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  • 25/03/2025
"Gestes barrières", "les soignants", "coronapéro"… La linguiste Julie Neveux raconte ce que les "nouveaux" mots de cette période de confinement disent de nous…

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Transcription
00:00Je voudrais parler des soignants et les soignants c'est intéressant parce que c'est le signe qu'enfin, peut-être, on arrête de regarder les hiérarchies.
00:09Donc là, on n'a plus les médecins d'un côté, les infirmières de l'autre, les aides-soignants.
00:13Non, on a les soignants. C'est le seul terme aussi générique qui englobe tout le monde.
00:19Soignant est un ancien participe présent. Vous savez, être en train de soigner.
00:23Donc ça marche bien pour véhiculer la notion d'activité.
00:28Finalement, les actifs, ici, ce sont les soignants.
00:31Et donc, nos soignants, évidemment, avec nos adjectifs possessifs utilisés par Macron et d'autres,
00:36ça fait un peu sourire parce qu'évidemment, les pauvres, ils ne sont pas à nous du tout.
00:41Mais c'est évidemment dans la même rhétorique guerrière pour essayer de nous donner un peu de sentiments
00:45et de comprendre qu'il faut qu'on les soutienne, qu'on les supporte.
00:50Le geste, vous savez, ça vient de guérirer, faire.
00:53Donc c'est vraiment ce que je peux faire, ce que je peux faire de mon corps.
00:55Et ce que je peux faire de mon corps, c'est le rendre imperméable à la circulation de ce virus.
01:03Donc on a des termes comme ça, de limites, pour faire des limites,
01:08qui sont ceux que la rhétorique guerrière déployée par nos autorités nous ont beaucoup invitées à faire,
01:15donc mettre des limites.
01:17Donc la métaphore de la guerre, ce qui est intéressant, c'est que dans le discours de Macron, je pense qu'elle a raté.
01:22Pourquoi ? Parce qu'il l'a mal incarnée déjà.
01:25Or, une métaphore, ça marche quand ça vient du cœur.
01:27C'est vraiment motivé, qu'on sent que quelqu'un souffre,
01:29et donc il ressent que c'est un combat qui doit être mené, et il a peur, etc.
01:34Et à la fois, il l'a donc répétée beaucoup trop de fois,
01:38parce qu'une métaphore, c'est comme un coup de poing qui passe en force,
01:42et à la fois de façon implicite, c'est-à-dire que si vous faites six fois la métaphore,
01:45comme il a failli la répéter, il a répété « nous sommes en guerre »,
01:48eh bien « nous sommes en guerre » a l'air d'être une formule vide.
01:51Et plus il la répète, plus elle se vide.
01:53Donc j'aurais été conseillère en communication de Macron,
01:55j'aurais dit « non, ça suffit là, la métaphore de la guerre, on arrête, ça ne marchera plus ».
01:59Et c'est dommage, parce qu'en fait, c'était une bonne idée,
02:01et il n'y a rien d'autre pour mobiliser, je pense, nous insuffler une volonté,
02:05volonté qu'il faut avoir pour, dans un temps de printemps, ne pas sortir gambadé dans les rues.
02:10Coronavirus, c'est un terme qui existe depuis près d'un demi-siècle,
02:13mais c'est la première fois que, sans doute, vous et moi, on y est confrontés.
02:16Et puis Corona pour couronne, ce n'est évidemment pas la bière mexicaine.
02:19Et virus, ce qui est génial, c'est que virus retrouve son terme, son sens premier, latin,
02:25qui était un sens peu ragoutant.
02:27Le virus, en latin, virus, c'est un venin, un poison, une substance organique qui pue.
02:33Donc ça peut désigner aussi la bave des limaçons, la semence des animaux.
02:39Et c'est vrai que, depuis dix ans, on s'était habitués à l'idée d'une viralité souhaitable.
02:44Vous voyez, parce qu'il y avait des vidéos virales.
02:46Enfin, la viralité paraissait un phénomène tout à fait enviable.
02:49Et c'est vrai qu'avec le retour du virus en force, on a un gros choc,
02:54vis-à-vis de ces mots médicaux qu'on comprend peu.
02:57Covid-19, qui devient son deuxième nom.
02:59Covid, c'est Coronavirus disease.
03:02Covid, et le D, c'est le début de disease.
03:05Ce qui est intéressant et qu'on peut remarquer dans Covid,
03:09surtout qu'on ne dit plus trop Covid-19 mais Covid,
03:11c'est que ça fait beaucoup moins d'effets, ça fait beaucoup moins peur que Coronavirus.
03:16Et puis, il y a une sorte de dimension petit nom.
03:19J'entends que les médecins, le plus souvent, tous ceux qui sont confrontés à cette maladie,
03:23ils disent Covid, le Covid, Covid.
03:25Et ça le vide un peu de sa dimension nocive dont on a parlé dans virus.
03:31Le virus, en effet, se déploie, c'est donc une épidémie.
03:35Epidémie, c'est un terme justement qui désigne la circulation, la mise en circulation.
03:40Ça vient du grec.
03:41Et puis, c'est sûr, et démos, c'est la région, le pays.
03:44Donc, en fait, ça circule sur un pays, une région.
03:46Évidemment, la pandémie, c'est que ça a dépassé ça et que c'est partout.
03:49Et puis, il y a surtout des mots qui ont été créés pour très vite proposer
03:56des événements festifs face à cette situation inédite.
04:00Donc, on a Corona Péro.
04:02Donc, ça, c'est des mots valises, c'est-à-dire qu'on prend les bouts de deux mots.
04:07Ça peut être le début ou la fin.
04:08On a WhatsAppéro.
04:10En anglais, il y a Quarantini, donc quarantaine avec Martini.
04:14Il y a Zoom Happy Hour.
04:16Et là, c'est intéressant de remarquer les différences entre les pays,
04:19parce qu'en Italie, c'est Skype.
04:21Chez nous, c'est plutôt WhatsAppéro.
04:24Et puis, aux États-Unis, j'ai l'impression que c'est plutôt Zoom Happy Hour.
04:27Donc, selon les degrés, les plateformes utilisées,
04:30on trouve les composés qui correspondent, bien sûr.
04:32Ensuite, j'ai remarqué quelque chose qui m'a fait bien rigoler.
04:35C'est que confinement, au début, c'est quand même la mesure la plus terrible à entendre,
04:40la situation difficile à vivre.
04:42Et pourtant, avec cette habitude qui se prend,
04:44avec la banalisation de notre situation au fur et à mesure qu'on la vit,
04:49eh bien, on a donc les adjectifs confinés.
04:52On passe de Je suis confinée, qui est un usage normal,
04:55puisque c'est un participe assez passif.
04:57Vous voyez, quelqu'un m'a confinée, je suis confinée,
05:00à les recettes confinées, des chorégraphies confinées.
05:03Enfin, ça n'a plus du tout de sens,
05:04puisque les chorégraphies, justement, dépassent ce confinement.
05:08Et presque, on va le voir comme synonyme de déconfiné.
05:10Ah oui, donc ça, c'est déconfinez-vous l'esprit, voici une recette déconfinée.
05:14J'ai entendu ça l'autre jour.
05:15Donc, on voit que confiné, ici, a s'est vidé vraiment de son sens nocif.
05:20Et le must, c'est quand même, donc, les formules que j'ai eues, moi,
05:25dans des mails, pas qu'une fois, où on me souhaite un bon confinement.
05:30Bon confinement, bon confinement, ouais.
05:32Et alors, ça, ça me fait un peu, voilà, je trouve ça assez fou,
05:36parce que confinement, c'est quand même un emprisonnement.
05:39Alors, je veux bien que le terme ait perdu de son sens,
05:41mais là, j'ai quand même vraiment l'impression d'être
05:43comme une de ces vieilles cerises que ma grand-mère mettait dans un bocal,
05:47en haut d'une étagère poussiéreuse.
05:49Et il y a une main qui vient fermer le bocal et qui me dit,
05:52salut, bon confinement.
05:54Et je suis là, non, je veux sortir, voilà.

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