal ».
03:42Et le policier lui dit « ferme ta gueule, ferme ta gueule ».
03:46À deux reprises, il lui met les menottes.
03:49Et quand ils s'aperçoivent qu'il agonise, s'ils l'entendent agoniser,
03:53ils lui enlèvent les menottes, appellent les secours.
03:56Mais c'est trop tard.
03:58C'est trop tard, mon frère succombe à cette blessure.
04:03J'apprends la mort de mon frère le lendemain matin, à 5h du matin.
04:07J'ai le sommeil assez lourd.
04:10À bout d'un moment, j'entends mon téléphone vibrer avec plusieurs appels en absence.
04:15Je regarde l'heure, je me dis « il se passe quelque chose ».
04:18J'entends ma soeur en pleurs, je ne l'avais jamais entendue comme ça.
04:24Ça restera toujours dans ma tête, c'est ça, c'est marquant.
04:26Quand on t'annonce le décès de ton frère,
04:29elle me dit, je l'entends pleurer, je lui dis « qu'est-ce qui se passe ? »
04:32Elle me dit « c'est Sullivan ».
04:35Je ne comprends pas, je lui dis « mais explique-moi ».
04:39Je lui dis « passe-moi ton mari », donc son mari prend le relais.
04:43Elle me dit « mon frère, Sullivan, il est mort.
04:47Il a pris une balle par la police. »
04:51Je n'y crois pas, sur le coup, je n'y crois pas.
04:54Pendant plusieurs jours, c'était flou, c'était…
05:01je ne sais pas comment expliquer, on a l'impression de vivre un cauchemar.
05:05Sur le coup, je me dis…
05:07je pense à l'affaire Nael qui avait fait beaucoup de bruit un an avant.
05:12La seule chose qu'on apprend, c'est dans la presse,
05:14c'est que la policière pense avoir vu une arme à la place de son téléphone.
05:32Quand on apprend ça, on se dit « on se fout de nous, on ne nous respecte pas ».
05:38C'est déconcertant, c'est écœurant, c'est écœurant de se dire que…
05:43comment on peut inventer une excuse aussi minable de dire ça alors que derrière il y a une famille qui pleure.
05:53Moi, personnellement, je suis très remonté sur le coup, même encore.
05:58Par la suite, on apprend aussi que cette femme n'était pas très stable.
06:02En fait, c'était une policière qui avait fait déjà deux tentatives de suicide.
06:08Ce n'est pas très rassurant pour tout le monde, pour la population,
06:11même pour elle, même pour ses collègues.
06:13Tu te dis, une policière qui veut suicider, soit un jour elle va passer à l'action,
06:19soit un jour elle va tuer quelqu'un, et c'est ce qui s'est passé.
06:22Hier soir, la policière qui a ouvert le feu sur l'adolescente,
06:26a été mise en examen pour meurtre.
06:28C'est déjà bien, déjà, je trouve ça correct d'avoir reconnu cet homicide volontaire.
06:35Elle est passée devant le parquet, devant le procureur de la République
06:39qui a demandé l'incarcération de cette femme,
06:41le juge d'instruction qui a demandé l'incarcération aussi,
06:44et le juge d'application des peines qui a décrété qu'elle avait les conditions nécessaires
06:52pour être placée sous contrôle judiciaire.
06:55Elle s'en sort bien, parce que c'est une femme qui est mère de famille,
06:59qui peut avoir ses enfants, sa famille, pendant que nous, on est privés de notre frère.
07:05Tout ce que je sais, c'est que si moi j'avais fait ça,
07:08je serais derrière les barreaux, tout de suite.
07:13Il s'appelle Sullivan, mais c'est un gamin qui a grandi dans une cité,
07:17dans un quartier populaire, dans une ZUP.
07:19Tous les jours, on se faisait contrôler, même avec une manette de PlayStation.
07:24On nous demandait qu'est-ce qu'on fait avec.
07:27Il réagissait toujours bien, parce que c'était quelqu'un de posé,
07:33qui n'aimait pas se prendre la tête, il obtempérait toujours.
07:38On en discutait par rapport aux violences policières, il était très réceptif.
07:42Il savait qu'il fallait faire attention.
07:45Il savait qu'il fallait faire attention.
07:47Moi, à sa place, à 19 ans, je tombe devant une équipe de police.
07:51Peut-être que je prends la fuite aussi, parce que maintenant,
07:54quand on voit d'autres victimes, même si tu t'arrêtes,
07:58tu peux finir au sol, asphyxié, le thorax écrasé.
08:02Ce rapport avec la police, il est très compliqué pour les jeunes.
08:06Ça fait 10 mois qu'il n'est plus là, ça fait 10 mois qu'il est parti.
08:10Ça fait 10 mois qu'on nous l'a enlevé.
08:12C'est un traumatisme aussi pour les enfants.
08:15Moi, ma fille, au début, je ne lui ai pas dit, j'avais peur de Sullivan.
08:19C'était tonton Sullivan pour tous les enfants.
08:22Donc, au bout d'un moment, à chaque fois qu'on lui a demandé où il était,
08:25à force de lui dire qu'il est en vacances, mais quand est-ce qu'il revient de vacances,
08:29on est obligé de lui dire, tonton, il est parti au paradis.
08:31Pour les plus grands, je pense, par exemple, au premier,
08:35qui a 9 ans, il est traumatisé.
08:38Sa petite sœur aussi, qui a 8 ans, les deux sont traumatisés.
08:41Quand je vois ma nièce qui dessine, qui fait des dessins de mon frère et d'elle,
08:47et qui raye après les dessins.
08:50Récemment, le 12 mars, mon frère aurait eu 20 ans.
08:56J'ai un autre neveu de 4 ans qui dit à sa mère,
09:00c'est bon, tonton Sullivan, il peut revenir, c'est son anniversaire, on va faire un gâteau.
09:06Non, mon petit, désolé, tonton Sullivan ne reviendra jamais.
09:11C'est un double effort dans l'éducation de nos enfants qu'on doit faire,
09:16parce qu'on pourra leur donner toute l'éducation qu'on veut,
09:20ils vont vivre avec ce traumatisme.
09:22Je ne veux pas faire une minute de silence, on ne fera pas ça,
09:25parce qu'on ne va pas se taire.
09:27Comme on veut tout gagner, on va tout déchirer.
09:30On va faire une minute d'applaudissements.
09:32Allez, tonton Sullivan !
09:37Deux jours après le décès de mon frère, on organise une marche blanche,
09:41une marche qui reste encore dans nos mémoires,
09:44parce qu'on était plus d'un millier de personnes.
09:46Il y avait toute notre famille, tous nos amis, tous les voisins,
09:49tout le quartier, toute la ville.
09:51On a vraiment eu un soutien, on a senti une solidarité derrière nous incroyable,
09:55et c'est ce qui nous maintient aussi.
09:58Et nous, on a fait un hommage à mon frère lors d'un match de foot,
10:03pendant un concert de rap, il y aura d'autres événements à venir.
10:07Juste à côté de moi, il y a le frère de Sullivan,
10:11donc on va tous dire justice pour Sullivan !
10:16Avec Assa, c'est là qu'on apprend qu'on n'est pas tout seul,
10:20qu'il y a beaucoup d'autres familles dans le même cas que nous,
10:23qu'on se sent compris, qu'on les comprend aussi.
10:26Quand je vois des familles, il y a juste à se regarder dans les yeux,
10:30il n'y a même pas besoin de parler, juste dans le regard,
10:33ça veut dire beaucoup de choses.
10:35On est toujours sur l'enquête, on n'a pas de date de fin d'enquête,
10:38on ne sait pas trop.
10:40Cette policière doit être jugée comme tout le monde.
10:42On ne peut pas faire de deuil tant que le combat n'est pas fini,
10:45tant qu'elle ne sera pas là où elle doit être, en prison.
10:49C'est le combat d'une vie en fait.

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