Ils sont des centaines de milliers à avoir été enrôlés parfois de force. Envoyés par l'armée française en première ligne, ce sont les tirailleurs sénégalais. L'auteur David Diop leur a consacré un livre, "Frères d'âme". Pour Brut, il revient sur leur histoire.
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00:00Alpha Nghiai, c'est un jeune Sénégalais qui part à la guerre alors qu'il a 20 ans.
00:07La Première Guerre mondiale.
00:09Il y va, pas sous la contrainte, comme ça a été le cas pour beaucoup de tirailleurs sénégalais,
00:15mais parce que, volontairement, il voulait voir du monde
00:18et puis peut-être réparer certaines failles ou certains manquements de sa propre vie.
00:23C'est une sorte de migrant qui saisit l'occasion de la guerre
00:28pour partir découvrir le monde.
00:30Quand les balles tombent, il n'y a pas de distinction, c'est de l'égalité.
00:46Maintenant, les balles ne soignaient pas.
00:49Maintenant, il n'y a plus de balles.
00:52Alors, il y a deux catégories dans ce combattant.
00:55La majorité des tirailleurs sénégalais ne venaient pas du Sénégal,
00:58ils venaient donc de toute l'Afrique de l'Ouest.
01:00Il y a des tirailleurs de métier qui sont constitués dans un corps de tirailleurs sénégalais
01:07qui a été créé au XIXe siècle, en 1854.
01:10Et puis, vous avez des recrues, comme en métropole,
01:13on a fini par essayer de recruter le maximum de gens.
01:17Et ces recrues étaient plus ou moins contraintes de venir faire la guerre en Europe.
01:31Vous aviez des tirailleurs sénégalais qui étaient placés en première ligne.
01:36Et pourquoi étaient-ils placés en première ligne ?
01:39C'est que l'armée française avait compris qu'ils effrayaient les Allemands.
01:43L'armée française a joué sur la peur que pouvaient susciter les tirailleurs sénégalais
01:48en leur mettant dans cet uniforme un coupe-coupe.
01:54Les coupe-coupes peuvent servir, dans certaines zones en Afrique de l'Ouest, à débroussailler.
02:02C'est vraiment un outil très utile pour se déplacer, pour couper du bois, pour débroussailler.
02:07C'est devenu une arme de guerre qui a été utilisée pour nettoyer certains tranchées,
02:13c'est-à-dire achever les blessés allemands.
02:25L'Allemagne a envoyé en 1916 une délégation devant le Parlement français
02:31pour dire que c'était inadmissible que des Noirs viennent faire la guerre en Europe,
02:38que c'était une guerre entre Blancs,
02:39et qu'ils protestaient officiellement devant le Parlement français
02:43contre l'intrusion de la barbarie en Europe.
02:47On a une pub, qui est la pub Banania,
02:49qui apparaît justement pendant la Première Guerre mondiale,
02:53et où on voit un soldat, un tirailleur sénégalais, souriant, qui dit « il y a bon Banania ».
02:58On le fait parler en petit nègre, en fait.
03:01Le petit nègre, d'ailleurs, au passage, c'est une langue qui a été inventée et enseignée par l'armée elle-même.
03:09C'est-à-dire que l'armée voulait que les soldats comprennent vite des ordres,
03:14même s'ils ne parlaient pas le français.
03:16Cet enseignement de ce petit nègre, de ce français imparfait, a aussi servi à les caricaturer.
03:40Quand on était recruté dans l'armée française, on nous considérait comme des Français.
03:43Mais quand on a quitté l'armée française, on est Sénégalais.
03:47Beaucoup de tirailleurs sénégalais se sont sentis lésés,
03:51parce que ce qui avait été promis par la France, certes pendant l'Empire colonial,
03:57de rétribution, de gratification, surtout pour ceux qui étaient morts,
04:01n'ont pas été ces promesses tenues.
04:03Les indemnisations ne sont pas arrivées aux familles des morts pour la France à ce moment-là.
04:10Donc c'est une histoire longue, ce n'est pas que l'intervention des soldats sur le champ de bataille.
04:16Il y a eu des implications ensuite sur le regard que ces tirailleurs ont porté sur la France.
04:24Savoir que ces tirailleurs sénégalais ont participé à la sauvegarde de la France, c'est important.
04:31Savoir qu'ils ont peut-être été d'une certaine façon oubliés et injustement, c'est très important.