Avec le sociologue Vincent Chabault, Augustin Trapenard nous fait découvrir l’histoire du Bon Marché, le plus vieux “Grand Magasin”.
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00:00Salut à toutes et à tous, je suis devant le plus ancien grand magasin du monde, toujours en activité.
00:04Il a 170 ans, il s'appelle Le Bon Marché, Rive Gauche,
00:08et on va parler de la naissance des grands magasins.
00:09Je suis avec Vincent Chabot, qui est sociologue, maître de conférences à l'université,
00:13auteur d'un formidable éloge du magasin.
00:16Il va nous raconter un petit peu les révolutions qui sont liées à ce lieu qu'on appelle le grand magasin.
00:22On y va ?
00:22On y va.
00:23On y va.
00:23Vincent, de quand ça date, le grand magasin ?
00:32Les grands magasins apparaissent sous le Second Empire et se multiplient jusqu'au début du XXe siècle.
00:37Ça veut dire quelle année ?
00:381852, Le Bon Marché, puis après toute une série de noms, certains ont disparu, d'autres existent encore aujourd'hui.
00:44Et pourquoi ils ont été créés ?
00:45Il faut revenir un peu au contexte économique de l'époque, la révolution industrielle, l'urbanisation,
00:50l'avènement du rail également.
00:51Tout ça, ça favorise la diffusion de biens manufacturés, produits en série, à une échelle assez large.
00:58Parce qu'avant, ça se passait comment ?
01:00Avant, le commerce, avant 1850, il est incarné par trois figures.
01:03Le commerçant ambulant, le marchand forain et puis le boutiquier, celui qui vend derrière son comptoir.
01:09C'est une révolution.
01:10Oui, c'est une révolution.
01:11On déambule autour de la marchandise.
01:12Ça, c'est la grande nouveauté, c'est-à-dire qu'on se l'approprie, on la voit, on la découvre.
01:17On construit une relation intime avec elle.
01:18Vous voulez dire que c'est les habitudes de vie, les mœurs qui changent ?
01:21Oui, et puis au-delà de ça, effectivement, pour la première fois, on découvre en déambulant l'art de vie bourgeois.
01:27C'est la question que j'avais vous posée.
01:29Qu'est-ce que ça dit de la société de l'époque ?
01:31L'arrivée, l'émergence des grands magasins.
01:33Le triomphe des grands magasins à cette époque-là sonne le départ de ce qu'on appellera un siècle après la société de consommation.
01:38Les grands magasins ont compris quelque chose.
01:40Ils ont compris qu'il y avait un intérêt à construire une relation marchande en exploitant l'émotion des clients.
01:48Alors, le Bon Marché, quand est-ce qu'il est né ?
01:55Il est né en 1852.
01:57C'est Aristide Boustico qui est né dans l'Orne.
02:01Il monte rapidement à Paris.
02:02Il travaille dans un magasin de nouveautés.
02:04Et puis ensuite, il se fait embaucher dans une mercerie au Bon Marché qu'il transforme à partir de 1852 en grand magasin.
02:10Aristide Boustico et sa femme ?
02:11Et sa femme, Marguerite, qui, elle, naît dans un milieu très modeste.
02:14Sa mère est gardienne d'Oie.
02:17Elle monte à Paris à l'âge de 12 ans avec son oncle.
02:19Elle travaille dans un petit restaurant, une gargotte, un bouillon.
02:22Et elle fait la connaissance d'Aristide autour de 1835.
02:25Alors, qu'est-ce qu'ils font ?
02:26Qu'est-ce qu'ils fabriquent ?
02:27Quelle révolution est-ce qu'ils proposent, en fait ?
02:29Les grands avancées pour les employés, c'est effectivement...
02:33Finalement, ça ressemble un peu à ce qu'on voit dans l'industrie à l'époque.
02:35Un paternalisme pour les employés.
02:37On nourrit une grande partie du personnel.
02:39On les loge.
02:40On offre une série de services, des séjours à l'étranger.
02:42C'est dingue, ça !
02:43Des salons de coiffure, des buffets de nourriture gratuits.
02:47Des systèmes de dispositifs sociaux.
02:49Caisse de prévoyance, caisse de secours,
02:52caisse de retraite pour le personnel.
02:54Les retraités, les veufs, les orphelins...
02:56Et notamment les femmes, oui.
02:57Oui, les femmes.
02:58C'est-à-dire qu'il y a effectivement...
03:00Trois quarts du personnel sont des femmes, déjà, il faut le dire.
03:02Et pour elles, effectivement, il y a tout un paternalisme aussi qui se met en place.
03:09Notamment pour les jeunes mères, pour les célibataires qui n'ont pas de famille à Paris.
03:12Elles sont nourries, elles sont logées, elles sont aidées.
03:15On leur donne accès à des nourrices, par exemple.
03:18Et puis, alors, c'est ambivalent, ce paternalisme,
03:20parce que d'un côté, effectivement, on les aide,
03:21et de l'autre côté, on contrôle leur intimité.
03:23Marguerite Boussico, elle est vraiment à l'origine de ça ?
03:25Oui, Marguerite Boussico, elle a effectivement prêté toujours une attention au personnel,
03:30dont trois quarts sont des femmes.
03:31Et puis, à sa disparition, elle fait oeuvre de bienfaisance.
03:34Elle finance, elle ordonne la construction d'un hôpital qui fermera en 2000.
03:38Elle finance des maisons de retraite, des crèches,
03:41des maisons pour les jeunes mères dans le dénuement.
03:43Bref, effectivement, d'un point de vue matériel,
03:44on peut la considérer comme une féministe.
03:54« Au bonheur des dames », Zola, 1883, c'est le livre du bon marché, en fait.
03:59Un peu, c'est-à-dire que Zola est venu déambuler à plusieurs reprises
04:01pour recueillir des données, finalement, comme un ethnographe.
04:04Moi, ce qui m'intéresse, c'est qu'« Au bonheur des dames », c'est un livre, c'est de l'art.
04:07Ce qui m'intéresse, c'est la place de l'art dans le bon marché, justement.
04:10Oui, c'est-à-dire que dès son ouverture, le bon marché organise des expositions,
04:15des concerts, aménage des coins lecture, des salons de lecture.
04:18L'idée, c'est évidemment de rendre actif le magasin,
04:20autrement que par la transaction marchande, autrement que par l'achat.
04:24L'idée, c'est jouer sur, justement, la singularité du lieu.
04:28Et ça, c'est quelque chose qui a été perpétué jusqu'à aujourd'hui ?
04:30Oui, oui, oui, toujours.
04:31Il y a, effectivement, quasiment un lieu culturel, un musée, un opéra.
04:35Ça se rapproche de ces lieux-là, finalement, des lieux à forte dimension symbolique.
04:39Et puis, c'est des lieux de l'événement également, des lieux de l'événement permanent.
04:42Chez un concurrent de la Rive-Droite, le slogan a été longtemps,
04:44il se passe toujours quelque chose.
04:46Vincent, il se passe toujours quelque chose au bon marché.
04:48Il se passe toujours quelque chose au bon marché.