L’écriture inclusive racontée par la linguiste Julie Neveux. Loin des polémiques.
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00:00Ça me choque énormément l'écriture inclusive,
00:02parce qu'en fait c'est juste le produit d'une idéologie féministe hystérique.
00:05On va mettre le point médian et on va mettre ES derrière, ou EE.
00:09C'est pas une évolution, c'est une modification totale.
00:12Quand on dit à des enfants, plusieurs fois par jour,
00:15le masculin l'emporte sur le féminin,
00:16il n'est pas sûr qu'ils comprennent tous que ça ne parle que de grammaire.
00:19Les débats les plus enragés ont commencé
00:23quand il y a eu la publication d'un manuel scolaire en 2017
00:28qui a décidé d'utiliser l'écriture inclusive.
00:30On a crié à une politisation et un militantisme
00:35qui dévoiraient la pureté de la langue française.
00:39Et il est sûr que ces propositions émanent d'un certain militantisme.
00:45L'écriture inclusive, dans certains pays francophones,
00:49c'est appelé le langage non sexiste.
00:51Et c'est un ensemble de recommandations, de propositions,
00:54pour rendre plus égalitaire la langue,
00:57pour qu'on puisse mieux voir les femmes dans l'espace public.
01:00Il y a le lexique, où on va avoir des propositions
01:03pour féminiser les noms de métiers.
01:05Il y a ce qui concerne la grammaire.
01:06Dans la grammaire, on pratique depuis 3-4 siècles,
01:10l'accord non pas de proximité, mais l'accord selon le masculin,
01:14en vertu de cette règle qui est apparue au XVIIe siècle,
01:17qui était que le masculin l'emporte sur le féminin.
01:20Les féministes proposent qu'on laisse tomber cette règle
01:23et qu'on privilégie ce qui s'appelle l'accord de proximité.
01:26C'est-à-dire que si je dis les garçons et les filles sont heureuses,
01:29je dirais heureuses, parce que fille est le plus près d'heureux.
01:32Alors que si je dis les filles et les garçons,
01:34je dirais ils sont heureux.
01:36Ça, c'est la grammaire.
01:37Et enfin, il y a le point qui est le plus polémique aujourd'hui,
01:41qui est le point médian, qui est une convention graphique.
01:44Il s'agit de mettre un point à la fin d'un mot qui désigne un groupe.
01:48C'est pour le pluriel que le problème se pose.
01:50Par exemple, je vais dire les étudiants, point E, point S.
01:55Et ça, ça s'appelle le point médian.
01:56C'est une proposition de convention graphique pour représenter mieux,
02:00rendre visible la partie féminine d'un groupe.
02:03Ça existe depuis quand, ce point médian ?
02:05Le point médian, c'est une proposition du Haut Conseil à l'égalité entre les hommes et les femmes.
02:09C'est pratiqué depuis à peine un an, je dirais, un peu plus,
02:14par certaines administrations.
02:16On s'aperçoit que certaines personnes s'emparent de cette proposition
02:22parce qu'elles leur parlent, parce qu'ils y voient une pertinence.
02:25Et on a vu apparaître surtout au début dans des offres d'emploi.
02:28On avait recherche-ingénieur-e, ou point E avec le point médian.
02:35Mais il faut savoir que, en fait, ça fait longtemps
02:37que la plupart d'entre nous, on pratique un peu d'écriture inclusive.
02:41C'est-à-dire que dans nos mails, on s'écrit « chers amis », entre parenthèses, E, S.
02:46Ou alors, sur nos cartes d'identité, il y a « née », entre parenthèses, E, le tel jour.
02:51Il y a d'autres formes, d'autres déclinaisons de l'écriture inclusive
02:54qui ont commencé il y a bien plus longtemps que ça.
02:56Le point médian n'est qu'un aspect de l'écriture inclusive,
02:59un aspect presque minoritaire.
03:00Pour la plupart, la majorité des Français, si vous dites « les Français »,
03:04vous avez inclus les femmes.
03:06En fait, c'est ça la question.
03:07C'est « est-ce que les Français incluent les femmes ? »
03:10Et on peut toujours dire même que c'est De Gaulle qui a commencé l'écriture inclusive.
03:14Lui, française, Français, c'est lui qui a commencé à faire une forme de dédoublement
03:19et d'introduire de la mixité dans une adresse à un groupe.
03:21Ce débat, il est historique, en fait.
03:23Et c'est vrai que pour comprendre ce que réclament, ce que désirent,
03:26ce qu'appellent les féministes, il faut faire un peu d'histoire.
03:29Il faut comprendre que non seulement il y a eu, en effet,
03:32un mouvement de masculinisation de la langue qui est arrivé au XVIIe siècle
03:35avec l'Académie française.
03:37Il y a eu des hommes, comme un certain Vosge là,
03:39qui a écrit des traités, qui s'appellent en fait des « Remarques sur la langue française »,
03:43et qui a défini, qui a dit que le masculin était le genre noble
03:47et qui allait l'emporter sur le féminin.
03:49Donc, il y a eu des personnages sexistes qui ont influencé le cours de la langue,
03:53qui ont évacué certains noms de métiers aux féminins,
03:56comme poétesse, comme autrice.
03:58Et donc, historiquement, il y a bien une histoire de la langue
04:02et une évacuation, si vous voulez, de la place des femmes dans un discours public.
04:06Il y a deux possibilités, en fait, deux stratégies pour appliquer l'écriture inclusive.
04:10Enfin, pour être plus égalitaire dans la langue,
04:13il y a une stratégie qui est la stratégie de plus de visibilité,
04:16et c'est celle-là qui est en train de gêner beaucoup en français,
04:20parce que c'est vrai que mettre un point, dire « française », « français »,
04:24dire « les étudiants.e.s », ça paraît un peu compliqué,
04:27et surtout, ça paraît peu pertinent dans des contextes où on n'a pas besoin de savoir qu'il y a des femmes.
04:31Mais il y a aussi une autre stratégie, qui serait non pas plus de visibilité,
04:35mais zéro visibilité pour tout le monde,
04:37c'est-à-dire aucune information sur le sexe des gens qui constituent le groupe,
04:41et ça, c'est le terme « épicène », c'est les mots « épicène ».
04:45Et c'est pour ça qu'on parle parfois, au lieu de l'écriture inclusive,
04:48on parle de « langage épicène ».
04:50Alors, un terme « épicène », c'est un terme qui ne change pas,
04:54dont la forme ne varie pas selon qu'il s'applique à un homme ou une femme.
04:58Donc, vous avez « journaliste », « artiste », « enfant » qui marchent, comme ça,
05:02et par exemple, si on ne veut plus dire « les hommes »,
05:04« les hommes aiment aller au marché le dimanche matin »,
05:07eh bien, on peut dire « les personnes » à la place, vous voyez ?
05:10Donc, il y a beaucoup de mots qui peuvent servir à désigner de façon plus neutre un groupe.
05:15On a un rapport très sentimental à la langue, à notre langue,
05:19surtout quand c'est notre langue maternelle.
05:21Donc, on a l'impression que c'est une langue sacrée,
05:25que la toucher remet en cause notre identité.
05:27Donc, on vit très mal les évolutions,
05:29surtout si on a l'impression qu'il y a une sorte de terrorisme verbal qui s'agite là,
05:33qui n'a rien à voir, et qui surtout vient déclarer caduc
05:36les valeurs de signes qui marchaient très bien pour nous.
05:38Si le pluriel, si les Français, pour nous, incluent complètement les Françaises,
05:42on trouve ça absurde de rajouter « françaises » et « français ».
05:47Mais voilà, je pense, moi j'interprète ça comme un moment de la langue,
05:49un moment d'ajustement, un moment de rééquilibrage
05:52après des siècles de langue qu'il y avait, en effet pris un tournant sexiste.
05:56Et sans doute que tout cela a vocation à se tasser.