Winston Churchill appelait Gandhi « le fakir à moitié nu » et les Indiens le dénommaient, quant à eux, « le Mahatma », la grande âme. À force de résistances non-violentes, Gandhi contribua à ce que les Britanniques accordent à l'Inde son indépendance. Il a ainsi marqué de son empreinte l'histoire du XXème siècle. Coup de projecteur sur Gandhi dans ce DébatDoc.Pour parler de l'icône de non-violence, Jean-Pierre Gratien reçoit en plateau : la journaliste et écrivaine, Vaiju Naravane, la philosophe et écrivaine, Catherine Clément et le politologue des religions, Eric Vinson. Abonnez-vous à la chaîne YouTube LCP : https://bit.ly/2XGSAH5 Suivez-nous sur les réseaux ! Twitter : https://twitter.com/lcpFacebook : https://fr-fr.facebook.com/LCPThreads : https://www.threads.net/@lcp_anInstagram : https://www.instagram.com/lcp_an/TikTok : https://www.tiktok.com/@LCP_anNewsletter : https://lcp.fr/newsletterRetrouvez nous sur notre site : https://www.lcp.fr/#LCP #documentaire #debat
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00:00:00Générique
00:00:02...
00:00:16Bienvenue à tous.
00:00:17Il a marqué de son empreinte l'histoire du XXe siècle,
00:00:20contribué à ce que l'Inde obtienne son indépendance.
00:00:23Coup de projecteur sur Gandhi, aujourd'hui,
00:00:26dans ce débat doc, avec le documentaire qui suit,
00:00:29tout d'abord.
00:00:30Gandhi, de l'homme à l'icône,
00:00:32vous allez y découvrir celui que Winston Churchill dénommait
00:00:36le fakir à moitié nu.
00:00:38Les Indiens l'appelaient, quant à eux, le Mahatma,
00:00:41la grande âme.
00:00:43Et, à force de résistances non violentes,
00:00:45il contribua à ce que son pays s'émancipe
00:00:48de l'Empire britannique,
00:00:50avant de mourir sous les balles d'un nationaliste hindou.
00:00:53Je vous laisse le découvrir, et je vous retrouverai juste après,
00:00:57en compagnie de la journaliste Vaidju Naravane,
00:01:00de la philosophe et écrivaine Catherine Clément
00:01:03et du politologue de la religion Éric Vinson.
00:01:07Avec eux, nous débattrons de l'héritage laissé aujourd'hui
00:01:11par Gandhi en Inde et ailleurs.
00:01:13Bon doc.
00:01:15Musique rythmée
00:01:17...
00:01:20-"Dieu du ciel, mais que se passe-t-il ?"
00:01:22-"Je ne sais pas, mon capitaine.
00:01:24Le receveur a eu un télégramme qui disait juste...
00:01:27Il arrive."
00:01:31-"Mais qui est donc ce il ?"
00:01:35-"Mais qui est-il ?"
00:01:36Certains l'appellent Bapu,
00:01:39le père de l'Inde et de son indépendance.
00:01:42D'autres l'appellent le Mahatma, la grande âme.
00:01:47-"Great man !"
00:01:48-"We thank thee for the privilege..."
00:01:51-"Il est l'apôtre de la non-violence."
00:01:53-"We thank thee for the capacity for friendship."
00:01:56-"We thank thee for this food."
00:01:57-"Je m'appelle Gandhi, Mohandas K. Gandhi."
00:02:00Musique rythmée
00:02:02En Inde et dans le monde, on le célèbre,
00:02:05on l'invoque, on l'affiche,
00:02:07au risque parfois de la caricature.
00:02:09Et même si l'on ignore tout de son histoire,
00:02:12on le reconnaît toujours.
00:02:14-"Voilà quelqu'un qui est immédiatement reconnaissable.
00:02:17Vous pouvez le dessiner d'un seul trait,
00:02:20avec ses petites lunettes.
00:02:22C'est Gandhi."
00:02:25-"Mohandas Karamchand Gandhi est une icône.
00:02:29Comment l'est-il devenu ?"
00:02:31Musique douce
00:02:34...
00:02:48Chaque année, le 2 octobre,
00:02:50l'Inde célèbre l'anniversaire de son père fondateur, Gandhi,
00:02:55celui qui la libéra de la domination coloniale britannique
00:02:59et la mena à son indépendance en 1947,
00:03:02sans jamais prendre les armes.
00:03:05-"Gandhi raconte finalement l'histoire mystérieuse et énigmatique
00:03:11de cet homme seul qui a défait un empire au siècle dernier."
00:03:16-"Gandhi est mort assassiné le 30 janvier 1948,
00:03:21abattu par un nationaliste hindou
00:03:23qui lui reprochait sa main tendue aux musulmans de l'Inde.
00:03:27Une mort en martyr.
00:03:30Là où s'était élevé le bûcher de sa crémation
00:03:33se trouve désormais le mémorial de Raj Ghat."
00:03:36...
00:03:38-"Prime minister Nehru places his tribute."
00:03:40-"Prime minister Indira Gandhi brings flowers."
00:03:45-"C'est un passage obligé tant pour les disciples revendiqués du Mahatma
00:03:50que pour les descendants de ses opposants.
00:03:52Comme le premier ministre Narendra Modi,
00:03:55issu du parti nationaliste hindou."
00:03:57...
00:04:02-"Si vous voulez être accepté dans le mainstream politique indien,
00:04:06il faut prêter allégeance,
00:04:08ne serait-ce que formellement et symboliquement, à Gandhi."
00:04:11...
00:04:13-"Gandhi est devenu une référence à la fois obligatoire et vilée de sens."
00:04:20Devenir une icône est ce qui a rendu Gandhi si efficace,
00:04:25mais c'est aussi ce qui a contribué à simplifier son message.
00:04:30Parce qu'une icône, c'est un raccourci.
00:04:33Quand on voit une icône, on croit savoir tout de suite ce que c'est,
00:04:38sans avoir vraiment à y réfléchir.
00:04:41Il serait facile d'oublier que Gandhi était en réalité un révolutionnaire,
00:04:45et pas seulement quelqu'un à suivre ou à admirer,
00:04:48ou un pin's à accrocher à sa veste.
00:04:51...
00:04:54-"Que s'est-il passé ?
00:04:56Comment l'icône a-t-elle pris le pas sur l'homme ?
00:04:59Comment Mohandas Karamchand Gandhi, à lui seul,
00:05:03a-t-il pu incarner le destin de tout un peuple
00:05:06et l'espoir des opprimés du monde entier ?
00:05:10Ma vie est mon message", disait Gandhi.
00:05:13Et nul doute qu'il fut le premier à la mettre en scène,
00:05:17à façonner sa propre icône.
00:05:19...
00:05:25-"1893.
00:05:27Mohandas Karamchand Gandhi, barrister de l'or,
00:05:31face le Calabar en Afrique du Sud."
00:05:34-"7 juin 1893,
00:05:37car de Pietermaritzburg, Afrique du Sud."
00:05:40...
00:05:42-"Mohandas Karamchand Gandhi, jeune avocat indien de 24 ans,
00:05:46est éjecté d'un wagon de première classe réservé aux Blancs."
00:05:50-"C'est ainsi que Dieu établit les fondations de ma vie
00:05:54en Afrique du Sud et qu'il planta les graines de mon combat",
00:05:58écrira Gandhi, des années plus tard, dans ses mémoires.
00:06:02De l'événement, il fait son mythe fondateur.
00:06:06-"Les années sud-africaines sont essentielles,
00:06:09car Gandhi est devenu Gandhi.
00:06:10Il n'était rien quand il est arrivé,
00:06:13c'était un petit avocat de province,
00:06:15en plus, pas particulièrement brillant.
00:06:17Et donc, la transformation est vraiment très spectaculaire,
00:06:21mais elle est très graduelle aussi."
00:06:24-"Gandhi est né en Inde,
00:06:26issu d'une famille de haute caste.
00:06:28Il a poursuivi ses études de droit à Londres
00:06:31avant de s'établir comme avocat en Afrique du Sud."
00:06:34L'Inde, comme l'Afrique du Sud,
00:06:36sont alors dominées par les Britanniques,
00:06:39des colonies de cet immense empire
00:06:41sur lequel, dit-on, le soleil ne se couche jamais.
00:06:47300 000 Indiens vivent en Afrique du Sud.
00:06:50Certains sont venus y faire fortune,
00:06:52comme les riches marchands dont Gandhi défend les intérêts,
00:06:56mais la plupart sont des coulisses,
00:06:58travailleurs exploités sur les docks,
00:07:00dans les mines ou les plantations.
00:07:03Tous sont des sujets inférieurs,
00:07:05interdits de vote ou de libre circulation, colonisés.
00:07:08C'est leurs conditions et leurs statuts
00:07:11qui indignent le jeune Gandhi.
00:07:18Et bien qu'il parlera plus tard
00:07:20d'une révélation divine contre le racisme,
00:07:23la réalité est qu'il n'intègre pas les Noirs africains à son combat.
00:07:26Les préjugés sont ancrés,
00:07:28les Indiens refusent d'être assimilés aux Noirs.
00:07:34Le nouveau parti du Congrès que Gandhi a rejoint dès 1894
00:07:39a été créé par des notables et des intellectuels indiens.
00:07:42Leur but est d'obtenir droit et égalité
00:07:45au sein de l'empire britannique,
00:07:47de gravir, somme toute, la hiérarchie coloniale
00:07:50sans la renverser.
00:07:58Petit à petit, il va émerger
00:08:00comme le leader de la communauté indienne d'Afrique du Sud.
00:08:10Comment s'impose-t-on comme leader ?
00:08:12Gandhi est jeune, on le dit timide,
00:08:15mais il a une arme, son journal,
00:08:18Indian Opinion.
00:08:20Il l'a fondé dès 1903.
00:08:22Il le finance, l'écrit, l'imprime.
00:08:26Chaque semaine,
00:08:27Indian Opinion est publié en anglais,
00:08:30en hindi, en tamoul et en gujarati,
00:08:34les langues natales de ce que Gandhi entend défendre.
00:08:45Gandhi était conscient que les communautés auxquelles il s'adressait
00:08:49étaient très dispersées en Afrique du Sud
00:08:52et qu'il devait les réunir.
00:08:55Il devait aussi leur donner une voix.
00:08:57Le journal était pour lui la plateforme idéale
00:09:00pour accomplir les deux,
00:09:02communiquer ses idées,
00:09:04mais aussi réunir ces communautés.
00:09:07...
00:09:09Cette période de la fin du XIXe siècle,
00:09:12quand Gandhi commence à défendre les communautés indiennes,
00:09:15il s'adresse à la communauté indienne.
00:09:18Il y a eu un changement d'attitude
00:09:20Cette période de la fin du XIXe siècle,
00:09:23quand Gandhi commence à assumer un rôle politique important,
00:09:26correspond à une période de révolution des moyens de communication.
00:09:30Avec le télégraphe, le téléphone,
00:09:33et aussi les médias de masse
00:09:35et la production à grande échelle de journaux.
00:09:38Cette révolution de la communication sert sa stratégie.
00:09:42...
00:09:48-"Indian opinion est le miroir de ma vie.
00:09:51Je déverse mon âme dans ses colonnes", disait Gandhi.
00:09:54Le journal est devenu un lien organique avec ses lecteurs.
00:09:58Le moment venu, il saura les mobiliser.
00:10:02...
00:10:04L'occasion lui est donnée en 1906.
00:10:07Les Britanniques entendent ficher les Indiens de la région.
00:10:10Une nouvelle humiliation.
00:10:14Gandhi prend la tête de l'hariposte.
00:10:16Les Indiens désobéiront,
00:10:18au risque de la prison ou de la mort,
00:10:20mais sans jamais se rendre coupable de la moindre violence.
00:10:27Toute notre lutte est basée sur notre soumission aux épreuves,
00:10:30sans jamais en infliger à quiconque, Indien ou Européen.
00:10:34...
00:10:38Les bases de la résistance non-violente à l'oppression
00:10:41sont jetées.
00:10:42Gandhi va l'incarner à jamais.
00:10:45...
00:10:49Comment l'idée lui est-elle venue ?
00:10:51Dans son panthéon personnel se croisent l'Américain David Thoreau,
00:10:56auteur de la désobéissance civile,
00:10:58le Russe, Léon Tolstoy, avec qui il correspond,
00:11:02la Bhagavad Gita, le grand texte de l'hindouisme.
00:11:07Gandhi en revendique une valeur essentielle,
00:11:10à Rimsa, ne pas causer de tort à nulle forme de vie.
00:11:14...
00:11:19Il était ultra-moderne, ou même peut-être post-moderne,
00:11:23dans le sens où il intégrait, il arrivait dans sa personne
00:11:26à intégrer des courants de pensée majeurs
00:11:30de son époque occidentale,
00:11:32avec des traditions millénaires hindoues.
00:11:35Et donc forger une philosophie et une mode de vie,
00:11:39une mode d'action nouvelle.
00:11:42...
00:11:49Aux termes résistance passive,
00:11:52Gandhi préfère celui de satyagraha,
00:11:55la force de la vérité, en sanscrit.
00:11:58...
00:12:00Le guerrier qui mène le satyagraha, le satyagrahi,
00:12:05s'expose à la violence sans répondre par la violence.
00:12:09Et c'est par là qu'il impose une supériorité morale
00:12:13sur son oppresseur, donc son ennemi.
00:12:15Il n'y avait rien de passif, c'était, au contraire, actif,
00:12:19et ça demandait une force extraordinaire
00:12:22des personnes qui acceptaient de l'entreprendre vraiment.
00:12:26...
00:12:30Comment Gandhi convint-il ?
00:12:32Comment parvient-il à entraîner derrière lui ses disciples,
00:12:35les satyagrahis qui le suivent en prison et risquent leur vie ?
00:12:39Il sait communiquer et diffuser largement son message.
00:12:43La cause est juste, mais cela suffit-il ?
00:12:48...
00:12:51Qu'y a-t-il de plus ?
00:12:53...
00:12:56Il y a quelque chose de singulier.
00:12:58Il est perçu comme un leader différent,
00:13:02pour lui, il n'y a pas de séparation entre vie privée et vie publique.
00:13:07C'est-à-dire que pour que son action publique
00:13:12soit pure, disons, et irréprochable,
00:13:16il faut qu'elle s'appuie sur une vie privée
00:13:18qui, elle-même, soit irréprochable.
00:13:22Si l'on en croit Gandhi, c'est un livre qui a bouleversé sa vie
00:13:25en Afrique du Sud.
00:13:28Un essai de l'économiste anglais John Ruskin,
00:13:31qui opposait au capitalisme et au productivisme moderne
00:13:34une société conviviale basée sur la coopération,
00:13:37le partage, la justice sociale.
00:13:41« Je décidais de changer mon existence entière
00:13:44à l'une des idéaux de ce livre », dira Gandhi.
00:13:49Il a fondé une communauté, un ashram,
00:13:52dans la campagne sud-africaine, la ferme Tolstoy.
00:13:57Il y vit désormais entouré de disciples.
00:13:59Chacun travaille la terre et se soumet aux tâches les plus basses.
00:14:02Les salaires sont égaux, le régime frugal.
00:14:06Gandhi impose à tous une stricte discipline
00:14:09et il s'y soumet, le premier, jusqu'à l'extrême.
00:14:16Il a fait vœu de Brahmacharya,
00:14:19le vœu de chasteté hindoue,
00:14:21un renoncement ultime à toute relation physique
00:14:24qu'il impose à son épouse,
00:14:27mère de ses cinq enfants,
00:14:30Kasturba.
00:14:31Gandhi met son corps en jeu.
00:14:41Gandhi donnait un sens à ses pratiques corporelles,
00:14:44à cet ascétisme,
00:14:46ce renoncement à la sexualité et à la nourriture en particulier.
00:14:51C'était pour lui une façon d'accumuler une sorte de force spirituelle.
00:14:58Il faisait ainsi de son corps un outil super efficace,
00:15:01capable de rayonner dans l'espace public.
00:15:06Un corps qui montrait l'exemple à suivre,
00:15:08avec un effet de contagion.
00:15:12Pour les masses indiennes, Gandhi pouvait symboliser le saddhu,
00:15:16le saint qui abandonne ses biens matériels.
00:15:22Mais en même temps, on pouvait aussi voir en lui la figure de Krishna,
00:15:26le dieu guerrier hindou.
00:15:28Seulement, au lieu de prendre les armes physiquement,
00:15:33Gandhi proposait une bataille spirituelle et morale.
00:15:41Gandhi savait bien qu'il n'avait pas besoin d'expliquer
00:15:44la logique de son message à la majorité des Indiens,
00:15:47qui sont de religion hindoue.
00:15:49Ils pouvaient le comprendre intuitivement.
00:15:57Musique douce
00:16:076 novembre 1913.
00:16:09Région du Transvaal, Afrique du Sud.
00:16:14Gandhi a appelé ses disciples à une marche pacifique
00:16:16à travers la région du Transvaal,
00:16:18interdite aux Asiatiques et aux Noirs.
00:16:222 000 hommes, femmes et enfants ont répondu à l'appel
00:16:26pour protester contre les lois qui entravent toujours leurs droits.
00:16:32La répression est brutale.
00:16:34Gandhi est arrêté et jeté en prison.
00:16:38Mais il a gagné.
00:16:40Face à l'ampleur du mouvement,
00:16:42les Britanniques acceptent de négocier avec les Indiens.
00:16:45C'est sa première victoire.
00:16:48En deuil des satyagrahis morts pendant la campagne,
00:16:52ils revêtent une simple tunique blanche.
00:16:56L'avocat en costume trois pièces a définitivement disparu.
00:17:00Sa renommée a franchi les frontières.
00:17:03Désormais, de l'Afrique du Sud à l'Inde,
00:17:06on le nomme le Mahatma,
00:17:09la grande et sainte âme.
00:17:17Il est prêt à retrouver l'Inde et ses 300 millions d'habitants.
00:17:43De retour en Inde, Gandhi s'impose à la tête du parti du Congrès.
00:17:48D'un parti de notable, il a fait un véritable parti de masse,
00:17:51fort de centaines de milliers de membres.
00:17:54Des hautes castes aux classes moyennes et aux paysans pauvres,
00:17:58Gandhi rassemble.
00:18:00Musique douce
00:18:03...
00:18:06...
00:18:16Il initie en 1921 le boycott des produits anglais.
00:18:21Une nouvelle satyagraha,
00:18:23contre la brutalité de l'économie coloniale,
00:18:27qui extrait de l'Inde ses matières premières,
00:18:30comme le coton,
00:18:32qui les transforme dans les usines anglaises
00:18:35pour ensuite revendre aux Indiens les biens de consommation.
00:18:40Un système injuste
00:18:43qui entrave la souveraineté de l'Inde.
00:18:46Hind, soiree.
00:18:48...
00:18:54Musique douce
00:18:58Gandhi a une arme pour la reconquérir.
00:19:01Le charka.
00:19:04Un humble rouet de bois.
00:19:06...
00:19:08Que chacun file chaque jour son propre coton
00:19:11et tisse sa propre étoffe, le kadhi, pour se vêtir.
00:19:14...
00:19:17C'est un symbole puissant d'émancipation,
00:19:20tant de la tutelle britannique
00:19:22que de la civilisation occidentale, industrielle et consumériste.
00:19:26Un véritable projet de société,
00:19:28basé sur la frugalité
00:19:31et le retour à une vie indienne traditionnelle,
00:19:34rurale et autosuffisante.
00:19:36...
00:19:38Et même si peu de ses disciples s'astreignent à la pratique,
00:19:41le rouet devient leur étendard.
00:19:43...
00:19:46Le futur drapeau de l'Inde indépendante.
00:19:49...
00:19:51Qu'il file le coton avec son rouet,
00:19:54ou qu'il s'habille d'une certaine manière,
00:19:57Gandhi accomplit toujours des actions très tangibles,
00:20:00qui ne demandent pas d'explications complexes.
00:20:03Ce sont toujours des moments spectaculaires, très efficaces,
00:20:07des mises en scène qui fonctionnent parfaitement
00:20:10pour transmettre une réalité politique complexe
00:20:13en des termes très simples.
00:20:15C'est en cela que l'on peut comparer Gandhi
00:20:18aux publicitaires et aux communicants d'aujourd'hui.
00:20:21...
00:20:24Eux aussi réduisent la réalité
00:20:27à des éléments de langage spectaculaires et simplistes.
00:20:31...
00:20:33Mais à leur différence, Gandhi provoquait.
00:20:36Il incitait à réfléchir sur soi.
00:20:39Et je crois que c'est ainsi qu'il a vraiment innové.
00:20:42...
00:20:44...
00:20:4722 septembre 1921, Madurai, Inde.
00:20:50...
00:20:53Une rumeur enfle à travers la ville.
00:20:56Le Mahatma a fait savoir qu'à partir de ce jour,
00:20:59il ne porterait plus qu'un simple pagne de coton blanc,
00:21:02le dhoti et un châle sur ses épaules.
00:21:05...
00:21:08...
00:21:12...
00:21:15Gandhi était un formidable producteur d'images.
00:21:18Il disait que pour comprendre la souffrance
00:21:21de l'homme ordinaire, il devait vivre sa vie.
00:21:24...
00:21:27Et l'homme ordinaire n'a rien.
00:21:30Il est pauvre, il est nu.
00:21:34Se débarrasser de ses vêtements est donc stratégique.
00:21:37C'est une façon de sympathiser avec l'homme ordinaire,
00:21:40de s'aligner sur lui.
00:21:43...
00:21:46...
00:21:49Gandhi n'est pas un orateur. Sa voix ne porte pas.
00:21:52Il le sait.
00:21:56Pourtant, dès qu'il paraît, les foules se pressent,
00:21:59comme s'il suffisait de le voir pour être touché par son message.
00:22:02Ce faisant, il réédite le darshan,
00:22:05cette pratique spirituelle hindoue
00:22:08qui signifie être en présence de la divinité.
00:22:11...
00:22:15...
00:22:18La société indienne est très diverse.
00:22:21Elle est beaucoup plus sensible aux images
00:22:24qu'aux textes, puisque c'est une société
00:22:27où le taux d'alphabétisme est faible.
00:22:30C'est par l'image qu'on s'adresse
00:22:33à la masse des Indiens, et pas par des textes.
00:22:36...
00:22:40Pagne, châle, bâton de marche.
00:22:43Silhouettes émaciées, reconnaissables entre toutes.
00:22:47Gandhi a fait de son corps une icône,
00:22:50le symbole de la lutte de tout un peuple.
00:22:53...
00:22:56...
00:22:59Le futur Premier ministre anglais,
00:23:03Winston Churchill, peste contre ce fakir à moitié nu.
00:23:06Ce sont ces mots qui défient l'Empire.
00:23:09Mais la réalité, c'est que les Britanniques
00:23:12sont désemparés. Rien n'arrête Gandhi.
00:23:15...
00:23:18...
00:23:21...
00:23:25...
00:23:28...
00:23:3112 mars 1930,
00:23:34ashram de Sabarmati, dans le Gujarat.
00:23:37Gandhi et 70 fidèles
00:23:40prennent à pied la direction de la mer.
00:23:43...
00:23:47...
00:23:50386 kilomètres plus tard,
00:23:53ils seront des centaines,
00:23:56hommes, femmes et enfants,
00:23:59sur la plage de Dandi.
00:24:02...
00:24:05A l'aube, Gandhi décante un peu d'eau de mer
00:24:09et récolte un morceau de sel.
00:24:12Bien, non.
00:24:15Un défi au pouvoir colonial.
00:24:18Seul l'Empire britannique a le droit de produire du sel,
00:24:21denré de première nécessité qu'il taxe lourdement.
00:24:24Un symbole de l'injustice coloniale.
00:24:27...
00:24:31D'un seul geste, Gandhi cristallise tous les enjeux du moment.
00:24:36L'heure n'est plus à négocier quelques droits
00:24:39avec les Britanniques,
00:24:42mais à l'indépendance totale de l'Inde.
00:24:45...
00:24:48...
00:24:52C'est un tournant.
00:24:55Le statut d'icône de Gandhi
00:24:58en tant que leader symbolique de la résistance de masse
00:25:01est atteint au cours de ces années 1930 et 1931.
00:25:04...
00:25:07Et cela, il n'aurait pas pu le faire
00:25:10sans le soutien des médias de masse modernes.
00:25:14Je pense en particulier à la presse étrangère
00:25:17et surtout à la presse américaine.
00:25:20...
00:25:23Gandhi a toujours eu les faveurs de la presse internationale
00:25:26et il bénéficie de son essor.
00:25:29Les agences de presse se sont multipliées.
00:25:32En Inde, les américaines United Press et AP
00:25:35concurrencent désormais la Britannic Reuters.
00:25:39Leurs reportages écrits ou filmés
00:25:42seront repris par des milliers de titres à travers le monde
00:25:45ou projetés sur tous les écrans de cinéma.
00:25:48Susciter leur intérêt, c'est l'assurance
00:25:51de toucher l'opinion mondiale. Un formidable changement d'échelle.
00:25:54...
00:25:58Gandhi invite les journalistes,
00:26:01qui ont déjà une sympathie latente, presque intuitive,
00:26:04envers le mouvement anti-impérialiste, anti-colonial.
00:26:07...
00:26:10Il leur dit qu'ils doivent faire partie du mouvement
00:26:13et ne pas se contenter de l'observer comme des voyeurs.
00:26:16...
00:26:20Que les reporters le veuillent ou non,
00:26:23Gandhi fait en sorte qu'ils rejoignent son mouvement.
00:26:26C'est un coup de génie.
00:26:29...
00:26:33Louis Fischer,
00:26:36William Shirer,
00:26:39Wayne Miller...
00:26:42Ces journalistes américains chevronnés ont tous été fascinés par Gandhi.
00:26:46...
00:26:49Pour leurs lecteurs, ils mettent en scène l'histoire
00:26:52de ce David indien contre le Goliath anglais,
00:26:55de ce petit homme brun qui défie le plus puissant des empires modernes.
00:26:58...
00:27:01Cela renforce ce qu'on peut appeler
00:27:04le processus d'iconisation de Gandhi.
00:27:08Cette idée qu'un individu seul peut incarner tout un mouvement,
00:27:11qu'il peut symboliser des enjeux bien plus larges
00:27:14et bien plus complexes et les rendre intelligibles.
00:27:17...
00:27:20A l'issue de la marche du sel, Gandhi est arrêté.
00:27:23Sa femme Kasturba et sa disciple,
00:27:26la poétesse Sarojini Naidoo, reprennent le flambeau.
00:27:30En mai 1931, elles prennent la tête d'une nouvelle manifestation
00:27:34contre le monopole britannique sur le sel.
00:27:37Devant les marées salants de Dharasana,
00:27:40Naidoo prévient les manifestants.
00:27:43Vous serez battus et vous ne résisterez pas.
00:27:46...
00:27:49...
00:27:53...
00:27:56...
00:27:59...
00:28:02...
00:28:05...
00:28:08...
00:28:11...
00:28:15United Press, 21 mai 1930.
00:28:18La police chargea, bâton au point.
00:28:21Les volontaires n'opposèrent aucune résistance.
00:28:24Je pouvais entendre le bruit sourd des coups sur les corps.
00:28:27...
00:28:30...
00:28:33Webb Miller est le seul témoin occidental.
00:28:37Le compte-rendu bouleversé qu'il en fait
00:28:40renverse l'opinion mondiale.
00:28:43La brutalité des Britanniques est dénoncée,
00:28:46la faillite morale de l'Empire exposée.
00:28:49Gandhi a gagné.
00:28:52En janvier 1931,
00:28:55Time magazine le sacre homme de l'année.
00:28:58...
00:29:02Une consécration internationale.
00:29:05...
00:29:08...
00:29:11...
00:29:14...
00:29:17...
00:29:21...
00:29:24...
00:29:27...
00:29:30...
00:29:3312 septembre 1931.
00:29:37Fogstone, Grande-Bretagne.
00:29:40...
00:29:43...
00:29:46...
00:29:49...
00:29:52Les Britanniques ont convoqué une table ronde, la seconde, pour tenter de résoudre la crise indienne.
00:29:58Gandhi représente le parti du Congrès.
00:30:01Sa ligne ? L'indépendance totale de l'Inde.
00:30:05La partie s'annonce tendue.
00:30:07Pourtant, il est accueilli comme une star.
00:30:09Sa tenue, sa suite, son entourage font sensation.
00:30:13En particulier, sa fidèle, Madeleine Slade.
00:30:16Le mathémat est accompagné de Miss Slade, qui a renoncé aux prérogatives auxquelles
00:30:23lui donnait droit à sa naissance, et les filles de l'amiral anglais Slade, pour devenir
00:30:27la collaboratrice la plus dévouée du maître.
00:30:31Bien sûr, Madeleine Slade.
00:30:33Elle était un objet de curiosité encore peut-être plus fascinant que Gandhi, le fakir
00:30:41Mais à côté, la fille d'un vice-amiral anglais, en s'arriblant la tête rasée, c'était juste incroyable.
00:30:48Et bien sûr, c'était très utile pour Gandhi d'avoir cette femme qui incarnait l'autorité
00:30:57de sa mission, l'autorité de ses pratiques, l'autorité de son message politique, moral,
00:31:04en sa personne même, qui était comme une sorte de Grande-Bretagne vaincue, ambulante.
00:31:09À ses côtés, incroyable.
00:31:15La visite de Gandhi à Londres est une opération de relation publique exemplaire.
00:31:20Il a ainsi fait savoir qu'il ne logerait pas dans les beaux quartiers de l'ouest de la
00:31:23capitale, mais à Poplar, dans l'East End populaire.
00:31:27Et si la presse conservatrice critique ce fakir séditieux qui déstabilise l'Empire,
00:31:41le peuple londonnier l'acclame.
00:31:43Charlie Chaplin, en personne, a voulu le rencontrer.
00:31:50Et quand il se rend dans le nord du pays, dans les usines textiles durement touchées
00:31:57par le boycott des biens britanniques qu'il a lui-même orchestré, il est accueilli en
00:32:01héros par les ouvrières.
00:32:02Gandhi se pose en défenseur des opprimés, indiens comme anglais, sans frontières.
00:32:23Il remporte la bataille de l'opinion, sur le sol même de son adversaire.
00:32:30La vérité, c'est que la table ronde convoquée par les britanniques est un échec pour Gandhi.
00:33:01Il n'a jamais été question d'indépendance de l'Inde.
00:33:06Surtout, Gandhi se heurte à des oppositions au sein de son propre camp.
00:33:11À la table ronde, son adversaire se nomme Bimrao Ramji Ambedkar.
00:33:16Il représente les plus déshérités des déshérités, les intouchables.
00:33:21La caste la plus basse du système social traditionnel hindou.
00:33:26Gandhi s'est toujours présenté comme le défenseur des intouchables.
00:33:31Il les nomme Harijans, enfants de Dieu.
00:33:33Il les accueille dans ses ashrams, œuvre pour que les temples et les puits des villages
00:33:39leur soient ouverts.
00:33:40Mais pour autant, Gandhi défend le système des castes, un fondement à ses yeux de la
00:33:45société indienne.
00:33:46Ambedkar, lui, exige la disparition pure et simple des castes, un système archaïque
00:33:53et injuste.
00:33:55Entre les deux hommes, la rupture est totale et définitive.
00:34:00Et donc les plus démunis en Inde, qui sont majoritairement des basse-castes, ironiquement
00:34:08et tristement d'ailleurs, étant donné la situation, ont rejeté catégoriquement Gandhi
00:34:14et leur père de la nation, leur leader spirituel, leur leader de lutte pour la justice sociale
00:34:22et Ambedkar.
00:34:23Et pas Gandhi, et ça persiste jusqu'à nos jours.
00:34:26Gandhi n'a rien obtenu à Londres.
00:34:32Est-ce pour cela qu'il retarde son retour en Inde ?
00:34:35Quelques admirateurs et admiratrices l'ont convaincu de rester en Europe.
00:34:39Une tournée s'improvise.
00:34:42À Paris, Gandhi intrigue, amuse, agace, plus qu'il ne fascine.
00:35:01Il est un fauteur de troubles pour le très conservateur Figaro qui craint la décolonisation.
00:35:10Un traître pour l'humanité, le journal du parti communiste qui rejette sa stratégie
00:35:15non-violente.
00:35:16Qui sont-ils, ceux qui pourtant viennent écouter son discours ?
00:35:21Une foule hétéroclite, des pacifistes, anticolonialistes, réformistes, des hommes et des femmes en
00:35:31quête d'un espoir dans une Europe alors en proie à la crise.
00:35:34Le capitalisme a failli, la révolution communiste est fraie, les fascismes montent.
00:35:43Et si Gandhi pouvait incarner une autre voie, un autre modèle ?
00:35:50Un homme l'a longtemps cru, et c'est pour le rencontrer que Gandhi poursuit sa route
00:35:59jusqu'à Genève.
00:36:00Cet homme, c'est Romain Rolland, le grand écrivain pacifiste, prix Nobel de littérature,
00:36:09désormais retiré en Suisse.
00:36:10Gandhi et Romain Rolland ne se sont encore jamais rencontrés, mais ils correspondent
00:36:16depuis des années.
00:36:17Romain Rolland a œuvré pour diffuser le message de Gandhi en France.
00:36:27Dans son essai paru en 1924, il y comparait à un Christ indien, une figure salvatrice
00:36:34pour le monde.
00:36:35Rolland, comme beaucoup d'autres, est pris dans cette contradiction entre le refus de
00:36:42la violence et l'espoir de la révolution.
00:36:44Et donc il va chercher, pendant toutes les années 1920 jusqu'en 1930, à faire une
00:36:49synthèse entre la révolution prolétarienne et l'exemple qu'offre Gandhi de la non-violence.
00:36:58Il espère qu'effectivement, l'exemple de Gandhi pourrait être une source d'inspiration
00:37:06pour l'Europe et pour les masses européennes, pour qu'elles puissent se dresser contre
00:37:15le fascisme qui s'est déjà installé en Italie et qui menace en Allemagne.
00:37:20Élevé au rang d'icône mondiale, Gandhi a lui aussi cru que son message avait une
00:37:29valeur universelle.
00:37:30Une illusion ? À l'issue de leurs rencontres, même Romain Rolland n'y croit plus vraiment.
00:37:36Gandhi a su ébranler une démocratie comme la Grande-Bretagne en exposant ses failles.
00:37:42Mais il ne voit pas que les pouvoirs totalitaires n'ont pas les mêmes prétentions morales.
00:37:46Ils revendiquent la force brutale, sans limite.
00:37:49Face à eux, la résistance non-violente est impuissante.
00:37:54Romain Rolland dit à Gandhi, ben oui, la non-violence, je peux la choisir pour moi-même,
00:38:03mais est-ce que je peux imposer à toute une génération de se sacrifier au nom de la
00:38:11non-violence ?
00:38:12Gandhi n'est plus, pour Romain Rolland, une source d'espoir politique.
00:38:19Avant de reprendre le bateau pour l'Inde, Gandhi s'arrête à Rome pour une dernière
00:38:31escale.
00:38:32Le pape lui a refusé une audience.
00:38:36Qu'à cela ne tienne, il accepte l'invitation du duché, Benito Mussolini.
00:38:42Désastreuses images d'un apôtre de la non-violence passant en revue les chemises noires.
00:39:05Je pense qu'il faut se demander si, en 1931, Gandhi n'est pas tombé victime lui-même
00:39:18des charmes ou de la séduction de son mythe.
00:39:22Il pensait que lui qui savait très bien gérer la presse, qui était un maître de la com'
00:39:27qui avait su attirer toute cette attention de la presse sur lui et diffuser son message
00:39:34par la presse, qui pouvait gérer la situation.
00:39:36La preuve, quand on voit les images et les films qui ont été tournés par Mussolini
00:39:44et aux ordres de Mussolini, c'est qu'il n'a rien géré de cette visite, rien.
00:39:49Et c'est un moment d'humiliation.
00:39:51Des années plus tard, Gandhi rééditera, exhortant dans une lettre tristement fameuse
00:40:00et naïve, le chancelier Hitler à renoncer, par principe, à la violence.
00:40:05Il tombe exactement dans le piège dans lequel, pas seulement Gandhi, mais aussi beaucoup
00:40:11d'Européens vont tomber à la même époque, que ce soit en Italie et un peu plus tard
00:40:15en Allemagne, c'est-à-dire de croire à la fibre populaire des dirigeants fascistes.
00:40:22Bien sûr, il faut critiquer l'Angleterre, il faut critiquer la France, indassablement,
00:40:27mais ce n'est pas la même chose qu'un régime fasciste.
00:40:30Il y a une ligne rouge entre les deux.
00:40:36Gandhi n'a pas compris l'Europe.
00:40:38A l'heure des périls, son message y reste inaudible, et son image, floue.
00:40:49Les actualités racontent un retour triomphal en Inde.
00:40:53La réalité est bien plus complexe.
00:40:56Gandhi est de nouveau emprisonné par les Britanniques, mais son prestige s'érode.
00:41:02Critiqué, marginalisé, il décide en 1934 de quitter le parti du Congrès.
00:41:12À la fin de ce processus d'iconisation, Gandhi s'avère politiquement plus affaibli
00:41:18qu'il ne l'a jamais été.
00:41:26Gandhi se retire dans sa communauté, à l'ashram de Sévagramme.
00:41:36Comme au temps de la ferme Tolstoy, en Afrique du Sud, il mène une vie d'assaise et de rigueur,
00:41:42entouré de fidèles.
00:41:46En marge des affaires, mais toujours incontournable.
00:41:50Nouvelle étoile montante du parti du Congrès, Nehru, le futur premier ministre de l'Inde indépendante,
00:41:56fait souvent le pèlerinage à Sévagramme pour consulter Gandhi et obtenir sa bénédiction.
00:42:04Père de la nation en devenir, Gandhi, même critiqué, est une source de légitimité,
00:42:10en Inde et au-delà.
00:42:12Université de Howard, 9 septembre 1935.
00:42:17Mon cher monsieur Gandhi, je suis le président d'une délégation de quatre Noirs américains
00:42:22invités en Inde par le mouvement des étudiants chrétiens.
00:42:26Je tiens à tout prix à vous rendre visite dans votre ashram.
00:42:29Je vous lis depuis des années.
00:42:32J'ai l'honneur de vous présenter à vous.
00:42:34Howard Thurman était l'un des intellectuels religieux majeurs du 20e siècle.
00:42:41Pour moi, il est l'un des architectes spirituels du mouvement chrétien.
00:42:46Il est l'un des pionniers de l'Église.
00:42:49Il est l'un des pionniers de l'Église.
00:42:52Il est l'un des pionniers de l'Église.
00:42:55Il est l'un des pionniers de l'Église.
00:42:58Il est l'un des pionniers de l'Église.
00:43:00Pour moi, il est l'un des architectes spirituels du mouvement moderne des droits civiques.
00:43:07Nous avons l'habitude de dater le début du mouvement aux années 50,
00:43:11aux événements de Montgomery et à King.
00:43:15Mais des hommes et des femmes se sont battus pour les droits civiques
00:43:18dans ce pays depuis très très longtemps.
00:43:24Confrontés à la ségrégation et au racisme d'État,
00:43:27les Noirs américains se sont très tôt intéressés à l'expérience de Gandhi.
00:43:35Dès les années 20, le Mahatma échange ainsi régulièrement
00:43:38avec les pionniers des droits civiques,
00:43:40comme W.E.B. Dubois,
00:43:42le fondateur de la Société pour l'avancement des gens de couleur.
00:43:49La satyagraha, la résistance non-violente à l'oppression,
00:43:52converge avec les aspirations tant politiques que spirituelles de ses militants,
00:43:56souvent liées aux églises protestantes.
00:44:00C'est le cas du révérend Howard Thurman, professeur de théologie et pasteur baptiste.
00:44:10Ce qu'il a trouvé chez Gandhi, et dans sa réflexion sur la non-violence,
00:44:15validait ce qu'il pensait et ressentait déjà très profondément.
00:44:22Cette idée de la persuasion morale et celle
00:44:25présente depuis longtemps dans la communauté noire,
00:44:28de l'amour chrétien.
00:44:32Aime ton prochain.
00:44:34Tous nos hymnes le chantent.
00:44:36Aime ton prochain, même ton oppresseur.
00:44:47Comment faire pour aider un peuple soumis à aimer son oppresseur,
00:44:51sans pour autant rabaisser son amour propre et son estime de soi ?
00:44:59Cette énigme, Thurman essaie de la résoudre.
00:45:03Et c'est cela qui le mène vers Gandhi.
00:45:116 octobre 1935,
00:45:13Cher ami,
00:45:15Je serai enchanté de vous recevoir,
00:45:17MK Gandhi.
00:45:21La rencontre a lieu.
00:45:23Howard Thurman et son épouse, Sue,
00:45:26pressent le Mahatma de question.
00:45:29Comment former les Noirs américains à la résistance non-violente ?
00:45:32Comment convaincre celui dont le propre frère a été lynché ?
00:45:37Désobéisser.
00:45:38Boycotter.
00:45:40Ne coopérer plus, leur répond Gandhi.
00:45:43On ne peut battre son adversaire que par l'amour et non la haine.
00:45:48La haine est la forme la plus subtile de la violence.
00:45:51La haine blesse celui qui est, et non le haï.
00:45:58Et arrive ce moment de la rencontre au Gandhi, lors d'une...
00:46:03Je crois que mon message,
00:46:05le message pur de la non-violence,
00:46:07sera révélé au monde par les Africains américains.
00:46:18C'est une camaraderie de lutte.
00:46:21Celle de peuples colonisés qui veulent vraiment être libres.
00:46:27Quelle est la meilleure méthode à notre disposition pour changer la donne ?
00:46:33Thurman, comme pour Gandhi, pas de doute.
00:46:37C'est mettre son corps en jeu.
00:46:40C'est l'honneur.
00:46:42Comme pour Gandhi, pas de doute.
00:46:44C'est mettre son corps en jeu.
00:46:4620 ans plus tard, en 1955, un jeune pasteur prendra le relais.
00:47:16Martin Luther King Junior, héritier des pionniers des droits civiques.
00:47:21Au cœur du vieux sud raciste, Martin Luther King met en œuvre une nouvelle satyagraha.
00:47:46La doctrine de la non-violence, telle que la pratique de Martin Luther King, comme Gandhi en Inde,
00:48:04ce n'est pas un attentisme. C'est faire de son corps une arme pacifique.
00:48:09Ça devrait suffire à dissiper tous les malentendus sur ce qu'est la non-violence,
00:48:14qui est vraiment tout sauf une forme de résignation, qui n'a rien à voir avec quelque lâcheté que ce soit,
00:48:21qui est tout sauf une forme de compromission avec le pouvoir.
00:48:26C'est au contraire, comme Gandhi le savait aussi bien que Martin Luther King, c'est un défi au pouvoir.
00:48:39La résistance non-violente retournera en Afrique du Sud. Nelson Mandela, à son tour, revendiquera l'héritage de Gandhi
00:48:53dans son combat contre l'apartheid. Cette transmission de combat en combat a consacré la construction de l'icône,
00:49:04faisant à jamais de Gandhi l'apôtre de la non-violence.
00:49:1015 août 1947, New Delhi, Inde. L'Inde est indépendante. Après des décennies de luttes,
00:49:37les britanniques, affaiblis par la seconde guerre mondiale, ont consenti à négocier leur départ.
00:49:42Leur âge, l'empire britannique des Indes, n'est plus. La république indienne est proclamée.
00:49:48C'est Nehru, nouveau premier ministre, qui l'annonce au monde. Le Mahatma, Bapu, le père de la nation, s'est retiré pour jeûner, en deuil.
00:49:59Cette indépendance n'est pas celle qu'il voulait.
00:50:07Le combat pour l'indépendance est abîmé dans l'affrontement entre les deux grandes communautés de l'Inde, les hindous,
00:50:16qui représentent les deux tiers de la population, et les musulmans. Gandhi a tout tenté pour réconcilier les indiens,
00:50:24marchant à la rencontre des musulmans, négociant avec leurs leaders, s'infligeant de longs jeûnes mortifères pour que cesse les violences.
00:50:33En vain. L'indépendance est accompagnée de la partition du sous-continent, entre une Inde hindoue et un Pakistan musulman.
00:50:44Une partition sanglante. 14 millions de personnes sont déplacées de part et d'autre des nouvelles frontières.
00:50:51Plus d'un million sont massacrés.
00:50:56Il ne peut pas trouver de réponse à l'hostilité qui s'est développée entre musulmans et hindous.
00:51:03Il n'est pas maître de l'histoire, Gandhi. Ce n'est qu'un homme.
00:51:10Les nationalistes hindous, qui aspirent à une Inde ethniquement pure, ne pardonnent pas à Gandhi d'avoir œuvré pour une autre Inde, inclusive et ouverte.
00:51:20L'icône pour eux est désormais un obstacle à abattre.
00:51:3930 janvier 1948, Birla House, New Delhi.
00:51:46Bapou est mort, abattu en plein jour par un extrémiste hindou.
00:51:55Son exécution fait de lui le martyr de l'indépendance et de la non-violence. Une icône fédératrice.
00:52:03Ses cendres sont transportées aux quatre coins de l'Inde et jetées dans tous les fleuves du pays.
00:52:10Comme si Gandhi ne faisait plus qu'un avec l'Inde.
00:52:15Il n'est plus là pour poser problème. Il n'est plus là pour interrompre ou perturber le processus qui fait de lui une icône.
00:52:45Et c'est à ce moment que se fige ce Gandhi qui reste à sa place, qui ne sème plus le trouble.
00:52:52Ce Gandhi qui peut enfin être le grand-père de l'Inde unie.
00:53:16Winston Churchill appelait Gandhi le fakir à moitié nu.
00:53:21Les Indiens le dénommaient quant à eux le Mahatma, la grande âme.
00:53:26Et à force de résistance non-violente, il a grandement contribué à voir les Britanniques accorder à l'Inde son indépendance.
00:53:32Comme vient de nous le rappeler à l'instant ce documentaire réalisé par Mathilde Damoiselle.
00:53:38Plus de 75 ans après son assassinat par un nationaliste hindou.
00:53:42Quel héritage a laissé Gandhi en Inde et ailleurs ?
00:53:46Nous allons maintenant en débattre avec nos invités après ce film sur ce plateau de débats d'oc.
00:53:52En commençant par vous, Vejju Naravane, bienvenue à vous.
00:53:55Merci d'avoir accepté notre invitation.
00:53:57Vous êtes journaliste et écrivaine, correspondante notamment pour The Hindustan Times.
00:54:02C'est un grand quotidien indien en langue anglaise.
00:54:05Également avec nous, Catherine Clément, bienvenue.
00:54:08Vous êtes philosophe et écrivaine, auteure d'une soixantaine d'essais ou de romans.
00:54:14Depuis bientôt quatre décennies, vous arpentez le sous-continent indien où vous avez vécu et travaillé dans différentes villes.
00:54:22Comme en témoignent d'ailleurs vos nombreux ouvrages consacrés à l'Inde.
00:54:26Et votre dernier livre s'intitule Payenne, roman consacré lui à l'ultime oracle de la pitié de Delphes en 382 après Jésus-Christ.
00:54:35Dans un empire romain qui se disloque et se christianise.
00:54:41Il est disponible ce livre aux éditions du Seuil.
00:54:44Eric Vincent est également avec nous, bienvenue à vous.
00:54:46Vous êtes politologue des religions, chercheur associé au labo GSRL CNRS.
00:54:53Et on vous doit entre autres Mandela et Gandhi.
00:54:56La sagesse peut-elle changer le monde ?
00:54:58Publié chez Alba Michel, ouvrage co-écrit avec Sophie Vigier Vincent qui n'est autre d'ailleurs que votre compagne.
00:55:06Merci à vous aussi d'avoir accepté notre invitation.
00:55:09Après ce film, nous allons revenir sur Gandhi lui-même et aussi ceux et celles qu'il a inspiré par la suite en Inde.
00:55:17Dans l'Inde d'aujourd'hui mais aussi ailleurs dans le monde.
00:55:21Gandhi c'était un leader spirituel, un leader politique.
00:55:24Est-ce qu'on peut résumer très simplement ce qu'était la philosophie originelle de Gandhi le plus simplement possible ?
00:55:32Deux choses.
00:55:34Un c'était la liberté, le droit à la liberté.
00:55:39Il disait la liberté c'est mon droit fondamental.
00:55:44Et la deuxième chose, comment obtenir cette liberté par la voie de la non-violence.
00:55:50Donc il a conjugué une spiritualité avec une vision politique qui était tout à fait inédite à l'époque et tout à fait intéressante.
00:56:00On va voir si vous le voulez bien un premier extrait de ce film.
00:56:04Nous sommes en 1931, Gandhi et c'est son adversaire.
00:56:10Il est à Londres en Angleterre.
00:56:12Le peuple londonien Laclan.
00:56:15Charlie Chaplin en personne a voulu le rencontrer.
00:56:20Et quand il se rend dans le nord du pays, dans les usines textiles durement touchées par le boycott des biens britanniques qu'il a lui-même orchestré.
00:56:28Il est accueilli en héros par les ouvrières.
00:56:34Et un message pour les enfants anglais.
00:56:37Gandhi se pose en défenseur des opprimés, indien comme anglais, sans frontières.
00:56:44Gandhi là en 1931 à Londres finalement il remporte la bataille de l'opinion sur le sol de son adversaire.
00:56:51C'est ce qu'il nous a dit dans ce film.
00:56:53Il est au sommet de la guerre.
00:56:55Il est au sommet de la guerre.
00:56:57Il est au sommet de la guerre.
00:56:59Il est au sommet de la guerre.
00:57:00Il remporte la bataille de l'opinion sur le sol de son adversaire.
00:57:04C'est ce qu'il nous a dit dans ce film.
00:57:06Il est au sommet de sa gloire Gandhi en ce début des années 30.
00:57:10Notamment avec ce visite à Londres pour une conférence où il était censé être question d'une certaine remise en cause.
00:57:20Une progression vers l'indépendance.
00:57:22Une progression vers l'indépendance.
00:57:24Il est au sommet de sa gloire à cette époque là.
00:57:27Moi je crois que c'est un peu plus tard quand même.
00:57:28Mon Gandhi préféré, en tout cas j'aimerais le dire, c'est le vieux Gandhi qui se promène avec dans sa besace le Coran, la prière hindoue de la Bhagavad Gita et les évangiles.
00:57:42Et qui a les trois toujours avec lui parce qu'en complément de ce qu'a dit tout à l'heure Rajiv, ce qui est parfaitement vrai, la liberté et comment l'obtenir par la non-violence, il y a aussi la tolérance absolue.
00:57:53Mais absolue. L'autre a le droit d'exister quel qu'il soit.
00:57:56Il n'y a pas eu de rejet. Gandhi n'a pas fait de rejet de quoi que ce soit dans sa vie.
00:58:02Il tient à un monde multi-confessionnel ? Une âne multi-confessionnelle ?
00:58:06Il tient à l'existence de l'autre et qu'elle soit respectée.
00:58:10Et ce Gandhi là, qui n'était quand même pas tout jeune, il avait plus de 70 ans, a arpenté les villages du Bengal en couchant un soir chez un musulman, un soir chez un hindou.
00:58:22Il a réussi quand même à faire baisser les tensions.
00:58:25Dire qu'il a tout aplani, non. Mais il a fait baisser le taux de vie humaine sacrifiée.
00:58:30Ça c'est certain. Alors ça je ne connais pas beaucoup de gens qui y arrivent avec juste un bâton, du blanc, si il y avait le temps, et la parole.
00:58:38Je fais référence à ce fameux voyage de 1931, cette tournée en Europe.
00:58:43Où il rencontrera notamment le régime fasciste de Mussolini, à travers cette tournée, après cette conférence.
00:58:51Le retour en Inde après cette conférence semble tout de moins difficile.
00:58:55Est-ce que ce n'est pas là que son étoile continue à pâlir lorsqu'il reviendra en Inde ?
00:59:01Parce qu'il faudra du temps en fait pour que la démarche gandhienne aboutisse.
00:59:05Et en fait c'est vrai que la conférence de la table ronde, qui est l'occasion de ce voyage, est un échec sur le plan de cette avancée vers l'indépendance.
00:59:13En tout cas un échec relatif.
00:59:15Et d'ailleurs en 1934, Gandhi va prendre du recul, va quitter apparemment les affaires partisanes du parti du Congrès,
00:59:23pour se consacrer à ce qu'il appelle le programme constructif.
00:59:26Une partie du gandhisme dont on parle relativement peu et trop peu, qui consiste à en fait, en gros, ce qu'on appellerait aujourd'hui l'écologie intégrale.
00:59:33Et je pense que c'est très important de mettre ça dans le panorama, de rappeler que Gandhi est sans doute le père d'une écologie
00:59:41qui prend en compte toutes les dimensions de l'homme, à commencer par cette dimension spirituelle que Vejju évoquait.
00:59:47Il est évoqué un certain nombre de paradoxes dans ce film, après avoir défini ce que peut-être Gandhi, sa philosophie, le gandhisme.
00:59:56Notamment ce regard vis-à-vis des castes, ce système des castes indiens.
01:00:01Il considère que finalement ce système est une garantie de l'équilibre du système indien,
01:00:07tout en continuant à prendre la défense des fameux intouchables, ceux qui sont le plus bas de cette caste.
01:00:13Néanmoins, on a du mal à comprendre ce paradoxe.
01:00:16Pourquoi justifier ce système des castes indiens, tout en défendant malgré tout les intérêts des intouchables ?
01:00:23D'abord parce que Gandhi avait un respect profond pour les religions reçues.
01:00:28Et pour lui, l'hindouisme était reçu, c'était la structure de l'hindouisme,
01:00:35que la caste n'était pas séparable de l'hindouisme.
01:00:39C'est ça, le modèle millénaire, qu'il fallait respecter tout en travaillant de l'intérieur de la religion.
01:00:49Et c'est ça qui l'a différencié totalement de l'autre leader indien de l'époque,
01:00:54qui était le leader des intouchables, un intouchable lui-même absolument exceptionnel,
01:01:01qui s'appelait Ambedkar.
01:01:03Et lui, qui est devenu par la suite le père de la constitution indienne après la mort de Gandhi en 1950,
01:01:11parlait du démantèlement du système de caste.
01:01:15Tandis que Gandhi disait que non, le système de caste, c'est inséparable de l'hindouisme,
01:01:21mais il ne faut pas traiter les intouchables comme les intouchables,
01:01:27il faut avoir de l'amour et la tolérance pour tout le monde,
01:01:32et il faut que les riches, en quelque sorte, deviennent les trustees pour les pauvres.
01:01:39Vous avez un avis sur ce sujet ?
01:01:42Pour expliquer ce qui peut apparaître à nous occidentaux comme une forme de paradoxe, finalement ?
01:01:46Il était né dans une caste, il n'était pas né brahman, il était dans la troisième caste.
01:01:52Mais les pariahs, les intouchables, parce que le vrai mot c'est pariah,
01:01:57eux n'étaient pas considérés en Inde comme faisant partie de l'humanité.
01:02:01Ce sont des bêtes.
01:02:03Donc ce que Gandhi exige, il les appelle harijans, les enfants de Dieu,
01:02:07c'est de leur donner une humanité, tout simplement une humanité.
01:02:10Ça serait déjà un énorme progrès.
01:02:12On n'en est pas encore tout à fait là en Inde, maintenant.
01:02:15Autre paradoxe soulevé dans ce documentaire, c'est sa période qu'on va qualifier de sud-africaine,
01:02:22entre 1893 et 1915, avec cet épisode, ce fameux épisode,
01:02:29où il est dans un wagon de première classe et puis il se voit refuser sa place,
01:02:34parce que là-bas existe aussi une forme de ségrégation vis-à-vis de cette communauté indienne,
01:02:39et c'est cela qu'il lancera réellement dans l'action militante.
01:02:43C'est ce que nous dit ce film.
01:02:46Et néanmoins, là, il ne prend pas la défense des Noirs en Sud-Afrique,
01:02:50eux aussi, bien entendu, victimes du système ségrégationniste de l'époque.
01:02:54En fait, Gandhi, c'est un homme qui a vécu longtemps, quand même.
01:02:57Donc il y a tout un parcours, une progression.
01:02:59On ne devient pas Gandhi en un jour.
01:03:01Et Gandhi est devenu Gandhi en Afrique du Sud, c'est important de le rappeler.
01:03:04Il est resté 20 ans en Afrique du Sud.
01:03:06Donc là, vous évoquez cette scène fondatrice qui est au début de cette période sud-africaine.
01:03:10Et en effet, Gandhi va cheminer longtemps pour élargir son combat,
01:03:17qui est d'abord exclusivement consacré à la protection des droits et des libertés
01:03:21de ses compatriotes en Afrique du Sud, des Indiens,
01:03:24l'élargir à la fin de cette période, à partir des années 1910-1911, par là,
01:03:30à la question des Noirs et des premiers habitants de l'Afrique du Sud.
01:03:34Et sachant que par la suite, Gandhi restera toujours attentif à la situation sud-africaine,
01:03:40une fois qu'il est rentré en Inde à partir de 1915.
01:03:42Et des liens durables vont se tisser entre le mouvement indépendantiste indien
01:03:50et le mouvement sud-africain naissant, qui sera très longtemps marqué par Gandhi.
01:03:55L'ANC, le parti qui est lié à Nelson Mandela, s'appelle Congress,
01:04:01comme le parti du Congrès en Inde, c'est pas pour rien.
01:04:05Et il y a donc des liens très profonds entre ces deux figures, notamment entre Gandhi et Mandela,
01:04:10et qui montrent que si Gandhi a pu être au départ marqué par un certain racisme
01:04:16qui était commun, hélas, dans sa société, c'est un homme qui est né en 1869, il faut le rappeler.
01:04:22Donc il vient de loin, je dirais, par rapport à nos critères actuels.
01:04:26Il a évolué, il s'est ouvert, et dans la logique que disait Madame Clément,
01:04:31il n'y a pas vraiment un universalisme qui dépasse les races, les religions,
01:04:36au service d'une humanité commune.
01:04:38C'est vrai que même aujourd'hui, cette controverse à propos de la position de Gandhi
01:04:44envers les différences établies par la politique ségrégationniste qu'on appelle l'apartheid,
01:04:52c'était très marqué au début.
01:04:54Il a aussi fondé un corps d'ambulanciers pendant la Première Guerre mondiale,
01:04:58et là, il a insisté que, vraiment, les Indiens ont une position légèrement supérieure dans cette hiérarchie.
01:05:08Mais c'était un homme des hiérarchies.
01:05:10Il est né dans une caste, les Indiens ont toujours l'habitude des hiérarchies,
01:05:17parce qu'on est né toujours dans les hiérarchies, et Gandhi, au début,
01:05:21reflétait cette notion de hiérarchie.
01:05:25Pour lui, les Indiens ne devaient pas être baissés au niveau des Noirs,
01:05:30qu'ils étaient peut-être inférieurs aux Blancs, mais supérieurs aux Noirs.
01:05:35Et cette notion dans les castes d'infériorité et supériorité
01:05:40était reflétée dans les positions prises par Gandhi tout à fait au début,
01:05:46juste avant son départ en Inde.
01:05:49C'est en Inde qu'il est allé beaucoup plus vers la tolérance, vers l'amour universel,
01:05:58qui est effectivement le message de Gandhi.
01:06:01Il y a une période qui n'est pas évoquée, ou presque, dans ce documentaire, c'est la Seconde Guerre mondiale.
01:06:07On a évoqué tout à l'heure ce voyage à Londres,
01:06:10et cette tournée européenne qu'il a faite ensuite, où il a rencontré Mussolini,
01:06:14et autrement dit, évidemment, touché de près, ce qu'était le régime fasciste mussolinien.
01:06:21Gandhi, durant la Seconde Guerre mondiale, son attitude vis-à-vis des nazis, du fascisme,
01:06:26qu'est-ce qu'on peut en dire aujourd'hui ?
01:06:28Je vais citer un exemple, et puis on essaiera de voir ce que ça veut dire.
01:06:32Un de ses amis allemands, pour une lointaine amitié de plus de 20 ans,
01:06:38qui venait le consulter à propos des persécutions des Juifs par Hitler,
01:06:41il lui a conseillé tout simplement, vous mettez tous les Juifs d'Europe sur les falaises de Louvre,
01:06:48et vous menacez Hitler, et vous leur dites, si vous n'arrêtez pas tout de suite, ils vont sauter.
01:06:53C'est d'une désarmante naïveté, désarmante naïveté.
01:06:58Mais il n'avait pas affaire à des monstres, Gandhi se battait, il avait affaire à l'Empire britannique.
01:07:04Ils sont plutôt mieux élevés quand même que le reste des tyrans mondiaux.
01:07:08On en a des tyrans en ce moment, on voit comment ils sont.
01:07:13Il a lancé en 1942 une campagne Quit India vis-à-vis des Britanniques.
01:07:19Nous sommes en 1942, en pleine Seconde Guerre mondiale,
01:07:22et ils continuent ce combat pour l'indépendance de l'Inde vis-à-vis de l'Empire britannique,
01:07:27alors que nous sommes tout de même en plein cœur de cette Seconde Guerre mondiale.
01:07:31Mais la dernière marche lui a échappé quand même, c'est-à-dire que l'Inde est quand même partagée.
01:07:34Les Indes britanniques sont partagées en deux.
01:07:38Et il avait prévenu, il avait dit, si on touche au corps de notre mère Inde,
01:07:42comme il a l'habitude de dire, il y aura du sang.
01:07:45Et il y a eu en effet 2 millions de morts en 1947-1948.
01:07:49A la fin de l'année, en août-septembre-octobre 1947.
01:07:54Donc c'est la première catastrophe humanitaire de l'après-guerre.
01:07:582 millions de morts, et on parle de 14 voire 20 millions de déplacés, de réfugiés déplacés,
01:08:05de déplacements de population. 15 millions dites-vous.
01:08:08Regardez hier soir, c'était 15 millions.
01:08:10Et sachant qu'il a tout fait pour l'éviter justement,
01:08:12c'est-à-dire que parfois on le rend responsable de cette catastrophe humanitaire,
01:08:16alors que précisément il a été celui qui a le plus mobilisé l'énergie,
01:08:22y compris en mettant sa propre vie en jeu, par des jeunes à mort,
01:08:25et puis finalement en se faisant assassiner par un nationaliste hindou,
01:08:28c'est éviter cette vivisection de l'Inde, comme il disait.
01:08:31Donc c'est lui faire un mauvais procès que de le rendre responsable du déchaînement du nationalisme
01:08:37qu'il a tout fait pour éviter en fait.
01:08:40Mais en fait, la philosophie dont parlait Catherine il y a un moment,
01:08:45que vous mettez les Juifs là et puis si vous les libérez pas ou quelque chose,
01:08:50ils vont sauter tous ensemble et vous allez voir quelle catastrophe ce sera,
01:08:54parce que c'était ça l'arme de Gandhi,
01:08:58la violence je ne la traîne pas sur mon ennemi, mais je l'utilise contre moi-même.
01:09:05Donc c'est la menace de l'auto-immolation, c'est la menace du suicide collectif,
01:09:12c'est la menace qu'il faut peser sur la conscience de l'agresseur.
01:09:17Et c'était toujours cette notion qu'on peut effectivement piquer l'adversaire
01:09:25au point où il est complètement rempli de culpabilité
01:09:32et qu'il agit d'un sentiment de culpabilité.
01:09:37Comme elle dit à du juste titre, aujourd'hui ça ne marchera pas,
01:09:41ça marchait contre les Britanniques,
01:09:43parce que c'était des gens qui avaient milité pour l'abolition de l'esclavage,
01:09:49après il y avait ces valeurs universelles et les Lumières
01:09:53qui étaient mises dans le Parlement britannique à l'époque,
01:09:56et l'argument de Gandhi était comment est-ce que vous pouvez demander
01:10:00la liberté pour votre peuple et garder mon peuple enchaîné comme ça.
01:10:07Mais ça n'a pas marché avec Mandela et l'ANC.
01:10:14D'abord en tout cas, ça a mis du temps.
01:10:17On va y venir, deuxième extrait du documentaire,
01:10:20je vous donne la parole, c'est promis, juste après, vous allez comprendre pourquoi.
01:10:23C'est Martin Luther King qui dit s'être inspiré beaucoup de Gandhi.
01:10:28On l'écoute.
01:10:37Martin Luther King qui exprime ici, évidemment, le fait qu'il partage cet héritage de Gandhi,
01:10:54il n'est pas le seul, Nelson Mandela.
01:10:57Et beaucoup d'autres, le Dalai Lama.
01:10:59Le Dalai Lama.
01:11:01Ibrahim Rugova au Kosovo, Lech Walesa en Pologne,
01:11:05beaucoup, beaucoup de figures, et là je cite les plus connus, mais il y en a encore beaucoup.
01:11:11Aung San Suu Kyi.
01:11:13Aung San Suu Kyi en Birmanie, bien sûr.
01:11:16Il y a vraiment une dimension fondatrice de Gandhi,
01:11:20en tant que ce que j'appelle des démocrates spirituels,
01:11:23ou des spirituels démocrates, tout dépend sur quoi on met l'accent.
01:11:26Mais donc c'est ces personnes qui relient éthique et spiritualité
01:11:31avec action politique en faveur des droits de l'homme,
01:11:33avec action en faveur des droits des peuples à disposer d'eux-mêmes,
01:11:37d'une façon qui est très originale et finalement peu vue et peu analysée,
01:11:43notamment en France, du fait d'une laïcité mal comprise sans doute,
01:11:47alors que ces noms parlent d'eux-mêmes.
01:11:50Si on reprend l'exemple de Martin Luther King,
01:11:53là nous sommes dans la deuxième partie des années 50,
01:11:56et puis la première partie des années 60,
01:11:59c'est évidemment la lutte pour les droits civiques du côté américain,
01:12:03même mode opératoire utilisé par Martin Luther King et les siens,
01:12:08concrètement, cette application du gandhisme, des valeurs gandhistes,
01:12:14et surtout des modes opératoires de résistance passive et non violente.
01:12:18Je dirais que c'est précisément ce que j'appelle des actions bivalentes,
01:12:22des actions qui ont une force politique par elles-mêmes
01:12:25et une force spirituelle religieuse par elles-mêmes.
01:12:28Le jeûne, dit grève de la faim, la marche, c'est une procession,
01:12:32la prière est une action à la fois de transformation personnelle
01:12:37mais aussi de transformation collective,
01:12:39et c'est cet attelage de l'intime et du collectif
01:12:42qui fait l'efficacité de ces méthodes type Satyagraha,
01:12:46le nom que Gandhi a donné à sa propre façon de combattre
01:12:50politiquement et spirituellement.
01:12:52Donc il y a toujours les deux en fait,
01:12:54et ça pour nous c'est très difficile à concevoir,
01:12:56cette articulation des deux dimensions.
01:12:57On va venir dans un instant sur l'héritage laissé par Gandhi
01:13:02dans l'Inde d'aujourd'hui, en 2025,
01:13:05simplement ceux qui réclament cet héritage
01:13:08et de cette lignée de Gandhi, du gandhisme,
01:13:12dans les années 60, dans les années 80,
01:13:15qu'est-ce qu'on peut en dire aujourd'hui ?
01:13:17Que pour l'instant ça n'est pas à la mode,
01:13:21on peut dire ça en ce moment même,
01:13:23la mode est au coup de force et à la dictature.
01:13:25J'étais en train de penser que Gandhi avait une très vilaine voix,
01:13:29et pourtant, avec cette voix de canard,
01:13:32horrible il faut bien dire,
01:13:34il a réussi à mobiliser les foules.
01:13:36Il pratiquait quand même un tout petit peu de,
01:13:40pas beaucoup mais un tout petit peu,
01:13:42de cette discipline profondément hindoue,
01:13:44qui est le yoga.
01:13:46Il avait au moins la maîtrise du souffle.
01:13:48Et la maîtrise du souffle, ça me fait penser
01:13:50qu'il avait aussi un grand amour du chant.
01:13:52Non, il ne chantait pas lui-même,
01:13:53mais il fallait qu'on lui chante des cantiques.
01:13:56Donc j'ajouterais une touche musicale,
01:13:58si on veut faire le portrait de celui
01:14:00qu'à la fin de sa vie on appelait,
01:14:02plus le Mahatma, mais Bapou, grand-père.
01:14:05Et tout à l'heure, je vous ai demandé
01:14:07s'il était à l'apogée de sa gloire, finalement,
01:14:11au début des années 30, vous m'avez dit,
01:14:13non, non, c'est juste un peu après, selon vous.
01:14:15Le mythe Gandhi, après-guerre,
01:14:18dans ses années 60, dans ses années 70,
01:14:21c'est là qu'il prend réellement corps, selon vous,
01:14:24dans les sociétés de l'époque ?
01:14:26Ça dépend où ?
01:14:28Ça dépend où, exactement.
01:14:30Ça dépend où, vraiment ?
01:14:32Du côté des États-Unis, peut-être du côté de l'Afrique du Sud.
01:14:34C'est plus les années 60, les années 70,
01:14:36c'est-à-dire Peace and Love.
01:14:38Il y a une sorte de sous-produit du gandhisme,
01:14:40bien sûr, très sympathique,
01:14:42et en même temps, très léger.
01:14:44Il y a les Beatles, la transcendance,
01:14:46la méditation, la pratique de yoga,
01:14:48la simplicité de la vie, le végétarianisme,
01:14:53tout s'invade.
01:14:55Depuis Peace and Love, on est dans le gandhisme.
01:14:57Dans un sous-produit, je dirais plutôt,
01:14:59parce que c'est quand même très simplifié,
01:15:01mais c'est très important culturellement pour l'Occident,
01:15:04et comme je disais tout à l'heure,
01:15:06on peut parler de la figure de Lanza del Vasto,
01:15:08qui est bien oubliée aujourd'hui,
01:15:10mais qui était un des principaux disciples de Gandhi en Occident,
01:15:13un franco-italien, un philosophe franco-italien,
01:15:15qui a été l'un des inspirateurs des luttes du Larzac.
01:15:18Donc on voit vraiment cette transmission autour de l'écologie
01:15:22et autour de tout ce qui était dit en termes d'un mode de vie
01:15:25qui résiste aux dégâts du progrès.
01:15:28Une remise en question très précoce
01:15:31de ce qui est en train aujourd'hui de détruire notre monde, tout simplement.
01:15:34En effet, Gandhi était profondément contre l'industrialisation.
01:15:39Il pensait que vraiment,
01:15:42c'était la machine qui allait devenir l'ennemi du peuple.
01:15:45Il prenait toujours une simplicité, une économie des villages.
01:15:51Il disait que l'Inde s'est vraiment constituée par ces villages,
01:15:55la richesse de l'Inde, c'est pas des grandes villes,
01:15:58c'est pas des grosses fortunes,
01:16:00c'était pas les bourses et des mouvements sur les bourses,
01:16:05c'était effectivement les économies simplifiées de villages
01:16:10et c'était autosuffisance.
01:16:13Il parlait des gens qui pouvaient faire leurs recoltes eux-mêmes,
01:16:19tisser eux-mêmes leurs vêtements,
01:16:23et puis que c'était contenu dans les villages.
01:16:27Et pour lui, vraiment, maintenant, on commence à voir
01:16:30que c'est là où résident pas mal de solutions,
01:16:34surtout quand on voit les dégâts que l'humanité a causés à la planète Terre.
01:16:39Quand on voit le consumérisme aujourd'hui présent en Inde,
01:16:44on va voir un dernier extrait du film, très court,
01:16:47car il y a un passage obligé pour tous les dirigeants indiens,
01:16:51semble-t-il, depuis l'après-guerre.
01:16:53C'est un hommage à Randhra Gandhi, regardez.
01:16:56Où s'était élevé le bûcher de sa crémation,
01:16:59se trouve désormais le mémorial de Raj Ghat.
01:17:09C'est un passage obligé tant pour les disciples revendiqués du Mahatma
01:17:14que pour les descendants de ses opposants.
01:17:17Comme le premier ministre Narendra Modi,
01:17:20issu du parti nationaliste hindou.
01:17:22Ça nous amène à parler de Gandhi,
01:17:25de ce qui reste de Gandhi aujourd'hui, dans cette Inde d'aujourd'hui,
01:17:28dans l'Inde de Modi.
01:17:30Modi, qui était la tête d'un parti nationaliste hindou.
01:17:34Autrement dit, il représente Modi sur le terrain.
01:17:38C'est ceux qui ont assassiné, d'une certaine manière,
01:17:41Gandhi en janvier 1948.
01:17:44Là, je voudrais que vous m'expliquiez aujourd'hui
01:17:47quelle est l'image, la place de Gandhi aujourd'hui
01:17:50dans cette Inde de Modi, nationaliste hindou.
01:17:53Je vais vous raconter ce qui m'est arrivé en 1991.
01:17:56L'assassin de Gandhi s'appelle Nathuram Godse.
01:17:59Il avait été programmé pour tuer Gandhi
01:18:02par le mouvement qui est actuellement au pouvoir.
01:18:05C'est le même mouvement.
01:18:06Ce qui représente quand même quelque chose d'important.
01:18:10Petit à petit, je voyais les gens...
01:18:13J'étais compagne d'ambassadeur, donc je recevais beaucoup.
01:18:16Et petit à petit, à chaque dîner,
01:18:18je voyais quelqu'un se détacher du groupe
01:18:21et venir me dire, vous savez l'assassin de Gandhi, Nathuram Godse ?
01:18:24C'était quelqu'un de très bien.
01:18:26Ah bon ? Il l'a salué avant de tirer.
01:18:29Et là, je me suis dit que quelque chose de très important
01:18:32est en germe.
01:18:33Ensuite est venu le pèlerinage dans le cœur d'un lotus,
01:18:37d'un zèbre qui est allé jusqu'à la mosquée
01:18:40qu'il fallait détruire à l'explosif.
01:18:42Et voilà comment, je résume beaucoup,
01:18:44Modi est arrivé au pouvoir par cette perversion-là.
01:18:47Il n'y a pas d'autre version.
01:18:49Vous êtes en train de nous dire qu'on est en train,
01:18:51aujourd'hui en Inde, de réhabiliter
01:18:53ou qu'on a déjà réhabilité celui qui avait assassiné Gandhi ?
01:18:55En 1991.
01:18:57Là, il a été complètement réhabilité.
01:19:00Et la personne qui était à l'origine de ce mouvement
01:19:03hindouiste, il faut savoir que la philosophie de Modi
01:19:06et ses acolytes et le parti au pouvoir,
01:19:09c'est que l'Inde, c'est la terre d'abord pour des hindous
01:19:14et que les autres minorités, surtout l'islam et le christianisme,
01:19:19qui sont des religions qui ne sont pas nées en Inde,
01:19:23au contraire du bouddhisme, le sikhisme ou le jainisme,
01:19:27ce sont des religions étrangères
01:19:30et que les grosses minorités qui sont en Inde,
01:19:34220 millions de musulmans, doivent vivre en Inde
01:19:39comme des citoyens de deuxième zone.
01:19:42C'est ça qui prône M. Modi.
01:19:45Et là, on est en train de complètement réhabiliter
01:19:49la personne qui a donné naissance à ce mouvement,
01:19:53qui avait des échanges de lettres avec les leaders nazis,
01:19:56mais aussi Nathuram Ghodse, qui était le tueur de Gandhi.
01:20:01Aujourd'hui, on fait des pujas, des dédications,
01:20:05des rituels à sa gloire.
01:20:08Il y a des photos des gens de ce mouvement
01:20:12dans le Parlement indien qui, pour moi,
01:20:15est un sacrilège absolu.
01:20:18Autrement dit, Narendra Modi se réaccapare à l'image de Gandhi ?
01:20:22Il se réaccapare d'une manière assez intéressante.
01:20:27D'abord, il dit que les hindous,
01:20:30et c'était les hindous qui ont tué Gandhi,
01:20:33parce qu'il était trop tolérant vers les musulmans.
01:20:36Donc, il faut réhabiliter ces tueurs hindous,
01:20:40mais à la fois, il a besoin de l'icône Gandhi.
01:20:44Donc, on utilise comme poster de campagne
01:20:48les lunettes typiques de Gandhi,
01:20:50on utilise les méthodes gandhiens,
01:20:54on parle du message de Gandhi,
01:20:57mais en fait, on est en train de tampiller, en quelque sorte,
01:21:02la philosophie de Gandhi en Inde.
01:21:05Les jeunes en Inde, aujourd'hui, sont dans la confusion totale.
01:21:09Ils ne savent pas quoi penser de Gandhi,
01:21:13en plus parce que les manuels scolaires
01:21:16ont été réécrits par le mouvement hindouiste.
01:21:18Et il y a une espèce de putsch hindouiste
01:21:22en train de se passer en Inde.
01:21:25En fait, on célèbre d'autant plus Gandhi qu'on le trahit.
01:21:28Mais ça, c'est quelque chose qui est très répandu.
01:21:31Gandhi n'est pas la seule victime de ce type de mécanisme.
01:21:34En tout cas, on a le sentiment que les Indiens
01:21:37ont une relation complètement schizophrène avec Gandhi.
01:21:40Oui, parce qu'il est devenu un symbole national.
01:21:43Voilà, il est devenu un symbole national.
01:21:45Il est devenu un désommé avec ce qui se passe autour du nationalisme,
01:21:49de l'hindoutva, de l'hindouïté à la narendra maudit.
01:21:52Mais déjà, dès l'époque de Nehru,
01:21:55il y avait eu aussi une sorte de perversion,
01:21:58ou en tout cas de trahison, puisque tout en se réclamant
01:22:01de l'héritage gandhien, Nehru a nucléarisé l'Inde,
01:22:05l'a industrialisé, l'a urbanisé,
01:22:08donc l'a modernisé à marche forcée,
01:22:11ce qui était contraire au programme constructif de Gandhi.
01:22:13C'est pour dire que, oui,
01:22:16la gravité de la trahison prend des mesures extraordinaires,
01:22:20mais le monde en général, et l'Inde en particulier,
01:22:24n'ont pas encore entendu le message gandhien.
01:22:27Le véritable message gandhien, qui est à la fois spirituel,
01:22:30démocratique, et qui est si exigeant,
01:22:33puisque c'est cette idée de devenir soi-même
01:22:36le changement que l'on veut voir dans le monde.
01:22:38C'est un appel à une transformation personnelle,
01:22:40qui est d'une exigence extraordinaire,
01:22:41et qui reprend toute sa valeur dans le monde actuel,
01:22:45où l'espérance est en train de s'évanouir
01:22:48devant les excès des dictateurs des différentes contrées et continents.
01:22:54Vous avez vu qui est Nehru,
01:22:56c'était le premier Premier ministre de l'Inde indépendante,
01:23:00qui était un disciple de Gandhi, si on peut dire les choses,
01:23:03un disciple politique.
01:23:05Disciple nominal, mais dans la pratique,
01:23:07il a fait l'inverse de ce que vous recommandez.
01:23:09Il a trahi, selon vous, Gandhi.
01:23:11Tout en gardant au moins l'idéal d'une Inde multiconfessionnelle,
01:23:16et donc chez Modi, la trahison va encore beaucoup plus loin.
01:23:19Elle est beaucoup plus gravissime.
01:23:21Je ne dirais pas que Nehru a trahi Gandhi,
01:23:24je ne dirais pas ça.
01:23:26Il a ajouté une couche marxiste.
01:23:28Je ne suis pas sûre que ce soit une trahison,
01:23:31ça, vraiment, pas du tout.
01:23:33On est quand même bien loin aujourd'hui
01:23:35des préceptes revendiqués par Gandhi dans l'Inde de 2025,
01:23:39une Inde où le consumérisme bat son plein,
01:23:43où une classe moyenne est vraiment, là, aujourd'hui,
01:23:46en train de gagner en puissance.
01:23:48Tout à fait, on est très loin, parce que l'Inde,
01:23:51c'est le pays où on voit les écarts se creuser de plus en plus
01:23:55entre les riches et les pauvres.
01:23:58Le Bombay est devenu la ville où il y a le plus de milliardaires
01:24:03qui habitent en nombre dans le monde,
01:24:05mieux placée encore que San Francisco
01:24:08ou des villes de la Silicon Valley.
01:24:11On est à des kilomètres-lumière de ce qu'aurait souhaité Gandhi
01:24:14pour son pays.
01:24:16Mais à la fois, il y a un petit mouvement
01:24:19vers un retour vers les valeurs simples,
01:24:22vers une simplification de la vie,
01:24:26un retour vers les villages et l'économie des villages.
01:24:30C'est tout à fait petit, c'est balbutiant,
01:24:33c'est très marginal,
01:24:35mais ça existe parce que les gens commencent à voir
01:24:38que les villes en Inde deviennent irrespirables.
01:24:41Vous ne pouvez pas vivre...
01:24:43On continuera à aimer, à rendre hommage à Gandhi
01:24:48dans les années à venir en Inde, parce que c'est Gandhi.
01:24:52J'espère surtout qu'on en aura dans le monde entier.
01:24:55Ça ferait du bien au monde entier si on découvrait Gandhi.
01:24:59Vraiment, le dernier Gandhi, celui que j'appelle le dernier Gandhi.
01:25:03Celui qui est capable de parler à tous
01:25:06et de rétablir la concorde entre tous les êtres humains.
01:25:09Pas forcément seulement en Inde, partout ailleurs.
01:25:12En Birmanie, ça ne ferait pas de mal, par exemple.
01:25:14Aux Etats-Unis, ça ne ferait pas de mal.
01:25:16En France aussi.
01:25:18Ça sera le mot de la fin ?
01:25:20Merci beaucoup à tous les trois d'être venus parler de Gandhi aujourd'hui,
01:25:23après ce film qui lui était entièrement consacré,
01:25:26où ceux et celles qui ont regardé cette émission
01:25:28ont redécouvert, sans doute pour beaucoup,
01:25:30ou même découvert le parcours de Gandhi.
01:25:33Vos réactions, ça sera sur hashtag débadoc, bien entendu.
01:25:37Merci à Félicité Gavalda, Yasmine Benassaya,
01:25:41d'avoir contribué à cette émission, comme à l'accoutumée.
01:25:45Et moi, je vous donne rendez-vous pour un prochain débadoc.
01:25:48Ça sera, bien entendu, avec son documentaire et son débat.
01:25:51À très bientôt.
01:26:03Sous-titrage Société Radio-Canada