"La Petite Dernière" raconte la quête d'identité d'une jeune femme lesbienne et musulmane.
Cette histoire, c’est aussi celle de son autrice, Fatima Daas.
Cette histoire, c’est aussi celle de son autrice, Fatima Daas.
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00:00Lola pose un baiser doux et rapide sur mes lèvres.
00:04Je n'ai pas le temps de dire ni de faire quoi que ce soit,
00:07que c'est déjà réel.
00:09Elle prend soin de me regarder
00:12avant de retourner s'asseoir dans le fauteuil.
00:15Elle dit « à qui le tour ? »
00:18en me faisant un clin d'œil.
00:21J'ai douze ans.
00:23Je ne comprends pas ce qui vient d'arriver.
00:26Rokia dort dans la même chambre que moi.
00:30Elle a voulu me faire un câlin avant de s'endormir.
00:34J'ai refusé.
00:35Et là, dans la nuit, seule,
00:37il y a quelque chose qui me terrifie.
00:40Je pense sans me le formuler,
00:42je vais aller en enfer.
00:45Donc le personnage de Fatima,
00:47quand elle dit « je vais aller en enfer »,
00:50tout de suite elle a l'impression de ressentir
00:53quelque chose qu'elle n'est pas autorisée à ressentir.
00:56Donc, directement,
00:59elle essaye de détouffer ce désir.
01:02J'ai choisi cet extrait
01:04parce qu'il va apporter un début de questionnement
01:08par rapport à sa religion,
01:10par rapport aux liens qu'elle a avec l'islam,
01:15à sa foi.
01:17Et elle mettra ensuite en parallèle
01:20l'idée de vivre cette homosexualité
01:23et en même temps de continuer à aimer Dieu
01:26et à continuer à être une musulmane pratiquante.
01:30Ce texte, si je l'ai écrit de cette manière-là,
01:32forcément, moi, c'est des choses
01:34qui m'ont questionnée à un moment donné.
01:36Moi, où je me situe là-dedans,
01:38c'est que dans ma vie, je n'ai pas fait de choix
01:40et je refuse encore aujourd'hui
01:42de renoncer à ma religion
01:44pour faire plaisir à beaucoup de personnes
01:46qui voudraient que je dénonce cette religion
01:48comme une religion de terreur
01:50alors que c'est une religion d'amour.
01:52Ce moment-là, quand je l'ai écrit,
01:55j'avais envie de trouver un passage
01:58qui ferait qu'on ne peut pas faire taire
02:01qui on est, ce qu'on ressent.
02:04Et là, ce passage, il est flagrant.
02:06C'est-à-dire qu'elle n'a pas choisi de jouer à ce jeu-là.
02:08C'est quelqu'un qui décide de jouer à ce jeu-là.
02:10On lui dit, comme par hasard à elle,
02:12d'embrasser sa camarade de classe.
02:15Ça m'intéressait de raconter ce moment
02:17où tu ne choisis rien
02:19et que tout arrive à toi
02:21et comment tu bricoles
02:23avec ce qui est inavouable.
02:39On n'a pas eu accès à ces histoires.
02:41Je pense qu'on n'a pas eu accès à ces paroles-là
02:44et qu'aujourd'hui encore, c'est difficile
02:46de faire exister ce roman
02:48juste par son texte.
02:50Je pense que ça peut être important pour d'autres personnes,
02:52pour toutes les personnes qui se sentent à la marge,
02:54pour les personnes qui ne sentent pas leur place nulle part,
02:57qui ont dû dealer avec leur féminité,
02:59leur masculinité,
03:01le fait d'être une femme et pas que,
03:02d'être lesbienne et musulmane,
03:04de devoir faire un choix parce que c'est trop dur,
03:06de devoir négocier,
03:08de toujours négocier.
03:10J'ai la sensation qu'on vit dans un monde de cases
03:12très normé
03:14et que si on fait un pas à gauche,
03:16tout de suite,
03:18on est catégorisé en fait.
03:20Et je le ressens d'autant plus
03:22en publiant ce roman.
03:24Alors que ce roman raconte l'éclatement des identités,
03:26l'éclatement des cases.
03:28Avant, j'avais vraiment l'impression d'être seule
03:30à l'adolescence parce que
03:32je n'avais aucune représentation,
03:34que j'avais juste ma propre représentation.
03:36Je ne savais pas ce que c'était qu'être une femme,
03:38être lesbienne, être d'origine algérienne,
03:40ne pas être que française.
03:42Et du coup, je ne pouvais pas mettre de mots
03:44sur ce que j'étais
03:46et sur ce que j'allais devenir,
03:48à savoir écrivaine par exemple.
03:50Une femme écrivaine,
03:52lesbienne, musulmane
03:54et toutes les étiquettes qu'on peut mettre.
03:56Je pense que comme dans le roman,
03:58il y a des moments
04:00où tu ne choisis pas de découvrir.
04:02Il y a des moments dans ta vie
04:04où le destin force.
04:06Le destin, il te force
04:08à voir des choses que tu n'avais pas envie de voir.
04:10Et le désir, tu peux le faire taire
04:12pendant des années
04:14mais ça finit par ressurgir.