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00:00Bienvenue sur Europe 1, merci de nous rejoindre. Nous sommes en compagnie de nos deux chroniqueurs
00:06Véronique Jacquier, journaliste politique à CNews et Nathan Devers, écrivain et philosophe.
00:10Avant de vous donner la parole, j'accueille Jean-Michel Lacombe, ancien ambassadeur de
00:14France à Rangoud en Birmanie. C'était de 2003 à 2007 précisément. On va évoquer
00:21avec lui ce séisme particulièrement meurtrier qui a frappé le pays. Bonsoir Jean-Michel
00:28Lacombe. Alors on va parler de la situation politique parce que c'est une situation politique
00:33particulière en Birmanie puisque la lageinte militaire dirige le pays depuis 2021, depuis
00:38le coup d'État. Mais avant cela, évidemment, on va revenir sur la situation humanitaire
00:44particulièrement préoccupante. On compte 1644 morts. À ce stade, vous connaissez
00:50bien le pays, vous avez encore des amis sur place. Quelles nouvelles avez-vous ?
00:541650 morts. Si on s'en tient là, ils auront beaucoup de chance. D'après ce que me disent
01:02mes amis, il y a au moins 5000 morts et probablement plus. Il y a des endroits où on ne sait pas
01:11encore ce qui se passe. La capitale Napido, on y accède très difficilement. Sagayne où
01:18il y a l'épicentre, on ne sait pas. Il n'y a pas de nouvelles et ainsi de suite. On ne sait pas
01:25parce qu'il n'y a pas d'accès ? Il n'y a pas d'accès, oui. Alors les communications se rétablissent
01:30très lentement. L'internet et tout ça fonctionne très mal. En fait, ce qu'ils font, les seuls qui
01:39peuvent communiquer vraiment, c'est ceux qui ont un téléphone satellite, c'est-à-dire les
01:43diplomates et certaines personnes privilégiées. Jean-Michel Lacombe, quand vous parlez de plus
01:50de 5000 morts, c'est les informations que vous avez sur place. Qu'est-ce qui permet de dire ça
01:56à ce stade ? Eh bien, le manque de nouvelles dans un certain nombre d'endroits où ça a tapé. Donc
02:05quand on connaît la population qui est là-bas dont on n'a plus aucune nouvelle, eh bien c'est
02:12comme ça que mes amis ont fait leur calcul en disant que personne ne répond à sa gaine. Et même
02:19dans la capitale qui quand même dispose de moyens importants, la nouvelle capitale par
02:26angoût, Napido, eh bien Napido est difficile d'accès. On n'y va pas par la route, c'est très
02:36compliqué. La gente y va en hélicoptère. C'est un pays avec une typologie aussi particulière
02:43vous l'avez dit, les accès sont difficiles, mais il y a aussi des infrastructures qui sont obsolètes,
02:49notamment les hôpitaux. Alors oui, il y a deux types d'installations pour les hôpitaux. Soit ce
02:59sont des hôpitaux militaires, c'est ce qu'on peut trouver en Thaïlande ou l'implicite, mais c'est
03:05réservé aux militaires. Et puis il y a, si j'ose dire, le tout-venant. Et là, c'est rustique pour
03:15dire les choses gentiment. Donc les militaires mènent une vie à part, si vous voulez. Ils ont
03:22leur magasin, ils ont leur production de vivres, de légumes, ainsi de suite. Ils ont un statut,
03:32ils sont payés tous les mois. En Birmanie, c'est assez exceptionnel. Et puis ils ont des écoles et
03:40des hôpitaux à l'armée. Alors Jean-Michel Lacombe, manifestement la Birmanie a du mal à subvenir à
03:49l'aide de sa population, puisque c'est un fait assez rare. Le pays est appelé à l'aide internationale.
03:54Je dis un fait rare parce que la gente militaire est assez fermée. D'ailleurs, il y a très peu de
03:58journalistes sur place. On ne sait pas exactement ce qui se passe, mais là, il y a eu un appel à
04:03l'aide internationale. C'est la première fois qu'on voit ça. Jusqu'à présent, si on regarde les
04:09deux grandes catastrophes récentes, le cyclone Nargis ou bien le tsunami qui avait ravagé Pouquet,
04:17enfin toute la Thaïlande. Dans un premier temps, ils ont tendance à nier, dire non. Le tsunami s'est
04:27arrêté en Birmanie. Quand on sait que le tsunami a été de la Thaïlande jusqu'au Sri Lanka, bon,
04:35alors ils nient. Nargis, alors ça a été un cyclone qui a ravagé une bonne partie du Bangladesh et de
04:45la Birmanie. Et alors comme j'ai été ambassadeur aussi au Bangladesh, les Bangladesh sont mieux
04:49organisés que les Birmans. Pourquoi ? Parce qu'ils ont un système de radio où ils préviennent par
04:56une série de messages. Ils ont des abris anticyclones où la population se réfugie. Un
05:03abri anticyclone, c'est un bunker surpiloté qui résiste à des ventes de 150 km heure. Et puis,
05:11ils ont un certain nombre de consignes, faire des provisions d'eau et ainsi de suite. Donc,
05:17en Birmanie, quand j'y étais, il n'y avait pas ces messages diffusés à la population.
05:24Vous dites en fait, Jean-Michel Lacombe, que c'est un pays fermé, non seulement fermé,
05:28mais opaque. Ça veut dire qu'on ne nous dit pas la vérité. Il faut dire que la
05:33junte est peut-être fragilisée. On rappelle que c'est un pays en guerre. Je parle sous votre
05:38contrôle, évidemment, parce qu'on sait peu de choses. Finalement, je crois qu'il y a environ
05:41145 ethnies. C'est une guerre éclatée où il y a une forme de rébellion contre la junte militaire.
05:48Il y a eu une brève période d'ouverture avec Osanji, qui avait un véritable pouvoir. Ça a été la
06:00catastrophe pour les militaires. Elles gagnaient toutes les élections les unes après les autres,
06:05avec un score à chaque fois plus important. Donc, la réaction de caste de l'armée avec
06:13ce général Ming Aung Hlaing a été d'organiser un coup d'État et de dire qu'en dépit de toutes
06:20les précautions prises par une constitution taillée par sur-mesure, elle allait arriver au
06:25pouvoir légalement. Mais ça continue cette guerre aujourd'hui. Alors, la guerre, c'est... Tous les
06:32pays qui entourent la Birmanie ont à l'intérieur de la Birmanie une minorité ethnique à eux. C'est
06:39à dire que le Bangladesh, il y a les Rohingyas, les Thaïs, il y a les Chands, les Mondes, les
06:49Rakhines. Et puis, vous avez aussi la Chine, qui a une forte minorité. La Chine, d'ailleurs, qui
06:57va envoyer 82 sauveteurs, qui promet une aide de plus de 13 millions de dollars. Ça veut dire
07:03qu'il y a des enjeux. Alors, on ne va pas parler, on ne va pas être cynique et parler de diplomatie
07:08alors qu'il y a un vrai drame humanitaire, évidemment, qui se joue. Mais on sait, évidemment,
07:12derrière ce drame qu'il y a des enjeux diplomatiques aussi. On se souvient du Maroc qui avait refusé
07:16l'aide de la France lors du dernier séisme. Ça veut dire que, voilà, la Chine va apporter de
07:22l'aide, la Corée du Sud. Est-ce que tout le monde va être le bienvenu pour apporter son aide en
07:26Birmanie ? Les Chinois, oui. Mais les Chinois ont un intérêt tout à fait particulier à ce qui se
07:36passe en Birmanie. Ils ont construit à grands frais, un investissement de 4 ou 5 millions de
07:43dollars, un pipe qui va de Situé jusque dans le Yunnan. Parce que les Chinois, 70% de leur pétrole
07:53et de leur gaz, et ainsi de suite, vient du Golfe. Et ça veut dire qu'il fallait des tankers qui les
08:01amènent en faisant le tour par le détroit de Lombok, Malaisie et tout ça. Bon, alors là,
08:07il y a un pipe qui amenait tout ça dans le Yunnan, qui est une des provinces les plus reculées de la
08:17Chine, qui l'a désenclavé. Tout le monde va avoir le droit, justement, je répète ma question,
08:24d'apporter son aide, l'aide sera bienvenue en Birmanie ? La dernière fois, l'administration
08:32de l'agent avait sévèrement contingenté la possibilité d'intervenir. Avec un double système,
08:41premièrement, toute l'aide, vous la déposez en Thaïlande et c'est nous qui la cheminons et c'est
08:47nous qui la déposons. Deuxièmement, nous faisons confiance à un certain nombre d'ONG qui travaillent
08:54depuis un certain nombre d'années avec nous et c'est eux qui auront le droit, plus la société
08:59civile birmane qui existe, les bons sont très efficaces. Et puis alors, les nouvelles ONG qui
09:06veulent arriver, alors ça ne sera pas pareil. Comme il y avait une forte pression pour Nargis
09:14International de donner des visas d'entrée en Birmanie aux ONG spécialisées, ils ont dit très
09:22bien, on donne les visas et quand les gens arrivaient à Rangoon, ils découvraient qu'il
09:26fallait aussi un visa de circulation. C'est à dire que vous restiez à Rangoon et vous preniez
09:32votre tour dans une file assez longue. Voilà. Nathan Devers, vous vouliez interpeller Jean-Michel
09:39Lacombe. D'abord, j'ai appris cette catastrophe naturelle avec une forme de sidération et ce fait,
09:46c'est le hasard, mais ça fait deux ans que je travaille sur cette région. J'écris un roman
09:49sur le territoire à côté qui est l'archipel d'Andaman mais qui n'est vraiment pas très éloigné
09:54et j'ai appris ça avec une forme de sidération personnelle. Ça n'a aucun intérêt de le dire,
09:59mais en tout cas, je voulais en faire part. Pourquoi je voulais en faire part ? Parce que le
10:03principe d'une catastrophe naturelle, c'est le fameux poème de Voltaire sur le tremblement de
10:07terre de Lisbonne contre les Houtts, c'est qu'on ne peut pas en tirer de leçon. C'est impossible à
10:11commenter puisqu'il n'y a pas de providence qui régit la nature. Ce n'est pas une punition qui
10:16est adressée aux hommes, etc. La question, cependant, qui peut se poser, il arrive qu'une
10:21catastrophe naturelle ou qu'un accident catastrophique soit aussi un séisme politique. Ce n'était pas une
10:28catastrophe naturelle, mais on se souvient tous de l'explosion du port de Beyrouth qui a eu aussi
10:33cet effet de détonation, d'explosion politique, comme si ça permettait d'exhumer tout ce qui
10:40n'allait pas dans la structuration de l'État libanais. La question qui se pose, en effet,
10:45c'est ce dont vous avez parlé en Birmanie, qui est au pouvoir depuis un certain nombre d'années,
10:49qui est arrivé au pouvoir dans des conditions extrêmement dures. Est-ce que vous pensez que,
10:52tôt ou tard, une catastrophe de cette nature, ça peut aussi venir l'affaiblir, non seulement dans
10:58ses choix stratégiques, mais dans ses choix politiques, presque métaphysiques les plus
11:02profonds ? Cet isolationnisme dont vous avez parlé, ce refus de la démocratie en un sens,
11:06cette opposition vis-à-vis d'un certain nombre d'ethnies ?
11:09Jusqu'à présent, l'agent estimait qu'avec une bonne dose de cruauté, au bon moment,
11:16on pouvait régler beaucoup de problèmes. Ils n'ont jamais tenté l'expérience d'avoir une
11:24avalanche d'ONG, de secours extérieurs, circulant plus ou moins librement. Et là,
11:31ça peut provoquer un ébranlement, effectivement. L'ébranlement est déjà là,
11:38ils ne contrôlent plus une bonne partie de leur pays. En gros, ils ne contrôlent plus un tiers du
11:49pays. Premièrement, leur armée, dont la qualité a diminué, parce qu'ils sont beaucoup dans le
11:56business. Deuxièmement, elle est aux frontières, elle n'a pas le dessus. Et il arrive maintenant
12:03cette catastrophe qui est assez généralisée. Vous parliez du tremblement de Lisbonne. Il y a
12:12eu un tremblement de terre à Lisbonne aussi, qui fait partie du même phénomène tout le long de
12:17l'Australie jusqu'à Lisbonne. Il y a partout des petits tremblements de terre.
12:24Véronique Jacquet voulait vous poser une question aussi.
12:26Pour rebondir, ça rejoint un petit peu la question de Nathan Devers, mais c'était,
12:30est-ce qu'on peut imaginer qu'il y ait non seulement un séisme politique, donc que la
12:35junte soit déstabilisée, mais que la Chine, par exemple, en profite pour faire de la prédation ?
12:40Est-ce que c'est déjà un peu le cas et de quelle façon elle pourrait plus s'affirmer ?
12:45La Chine contrôle la Birmanie de deux manières. Premièrement, elle fournit avec la Russie
12:53l'équipement militaire, la formation. Et puis deuxièmement, vous parlez de ces minorités
13:00ethniques que tous les pays ont en Birmanie. Alors il y a une minorité ethnique qui s'appelle
13:06les WHA. Les WHA ont une vraie armée et qui obéit à la Chine. Quand je dis une vraie armée,
13:15c'est 80 000 hommes avec de l'artillerie et tout ça. Et alors ça, une minorité ethnique comme ça,
13:20bon. Donc la Chine surveille la Birmanie. Si elle veut intervenir, ça sera pas en instaurant la
13:30démocratie. Ça sera en changeant Rolamine, qui sera jugé comme incompétent, pour un autre général.
13:40Alors est-ce que ça sera un général démocratique ? Les mots sonnent bizarrement. Ou bien est-ce que
13:48ça sera un général compétent et féroce ? En tout cas, on parlait de cette catastrophe. Elle peut
13:56être de nature à faire carrément tomber la jeune, selon vous. Est-ce que certains pays en
14:01profiteront pour s'intégrer ? Ça va leur rendre très difficile parce qu'ils ont, sans vraiment
14:08le vouloir, ouvert les portes. Avec beaucoup de gens qui vont voir comment ça fonctionne de
14:13l'intérieur et ainsi de suite. Et je ne sais pas comment ils vont gérer ça. Ils ne sont pas habitués.
14:18Une dernière question. Avant le drame, avant ce séisme, les Nations Unies alertaient déjà sur le
14:24fait qu'il y avait 15 millions de Birmans qui souffraient de la faim. Est-ce qu'on peut imaginer
14:28qu'il y ait une rébellion qui vienne du peuple aussi, en disant maintenant ça suffit ?
14:35Vous savez, il faut voir ce que c'est que la poigne des militaires. Je me souviens de ce qu'on appelait
14:42les listes de minuit. C'est-à-dire que tout chef de famille doit avoir une liste à jour des gens
14:49qui habitent chez lui. Et on les appelle de minuit parce que c'est l'heure des perquisitions où on
14:53vérifie. Alors avec un régime de ce genre, ensuite quand l'internet a été introduit, bien entendu
15:00il y avait des bureaux, des boutiques d'internet, mais il y avait une prise automatique d'écran toutes
15:06les minutes et demie. Alors c'est quand même très difficile. Si la Chine décide de changer le régime
15:15et vire au lamine pour incompétence notoire, ça serait la solution la plus rapide.
15:22En tout cas, on rappelle cette catastrophe humanitaire, 1650 morts à ce stade. Et vous le disiez, Jean-Michel
15:28Lacombe, un bilan qui risque fort de s'alourdir. Vos amis sur place évoquent plutôt un bilan de 5000 morts.
15:33Merci d'avoir été avec nous sur Europe 1.