Présent au Festival de Cannes 2022 pour son dernier film “Mascarade”, le réalisateur Nicolas Bedos revient sur 3 galères de tournage.
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00:00Oui, le tournage africain d'OSS est en soi, au quotidien, très rigolo à raconter.
00:07On devait tourner la scène avec Pierre et Jean, qui étaient donc dans une sorte de hangar
00:11où ils redécouvraient la voiture du personnage d'OSS.
00:15Et des singes avaient pris le pouvoir sur ce hangar, ils avaient décidé que c'était à eux.
00:31Et donc on ne peut pas tourner, tant que les singes, qui sont incroyablement proches de nous,
00:38dans les regards, c'était une bande de racailles qui faisaient la douane,
00:43et qui attendaient, et qui disaient vous approchez pas parce que sinon on va en venir aux mains.
00:47On a quasiment parlementé en s'approchant de plus en plus,
00:50en essayant de prendre possession de ce hangar par l'arrière, puis par une partie,
00:55et ils ont finalement détalé, mais le tournage a été reculé,
00:59et je nous revois, Pierre, Jean, qui ont fini par arriver,
01:03en train d'avoir des fous rires face à cette espèce de diplomatie simiesque
01:08que le tournage vous avait imposée.
01:13Il y a un jour qui restera gravé dans ma mémoire,
01:15le grand patron de pâtés, Jérôme Sédoux,
01:17arrive le jour où une tempête se déclenche juste derrière nous,
01:21puisque nous avons tourné non loin d'ici,
01:23et il y avait cette scène où Pierre Ninet doit danser.
01:27Et là, la tempête est telle, comme c'est assez rare en Méditerranée,
01:31que le sable volte partout, et que Pierre ne peut plus danser,
01:35puisqu'il s'en prend plein la gueule.
01:37J'avais un peu le sentiment que j'étais comme le météorologue dans Aviator,
01:41à un moment donné, à qui Di Caprio dit,
01:43trouvez-moi des nuages, et qui cherche des nuages,
01:45et moi, trouvez-moi un endroit à portée de voiture où il n'y aurait pas de vent.
01:49Et ce même jour-là, mon assistante est tellement angoissée
01:54qu'elle rentre dans une bagnole, et je me retrouve au cœur d'un accident.
01:57Je n'ai rien eu, mais je me retrouve au cœur d'un accident de bagnole,
02:00et je sais qu'il me reste, à cause du soleil qui va tomber,
02:03quelque chose comme quatre heures pour tourner.
02:05C'était une de ces journées qu'on n'oublie jamais.
02:07On n'est pas seulement un artiste au sens romantique du terme.
02:10Il y a, dans la fonction de réalisateur, une partie qui consiste à faire des plans,
02:15à écrire des histoires, à diriger des comédiens,
02:18et il y a une partie qui consiste à se sentir responsable de toute une équipe
02:21et d'un budget de jour.
02:23Et donc, dans ces moments-là, on a étrangement le trac,
02:28mais aussi la sérénité nécessaire de celui qui est à la proue du bateau.
02:33Et si le réalisateur panique, tout le monde va se mettre à paniquer.
02:38Donc, je n'ai pas le droit d'être sensible dans ces moments-là.
02:41Je suis là et je dis, trouvons une solution,
02:44et je suis celui qui ne fait pas la gueule.
02:49La galère du premier film, c'était des histoires de maquillage.
02:52Le vieillissement qu'on avait, Dorian Sidié et moi-même,
02:56il y a certains jours, où pour des raisons très complexes à expliquer,
03:00la matière n'adhérait pas, ça cloquait,
03:04et donc on pouvait prendre des marges de trois, quatre heures dans la vue,
03:08ce qui est catastrophique pour un plan de travail.
03:12Et puis, il y a eu un jour où j'avais, en plus de cette histoire de maquillage,
03:16qui nous avait mis déjà en retard,
03:18donc j'arrive sur le plateau déjà avec trois heures sup,
03:20toute l'équipe sait qu'ils vont se coucher à deux heures du matin,
03:22alors qu'ils ont commencé à huit heures,
03:24c'est extrêmement désagréable pour tout le monde,
03:26le réalisateur le sent en premier lieu,
03:29et en plus de ça, je me rends compte dans la mise en place
03:31que je n'ai pas la scène que je veux,
03:33que ça ne fonctionne pas et que je l'ai mal écrite.
03:35Et donc, je décide de me barrer, parce que tout le monde me fait la gueule,
03:38je décide de me barrer pour aller retravailler la scène.
03:41Et je vais donc, avec le maquillage non terminé des prothèses sur le visage,
03:44je rentre dans un McDonald's,
03:47et je commande un Big Mac, comme d'habitude,
03:50et je me mets à prendre des notes,
03:52tout en sachant qu'il y a cinquante ou soixante personnes
03:55qui sont en train de se dire
03:57« Mais ils se foutent de notre gueule ou quoi, ils ne pouvaient pas réfléchir avant ? »
04:00En fait, le droit à l'erreur sur des films qui ont l'ambition des miens,
04:03c'est-à-dire avec un budget relativement conséquent,
04:07la marge d'erreur n'est pas acceptée.
04:09Je ne peux pas improviser,
04:11je ne peux pas me tromper gravement sur un plateau.
04:15Je rêverais, par exemple, de vivre ce que vivent parfois
04:18certains de mes collègues qui ont un cinéma vérité,
04:21un cinéma avec moins de moyens,
04:23où ils peuvent arriver le matin avec les acteurs et chercher la scène.
04:25Se dire « Tiens, on va se mettre là,
04:27et puis attendre, demander au cadreur ou au chef-op
04:29d'aller chercher ce plan-là,
04:31de finalement dire « Ah ben non, on va tous...
04:33Finalement, ça va être une scène de dîner.
04:35Allez, allons chercher de la bouffe et tout ça. »
04:37Non, pas chez moi.