Passer au playerPasser au contenu principalPasser au pied de page
  • 25/03/2025
"J'ai senti très tôt qu'on n'était pas à notre place, là-bas…"

Enfant, Robin Campillo a passé 2 ans à Madagascar, ancienne colonie française devenue indépendante mais sur laquelle la France tentait de garder le contrôle. C'est le thème de son nouveau film "L'Île Rouge". Il raconte.

Catégorie

🗞
News
Transcription
00:00Vous venez d'atterrir sur le plus bel endroit au monde,
00:05le lieu de tous les plaisirs.
00:07Bienvenue sur la base 180.
00:09Bienvenue à Madagascar.
00:11J'ai vécu à Madagascar de 69 à 71, deux ans de ma vie.
00:16Ces deux ans, c'est un peu toute mon enfance.
00:19En tout cas, c'est une période marquante de mon enfance
00:22parce que l'île m'avait beaucoup marqué.
00:24J'ai vécu là-bas parce que mon père était militaire,
00:26il était dans l'armée de l'air.
00:28On a tous habité là-bas alors qu'on venait déjà tous
00:31d'autres colonies, d'anciennes colonies.
00:33Je suis né au Maroc, toute ma famille est née au Maroc
00:36et on a vécu après en Algérie, après l'indépendance algérienne.
00:39En fait, Madagascar, c'était quand même un lieu
00:42qui était pour la France géostratégique,
00:44c'est-à-dire pour avoir une place dans l'océan Indien.
00:48C'était important aussi de la voir par rapport à l'URSS, etc.
00:52Madagascar avait été colonisé depuis longtemps, en 1947,
00:55par des émeutes, des rébellions de résistants,
00:59notamment parmi les paysans, etc. dans le sud de l'île.
01:02Ça avait mené à une immense violence de la part de la France,
01:05surtout avec des massacres très importants.
01:08En fait, Madagascar avait réussi à avoir son indépendance en 1960.
01:12Mais cette indépendance était en fait une illusion
01:15parce que la France restait comme une présence spectrale
01:20mais très influente.
01:22C'était une fausse indépendance.
01:24Peu à peu, cette fausse indépendance a volé en éclate,
01:28notamment grâce aux étudiants et aux lycéens,
01:32donc des gens très jeunes,
01:34qui ont soutenu d'un seul coup aussi
01:36toutes les rébellions qu'il y a eu dans le sud de l'île
01:38un an auparavant, c'est-à-dire en 1971.
01:41D'un seul coup, ce qui s'est passé,
01:43c'est que les Malagasies ont eu cette intelligence
01:46non pas de s'attaquer à la France
01:48puisque le pays était supposément indépendant,
01:50mais à leur propre gouvernement, à leur propre président,
01:53en disant, nous ne voulons plus apprendre le français,
01:55nous voulons que nos diplômes nous donnent de vrais boulots.
02:02C'est-à-dire que, par exemple,
02:04les gens qui faisaient médecine, les Malagasies qui faisaient médecine,
02:06ne pouvaient pas être médecins à la fin.
02:08Ils étaient infirmiers ou subalternes à des médecins français.
02:12Donc, vous voyez, le colonialisme avait survécu à lui-même
02:15et avait permis à la France de garder sa position de force dans l'île.
02:18J'avais une nostalgie de Madagascar très très vite
02:21et en même temps, je sentais que quelque chose nous échappait,
02:25que cette nostalgie à la fois n'était pas la nôtre
02:28et qu'on était un peu des pions dans la stratégie française.
02:32J'avais senti très tôt qu'on n'était pas à notre place là-bas.
02:35Cette nostalgie s'est doublée d'une espèce de sentiment
02:41où j'avais l'impression que ces souvenirs ne m'appartenaient pas.
02:45Et d'ailleurs, pendant très longtemps,
02:47je ne suis jamais retourné à Madagascar
02:50et on me disait « Mais pourquoi tu n'y retournes pas ? »
02:53Encore une fois, j'avais l'impression que c'était un pays
02:56qui était des souvenirs qu'on avait volés un peu.
03:00Et donc, en fait, je sentais bien, même si j'étais enfant,
03:03donc évidemment, je ne pensais pas au colonialisme,
03:06je ne pensais pas à toutes ces choses-là,
03:08mais je sentais qu'effectivement, il y avait quelque chose
03:11d'un peu factice dans ce qu'on avait vécu.
03:13Et donc, non seulement on était dans un pays qui était assez paradisiaque
03:17parce que c'est une île particulièrement magnifique
03:20avec une nature, des paysages,
03:24mais en plus, on était un peu au-delà de notre classe, d'une certaine manière.
03:29Et donc, ça créait une espèce de décalage qui était à la fois agréable,
03:32mais quand j'étais enfant, je sentais qu'il y avait quelque chose qui clochait,
03:36qu'on n'était pas à notre place complètement
03:38et qu'on profitait un peu de ce pays,
03:40que le paradis perdu était plus un paradis volé qu'un paradis perdu.

Recommandations