• hier
Thibault Lambert explique comment Grindr change le rapport à la sexualité.

À travers son expérience, l'auteur met en avant les limites de l’application géolocalisée à destination des hommes queers, telles que l’exclusion des personnes séropositives et la grossophobie. Il dénonce un climat violent qui touche une population à la santé mentale fragilisée.

Son livre "Ce que Grindr a fait de nous" vient de paraître aux éditions JC Lattès.

Catégorie

📚
Éducation
Transcription
00:00Sur Grindr, il faut plutôt être mince, en fait, si on veut faire des rencontres.
00:03Est-ce que t'es clean ? Autrement dit, est-ce que tu as le VIH ou pas ?
00:07Grindr a complètement changé notre rapport à la sexualité.
00:11J'ai mené l'enquête.
00:14Grindr, c'est une application de rencontres géolocalisées
00:17à destination des hommes gays, bi ou plus largement queer.
00:22Moi, Grindr, en fait, c'est un peu toute l'histoire de ma vie sentimentale et sexuelle.
00:29Je l'ai installé pour la première fois quand j'avais 17 ans.
00:31Il y a eu un effet libérateur de me dire, en fait, je ne suis pas seul.
00:36Et c'est un peu le petit miracle que produit Grindr,
00:40surtout dans les premières utilisations, c'est de révéler l'homosexualité,
00:44quel que soit l'endroit où on se trouve.
00:46Le problème de l'application, c'est qu'il y a une forme d'usure qui se met en place.
00:50En fait, moi, dans mon livre, je raconte qu'avant d'écrire, j'avais un peu ce constat-là,
00:53qu'il y avait un peu deux clans sur Grindr.
00:55Il y avait les gagnants d'un côté et les perdants de l'autre.
00:58Finalement, il y a toute une catégorie d'utilisateurs
01:01qui sont plus des sélectionneurs que des sélectionnés.
01:05Et en fait, souvent, ces utilisateurs-là, ils ont des caractéristiques qui sont communes,
01:09c'est-à-dire qu'ils sont dans la norme de la désirabilité,
01:14de ce qu'on attend des hommes désirables gays.
01:17C'est-à-dire que souvent, ils cumulent des critères qui sont le fait d'être blanc,
01:22ils sont souvent aisés, ils sont minces aussi et ils sont ostensiblement sportifs.
01:27Ces gens-là, en fait, peuvent un peu imposer leurs critères
01:32et sanctionner ou en tout cas couper court à la discussion
01:37avec ceux qui les approchent et qui répondent pas précisément à leurs critères.
01:41Les losers, c'est finalement ceux qui sont obligés,
01:44avec plus ou moins de marge, de négocier finalement dans la rencontre
01:48ou alors d'endosser un rôle qu'ils voudraient pas forcément endosser au départ.
01:54Il y a un truc dont on se rend compte très vite quand on va sur Grindr,
01:56il faut plutôt être mince, en fait, si on veut faire des rencontres.
01:59Pendant beaucoup d'années, ça s'est vu sur les profils
02:01avec beaucoup de mecs qui disaient « pas de gros ».
02:05Alors aujourd'hui, ça a un peu changé,
02:07ils tournent cette demande de manière positive en disant
02:10« je cherche des hommes sportifs uniquement ».
02:12Il y a vraiment un culte du corps mince et musclé
02:15qui est très présent dans l'homosexualité masculine.
02:20Tout ça, ça remonte à une époque où les hommes, dans les années 70,
02:25surtout d'abord aux États-Unis, en fait, se sont mis à prendre du muscle.
02:29Il y a eu l'épidémie de VIH-SIDA et finalement le fait d'être mince et musclé,
02:34ça permettait de montrer qu'on est en bonne santé.
02:37Et aujourd'hui, les hommes gays, la communauté gay,
02:40a un énorme problème avec le poids et avec le corps gras.
02:45Il y a un article, des travaux scientifiques qui ont été faits
02:48qui montraient que les hommes gays étaient beaucoup plus insatisfaits de leur corps
02:53que les hommes hétéros.
02:54Il faut savoir que, dès le départ, Grindr proposait à ses utilisateurs
02:59d'afficher leur statut sérologique,
03:01c'est-à-dire s'ils étaient séropositifs pour le VIH ou séronégatifs.
03:06Le problème, c'est que, en fait, cet affichage qui est presque permanent,
03:12il crée une forme de discrimination envers les personnes séropositives pour le VIH.
03:18Il y a un peu une question qui s'est cristallisée pendant de longues années sur Grindr,
03:24où beaucoup d'utilisateurs se demandaient, est-ce que tu es clean ?
03:27Autrement dit, est-ce que tu as le VIH ou pas ?
03:30Finalement, ça faisait des personnes séropositives pour le VIH,
03:34des personnes pas clean, donc sales,
03:37alors qu'on le rappelle, une personne séropositive a des traitements
03:41qui rendent le VIH indétectable et intransmissible.
03:46Et pourtant, aujourd'hui, les personnes vivant avec le VIH
03:51n'osent pas du tout afficher leur statut sérologique,
03:55puisque sinon, elles sont sanctionnées et personne ne les aborde
04:00et personne ne veut faire de rencontres.
04:02Donc il y a une vraie discrimination à leur égard sur Grindr.
04:05Ce climat, ces violences, ce diktat de la recherche et des critères
04:09survient dans une population qui est deux à sept fois plus exposée,
04:13selon les études, au risque de commettre des tentatives de suicide.
04:17Donc finalement, quand on finit avec le temps par ne plus faire de rencontres,
04:23quand on devient lassé de Grindr, quand on y passe du temps
04:25et qu'on a l'impression qu'on ne correspond aux recherches de personnes,
04:30et bien Grindr et les usages et la lassitude viennent appuyer,
04:34viennent souligner cette vulnérabilité
04:37et c'est ça qui renforce ce sentiment de solitude.
04:39Tous les chercheurs qui ont étudié les usages de Grindr me disaient que
04:42l'installation et la désinstallation et la réinstallation,
04:45c'était un cycle habituel de l'usage de l'appli.
04:48On finit par la désinstaller parce qu'on en a marre,
04:50parce qu'on passe trop de temps dessus
04:52et qu'on veut un peu reprendre le contrôle sur sa vie.
04:54On en a marre de passer une heure, deux heures
04:56en quête d'un plan ou d'une rencontre qui, très souvent, n'advient pas.
05:01Donc on la supprime, souvent les utilisateurs se sentent mieux
05:04et après, on la réinstalle.
05:07Je dirais souvent, moi dans mon cas et dans ce que les gens m'ont raconté aussi,
05:11on se finit toujours par se dire que quand on la réinstallera,
05:14on saura s'en servir mieux, qu'on aura un peu plus de recul sur l'outil.
05:19C'est un peu genre, bon, allez, je la remets,
05:21mais cette fois-ci, je ne serai pas accro, je ne vais pas passer du temps dessus.
05:26Et en fait, l'implicite sexuelle de Grindr et les usages sont tellement forts,
05:31sont tellement marqués, sont tellement incitatifs
05:34que finalement, c'est très difficile d'avoir du recul avec l'outil
05:38et que finalement, on peut retomber dans les mêmes schémas
05:41qui nous avaient fait quitter l'appli à la fin.
05:43Je ne suis pas en train de dire dans mon livre, pas du tout,
05:47partez tous de Grindr.
05:49Je suis plutôt en train d'inviter chacun à réfléchir à ses propres usages.
05:55Surtout si jamais Grindr vous rend malheureux,
05:59prenez du recul et essayez de savoir pourquoi vous y allez,
06:03ce que vous attendez de la sexualité.
06:05Est-ce que ce que vous faites sur Grindr, vous le faites vraiment de votre plein gré
06:09ou est-ce que vous n'êtes pas en train de subir les usages
06:13et l'application plus qu'autre chose ?

Recommandations