Alors que va s’ouvrir la semaine d’éducation et d’actions contre le racisme et l’antisémitisme, plusieurs établissements scolaires sont confrontés à une augmentation d’actes discriminatoires de leurs élèves. "Libération" s'est rendu dans un collège touché par cette problématique et a rencontré plusieurs professionnels d'éducation afin de mesurer l'ampleur de ce phénomène.
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00:00Des croix gammées sur des trousses,
00:02deux salutes lérient en classe,
00:03des propos à caractère raciste.
00:05Dans les écoles, les collèges, les lycées,
00:07les signalements d'actes racistes et antisémites explosent.
00:10Vous nous révélez que l'Éducation nationale
00:11a recensé 3600 actes racistes et antisémites dans les écoles.
00:16C'est près de trois fois plus en un an par rapport à l'année précédente.
00:19Les écoles, collèges, lycées ont remonté 1670 actes antisémites
00:23contre 400 l'année précédente.
00:25J'ai voulu comprendre ce qui se cache derrière ces chiffres très inquiétants.
00:28Qu'est-ce qu'ils signifient et comment ils se matérialisent dans les écoles ?
00:31Avec Marc Ogable, on s'est rendu dans un collège.
00:33On a rencontré la principale de l'établissement.
00:35Moi, je rigole pas avec ça, je veux pas accepter.
00:38On a discuté avec les collégiens.
00:40On m'a dit à acheter de ça là.
00:42Et puis, on a échangé avec d'autres professionnels d'éducation.
00:44On a eu des insultes sur les Arabes,
00:47on a eu des imitations de bruits de singes en classe.
00:49L'idée de cette vidéo, c'est de mesurer l'ampleur du problème
00:51des actes racistes et antisémites dans les établissements scolaires.
00:54On a interagi, on a sensibilisé plus de 12 000 jeunes.
00:57La grande majorité, c'est des enfants qui sont bienveillants,
01:00qui sont tolérants, qui sont curieux.
01:02Et de comprendre d'où peut venir la libération
01:04des paroles et des actes discriminatoires.
01:06On a cette fachosphère sur Internet qui est extrêmement puissante.
01:19Alors là, je viens d'arriver au collège Jean Mounès de Portnyx,
01:23c'est en Loire-Atlantique.
01:24Et si je suis ici aujourd'hui,
01:26c'est parce que cet établissement est confronté
01:28à des propos racistes et antisémites de la part de certains de ses élèves.
01:31C'est l'Observatoire des Inégalités pour qui travaille Juliette Leclésio
01:34qui m'a signalé la situation de ce collège.
01:36Comme 250 autres établissements scolaires en France,
01:38le collège Jean Mounès a fait appel à l'Observatoire
01:40pour qu'il vienne donner un atelier de sensibilisation
01:43aux discriminations à toutes les classes de 3e.
01:45La plupart du temps, quand même, les profs nous appellent
01:47pour faire un petit rappel des théories qu'ils abordent en classe.
01:51On a certaines demandes spécifiques liées à des problématiques de l'établissement,
01:56mais nous, on ne prétend pas aussi donner des solutions à ces problématiques-là.
02:01Notre but premier, ça reste de sensibiliser,
02:04c'est-à-dire de faire réfléchir à ces questions,
02:07mais pas de régler des problématiques qui sont plus profondes
02:12et qui nécessitent plus d'interventions qu'une séance de deux heures.
02:15Avant de suivre l'atelier avec les collégiens de Jean Mounès,
02:17je suis passé par le bureau de la principale, madame Diana Bercuni,
02:21pour qu'elle m'explique pourquoi elle avait fait appel à l'Observatoire des Inégalités.
02:24Je me suis toujours autorisée, dans mes établissements en tout cas,
02:27à mettre l'accent sur des domaines qui vont me sembler plus nécessaires.
02:30Les années qui précèdent, on avait axé majoritairement sur l'usage du numérique.
02:38Aujourd'hui, on a totalement réajusté vers le vivre ensemble
02:42et la lutte contre les discriminations.
02:44L'année dernière, c'était vraiment un festival,
02:48notamment les croix gammées sur les trousses,
02:50deux saluts hitlériens en classe, des propos à caractère raciste.
02:54Et c'est sûr qu'on pourrait tout à fait se dire, ils rigolent,
02:59comme d'autres propos que parfois ils peuvent tenir.
03:02Moi, je ne rigole pas avec ça et je ne veux pas accepter,
03:06je ne veux que dans l'esprit d'aucun de mes élèves,
03:09il y ait le moindre doute sur la tolérance que les adultes vont avoir par rapport à ça.
03:14Ces comportements ont entraîné des journées d'exclusion temporaire
03:16et des conseils de discipline.
03:18Mais en plus du punitif, la principale du collège tient affaire de la sensibilisation.
03:21C'est la mission qu'elle a donnée à l'Observatoire des inégalités,
03:24Juliette commence toujours son atelier par un temps d'échange.
03:27Est-ce que vous avez déjà entendu parler du mot inégalité, vous ?
03:30Oui.
03:32Et alors, est-ce que vous pouvez me dire dans quel contexte vous en avez entendu parler ?
03:39Le salaire des femmes.
03:40Le salaire des femmes, ouais.
03:42Après l'échange sur les différentes inégalités,
03:43Juliette présente l'objet avec lequel les collégiens vont poursuivre l'atelier,
03:47le monopoli des inégalités.
03:51Le but du jeu est le même qu'au monopoli original,
03:53mais ici, les joueurs incarnent des personnages, Mohamed, Louise, Tom,
03:57chacun d'entre eux a des avantages et des inconvénients dans la partie.
04:00Mais tiens, je te donne 20 parce que…
04:02Mais qu'est-ce que tu fais là ?
04:03Arrête, arrête, tu passes à l'autre.
04:05Tu n'as pas le droit d'être fini.
04:07En passant dans les différents groupes pour suivre les parties des collégiens
04:09et écouter leurs réactions, j'ai entendu assez rapidement des propos insultants.
04:13Et puis, j'ai rencontré Lounès.
04:14Il m'a expliqué avoir déjà été confronté lui-même à des propos racistes au sein du collège.
04:20On m'a dit un stade salaire avant les autres.
04:22Au lieu de rouler raciste, tu roules à 4.
04:24C'est quelque chose de régulier.
04:26Non, non, c'est pas ça.
04:27Ça n'est pas d'accord, mais…
04:29Non, c'est pas d'accord.
04:31Après l'atelier, j'ai demandé à Lounès s'il était d'accord
04:33de revenir un peu plus en détail sur les insultes qu'il a subies au sein de son collège.
04:39Ici, il y a beaucoup…
04:40Enfin, ils font aussi beaucoup d'humour là-dessus.
04:44Moi, je sais que j'ai déjà été insulté.
04:46Ce n'était pas de l'humour.
04:47Mais après, quand c'est de l'humour, je ne sais pas, je m'en fiche un peu.
04:51C'est quoi le genre d'insulte ?
04:53Par exemple, c'est des salles arabes.
04:55Quand c'est de l'humour, c'est que c'est mes potes.
04:57Et quand on me dit salle arabe et que tu n'es pas mon ami,
05:01je le prends comme si c'était vraiment ça, comme si tu étais sérieux.
05:06Et moi, je me rends compte qu'il n'y a plus de quoi.
05:09Je me rends compte qu'il n'y a plus d'établissement.
05:12Bon, alors, au final, à Port-Hanic, j'ai été très clairement confronté
05:17à la situation d'un établissement qui assiste à la libération
05:21des discours et des actes discriminatoires de la part de certains de ses élèves.
05:24Mais ça ne m'indique rien sur l'ampleur réelle du problème,
05:27même si la principale m'a dit que d'autres établissements du secteur étaient aussi touchés.
05:31Et puis, je ne sais pas non plus d'où peut provenir cette banalisation
05:35des discours et des actes racistes et antisémites.
05:37Donc, je vais essayer maintenant de creuser ces deux points-là.
05:42Alors, d'abord, pour voir si la situation à Port-Hanic pouvait être un exemple
05:45d'une tendance plus globale, j'ai demandé l'aide de Margot.
05:50J'ai contacté une dizaine à peu près de principaux et principales de collèges
05:56et de syndicats.
05:58Certains n'ont pas répondu et certains ont dit qu'ils n'étaient pas concernés.
06:03Il y a une minorité qui a dit ne pas avoir constaté forcément
06:09de hausse de propos discriminatoires.
06:12D'autres ont expliqué à Margot être témoin de propos discriminatoires
06:15chez certains de leurs élèves.
06:16Il y a surtout une hausse d'un discours social
06:20qui semble légitimer cette violence discriminatoire.
06:25Et puis, ça s'est quand même sacrément dégradé au moment des campagnes électorales.
06:29On a senti qu'il y avait vraiment un impact du débat politique au collège.
06:52On a eu des insultes sur les Arabes,
06:54on a eu des imitations de bruits de singes en classe.
06:57Il y a eu des sanctions, des punitions.
06:59Il y a eu un conseil de discipline pour un élève qui avait insulté avec des propos racistes.
07:05Moi, j'ai eu dans la classe où je travaille,
07:08des croyants qui ont été gravés sur des chaînes.
07:10Même si, par rapport, moi, aux éléments causés,
07:14il n'y a pas d'augmentation, en tout cas, il y a des faits.
07:19C'est difficile de quantifier précisément une tendance globale
07:22concernant les propos et actes discriminatoires dans les établissements scolaires.
07:25Certaines remontées de terrain vont dans le sens des chiffres du ministère de l'Éducation nationale
07:29que je vous mentionnais dans l'introduction.
07:30Mais les personnes que Margot a contactées s'accordent aussi pour dire
07:32que les situations varient d'un établissement à l'autre
07:35et que la hausse des signalements peut aussi s'expliquer
07:37par une intention plus importante accordée aux propos et aux actes discriminatoires.
07:41Pour essayer d'y voir plus clair, j'ai rappelé l'Observatoire des Inégalités.
07:44J'ai fait venir Constance Monnier, elle travaille depuis 6 ans à l'Observatoire
07:47et elle est la directrice du programme Jeunesse pour l'égalité.
07:50Je lui ai demandé quels étaient les enseignements qu'elle tirait de son travail de terrain.
07:53Depuis 2020, on a interagi, on a sensibilisé plus de 12 000 jeunes.
07:58La grande majorité, c'est des enfants qui sont bienveillants,
08:01qui sont tolérants, qui sont curieux.
08:03S'il y a une forte mixité sociale, de genre, de couleur de peau,
08:09d'orientation sexuelle affichée, on va dire, la tolérance elle est plus grande.
08:14Et si on entend dans les médias, de la part des représentants politiques
08:19ou des personnes qui ont une quelconque autorité,
08:21des propos qui sont discriminatoires, xénophobes, racistes, homophobes ou sexistes,
08:28et qu'ils ne sont pas condamnés, forcément les enfants, les jeunes
08:34vont se sentir autorisés, en quelque sorte, à tenir ce genre de propos.
08:38Quand Constance m'explique que les discours et actes discriminatoires des élèves
08:41peuvent être influencés par ce qu'ils voient à la télé ou sur les réseaux sociaux,
08:44je pense directement à mes deux collègues Pierre Plotut et Maxime Massé.
08:47Ils sont journalistes à l'Ibée, spécialistes de l'extrême droite,
08:50et récemment ils ont publié ce livre,
08:52« Pop fascisme, comment l'extrême droite a gagné la bataille culturelle sur Internet ».
08:59On a cette fachosphère sur Internet qui est extrêmement puissante,
09:03qui l'a investie depuis des années,
09:06et qui répand bien souvent sous couvert d'humour ou sous couvert de lifestyle,
09:10l'art de vivre, bien manger, faire du sport, etc.,
09:15ou même les vlogs, la vie quotidienne.
09:17Je vous parle de moi, et je vous parle de la vraie vie,
09:19et je vous parle de comment voir les choses, etc.
09:22Tout ça, c'est éminemment politique,
09:24et qui va jusqu'à sa composante électorale.
09:27L'exemple, je pense, le plus parlant, c'est Jordan Bardella et son compte TikTok.
09:30L'essentiel de son contenu, c'est plutôt « je mange des bonbons »,
09:33« je me déplace », « je dis bonjour », machin.
09:35On est sur du vlog.
09:37Et donc, Jordan Bardella, pour toute une partie de cette jeunesse,
09:40qui n'est pas forcément très politisée,
09:42qui n'est pas forcément consciente du fait qu'elle est manipulée
09:46dans le sens où on lui sert les codes à même de pouvoir capter son intention,
09:51ne va pas voir en Jordan Bardella un homme politique, mais un influenceur.
09:54Sur l'influence des contenus politiques des réseaux sociaux sur les jeunes,
09:57Pierre a aussi voulu me parler d'un point
09:59qui inquiète les services de renseignement intérieur.
10:01C'est le rajeunissement des personnes surveillées
10:03dans des affaires liées au terrorisme d'extrême droite.
10:05De plus en plus, il y a des gens lambda qui se retrouvent
10:09à être confrontés à une propagande extrêmement violente,
10:12extrêmement raciste, qui nous explique qu'à un moment donné,
10:15il y a des gens qui viennent dans ce pays nous envahir et nous tuer.
10:19Ce discours-là va infuser dans la tête de plein de gens,
10:23d'un certain nombre de gens,
10:25et ils vont aller l'exprimer de tout un tas de manières.
10:28Et à l'intérieur de ce spectre d'expression de la radicalité,
10:32on va retrouver le terrorisme. Il y a un continuum.
10:34Est-ce que l'électoral et le terroriste sont liés ?
10:39Ce n'est pas la question.
10:40La question, c'est celle de l'action que produit sur les gens
10:46la diffusion de cette propagande de masse.
10:49Si on touche 10 personnes,
10:51la possibilité que sur ces 10 personnes,
10:52il y ait quelqu'un qui soit suffisamment violent,
10:55radicalisé en dehors pour aller commettre un attentat,
11:00elle est marginale.
11:011000 personnes, toujours 10 000 personnes,
11:03toujours un million de personnes, la question se pose.
11:06Oui, c'est assez effrayant.
11:07Ceci dit, l'idée de cette vidéo, ce n'est pas d'être fataliste.
11:10On a vu que la banalisation des discours racistes et antisémites
11:13touche les établissements scolaires, qui sont un miroir de la société.
11:15Mais ça ne veut pas dire que les jeunes d'aujourd'hui
11:17sont plus racistes ou antisémites que les jeunes d'hier.
11:19Il faut être prudent avec les chiffres
11:21qui témoignent d'une explosion d'actes discriminatoires dans les écoles,
11:24parce que la hausse des signalements peut aussi s'expliquer
11:26par une plus grande considération accordée aux discriminations.
11:28Et puis tous les professionnels d'éducation que j'ai pu rencontrer
11:31pour faire cette vidéo estiment que des solutions existent.
11:33Ils agissent dans ce sens, chacun dans leur rôle.
11:36Les personnels éducatifs, les personnels de direction,
11:40les personnels d'éducation sociale sont étranglés
11:45par le nombre de moyens insuffisants,
11:48les postes non pourvus, les postes non remplacés.
11:51Les élèves, si on les met en position passive d'écoute,
11:54d'une bonne leçon de ce qu'il faut faire ou pas,
11:57au bout de deux minutes, ils n'écoutent plus.
12:00Et ça ne sert à rien.
12:02On a proposé à toutes les classes, la même heure,
12:04une heure de vie de classe, dans laquelle on leur demandait
12:08de répondre à une question.
12:10La question, c'était, et toi, sur une île déserte,
12:12qu'est-ce qui te paraît important pour réussir à vivre tous ensemble durablement ?
12:16La solution principale, c'est d'en parler, c'est de sensibiliser,
12:20c'est de discuter, de comprendre et de se mettre à la place des autres
12:24pour travailler sur justement cette tolérance à l'autre.
12:27Le postulat que l'on fait, c'est que tout ça,
12:29ça contribue à les faire grandir et les faire grandir bien.
12:33C'est un peu l'objectif, en tout cas.