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00:00Bienvenue dans les récits extraordinaires de Pierre Bellemare, un podcast issu des archives d'Europe 1.
00:10Je vous invite à entrer chers amis dans la salle des assises des Pyrénées-Orientales
00:15à Perpignan le 21 juillet 1938. Essayez de vous feuiller un chemin dans les couloirs déjà
00:23envahis par la foule et ensuite si nous ne trouvons pas une place sur un banc dans la
00:26salle bondée, eh bien tant pis, nous resterons debout. Mettez un chemisier léger car il fait
00:32très chaud. Ce 21 juillet 1938, Perpignan détient pour la France le record de la chaleur. Regardez,
00:39voici le jury, puis la cour. La séance va s'ouvrir. Le président, M. Lecambière,
00:46d'un geste large et d'une voix autoritaire, nous invite au calme, à la réserve et à la
00:50discrétion. On le comprend et l'on comprend aussi pourquoi le front et les mains des magistrats sont
00:56moites. La température y est sûrement pour quelque chose mais surtout, surtout, ils vont
01:00avoir à juger devant nous quelqu'un qu'ils connaissent très bien, un membre de la profession.
01:05Oui, chers amis, aujourd'hui, 21 juillet 1938, on juge Mme Suzanne Delaris, avocat au barreau de
01:13Perpignan et elle les connaît tous, défenseur, accusateur, magistrat et jusqu'au greffier.
01:18Mme Delaris vient répondre de son crime devant ses anciens amis. L'heure est difficile pour les
01:25gens de justice et je me trompe fort, ou bien le verdict de cette cour ne va pas manquer au moins
01:30de vous surprendre.
01:31Oh, c'est affreux, M. le commissaire. Ce malheureux M. Fernand, il s'est suicidé.
01:54Qui aurait pu penser un homme si bien, si correct, si vivant.
01:58Le commissaire Roca, du premier arrondissement de Perpignan, esquisse une moue dubitative,
02:03suicidée. C'est à voir. Mais il préfère ne pas donner son opinion tout de suite à la vieille
02:11Mme Pousse, la logeuse. S'il lui annonce que son locataire a bel et bien été assassinée,
02:15elle va encore s'effondrer et il ne pourra pas en tirer grand-chose. Calmez-vous, Mme, calmez-vous.
02:21Oh, comment voulez-vous, M. le commissaire. J'ai soixante-quatorze ans, je vais sur mes
02:26soixante-quinze. Je n'ai jamais vu une chose aussi horrible que ça.
02:29En disant ça, la septuagénaire désigne d'une main qui tremble la porte de la chambre du premier,
02:35une porte derrière laquelle il y a effectivement un spectacle pas joli, joli à voir.
02:40Et comment se fait-il que vous l'ayez trouvé ? C'était votre habitude d'aller le réveiller ?
02:46Oh, pour ça, non. Non, M. Fernand faisait ce qu'il voulait depuis qu'il était tout seul.
02:49Mais c'est ce monsieur qui est là. Il est venu sonner ce matin pour chercher, M. Fernand.
02:54Ah bon ? Approchez, monsieur. Pour quelle raison veniez-vous chercher, M. de Larisse ?
03:00Eh bien, M. le commissaire, je suis huissier.
03:03Comment ça, huissier ? Vous veniez pour une saisie ?
03:06Non, non, c'est-à-dire je suis portier, quoi. Je fais le groom à la compagnie algérienne,
03:12la banque où travaille, enfin, où travaillait M. Fernand de Larisse.
03:18Et vous venez le chercher tous les jours, comme ça ?
03:22Non, non, non. Non, je ne suis jamais venu. Non, mais ce matin, vers dix heures,
03:26dix heures et demie, le directeur, M. Roque, a commencé à chercher M. Fernand de Larisse
03:31dans tous les bureaux. Il était étonné parce que M. de Larisse n'est jamais en retard à un rendez-vous.
03:34Et c'était bien marqué sur son carnet. Pour aujourd'hui, 22 mars, il devait se voir,
03:38je crois, au début de la matinée. Alors le directeur n'était pas content. Il m'a dit comme ça,
03:42« Allez donc chercher M. de Larisse chez lui, vu qu'il a vu Paul Doubert. » Alors je suis venu.
03:46Alors j'ai sonné. Alors la propriétaire m'a ouvert. Alors elle m'a dit qu'elle ne l'avait pas encore vu ce matin
03:51et que les volets étaient fermés. « Et alors ? » fait le commissaire avec un demi-sourire.
03:55« Ben alors ? » poursuit le portier sans y voir Malice. Alors elle est redescendue en hurlant,
03:59« Au secours, au secours, au secours ! » « J'aurais bien voulu vous y voir, vous ! »
04:03s'indigne la vieille dame qui n'a pas perdu un mot du récit. « J'aurais bien voulu vous voir ! »
04:07« Si vous n'auriez pas crié en voyant cela ! » « C'est que j'ai 74 ans, monsieur ! »
04:11« Je suis sur mes 75 ! » « Oui, nous savons, madame, nous savons. Racontez-moi, pour vous, comment ça s'est passé ? »
04:17Madame Pouce essuie dans son tablier les verres à double foyer légèrement embués de ses lunettes.
04:23« Moi, je ne voulais pas le déranger, monsieur Fernand, mais comme ce monsieur avait l'air de dire que c'était pressé,
04:28alors je suis monté. Puis d'abord, sur le palier, j'ai vu que la porte de l'appartement n'était pas fermée.
04:36« Vous voulez dire qu'elle était grande ouverte ? Non, non, pas en grand, ouverte de ça à peu près. »
04:41Et madame Pouce écarte ses mains ridées d'une vingtaine de centimètres.
04:44« Alors donc, je me suis dit qu'il ne doit plus dormir. Il dormait quand même.
04:49Enfin, j'ai pensé qu'il dormait quand même, puisqu'il n'a pas répondu quand j'ai frappé.
04:55Alors j'ai poussé la porte. Il faisait noir à l'intérieur. Je suis rentré dans la chambre.
05:03J'ai bien cru qu'il était dans son lit parce que je voyais son pyjama à rayures.
05:07« Vous comprenez, j'avais laissé mes lunettes en bas, alors j'ai allumé. Et alors, là… »
05:18Et la vieille dame éclate en sanglots.
05:20« Oui, oui, je comprends, madame. »
05:23Le commissaire Roca met la main sur l'épaule osseuse secouée par les pleurs et il la presse de manière rassurante.
05:29« Oui, oui, je comprends. C'est là que vous êtes redescendue en appelant au secours.
05:36Une autre précision, M. Luissier. M. de Larisse occupait une place importante à la compagnie algérienne de banque.
05:43« Je comprends, M. le commissaire. Il était sous-directeur et fondé de pouvoir.
05:47Est-ce que vous pensez que c'est pour ça que… ?
05:49« Non, je ne sais pas. C'est ce que l'enquête va devoir découvrir.
05:53« Je vous remercie, madame.
05:55« Monsieur, je vous demanderai de venir répéter vos dépositions au commissariat cet après-midi. »
06:01Des portières de voitures ont claqué devant la grille.
06:04Voici le procureur de la République, son substitut, le juge d'instruction et son greffier et, à quelques mètres, le médecin légiste.
06:11Le commissaire Roca leur serre la main, les précède vers la chambre, on ouvre les volets
06:16et, malgré l'habitude que leur donne leur métier, tous ces hommes ont une hésitation avant de s'approcher du lit.
06:22Le cadavre de Fernand de Larisse est dans la position détendue d'un homme qui dort.
06:28Mais, quand on regarde la tête, c'est autre chose.
06:35L'œil droit est fermé, mais, à la place de l'œil gauche, il n'y a plus rien qu'un trou profond, déchiqueté.
06:45D'autre part, la tempe gauche est également éclatée.
06:48Et cet éclat n'est pas la sortie d'une balle, mais l'entrée d'un projectile.
06:52Les traces de brûlure et de poudre autour de la blessure sont très nettes.
06:56Le médecin légiste regarde le commissaire et les magistrats.
07:00Il n'y a pas besoin de leur faire un cours, ils ont compris.
07:03Fernand de Larisse ne s'est pas suicidé.
07:06Il a été abattu à bout portant par deux coups de feu.
07:10Pendant son sommeil, son attitude détendue ne permet aucun doute là-dessus.
07:16Le commissaire recasse en son mouchoir de sa poche et se penche vers le tapis.
07:20Il ramasse avec précaution deux douilles de cuivre.
07:24« 7.65 », fait-il au premier coup d'œil.
07:26« Arme ? »
07:27« Automatique ? »
07:29« Peu de chance pour qu'elles nous apprennent grand-chose. »
07:31« Enfin, on ne sait jamais. »
07:34« Je peux ? » interroge le greffier dont le teint vire au verre-pomme.
07:38Il tient un coin du drap et fait mine de le ramener sur le pitoyable amas de chair qui est devenu ce visage.
07:44« Oui, oui, allez-y. Mais ne touchez rien d'autre, s'il vous plaît. »
07:49Le commissaire et les autres enquêteurs se détournent du lit et commencent à visiter l'appartement à pas compter.
07:54Apparemment, la chambre n'a pas été fouillée, tout est en ordre, rien ne semble manquer.
07:58L'hypothèse du voleur-assassin est à écarter d'emblée.
08:01« Commissaire ! »
08:02« Commissaire, venez voir par ici. »
08:04« C'est la voix du substitut, M. Noël. »
08:06Le commissaire traverse un petit cabinet de toilettes et passe dans une autre pièce,
08:10un salon très certainement avec quelques meubles, une petite table, des chaises et un canapé.
08:14« Par ici ! »
08:15Le substitut est à quatre pattes derrière le canapé.
08:18« Regardez, il a été vendré. »
08:20Eh oui, tout le tissu du dos du canapé a été ouvert d'un bout à l'autre avec des ciseaux
08:26et cela fait effectivement une cachette où un être humain peut se dissimuler sans risque d'être découvert.
08:32Seul indice, un morceau de laine est accroché à un ressort comme arraché à un vêtement.
08:38Et ce n'est pas tout, l'assassin devait être coléreux.
08:42Le commissaire désigne des petits morceaux de papier éparpillés par terre.
08:44C'est une photo, une photo qui a été déchirée rageusement.
08:48Le greffier s'agenouille et en rapproche délicatement deux ou trois.
08:53« Mais c'est lui ! »
08:55« Pas de doute, c'est bien lui ! »
08:57On reconnaît effectivement sur ce portrait déchiré la victime, Fernand de Larisse.
09:02La photo a été arrachée à son cadre et dans un cadre voisin, une autre est restée intacte.
09:09Une femme, fort belle, qui sourit doucement.
09:15« Cherchez la femme ! » dit un proverbe connu de tous les policiers.
09:18« Celle-là, la mettra-t-elle sur la piste ? »
09:23« La solution n'est pas évidente », murmure le commissaire Roca dans la voiture qui traverse les faubourgs de Perpignan.
09:28Bon, premièrement, de Larisse a été assassinée en plein sommeil par deux coups de pistolet dans la tête tirés à bout portant.
09:35Deuxièmement, selon toute probabilité, l'assassin s'est dissimulé dans le canapé déchiré.
09:41Ensuite, on peut penser que la victime et le meurtrier se connaissaient puisque celui-ci a pu pénétrer dans la maison sans forcer la porte, donc avec une clé.
09:49Enfin, l'assassin devait en vouloir violemment à de Larisse puisque, alors qu'il a accompli son forfait avec une certaine méthode, il n'a pas pu résister à l'impulsion de détruire la photo.
10:00Pour l'instant, cela ne nous mène pas très loin, stime le commissaire.
10:05D'autre part, que savons-nous de la vie privée de la victime ?
10:08Beaucoup de choses. On peut même dire que nous savons presque tout.
10:12Il est bien utile de savoir écouter les vieilles logeuses.
10:15En quelques minutes, celle-là nous a fait un portrait détaillé de son locataire.
10:19Fernand de Larisse a été mariée une première fois.
10:22Il a divorcé pour épouser sa maîtresse Suzanne.
10:25Celle-ci aussi avait été mariée.
10:27Elle s'était séparée de son premier mari à peine un mois après son mariage.
10:32Devenue madame Suzanne de Larisse, elle n'a supporté la vie conjugale que pendant un trimestre.
10:37À partir de ce jour-là, les choses se sont gâtées et elle a quitté son mari Fernand alors qu'elle était enceinte.
10:42C'est certainement une nature, pense le commissaire Roca.
10:45Mais de là à supposer qu'elle s'est introduite chez son époux et qu'elle l'a tuée, il y a une marge.
10:50D'autant plus que la mystérieuse femme dont on a retrouvé le portrait intact chez le défunt,
10:55eh bien cette femme n'était pas la première épouse de Fernand de Larisse.
10:59Et le portrait ne représente pas non plus Suzanne de Larisse.
11:02C'est donc vraisemblablement une maîtresse.
11:05Or que fait une femme jalouse ?
11:07Déchire-t-elle rageusement le portrait de son mari sans toucher à celui de la maîtresse ?
11:11Je serais curieux.
11:13Enfin, le mieux c'est d'aller demander les précisions à cette fameuse madame Suzanne de Larisse.
11:20Le commissaire Interon s'est pensé car justement la voiture s'arrête dans le village d'Elne,
11:25devant la villa El Plagnol où habite Suzanne de Larisse.
11:3034 ans, belle, intelligente, mondaine, sportive accomplie.
11:34Voici maître de Larisse, la femme du mort.
11:37Elle est en effet avocat.
11:41Les récits extraordinaires de Pierre Belmar, un podcast européen.
11:51Un choc d'abord lorsqu'on lui apprend l'assassinat de son mari.
11:53Une émotion qui se marque nettement sur son visage.
11:56Et puis...
11:58Messieurs, je suis à l'entière disposition du parquet.
12:03Un temps ensuite.
12:05Mais ceux qui voudraient faire retomber les soupçons sur ma personne
12:10en seront pour leur courte honte.
12:12Je n'ai pas bougé d'ici depuis deux jours.
12:15C'est la présence d'esprit et les termes tranchants d'une personne habituée aux interrogatoires.
12:21Mais sur le plan humain, cette hâte à se disculper étonne quelque peu.
12:26C'est suffisant pour que la conversation se poursuive dans le cabinet du juge d'instruction,
12:31un homme que Suzanne de Larisse connaît bien.
12:34L'entretien va se dérouler pendant onze heures
12:37et les enquêteurs vont obtenir une première confession.
12:41Oui, en effet, messieurs, je reconnais être allé à Perpignan hier soir.
12:47J'avais l'intention de surveiller à distance mon mari
12:50pour savoir si j'avais une chance de le faire prendre un jour en flagrant délit d'adultère.
12:55À 21 heures, je me suis caché en face de son domicile
12:58derrière une pile d'énormes tuyaux en ciment déposés dans le terrain vague.
13:02À 22 heures, Fernand est entré,
13:05rejoint quelques instants plus tard par une femme que je n'ai pas pu reconnaître.
13:09J'ai repris ma voiture et je suis rentré.
13:15L'interrogatoire reprend après une courte nuit de sommeil.
13:18Nouvel élément, Suzanne de Larisse était appelée à comparaître bientôt en correctionnel
13:23sur plainte de son mari pour non-présentation d'enfant.
13:26Elle avait en effet accouché d'une petite fille peu de temps après la séparation
13:29et s'était arrangée pour ne jamais montrer l'enfant au père
13:33en prétextant la brutalité occasionnelle de cet homme
13:36pourtant réputé pour sa douceur et sa gentillesse.
13:39On interroge parallèlement la mère de Suzanne, madame Garrigue,
13:42et un dénommé Padridge, officier de réserve, cousin de l'avocate.
13:47Suzanne de Larisse passe la journée entière
13:50assise sur une inconfortable chaise dans le bureau du commissaire.
13:53Elle résiste et déjoue toutes les ruses de l'interrogatoire.
13:57Vers 21 heures, alors que les policiers avalent rapidement
14:01une omelette et un verre de vin sur le coin de la table,
14:04Suzanne de Larisse s'assoupit.
14:06On la réveille aussitôt et les questions reprennent.
14:09Minuit passe.
14:11La suspecte est brisée de fatigue.
14:13Soudain, elle glisse doucement en bas de son siège, évanouie.
14:19Les policiers ont-ils raison ?
14:21Ont-ils seulement le droit humainement d'utiliser ce genre d'arme
14:24contre une personne qui, selon la loi française, est présumée innocente
14:28jusqu'à ce que l'on ait prouvé formellement sa culpabilité ?
14:32Toujours est-il que c'est une méthode qui a fait ses preuves.
14:36Et là encore.
14:38Pitié.
14:40Pitié pour mon enfant.
14:43Suzanne de Larisse revient à elle et elle pleure.
14:47Pitié.
14:49Pitié pour mon enfant, pour ma mère.
14:52Pitié pour moi qui ai tué mon mari.
14:56C'est l'aveu.
14:58Enfin.
15:00C'est aussi le moment où le greffier arrive en bas de la dernière plage blanche qui lui reste,
15:04tellement les questions ont été nombreuses.
15:06Il descend au courant, réquisitionne une papeterie
15:08d'où il ressort toujours au pas de gymnastique
15:10avec deux rames format réglementaire sous le bras.
15:13Avant-hier, 21 mars à 20h30,
15:17je me suis introduite dans l'appartement de mon mari.
15:20J'ai éventré le divan pour m'y cacher.
15:23Mais j'en en sais.
15:25Je me suis rendue accroupie derrière.
15:27J'avais sur moi le pistolet automatique acheté l'année dernière à mon cousin Patridge
15:31au moment des troubles communistes.
15:33Fernand est rentré à 22h30.
15:36S'est couché.
15:38A feuilleté un livre.
15:40Vers minuit, il a éteint.
15:43Je me suis approchée de lui en silence.
15:46Je l'ai tué.
15:49Voici la deuxième version des faits donnée par Suzanne de Larisse,
15:52une version contenant un aveu, mais...
15:54Qu'est devenue la femme mystérieuse du premier récit ?
15:57Précisément, les policiers ont identifié celle dont le portrait à tact
16:01a été retrouvé dans la maison du mort.
16:03Il s'agit d'une femme mariée, Mme G.
16:06Et que faisait Mme G. la nuit de l'assassinat ?
16:09Ce soir-là, Fernand de Larisse s'est établi maintenant.
16:13Fernand de Larisse était au cercle perpignané Lopardal.
16:16Il l'a quitté, plutôt que d'habitude, vers 22h,
16:18à la suite d'un coup de téléphone qu'il appelait dehors.
16:20Sa maîtresse, Mme G., désirait le rejoindre chez lui.
16:24— Allons, Mme de Larisse.
16:27Vous ne nous avez pas dit toute la vérité.
16:30Implacable, le commissaire Roquin interroge à nouveau
16:32l'avocate dès le lever du jour.
16:34Avant votre aveu dans la première version des faits,
16:36vous avez mentionné l'arrivée, peu de temps après votre mari,
16:39d'une femme que vous n'avez pas reconnue.
16:41Nous avons toutes les raisons de croire que cette femme
16:43a effectivement visité M. de Larisse vers 22h30.
16:47Et je vais vous dire ce que je pense.
16:49Ce n'est pas de l'extérieur de la maison que vous avez observé son arrivée,
16:53mais bel et bien tapis à l'intérieur,
16:55dissimulé avec votre pistolet à quelques mètres à peine
16:58dans la pièce voisine de la chambre accouchée
17:00où votre mari recevait cette femme.
17:02Allons, Mme de Larisse.
17:05— Non, commissaire, je vous assure que je vous ai dit l'exacte vérité.
17:08— Ne mentez pas, madame.
17:10À quoi sert de masquer la vérité ?
17:12Nous la saurons de toute manière dès que Mme G. aura été entendue.
17:15D'ailleurs, reconnaissez-vous cette veste de lénage ?
17:18— Oui, elle m'appartient.
17:20— Eh bien, je peux vous dire que c'est celle que vous portiez
17:23lorsque vous avez commis votre crime.
17:25Nous l'avons retrouvée chez vous,
17:27et le tissu correspond exactement à un brin de laine
17:29qui a été resté accroché au ressort du canapé,
17:32à l'intérieur du canapé déchiré, Mme de Larisse.
17:37Cette fois, c'est la version définitive que les policiers vont entendre.
17:42— Oui.
17:45Vers 20h30, j'ai pénétré dans le pavillon
17:48habité par mon mari, 8 avenue Paul Doumer.
17:50J'en avais conservé la clé. La logeuse ne m'a pas entendue.
17:54Dans le salon, avec une paire de ciseaux,
17:57j'ai éventré l'arrière du canapé,
17:59et je m'y suis allongé en tenant à la main
18:02le pistolet automatique de mon cousin, Padridge.
18:05À 22h30, mon mari est entré,
18:08et quelques minutes plus tard, c'est cette femme qui l'a rejoint.
18:13Alors je les ai entendus, M. le commissaire.
18:15Oui, je les ai entendus.
18:18Jusqu'à minuit passé.
18:20La femme s'est rhabillée, elle est sortie.
18:23Mon mari est alors venu dans le cabinet de toilette,
18:26juste de l'autre côté de cette porte.
18:28Il a fait longuement ses ablutions,
18:32et puis s'est remis au lit.
18:35Lorsque j'ai été sûr qu'il était endormi,
18:38je suis sorti du canapé,
18:42et je suis allé le regarder dans sa chambre.
18:46Il dormait, profondément,
18:49complètement avachi par les caresses de cette femme.
18:53Je n'ai pas pu le supporter.
18:56J'ai fait sauter d'un coup de pouce le cran de sûreté du pistolet,
19:00je l'ai appuyé contre sa tempe,
19:03et j'ai tiré, j'ai tiré deux fois.
19:06J'ai eu l'impression de deux coups de canon.
19:09Pourtant la logeuse n'a rien entendu,
19:12je suis redescendu doucement, j'ai repris ma voiture,
19:15et puis je suis revenu chez moi pour...
19:18pour allaiter mon bébé.
19:21Mais avant de partir, madame de Larisse,
19:24vous avez encore déchiré la photo de votre victime.
19:28Pourquoi pas celle de sa maîtresse ?
19:32Je n'en voulais qu'à lui, monsieur le commissaire.
19:36Voilà.
19:38Voilà, chers amis, le récit de cette enquête brève et significative.
19:41Et vous pensez sûrement que ce crime et son déroulement
19:44seront le centre des débats qui commencent.
19:46Alors que, je vous le rappelle, nous sommes debout,
19:49au milieu de la foule, devant la cour des assises des Pyrénées-Orientales,
19:52dans la chaleur presque insupportable de ce 21 juillet 1938.
19:55Eh bien, vous vous trompez.
19:57Ces hommes, ces magistrats, ces avocats,
19:59qui ont à déterminer la culpabilité de l'une des leurs,
20:02et à condamner à sa juste peine l'avocate meurtrière,
20:05nous avons trouvé un autre sujet de préoccupation.
20:08L'enquête et les aveux seront racontés, bien sûr, mais brièvement.
20:11Et de quoi va-t-on parler ? Sur quoi va-t-on plaider ?
20:14On va parler intérêt.
20:16On va plaider contre la victime, contre le mort,
20:18qui repose maintenant, depuis quelques mois à peine,
20:20au cimetière de Collioure.
20:22Madame Garrigues, la mère de Suzanne de Larisse,
20:24avait mis au compte du ménage une somme de 600 000 francs.
20:27Du fait de la communauté, cette somme appartenait de moitié
20:30à monsieur Fernand de Larisse.
20:32Il venait d'intenter de gagner un procès contre sa femme
20:34pour disposer, à sa guise, de cet argent.
20:36C'est faux !
20:38C'est madame de Larisse qui bloquait tout,
20:40avec son naturel procédurier.
20:42Monsieur de Larisse, dès la décision de justice rendue,
20:44a déposé cet argent chez un notaire au nom de son enfant,
20:47un enfant que sa mère ne lui avait jamais montré.
20:50Oui, chers amis, c'est là-dessus,
20:52sur ces sordides questions d'intérêt,
20:54que vont porter les débats.
20:56Et on va oublier ce témoin à qui Suzanne de Larisse avait demandé
20:59« Vous connaissez un gitan qui, moyennant 20 000 francs,
21:02vous chargerait de descendre mon mari ? »
21:04On va oublier cette lettre que Suzanne de Larisse écrivait
21:06à un avoué quelques heures après son crime,
21:08pour lui demander de prévenir son mari
21:10qu'elle lui présenterait l'enfant le dimanche suivant.
21:12N'est-ce pas là une tentative pour détourner les soupçons ?
21:15Mais on va l'oublier.
21:17Comme on oubliera aussi le pistolet chargé de 8 balles
21:19qu'elle avait emporté.
21:21Comme on oubliera les sandales légères qu'elle avait chaussées
21:23pour ne pas risquer de réveiller sa victime.
21:25Comme on oubliera les longues heures d'attente immobiles
21:27à l'intérieur du canapé des girets.
21:29Oui, tout cela a été évoqué pendant ce procès,
21:31mais les jurés, les juges, les avocats
21:33ne s'en souviennent plus, semble-t-il,
21:35puisque Suzanne de Larisse est reconnue coupable
21:37d'assassinat sans préméditation,
21:39avec circonstances atténuantes.
21:41Cinq années de réclusion,
21:43sans interdiction de séjour,
21:45voilà la peine prononcée.
21:47Le procureur de la République
21:49demande à la Cour de déchoir la condamnée
21:51de ses droits maternels
21:53et de lui retirer cet enfant de 13 mois.
21:55Le président déclare que la Cour n'est pas compétente
21:57et se retire.
21:59La petite Françoise
22:01sera élevée en prison.
22:03Comme mot de la fin, je vous propose
22:05celui d'un journaliste de l'époque.
22:07Cinq ans, ce n'est pas cher
22:09en matière de châtiment.
22:11C'est une sorte de monoprie.
22:30Vous venez d'écouter
22:32Les récits extraordinaires
22:34de Pierre Bellemare.
22:36Un podcast issu des archives d'Europe 1.
22:38Réalisation et composition musicale
22:40Julien Tarot.
22:42Production Estelle Laffont.
22:44Patrimoine sonore
22:46Sylvaine Denis,
22:48Laetitia Casanova,
22:50Antoine Reclus.
22:52Remerciements à Roselyne Bellemare.
22:54Les récits extraordinaires sont disponibles
22:56sur le site et l'appli Europe 1.
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