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Style de vieTranscription
00:00Nathalie, bonjour.
00:02Bonjour Brigitte, bonjour Samuel.
00:04Bonjour Nathalie.
00:06Merci de témoigner justement parce que
00:08visiblement, vous ne l'avez toujours pas
00:10fait le deuil de votre grand-mère,
00:12je crois. C'est ça, et
00:14rien que de l'évoquer,
00:16j'en ai les larmes qui montent aux yeux.
00:18Voilà, elle est
00:20partie.
00:22C'est pas grave Nathalie.
00:24On s'y attendait un peu, même.
00:26Donc vous avez 53 ans
00:28aujourd'hui, et elle est partie
00:30il y a une vingtaine d'années, c'est ça ?
00:32Il y a une vingtaine d'années. Elle est partie le 12 septembre.
00:34Mais je...
00:36Alors, je ne sais plus quelle année.
00:38Mon grand-père, oui, je sais.
00:40Lui, il est mort en 2011, mais elle, elle est morte avant,
00:42mais je ne sais pas quand.
00:44D'accord, mais vous vous situez une vingtaine d'années.
00:46Oui.
00:48Et pourquoi vous
00:50avez pas... Vous ne vous souvenez plus de l'année ?
00:52Ça, c'est étonnant.
00:5420 ans ? C'était il y a 20 ans, vous dites ?
00:56C'était il y a une vingtaine d'années, oui.
00:58Et vous êtes toujours aussi triste, avec
01:00des affects aussi forts,
01:02en en parlant ? Oui.
01:04Oui, mais là, on est dans le deuil compliqué.
01:06Non ?
01:08C'était une sacrée dame ?
01:10Oui, mais bon. Bien sûr, bien sûr.
01:12Et quelle est
01:14la relation que vous avez avec votre mère ?
01:18C'était sa fille, et c'est
01:20très compliqué.
01:22Ma mère est
01:24quelqu'un de très dirigiste, très autoritaire.
01:26Il faut faire comme elle a décidé.
01:28Et moi, je l'ai réussi
01:30très fortivement, il y a
01:32six mois, à couper les ponts.
01:34Pas forcément
01:36couper les ponts, mais mettre les distances avec
01:38ma mère, parce que
01:40la façon dont je m'habillais, ça n'allait pas.
01:42La façon dont je me coiffais, ça n'allait pas. Ouais, ça n'allait.
01:44Et peut-être
01:46que de
01:48rompre avec votre mère, ça va vous aider
01:50à faire le deuil de cette grand-mère.
01:52Parce que, quelque part,
01:54cette grand-mère,
01:56c'était la bonne mère.
01:58Oui.
02:00Qui, visiblement, n'est pas la vôtre.
02:02On est bien d'accord.
02:04Donc peut-être que cette grand-mère,
02:06elle avait besoin d'être encore très présente
02:08pour que vous puissiez supporter
02:10votre mauvaise mère.
02:12Ouais, j'ai quand même fait comme ça.
02:14En tout cas, là,
02:16vous voyez bien qu'il y a eu un investissement maternel
02:18de cette grand-mère. Ça, vous le percevez ?
02:20Non, mais...
02:22C'était une maman pour vous.
02:24Non, c'est plus que ça. C'est mes rails.
02:26Quand elle est partie, après, j'ai fait n'importe quoi.
02:28C'était ma confidente.
02:30Je vais vous donner un conseil
02:32tout de suite, vraiment, que j'hésiterai pas
02:34à donner si vous étiez...
02:36Ne dites pas partie. Morte.
02:38Parce que partie, vous voyez, ça renvoie
02:40à l'idée qu'elle pourra revenir.
02:42Ça vous aide pas.
02:44Elle est morte.
02:46Là, je vous fais un... Voilà. Partie,
02:48c'est un lexique qui emprisonne.
02:50Ne vous emprisonnez pas.
02:52Vous arrivez à le dire ?
02:54Elle est décédée. Elle est morte.
02:56Mais partie, on est piégé de ce vocabulaire.
02:58Croyez-moi, moi qui fais beaucoup d'accompagnement,
03:00fin de vie, on est piégé de ce terme.
03:02Est-ce que vous arrivez à dire
03:04qu'elle est décédée, qu'elle est morte ou pas ?
03:06Alors, je vais citer avec vous, du coup.
03:08Ma grand-mère est morte.
03:10Voilà. Très bien.
03:12Merci, Nathalie.
03:14C'est la première fois la plus dure.
03:16Je crois qu'il y a quelque chose à comprendre
03:18de ce qui est en train de se passer
03:20chez vous, Nathalie.
03:22Comme par hasard, vous appelez.
03:24Moi, je crois pas au hasard.
03:26C'est un mot qu'a inventé Dieu pour pas qu'on le reconnaisse.
03:30Je crois que vous avez appelé
03:32et qu'en même temps,
03:34vous avez rompu un peu avec votre mère
03:36et vous allez pouvoir
03:38laisser votre grand-mère partir
03:40parce qu'elle restera en vous.
03:42Elle n'est pas morte.
03:44C'est ça. C'est exactement ça.
03:46C'est tout à fait ce que dit Brigitte.
03:48Le corps part, mais la personne
03:50reste absolument.
03:52C'est pour ça que j'insiste
03:54sur ce terme de décès et de mort.
03:56J'ai des photos d'elle
03:58partout dans mon appartement.
04:00On va peut-être les mettre un petit peu dans un bel album.
04:02Deuxième étape. Bravo, Brigitte.
04:04C'est une photo de ma grand-mère
04:06quand elle avait 6 ans.
04:08Elle est belle.
04:10Je doute pas qu'elle soit belle.
04:12C'est pas un problème.
04:14Il va falloir mettre tout ça
04:16dans un très bel album
04:18que de temps en temps, vous aurez le droit de regarder.
04:20Mais il ne faut pas que le fantôme de votre grand-mère
04:22soit dans votre appartement ou dans votre maison.
04:24Elle sera en vous
04:26et vous allez devenir
04:28la femme que vous avez envie
04:30de devenir en vous reposant
04:32sur votre grand-mère
04:34et malheureusement aussi sur votre mère
04:36parce que vous vous êtes certainement
04:38construite en opposition à votre mère.
04:40Tout ça va vous permettre
04:42de devenir adulte
04:44et vous allez grandir
04:46et vous allez voir dans quelques semaines
04:48quelques mois, vous pourrez
04:50parler de votre grand-mère
04:52sans avoir les larmes qui viennent
04:54vous envahir.
04:56Là, je pense qu'on vous a donné deux conseils très objectifs, très faisables.
04:58Voyez faire. Deux choses
05:00à faire.
05:02Et troisième étape, si effectivement
05:04ça dure, si effectivement vous avez des sanglots,
05:06des trémolos, comme ça, il faut
05:08pas l'insulter, vraiment.
05:10Et c'est bien, ça ouvrira toute une aventure vers vous.
05:12Ça ouvrira une belle aventure.
05:16Oui, j'entends tout ce que vous me dites.
05:18Et ma grand-mère, elle me disait
05:20que le vert et le bleu marine
05:22c'était deux couleurs qui m'allaient bien.
05:24Donc, je m'achète depuis
05:26peu du vert et du bleu marine
05:28parce que ma grand-mère, avant de partir, m'avait dit
05:30que j'étais jolie avec.
05:32Après, il y a une chanson
05:34de David Hallyday
05:36que j'aime absolument plus entendre,
05:38c'est « Tu ne m'as pas laissé autant ».
05:40Ah oui, cette chanson.
05:42Sur le deuil, bien sûr.
05:44Donc, en fait, quand elle
05:46était hospitalisée, je lui avais écrit un courrier
05:48pour lui dire tout l'amour que j'avais
05:50pour elle, tout ce qu'elle
05:52représentait pour moi.
05:54Et en fait, elle est décédée
05:56sans l'avoir lue.
05:58Et le jour où la lettre est arrivée
06:00dans le service.
06:02Bien sûr. Mais peut-être
06:04qu'elle le savait, tout ce que
06:06vous aviez écrit. Donc, elle n'avait pas besoin de le lire.
06:08Oui.
06:10Absolument.
06:12Brigitte l'a dit un peu plus tôt dans l'émission.
06:14De toute façon,
06:16et j'insiste vraiment, de toute façon,
06:18il y a des regrets quand quelqu'un meurt. On peut avoir la relation
06:20la plus équilibrée, la plus harmonieuse, la plus dite
06:22à l'autre. De toute façon,
06:24le regret est là. On n'a jamais
06:26assez le temps de dire et d'aimer.
06:28De toute façon, ça,
06:30et du moment où on accepte qu'il y a
06:32un manque, même dans le langage,
06:34que nos mots ne recouvriront jamais
06:36l'exacte substance de tout ce qu'on souhaite dire,
06:38alors, on est libre.